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Conclusion La régulation de la stabilité de ERK3 : un système multifactoriel

CHAPITRE IV : Discussion 162 

4.1 La régulation de la stabilité de ERK3 162 

4.1.3 Conclusion La régulation de la stabilité de ERK3 : un système multifactoriel

Les travaux réalisés au cours de mon doctorat ont permis d’identifier et de caractériser deux régulateurs de la stabilité de ERK3, la DUB USP20 et l’ubiquitine ligase E6AP. Néanmoins, les résultats que nous avons obtenus démontrent clairement que ces régulateurs ne sont pas les seuls. Il semble y avoir une redondance fonctionnelle, aussi bien parmi les DUB que parmi les ubiquitines ligases. Nos travaux ont permis d’établir certaines hypothèses, détaillées dans les chapitres précédents de la discussion, quant à l’identité de ces facteurs qui collaborent avec USP20 et E6AP.

Le cas de figure de ERK3 ne semble pas unique. Certains des substrats du système ubiquitine-protéasome, en particulier ceux qui ont une demi-vie courte comme ERK3, semblent aussi être régulés par des systèmes redondants. C’est le cas par exemple de l’inhibiteur du cycle cellulaire p21 qui est ubiquitiné par les complexes CRL4 et SCF (CRL1) (564). Le suppresseur de tumeur p53 a de son côté été identifié comme un substrat de plus d’une dizaine d’ubiquitines ligases parmi lesquelles Mdm2 (565), E6AP (566), Pirh2 (567) ou COP1 (568).

Si cette redondance complique l’identification des régulateurs de la stabilité de ERK3, elle nous apporte une information pertinente. La cellule déploie une importante quantité d’énergie pour garder la protéine ERK3 instable et pour en réguler minutieusement les niveaux d’abondance protéique. Un exemple frappant de l’ampleur de cette pression de dégradation est illustré dans notre étude des relations ERK3/USP20. Dans ces travaux nous

avons utilisé une forme de ERK3 arborant un épitope Myc6 N-terminal, qui est décrite pour

être plus stable que la forme endogène de la protéine. En effet la présence d’un épitope volumineux, Myc6 ou GFP par exemple, inhibe l’ubiquitination N-terminale de ERK3 (353).

De manière surprenante, la surexpression de USP20 induit une accumulation de cette version déjà stabilisée de ERK3. Ces résultats, en plus de supporter l’idée qu’il existe plusieurs mécanismes d’ubiquitination qui coopèrent pour la réguler, indiquent l’ampleur de la pression de dégradation ciblant ERK3. Finalement, l’hypothèse de l’existence d’un réseau de régulateurs composé de E6AP et HERC2-USP20 qui converge vers la dégradation de ERK3 semble être un élément supplémentaire qui indique qu’il existe une coordination de divers éléments pour réguler ERK3.

Pourquoi la cellule dépense t’elle autant d’énergie pour promouvoir la dégradation de ERK3 ? Certaines données de la littérature laissent penser que l’accumulation de ERK3 pourrait être particulièrement délétère. En effet, la surexpression de forme stables de ERK3 induit une inhibition de l’entrée en phase S dans des fibroblastes en culture (134, 135). Cette situation est comparable aux inhibiteurs du cycle cellulaire que sont p21 et p53. Dans des cellules normales, la pression de dégradation sur ces deux protéines est forte (comme le montre la redondance des machineries d’ubiquitination les ciblant), pour permettre aux cellules de proliférer. On peut donc émettre l’hypothèse que la redondance des signaux de dégradation ciblant ERK3 est due à son rôle d’inhibition du cycle cellulaire dans des cellules normales.

La problématique n’est toutefois pas la même dans un contexte de cellules cancéreuses. Dans ces conditions, il a été montré que la surexpression de ERK3 induit une augmentation de la migration de cellules issues de cancers mammaires et pulmonaires, ce qui s’accompagne d’une augmentation du potentiel invasif dans les carcinomes pulmonaires (112, 149). Finalement, il a été démontré que l’expression de la protéine ERK3 est augmentée dans ces cancers, comparativement aux tissus sains (112). Ces études suggèrent que ERK3 semble avoir un rôle pro-oncogénique. Dans ces conditions la pression de dégradation dirigée contre ERK3 agirait alors comme un facteur suppresseur de tumeur. Il existe plusieurs démonstrations publiées d’oncogènes ou de protéines pro-oncogéniques dont l’expression est contrôlée par le système ubiquitine-protéasome. C’est le cas par exemple de c-Myc, de c-Jun

ou de la cycline E, dont la dégradation est médiée par le complexe ubiquitine ligase SCFFbw7,

dont l’activité est perdue dans de nombreux types de cancers (voir revue (569)).

L’accumulation de ERK3 peut donc avoir des effets différents dépendamment des contextes, néanmoins il semble qu’en dehors de certaines conditions particulières les effets en soient délétères, ce qui expliquerait la redondance des mécanismes de dégradation. Cependant, nos travaux indiquent aussi une redondance pour la stabilisation de ERK3 par les DUB. Si le maintien de l’instabilité de ERK3 est si important pour la cellule, pourquoi existe-t-il parallèlement plusieurs composantes de stabilisation de la protéine ? Dans ce cas-ci, la littérature est plus avare de réponses. Comme discuté précédemment, il a été démontré que ERK3 s’accumule au cours de la différenciation de précurseurs neuronaux et myogéniques et lors de la mitose de cellules HeLa en culture. Nos résultats nous indiquent aussi que l’expression de ERK3 est augmentée lorsque que le pH de cellules en culture est acide, où lorsque les cellules sont traitées avec un mimétique de l’hypoxie. Néanmoins les conséquences fonctionnelles de cette accumulation, et donc leur importance physiologique, restent à déterminer. En revanche, l’activation des lymphocytes T est un contexte où l’expression protéique de ERK3 est stimulée et dans lequel la fonction de la protéine n’est pas inconnue. Dans une étude, à laquelle j’ai collaboré au cours de mon doctorat, nous avons montré que l’activation des lymphocytes T induite par la stimulation du récepteur aux cellules T (TCR pour T cell receptor) induit une augmentation de l’expression de l’ARN messager et de l’abondance protéique de ERK3 (570). Dans ce modèle ERK3 est nécessaire à la prolifération et à la sécrétion de cytokines activatrices et il apparaît donc nécessaire de maintenir des niveaux élevés de la protéine. Néanmoins, l’effet de la perte de fonction des régulateurs positifs de la stabilité de ERK3 dans ce contexte est à ce jour inconnue. Des études fonctionnelles sont donc encore nécessaires pour comprendre les conséquences de l’accumulation de ERK3 dans ces contextes particuliers.

Finalement, il existe un autre niveau de complexité dans l’étude de la régulation de ERK3 qui complique l’étude de sa stabilité. Au cours de mon doctorat, alors que nous étudions l’effet des dommages à l’ADN sur l’expression de ERK3, nous avons remarqué que le simple fait de

sortir des cellules en culture de l’incubateur induit une diminution de l’expression protéique de ERK3. Cette observation a été réalisée dans plusieurs lignées cellulaires. Parallèlement à nos propres observations, Frank Brand, un étudiant au doctorat dans le laboratoire de Matthias Gaestel en Allemagne, un des rares autres laboratoires dans le monde à avoir étudié ERK3, a observé le même phénotype (Frank Brand, 2012 ; thèse doctorale). Il a ensuite déterminé que l’alcalinisation du milieu de culture des cellules en présence de l’atmosphère normale (en comparaison du milieu à 5% de CO2 des incubateurs de cellules) induisait une dégradation de

ERK3. De la même façon, le stress mécanique causé par la manipulation des flasques ou pétris de culture semble pouvoir causer une dérégulation de l’expression de la protéine. À l’inverse, l’acidification du milieu, ainsi que le traitement avec le chlorure de cobalt ou la staurosporine induit une accumulation de la protéine.

Nous avons tiré parti de ce mode de régulation lors de la caractérisation de la régulation de ERK3 par USP20 pour démontrer que dans un contexte ou ERK3 s’accumule (nos travaux se sont concentrés sur le pH acide et le traitement au chlorure de cobalt) l’inhibition de l’activité de USP20 induisait une diminution de la stabilité de la protéine. Cependant, il s’agit d’une régulation qui complique considérablement l’étude de la protéine. Il faut alors toujours s’assurer de contrôler le pH du milieu dès que les cellules sont sorties de l’incubateur pour effectuer un traitement quelconque. Dans le cas contraire, il n’est pas possible de tirer de conclusion sur la pertinence biologique d’une observation puisque le système expérimental est artificiellement placé dans des conditions pro-dégradation pour ERK3. Il conviendrait donc d’analyser toutes les études publiées qui traitent de la régulation de ERK3 en regard de cette connaissance, afin de déterminer si les effets rapportés sont bien dus aux mécanismes proposés et non simplement causées par les procédures expérimentales.