• Aucun résultat trouvé

Si les systèmes techniques disposent d’une théorie de l’évolution, les systèmes techniques ne sont pas en reste, TRIZ ayant cherché à les théoriser. Dans son essence, TRIZ repose sur trois axiomes, axiomes à la fois descriptifs et prescriptifs [Cavallucci et Rousselot, 2011].

Le premier de ces axiomes est celui des lois d’évolution. Ces « lois » établissent que l’évolution des systèmes techniques n’est pas aléatoire, mais suit certains schémas ou règles de développement au cours du temps. Trois types de lois coexistent, les lois statiques, cinématiques et dynamiques [Salamatov, 1996]. Les lois statiques, composées de trois lois (i.e. loi d'intégralité des parties d’un système technique, loi de conductivité énergétique et loi de coordination du rythme des parties), régissent l’organisation du système et définissent sa viabilité. Les lois cinématiques, composées de trois lois (i.e. loi d'augmentation du niveau d'idéalité, loi du développement inégal des parties et loi de la transition vers le super- système), guident l'évolution du système indépendamment de ses éléments internes, qu'ils soient techniques ou physiques. Les lois dynamiques, composées de deux lois (i.e. loi de la transition d’un macro-niveau vers un microniveau et loi de l'augmentation de la contrôlabilité et du dynamisme), intègrent les éléments internes du système à son évolution.

Le deuxième axiome, celui relatif aux contradictions, établit que les systèmes techniques évoluent en résolvant des contradictions. Les problèmes innovants partagent la particularité commune qu'ils ne semblent pas solvables. Souvent masquées ou formalisées de manière non adéquate [Altshuller, 1988], les contradictions ont été décrites, avec une

9 Les phénotypes étant l'ensemble des caractères observables d'un individu, par opposition au

génotype qui caractérise son génome.

10 L’exaptation est une adaptation sélective où une caractéristique spécifique se voit attribuer, au

cours de l’évolution, une fonction différente (e.g. les plumes chez les théropodes dont la fonction initiale, avant d’être mise à contribution dans le vol, était la thermorégulation Ostrom, J. H., "Archaeopteryx and the origin of flight," Quarterly Review of Biology, pp. 27-47, 1974.)

Chapitre 2 • État de l’art

même compréhension par Cameron [2010] et Cavallucci [2014],comme pouvant être de trois types:

– Contradictions Administratives. Les Contradictions Administratives se produisent lorsqu’un concepteur connait le quoi, mais est incapable de déterminer le comment. Dans cette situation le concepteur est dans un angle mort où la solution demeure au sein d’un grand nombre de variants.

– Contradictions Techniques. Les Contradictions Techniques (voir aussi la section 2.5.3.1) se produisent lorsqu’un concepteur a conscience du comment, mais que chaque action envisagée mène à une détérioration de l’une des parties du système (ex : un écran d’ordinateur portable plus lumineux et présentant une consommation moindre). Dans cette situation, le problème est plus clair et la solution est masquée par plusieurs variantes. – Contradiction Physique. Les Contradictions Physiques se produisent lorsqu’un

concepteur a conscience du comment, mais est incapable d’identifier les moyens à mettre en œuvre (ex : un plastique plus résistant, mais également biodégradable). Dans cette situation, le problème est pleinement exprimé avec une solution environnante.

Enfin, le troisième axiome de TRIZ stipule qu'un problème technique, dont la résolution permet l'évolution du système considéré, doit être résolu par la considération des contraintes et conditions spécifiques au problème (i.e. un problème ne peut être résolu en appliquant des principes généraux).

La considération de l’ensemble de ces axiomes fait que l’évolution d’un système technique suit une courbe en S régit par 5 phases, i.e. naissance, croissance, maturité, déclin, mort [Kucharavy et De Guio, 2011]. L’évolution peut ainsi, telle qu’illustrée par la Figure 2.28, se faire de manière incrémentale, en suivant les phases de la courbe en S, ou par rupture, en sautant sur une autre courbe en S [Mann, 1999].

Figure 2.28 – Courbe en S et évolution(s) des systèmes techniques (synthétisé depuis [Mann, 1999] et [Kucharavy et De Guio, 2011])

Chapitre 2 • État de l’art

Comparaison et synthèse quant à la relation d’évolution entre systèmes biologiques et systèmes

techniques

L'évolution des systèmes vivants n'est pas déterministe, elle est régie par deux processus stochastiques (la mutation et la dérive génétique). Les individus d’une espèce, sujet à un environnement spécifique, sont régis par une force de maintien organique qui exclue les individus non optimaux de la postérité généalogique et par la diploïdie (si les individus étaient haploïdes11, chaque altération génétique aurait des répercussions somatiques) [Lecointre et al., 2009].

Quelle que soit l’ampleur des changements ou de l’intensité des contraintes architecturales et fonctionnelles internes, le nombre de facteurs influant est tel, qu’une priorisation des forces stabilisatrices est impossible [Lecointre et al., 2009]. Le résultat de l'évolution ne peut donc en aucun cas être prévisible : une même pression de sélection appliquée sur des situations initiales différentes est susceptible de produire des solutions différentes pour un même problème donné. Cette particularité constitue la différence principale dans l’évolution des systèmes biologiques et techniques. Cette différence s’amenuise si, en lieu et place du darwinisme, l’évolution est abordée sous l’angle du lamarckisme (en se gardant bien de ne comparer que la simple hérédité des caractères innés et acquis et non l’intégralité des deux approches). Si chez Darwin, l’organe créer la fonction, c’est la thèse opposée, où la fonction crée l’organe, qui est soutenue chez Lamarck, excluant de ce fait la considération des changements fortuits intrinsèques à l’organisme. En cherchant à satisfaire leurs besoins, les organismes stimulent, ou sous-utilisent certains organes selon leur sollicitation par le milieu, ces organes se développeront ou régresseront. En conséquence, et de manière proche aux systèmes techniques, l’évolution présentée ici est induite par le milieu et centrée fonction.

Le Tableau 2.6 synthétisant les principes d’évolution tels que considérés par la théorie synthétique (Darwin) pour les systèmes biologiques et TRIZ pour les systèmes techniques, met en exergue un certain nombre de similitudes.

Tableau 2.6 - Comparaison des règles régissant, selon l'entendement contemporain, l'évolution des systèmes biologiques et technologiques. Avec la théorie synthétique de l'évolution servant de référence pour les systèmes biologiques et TRIZ servant de référence pour les systèmes techniques

Caractéristique Systèmes

biologiques

Systèmes techniques

Les systèmes tendent vers la perfection

En tendant vers cette perfection les systèmes se

complexifient

11 Les cellules haploïdes sont définit par leur noyau ne contenant qu’un seul génome, c’est-à-

Chapitre 2 • État de l’art

Les évolutions apportant un avantage compétitif sont

conservées sur des générations successives

L'environnement du système influe sur son évolution

L’évolution peut être anticipée, prévue, car sujette à un

but X

Bien qu'empiriques, les fondements théoriques prodigués par TRIZ apportent un éclairage des systèmes techniques difficilement réfutable. Avec le succès de la diffusion de TRIZ en guise de garantie et compte tenu des similitudes mises en avant entre des systèmes techniques et biologiques, il semble logique que leurs évolutions possèdent des schémas communs. Il est donc cohérent que l'évolution des systèmes techniques (moins perfectionnés) puisse tirer profit des enseignements issus de celle des systèmes biologiques, validant le concept même de la bio-inspiration. Opérer de la sorte rendrait possible, à grande échelle, la résolution potentielle de nombre de défis techniques, défis que la technologie semble peiner à relever de façon résiliente. La bio-inspiration vise à tirer profit du recul qu’a la nature dans la résolution des problèmes qu’elle a pu rencontrer puis résoudre par un mécanisme d’essais-erreurs. Ce recul n’a été possible que grâce à une ressource qui semble aujourd’hui nous faire défaut, le temps. Sans ce « temps » à disposition, il semble dès lors intéressant d’essayer de comprendre comment opère la nature, dans l’idée que nous pourrions nous affranchir de ce mécanisme d’essais-erreurs.

Bien que capable de s’affranchir du mécanisme d’essais-erreurs, la biomimétique ne peut s’exempter du mécanisme d’inspiration. C’est à ce titre que ce mécanisme charnière de la démarche doit être explicité.

2.4.1.4 Inspiration & Créativité

Les sources d’inspiration (ou déclencheurs ou stimuli) sont constamment utilisées en conception pour générer de nouvelles idées et résoudre des problèmes. Une source peut fonctionner de manière systématique, quand les concepteurs effectuent une recherche active d’inspiration, mais aussi de façon fortuite, quand sa recherche est inconsciente [Goldschmidt et Sever, 2011]. Gonçalves, Cardoso et Badke-Schaub [2014] ont essayé de comprendre quelle méthode de génération d’idées était favorisée par les concepteurs. Chulvi et al. [2013] ont étudié les différences d’impact sur la conception en utilisant différentes méthodologies. Sans qu’elles n’intègrent la bio-inspiration dans leur approche méthodologique, ces études démontrent à la fois l’importance de l’inspiration dans le processus de conception actuel, mais aussi le besoin méthodologique d’aide à l’inspiration, et donc d’une certaine manière de recherche d’analogie, telle que peut le permettre la biomimétique. Il convient dès lors d’aborder l’inspiration selon la perspective de sa nature, un concept cognitif.