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5. Conclusions et recommandations

5.1. Conclusions

Les conséquences du recours à l’IA vont-elles se glisser de manière harmonieuse dans les actuels fondamentaux des industries électriques et électroniques de grande consommation et dans ceux de la filière réparation dédiée à ces activités, ou bien modifier en profondeur les équilibres économiques et de puissance de tous ces métiers ? Notre étude nous a permis d’identifier les points de conclusion suivants :

La pénétration de la connectivité sur le marché de l’électrodomestique encore inégale suivant les secteurs préfigure de bénéfices liés à l’utilisation de l’IA à moyen, voire long terme

L’écart entre les produits connectables et réellement connectés et utilisés reste notable. Si l’on tentait, à partir des éléments de prévisions envisagés dans ce rapport de définir la période où les parcs installés d’appareils seraient très majoritairement connectés et les services associés utilisés, trois temporalités pourraient être avancées, dès aujourd’hui pour l’IT, dans les cinq années à venir pour l’EGP et probablement bien au-delà pour l’électroménager.

Les informations qui vont pouvoir être recueillies lorsque l’appareil est connecté et réellement utilisé par les usagers vont participer à définir le profil des évolutions de ces prochaines années sur la durabilité et réparabilité des produits. L’intégration de capteurs dédiés à la prévision des incidents pourrait se révéler un élément déterminant, à même de modifier en profondeur toute l’économie de la réparation. En effet, lorsque la connectivité des équipements est utilisée, c’est potentiellement une masse de données qui est créée : à la fois données de fonctionnement, mais aussi données d’utilisation et données sur les utilisateurs.

Pour ce qui est des deux premières catégories, hormis le fait d’amener à des conduites modifiées de l’utilisation de l’appareil – c’est la maintenance préventive – pour en prolonger la durabilité, les données envoyées par les équipements connectés pourront permettre désormais d’effectuer un suivi d’activité (plutôt aujourd’hui encore sur les produits haut de gamme) à même de détecter les « bruits faibles » annonciateurs de dysfonctionnements à venir – c’est la maintenance prédictive. Elles permettront également d’avoir la connaissance précise de l’endroit où a lieu le dysfonctionnement. Par effet direct, cela réduira l’incertitude sur la réparation et permet de prévoir la commande de la pièce détachée idoine, avec la quasi-assurance d’un unique déplacement et de ne pas stocker des pièces détachées inutiles.

La donnée devient le nouvel objet de convoitise et redistribue les rapports de force

Cette masse de données, désormais fines et en temps réel, sur le fonctionnement et l’usage des parcs d’équipements devient le nouvel or noir et impacte fortement le marché de l’électrodomestique. Or, dans cette bataille pour détenir les données, le poids des acteurs sera déterminant. Cela au moins pour une double raison :

• L’accès aux technologies d’IA : seuls les acteurs de grande taille pourront avoir les ressources financières ainsi que les expertises technologiques nécessaires à la recherche et au développement qu’implique la création d’un service d’IA ;

• L’accès aux données propriétaires : seuls les acteurs qui génèrent la donnée où en ont négocié l’accès détiennent le pouvoir, et par conséquent les autres acteurs n’ont d’autre choix que d’établir des partenariats et alliances avec eux s’ils veulent rester compétitifs et présents sur le marché et exploiter ce nouvel or noir.

La donnée devient une monnaie d’échange, et les partenariats et alliances semblent être aujourd’hui l’une des principales voies empruntées pour sécuriser un partage des données, et ce pour tous les acteurs : constructeurs, partenaires technologiques GAFAMs & BATX, et acteurs des pièces détachées.

Ces partenariats stratégiques – unilatéraux ou plus larges – sont encore une fois à l’avantage des gros acteurs, sauf si les petits et moyens acteurs de la réparation s’unissent à grande échelle pour créer un contre-poids. Nous sommes donc devant une évolution des rapports de forces par rapport au monde d’avant. Les évolutions à venir de la législation, notamment européenne, sur le partage des données et de la réglementation sur les normes de fabrication seront décisives dans le bras de fer que se livrent les détenteurs de la donnée et ceux qui aimeraient bien y avoir accès. Aujourd’hui, nous sommes à la croisée des chemins face à un monde qui pourrait être soit plus

« ouvert », soit partiellement « fermé », en fonction du droit à la propriété intellectuelle et du droit des affaires – pour ce qui est des données de fonctionnement et d’utilisation –, mais aussi et surtout du droit sur les données à caractère personnel, pour ce qui est des données utilisateurs.

Les metteurs sur le marché en passe de gagner du pouvoir au détriment des intermédiaires

Cette bataille pour la donnée est pour l’instant à l’avantage évident des fabricants et de leurs partenaires technologiques dont la technologie est celle qui génère ou exploite ces données. Or, cette remontée des données – prioritairement et parfois uniquement – vers le constructeur donne à ce dernier un « horizon » différent pouvant éventuellement déboucher sur des opportunités nouvelles d’activités. Les constructeurs ont la possibilité aujourd’hui, au travers de la connectivité et la propriété intellectuelle des données des équipements, de gagner le contact direct avec leurs clients, là où dans le monde d’avant, des intermédiaires avaient ce privilège. La remontée d’information sur les dysfonctionnements à venir ou sur la panne effective possède assurément une valeur importante que le constructeur pourra d’une manière ou d’une autre bonifier. Cela peut entraîner par conséquent une perte de poids de la part des intermédiaires et des réparateurs.

Les nouveaux entrants issus du numérique se font une place stratégique

L’entrée sur le marché des GAFAM et BATX bouleverse également l’équilibre des forces, notamment au niveau de la collecte et de l’exploitation des données. Souvent partenaires et fournisseurs des technologies d’IA intégrées dans les produits, les nouveaux services numériques et intelligents proposés par ces acteurs (à l’image des assistants vocaux) leur permettent de générer de nouvelles données sur les utilisateurs et leur utilisation des équipements connectés, dont ils conservent l’accès. L’optique change, ce n’est plus alors uniquement l’utilisation d’un appareil qui est prise en compte, c’est l’utilisateur qui devient la réelle cible.

Ces acteurs restent aujourd’hui centrés sur l’amélioration de leurs services, donc par extension la récolte des données utilisateurs, qu’ils exploitent et commercialisent via la publicité. La réparabilité et la durabilité des équipements n’est donc pas aujourd’hui un sujet stratégique pour eux, car la logique commerciale de ces acteurs est centrée sur les logiciels de haute technologie qu’ils développent – le soft – et rendent notamment accessible sur le cloud, à l’inverse des constructeurs classiques, qui ont une logique focalisée sur le produit – le hard – et pour lesquels la durabilité et réparabilité des produits est par conséquent importante.

Les réparateurs et acteurs du SAV à la peine, à moins de s’unir et d’être plus efficients

Pour les réparateurs et acteurs du SAV également, le rapport de forces évolue, et pas forcément dans le bon sens.

En effet, d’un côté, les appareils tombent de moins en moins souvent en panne, et d’un autre côté lorsque les pannes surviennent, on constate souvent un écart insuffisant entre le coût d’une intervention et le prix d’achat d’un appareil neuf. A cela viennent s’ajouter les effets de mode et les évolutions techniques particulièrement rapide sur certains produits, qui « poussent » les utilisateurs à changer d’équipement, par opportunisme, à la moindre

« panne » qui survient. En définitive, chaque année le volume de réparation décline toujours un peu plus.

Au-delà des différents types d’intervenants au sein des acteurs de la réparation sont multiples, c’est le poids des acteurs qui devient déterminant, ce qui entraîne un risque de mise en difficulté des petits réparateurs et centres techniques qui vont être distancés :

• Du fait de leur business model : basé jusqu’à présent sur un grand nombre de réparations « simples » pour compenser les réparations complexes. Or aujourd’hui, de plus en plus, la réparation des nouvelles générations d’équipements connectés coûte quasiment aussi cher que l’achat du neuf.

• Du fait de leur capacité ou non à se former aux nouvelles méthodologies du diagnostic et de la réparation assistée par IA : manque de moyens financiers et humains pour investir dans la connaissance et la formation des techniciens réparateurs dans les nouvelles générations d’équipements connectés intégrant de l’IA.

Seuls les grands acteurs, c’est-à dire ceux de la distribution et des réseaux nationaux indépendants, ont des poches de productivité à même de pouvoir être développées et valorisées notamment le recours aux calculs de masse Pour les autres acteurs, de moindre taille, il s’avère probable que leur futur s’annonce plutôt sous de mauvais auspices. Ces dernières années le nombre de stations techniques agréées a fondu, et il en est de même pour les petits artisans. Il est peu probable, et ce malgré les effets attendus du fond de réparation, que cette tendance s’inverse. Le temps serait donc à la consolidation structurelle ou capitalistique des acteurs.

Pour les acteurs de la réparation qui pourront prendre le tournant de la connectivité et de l’IA, des marges de progression seront rendues possibles par l’apport des nouvelles technologies elles-mêmes. Trois domaines d’amélioration semblent être privilégiés par les grands acteurs du domaine de la réparation.

Détecter la source de la panne le plus en amont possible

L’enjeu sera d’extraire la « donnée utile et exploitable » permettant de définir au plus tôt et au mieux les causes du dysfonctionnement. La non-homogénéité des données en entrée ne facilite pourtant pas cette tâche. Aujourd’hui l’IA est de plus en plus utilisée dans les nouvelles générations d’équipements connectés, mais sur des niveaux de complexité encore simples, de niveaux 1 à 2, c’est-à-dire d’une analyse de données, type data science, à un début d’IA cognitive et de reconnaissance.

Pour le moment, la maintenance des équipements reste avant tout curative, une fois la panne survenue avec une utilisation de l'IA pour identifier le type et le lieu du dysfonctionnement, et les démarches de réparation à effectuer.

La maintenance se fait également préventive, pour prévenir d’une panne par une meilleure utilisation et un entretien régulier de l’équipement, via une IA directement intégrée à l’appareil. Celle-ci permet d’adapter le paramétrage de l’équipement en fonction de son environnement, mais également d’analyser à distance le fonctionnement de l'appareil et d’envoyer des conseils de maintenance aux utilisateurs pour prévenir la panne.

La multiplication des robots conversationnels (les chatbots) chez la plupart des constructeurs ou distributeurs permet également de répondre à cet enjeu de diagnostic de la panne le plus en amont possible. Ils permettent de venir en assistance au diagnostic pour les techniciens de SAV à distance, mais également de mieux préparer le terrain aux visites de réparateurs à domicile. Néanmoins, ces outils recèlent encore nombre de difficultés, qui les rendent aujourd’hui encore probablement peu efficaces. La présence de ces outils sera probablement un élément à prendre en compte dans les futures négociations entre réparateurs et industriels sur le partage des données.

Le niveau supérieur de la maintenance prédictive (prévoir qu’une panne va se produire pour intervenir avant qu’elle ne survienne) ne semble pas être pour tout de suite dans le domaine de l’électrodomestique, et ce malgré des effets d’annonce ces dernières années. Si l’on compare le marché de l’électrodomestique à l’industrie, où la maintenance prédictive se développe de plus en plus, on s’aperçoit en effet que le ROI n’est pas le même. La problématique est toute différente dans l’électrodomestique car le coût unitaire des équipements est inférieur, et une panne chez un particulier ne revêt pas le même enjeu financier pour l’utilisateur, du fait du coût de la réparation souvent plus élevé qu’un achat de produit neuf. C’est pourquoi aujourd’hui les constructeurs mettent avant tout l’accent sur la qualité et la fiabilité de leurs équipements, et moins sur la maintenance prédictive.

Les pièces détachées participent pour beaucoup dans le coût des interventions

Une orientation semble déjà se profiler, par exemple pour la réparation des téléviseurs, et se caractériser par trois tendances.

• Un caractère uniquement propriétaire des pièces détachées ;

• Un nombre restreint de professionnels habilités à recevoir en direct ces pièces détachées (les autres professionnels devant se fournir chez des grossistes à des conditions financières « détériorées ») ;

• Des interventions réduisant le professionnel à n’être qu’un changeur de pièces (même, prétendent certains de nos interlocuteurs, quand cela ne s’avère pas nécessaire).

Nous assistons donc à une sorte de transition des pannes endogènes, de moins en moins nombreuses, vers des dysfonctionnements exogènes de plus en plus fréquents : du fait de la numérisation, de la connectivité croissante

des produits, et de la nécessité de mises à jour régulières des divers protocoles intégrés. Ces tendances, si elles se confirmaient, impacteraient au premier chef les grossistes en pièces détachées qui verraient leurs activités se réduire comme peau de chagrin. Cependant, grâce à l’apport de l’IA, il est possible pour les acteurs de la réparation d’opter pour une politique de mutualisation virtuelle des stocks de pièces détachées. La conséquence directe serait une réduction du niveau global de stocks de pièces détachées nécessaires entre tous les acteurs qui accepteraient de collaborer.

Rendre la logistique des tournées la plus rationnelle possible

Les tournées de réparateurs est également une préoccupation de premier ordre pour les grands acteurs du métier de la réparation. Or, ici aussi, l’IA pourrait être d’une grande aide pour l’optimisation des tournées. Des exemples de cas montrent déjà qu’il est possible d’utiliser l’IA pour mieux préparer les tournées des réparateurs, en prévoyant au plus près de la réalité le besoin en pièces détachées qui doivent être présents dans les véhicules de tournées.

Cela a pour effet de réduire les stocks de pièces en amont et de réduire les coûts, notamment en limitant le besoin d’une seconde visite du réparateur qui viendrait au bout de la seconde fois seulement avec la bonne pièce.

L’IA au service de l’économie circulaire

L’IA implique forcément un impact sur l’environnement, à la fois sur la phase d’apprentissage initial comme sur la phase de déploiement et d’utilisation de cette IA. Le dilemme à résoudre est de s’assurer que le développement de l’IA n’aggrave pas encore un peu plus le bilan carbone et l’impact négatif des technologies du numérique sur l’environnement. Or, l’IA pourra surpasser ses inconvénients environnementaux si elle vient au service d’une économie plus circulaire, en intervenant sur tout le cycle de vie de l’équipement : de sa conception initiale intégrant une diminution des impacts environnementaux et l’amélioration de sa robustesse (c’est l’écoconception), à sa réutilisation notamment sous formes de pièces détachées et son recyclage, en passant par une optimisation de la chaîne de production et d’approvisionnement de ce même équipement, du fabricant au consommateur.

Le coût réel de l’IA et le calcul de sa balance environnementale devra être suivie très attentivement. Le bénéfice net du développement de l’IA ne sera jamais une évidence. Il conviendra d’en évaluer régulièrement les impacts réels. Une chose est sûre cependant, pour que l’IA puisse avoir un impact positif net sur la durabilité et la réparabilité des équipements électrodomestiques, elle doit être inclue dans le cycle de vie complet de l’équipement et être partagée entre toutes les parties prenantes de l’écosystème, de la fabrication à la valorisation de l’équipement en fin de vie.