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6 Transfert en gouttes des tests de solubilisation du phosphate

6.7 Conclusion sur le phosphate

Finalement, nous avons réussi à adapter en gouttes millifluidique un test de mesure de la solubilisation du phosphate inventé dans les années 1940. Le travail en gouttes nous a permis de facilement ajouter

Figure 6-38 : Boîtes de Petri (milieu Pikovsksaya) ensemencées avec une suspension du sol PS 270919, diluée 100 fois. Après 12 jours d'incubation. On ne distingue presque aucun halo

Figure 6-39 : Boîtes de Petri (milieu Pikovsksaya) ensemencées avec la même suspension du sol PS 270919, diluée 1000 fois. Après 12 jours d'incubation. La majorité des colonies forment un petit halo.

5,8 ont vu leur signal de scattering baisser (hors artefacts dus à la méthode de mesure) et 86,3% des gouttes dont le signal de scattering a baissé ont vu leur pH passer sous 5,8. Parmi les 13,7% restants :

• La majorité des gouttes forment des agrégats sans que l’on puisse affirmer ou infirmer que les particules ont été dissoutes

• Une minorité ont franchi le seuil sans montrer de signe d’agrégation, ou en montrant des signes suffisamment faibles pour que l’on puisse penser qu’une partie des particules ont bien été dissoutes. Il est possible que l’on trouve dans ces gouttes des microorganismes sécrétant de grandes quantités de chélatants, ce qui apporte un éclairage sur cette question, à laquelle il est quasiment impossible de répondre avec les méthodes de culture traditionnelles

Si les nombres de solubilisateurs présumés en gouttes ne corrèlent pas avec ceux sur boîtes de Petri, on peut penser que notre protocole millifluidique mesure en partie autre chose que la capacité à so- lubiliser le phosphate. Cependant, la remarque peut être prise à l’envers : il est possible que le proto- cole sur boîte de Petri soit une mauvaise façon d’estimer le nombre de solubilisateurs. Cette mesure est souvent remise en cause et des études ont par exemple montré que certaines souches qui ne for- maient pas de halo sur boîte de Petri pouvaient quand même faire augmenter la concentration en phosphate dissout en milieu liquide193,194. Il serait intéressant de voir si de telles souches feraient bais-

ser le signal de scattering dans nos gouttes.

Afin d’approfondir nos recherches, plusieurs pistes pourraient être explorées :

• Nous n’avons presque pas utilisé la possibilité de tri de gouttes : faire sortir de la machine des gouttes d’intérêt pour les étudier. A l’avenir, il pourrait être intéressant de le faire pour sé- quencer et identifier les souches solubilisatrices, pour évaluer lesquelles forment des halos sur boîte ou pour étudier les molécules qu’elles sécrètent.

• La prise d’image n’est pas automatisée sur notre appareil, ce qui a limité son usage. Si tel était le cas, nous pourrions mieux comprendre les formes des courbes de scattering, et peut-être pouvoir discriminer les solubilisateurs des « agrégateurs ».

Finalement, il est à noter que notre protocole remplit plusieurs des conditions qui en feraient un bon protocole d’analyse fonctionnel des microbiotes, d’après l’article de Thiele-Bruhn et al47.

Ainsi, il donne des résultats environ 7 fois plus vite que la méthode sur boîtes de Petri (38 heures d’incubation en gouttes contre 11 jours sur boîtes). Par ailleurs, les consommable que nous avons uti- lisés sont peu onéreux : sucres et sels minéraux pour le milieu ; pyranine, résazurine et polyacrylate (des produits communs) pour les fonctions étudiées. Le fait de travailler en gouttes permet en outre de n’utiliser que de petites quantités de réactifs. Les manipulations ne demandent pas de formation au-delà de compétences de bases en microbiologie et les protocoles d’analyse de données sont facile- ment automatisables. A part la machine MilliDrop, le matériel que nous utilisons est le matériel clas- sique d’un laboratoire de microbiologie. La majorité des manipulations et une partie du traitement de données ont d’ailleurs été menées par une technicienne de notre laboratoire (Florence Condamine, que l’on remercie). Par ailleurs, le travail au champ se résume à prélever quelques dizaines de grammes de terre.

En se basant sur les critères de prix présentés dans l’article évoqué plus haut, l’acquisition de la ma- chine et l’huile fluorée nécessaire à son fonctionnement placent déjà notre méthode dans une gamme de prix correcte, mais de prochaines générations de machines et un programme de recyclage de l’huile fluorée (que nous menons déjà au laboratoire pour d’autres projets) pourraient considérablement abaisser ces prix.

Une piste d’amélioration qui nous paraît importante consisterait à comprendre mieux et si possible empêcher l’agrégation dans nos gouttes, afin de mieux quantifier la part de la dissolution due au simple pH et la part due à la chélation. Il serait essentiel pour cela de savoir de quoi ils sont composés : parti- cules, microbes ou sécrétions microbiennes ? Pour cela, nous pourrions sortir de la machine quelques gouttes représentatives à chaque expérience et les analyser par exemple au microscope après mar- quage. En améliorant la qualité de la prise d’image et en l’automatisant, on pourrait également mieux voir à quoi ressemblent nos agrégats et donc peut-être mieux caractériser leur formation. Si on cons- tate qu’il s’agit de biofilms, différentes options pourraient être envisagées pour limiter leur formation, notamment limiter le stress sur les bactéries, par exemple en trouvant un dispersant plus biocompa- tible que le polyacrylate, ou en menant un travail de transcriptomique pour comprendre quel facteur déclenche la formation du biofilm. Si les agrégats sont composés de particules, il pourrait être perti- nent de remplacer l’hydroxyapatite par un minéral qui se dissout à des pH plus élevés (dans l’idéal, la totalité du minéral serait dissoute à un pH égal au pKa du polyacrylate), par exemple du calcium phos- phate dibasique.

Enfin, une perspective intéressante consisterait à analyser les gouttes en spectrométrie de masse, afin d’identifier les substances sécrétées par les microorganismes en fonction de leur profil scattering et pH.