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Cette brève description de la bio-inspiration de la naissance de l’homme à nos jours traduit deux choses. La première est qu’elle ne peut être vue comme un simple épiphénomène lié au monde la conception ; son impact sur la connaissance et le nombre d’inventions et de découvertes qui en découlent est trop conséquent pour cela. Deuxièmement, elle ne peut pas non plus être rattachée à un simple effet de mode, son historique est trop ancien et trop présent pour que cela puisse être le cas.

2.2.2 Définitions historiques

Si, comme abordée dans la section précédente, la bio-inspiration diffuse ses principes depuis des temps ancestraux, son approche a évolué et les travaux quant à sa formalisation, notamment, sont contemporains. Au cours de cette évolution, les concepts relatifs à la conception bio-inspirée ont été définis de différentes manières au sein de la littérature. Comme précisé par Von Gleich et al. [2010], les définitions servent à la fois à spécifier, mais aussi à délimiter ce qu'englobe, et donc réciproquement ce qu’exclut, chacun des termes.

Bionique (« bionics »)

Le terme bionique est une construction basée sur la racine grecque βίος (bíos) (« la vie ») auquel est adjoint, en français, le suffixe –ique provenant d'électronique, en anglais, le suffixe –ics provenant d'elecronics, et en allemand, le suffixe –ik provenant de mechanik.

Étant le terme relatif à la bio-inspiration, le plus ancien5, il serait néanmoins simpliste, dans un effort de compréhension du sens et de l'origine du terme, de ne s'arrêter qu'à la stricte étymologie.

Selon le dictionnaire de l’Académie, le terme bionique, « composé du radical de biologie et de la finale d’électronique », est une « science qui étudie les processus biologiques d’un point de vue technique, en vue d’y découvrir des principes pouvant s’appliquer au domaine militaire ou industriel ». La bionique investit donc tout particulièrement les propriétés mécaniques du vivant, s’efforçant de les transposer dans le domaine de l’ingénierie ; intégrant de ce fait la robotique, le développement de capteurs bio-inspirés ou encore la biomécanique [Ricard, 2015].

Biomimétique (« biomimetics »)

Le mot biomimétique est construit sur la même racine grecque βίος bíos couplée au grec ancien μιμητικός, mīmētikós (« imitatif »). Les fondements du terme sont, comme pour la bionique, plus profonds que sa simple analyse sémantique.

Tout comme la vie, la biomimétique puise son origine des océans. En 1940, Otto H. Schmitt identifie une conduction variable, ou du moins partielle, le long des axones des

5 Dès 1985, le Muséum National d’Histoire Naturelle lui consacrait une exposition sous le titre « Inventions de la nature et innovation industrielle - la bionique » [Ricard, 2015].

Chapitre 2 • État de l’art calamars géants lors des réponses non linéaires d'un nerf n'étant pas supposé permettre la conduction [Schmitt et Schmitt, 1940]. C'est à partir de cette observation que naîtra la bascule de Schmitt (aussi appelé trigger de Schmitt), visant à éliminer le bruit des signaux électriques des circuits imprimés. Bien que polymathe, c'est cette bascule thermionique bio- inspirée qui donnera à Otto H. Schmitt, le physicien, l'opportunité de proposer, ce qu’il appellera plus tard biomimetic, sa définition de la biophysique en 1957.

« La biophysique n'est pas tant une question de sujet que de point de vue. C'est une approche des problèmes issus des sciences du vivant sous l'angle de théories et technologies de la physique. Réciproquement, la biophysique est aussi l'approche qu'aurait un biologiste à un problème de physique ou d'ingénierie, bien que cet aspect ait été grandement délaissé » Traduit de [Schmitt, 1957] cité dans [Harkness, 2002].

Le premier usage de l'adjectif biomimetic sera anonymement attribué, par l'Oxford English Dictionary, à l'index du volume 132 du magazine Science, publié en 1960. L’index fait référence à deux articles, chacun proposant une nouvelle appellation pour une convention portant sur des dispositifs simulant des fonctions biologiques [Jacobs, 2014]. C'est l'extrapolation de la suggestion de l'auteur du premier article, prônant l'utilisation du suffixe –mime pour ce type de dispositifs [Van Bergeijk, 1960], par le compilateur de l'index qui serait à l'origine du mot biomimetic, le terme n'apparaissant dans aucun des articles référencés [Jacobs, 2014].

Près de 10 ans après sa définition de la biophysique, en 1969, Schmitt présentera lors du 3e Congrès International de Biophysique, un article intitulé « Some interesting and useful

biomimetic transforms » marquant la première utilisation formelle du terme biomimetic sans

que ce dernier ne soit toutefois encore défini [Schmitt, 1969].

Le dictionnaire Webster lui attribuera en 1974, la définition suivante, au demeurant inchangée à ce jour :

« L'étude de la formation, la structure, ou la fonction de substances ou matériaux produits biologiquement (tels les enzymes ou la soie) et de mécanismes et procédés biologiques (telles la synthèse protéique ou la photosynthèse) principalement dans le souci de développer des produits similaires par des mécanismes artificiels imitant ceux provenant de la nature. » Traduit de Webster [2016a].

Cette définition présente deux significations possibles pour la biomimétique : la synthèse artificielle de matériaux, substances ou autres configurations structurelles de sources naturelles et l'imitation de procédés biologiques par la création de produits. Chacune de ces significations se concentre exclusivement sur le résultat sans aborder spécifiquement la contribution dynamique potentielle de la biomimétique dans le développement de ces produits, matériaux ou structures. Pour y remédier Sørensen [2004] propose d'adjoindre à la définition de biomimétique, la composante suivante:

« L'imitation de procédés naturels complexes autoassemblés afin d'obtenir des artéfacts dynamiques intégrants des capacités d'adaptation et d'auto-entretient. » Traduit de [Sørensen, 2004].

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« Nouvelle science représentant l'étude et l'imitation des méthodes, modèles et procédés de la nature. Bien que certains de ses configurations et modèles basiques puissent être copiés, de nombreuses idées provenant de la nature doivent être adaptées afin de servir d'inspiration aux capacités techniques humaines. » Traduit de Bar-Cohen [2006].

Dans un effort d'harmoniser bionics et biomimetics, Gleich et al [2010] proposent une nouvelle définition.

« La biomimétique est une tentative d'apprendre de la nature ; elle aborde le développement d'innovation sur la base de l'investigation de structures, fonctions, procédés et systèmes naturels, optimisé par leurs évolutions. » Traduit de [Von Gleich et al., 2010].

Biomimétisme (« Biomimicry »)

Biomimétisme partage la même étymologie que biomimétique, délaissant le suffixe

–ique pour le –isme plus empreint d'idéologie.

La première mention du terme est attribuée à Merrill [1982] et sa formalisation des travaux de thèse dans le domaine de la chimie intitulée : « Biomimicry of the Dioxygen Active Site in the Copper Proteins Hemocyanin and Cytochrome Oxidase ».

L'essor de ce terme s'effectuera au cours des années 90, à travers l'émergence de la bio-inspiration verte [Bonser et Vincent, 2007]. Nachtigall [1997]sera l'un des premiers à introduire les critères de soutenabilité comme partie intégrante de la bionique. C'est sous l'influence de Benyus [1997], par l'intermédiaire de son ouvrage « Biomimicry : Innovation

Inspired by Nature », que le terme acquiert l'importance qui est aujourd'hui sienne, ainsi que

son sens:

« Une nouvelle science qui étudie les meilleures idées de la nature puis imite ses concepts et procédés pour résoudre les problèmes humains. » Traduit de Benyus [1997].

De par cette définition, la nature possède un rôle de modèle, d'étalon et de mentor, ancrant la soutenabilité comme l'objectif principal du biomimétisme. Le biomimétisme s'impose rapidement comme l'un des termes relatifs à la bio-inspiration les plus utilisés aux États-Unis [Jacobs, 2014]. L'humilité et la volonté d'apprendre engendrées par la démarche du biomimétisme mènent potentiellement à une sacralisation de la nature. Cet aspect entraînera une diffusion plus limitée du terme en Europe et particulièrement en Allemagne qui lui privilégiera l'utilisation de la bionique [Jacobs, 2014].

En France, le ministère de l’Écologie, du Développement durable et de l’Énergie (MEDDE) [2014] s'est approprié le terme en proposant la définition suivante :

« Le biomimétisme consiste à observer et à reproduire artificiellement des propriétés essentielles (formes, matériaux, processus, interactions) d’un ou plusieurs systèmes biologiques, pour mettre au point des procédés et des organisations permettant un développement durable des sociétés à un faible coût économique et environnemental. » [MEDDE, 2014].

Ce même ministère [2015] synthétisera cette définition lors de sa préconisation de soutien au sein de la Stratégie nationale de transition écologique vers un développement durable (SNTEDD) 2015-2020, qualifiant le biomimétisme de :

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« […] démarche qui consiste à aller chercher notre inspiration, pour une innovation durable, dans la nature .» [SNTEDD, 2015].

La soutenabilité ne s'est cependant pas avérée exclusive au biomimétisme. En 2007, l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST) [Laffite et Saunier, 2007] introduit au sein de ses activités le concept de la biomimétique comme une discipline qui :

« […] vise à : –repérer un comportement remarquable dans la fabrication de matériaux par le vivant ; –comprendre la relation qui s’établit entre le comportement de fonctionnement et la structure de fabrication ; – et à répliquer cette structure pour élaborer des matériaux durables, selon des processus préindustriels, c’est à dire de façon rapide, standardisée, en recherchant le moindre coût. » [Laffite et Saunier, 2007].

Cette initiative de mise en avant de la durabilité au sein de la biomimétique a pour conséquence de participer à la création de frontières poreuses entre les concepts de biomimétisme et de biomimétique.

En sus de ces définitions ancrées dans la bio-inspiration, deux autres concepts (i.e. la cybernétique et la théorie des systèmes) s’avèrent conceptuellement suffisamment proches pour être introduits dans la présente section : la cybernétique et la théorie des systèmes.

Cybernétique

La cybernétique désigne, en son sens original, la science de gouverner. Issu du grec

kubernêtikê, de kubernân, signifiant gouverner, c'est initialement au sens littéral qu'il sera

utilisé à l'antiquité.

« SOCRATES: Or again, in a ship, if a man having the power to do what he likes, has no intelligence or skill in navigation [αρετης κυβερνητικης, aretes kybernetikes], do you see what will happen to him and to his fellow-sailors? » Plato, Alcibiades I; traduit par Benjamin Jowett [1874] à partir de la traduction de Gorgias (511).

De ce gouverner dérivera « gouverne », « gouvernail », « gouvernement » ou encore « gouverneur » qui partagent donc tous une étymologie commune avec la « cybernétique ». C'est cette approche sociétale qui sera formalisée dans la classification des sciences proposée par Ampère (1775-1836) [1856].

Si son champ d'investigation originel est large, son interprétation contemporaine se concentre principalement sur une interprétation technocentrée de sa définition. Cette définition moderne, proposée par Wiener [1948], présente la cybernétique comme étant :

« […] la science du contrôle et des communications dans les animaux et les machines, communication correspondant à la réception et la digestion d'information, et contrôle constituant l'utilisation de cette information dans une action directe. » [Wiener, 1948].

L'ensemble de la cybernétique s'articule autour du principe de la boucle rétroactive, alimentant un système décisionnel (e.g. tel un dispositif de régulation des écarts de trajectoire). La cybernétique requiert une compréhension fine des systèmes organiques et/ou organisationnels, pour pouvoir établir l'analogie pertinente permettant la

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transformation de systèmes initialement automatisés, qu'ils soient en silicone, industriels, ou sociétaux, en systèmes autogouvernés.

L'informatique, la robotique contemporaine, les réseaux de communication, les sociétés, sont autant d'exemples qui découlent directement de l'application de la cybernétique. Bien qu’aujourd'hui délaissée [Stebbing, 2011], la cybernétique aura laissé une marque sur le siècle qui l'aura vue naître. La croissance inexorable de l'importance de l'information et de la complexité des systèmes dans nos sociétés modernes laisse entrevoir un avenir certain pour les préceptes qu'elle a su dispenser.

Ainsi, sans être pleinement rattachée à la bio-inspiration, la cybernétique, de par sa définition, partage l'idée selon laquelle il existerait un lien entre le contrôle artificiel, voire industriel, et le contrôle physiologique, permettant au premier de tirer profit du second à travers une démarche d'analogie. La cybernétique constitue donc, en soi, un champ disciplinaire reposant sur une démarche de bio-inspiration.