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Les travaux fondateurs de Debye permettent de comprendre le phénomène d’acousto-phorèse, qui est la création d’un champ électrique par une onde sonore. Ce phénomène peut être décrit comme la solution des équations du mouvement pour les ions, couplées aux équations de continuité et de Maxwell-Gauss. Il peut être interprété comme l’effet de la création d’un courant électrique par l’onde acoustique, avec la réaction de la solution au courant électrique créé. Ce courant vient des différences de masses entre les ions, qui donne des différences de forces inertielles et donc de vitesses. Le signal dépend linéairement de la concentration à grande dilution, et en est indépendant à moyenne et faible dilution. Améliorer la théorie de Debye peut se faire de deux manières : en décrivant mieux la mise en mouvement des ions par une onde acoustique d’une part, et en tenant compte des interactions entre les ions d’autre part. Ces deux axes ont été explorés dans la littérature au cours des années 30, mais aussi plus récemment.

Chapitre 2

Développements de l’acoustophorèse

jusqu’aux années 1990

Le premier développement théorique de l’acoustophorèse a eu lieu dans les années 30. Suite à l’article de Debye de 1933, Oka [9] propose, pour l’acoustophorèse des ions, d’inclure des forces correctives dépendant de la concentration, les forces de relaxation électrique et hydrodynamique. Hermans [10], en 1938, considère que ces forces sont justifiées mais petites, qu’il est aussi possible d’inclure la force de diffusion et qu’il faut surtout inclure la force de pression, pour l’acoustophorèse des colloïdes. En 1947, Bugosh, Yeager et Hovorka [11] combinent les suggestions de Hermans et d’Oka, et ajoutent également la force de pression pour les ions. Ils tentent de mesurer le potentiel acoustophorétique pour divers sels, de manière peu convaincante [12], montrant néanmoins l’existence d’un effet dépendant du sel utilisé et peu de sa concentration. Enfin, Yeager et Zana [7], identifient le volume impliqué dans la force de pression au volume molaire partiel, et font une série de mesures du potentiel acoustophorétique de bonne qualité, avec un bruit inférieur au signal d’intérêt, et en utilisant diverses astuces expérimentales. Le plan de ce chapitre est chronologique, et seuls les aspects théoriques sont décrits (le chapitre 3 de la thèse de Pusset [5] contient un historique expérimental).

2.1 | Inclusion des corrections dépendant de la

concentration par Oka

2.1.1 | Principe de la modification

Dans cet article, très clair, "Fortpflanzung der ultrakurzen Schallwellen durch einen Elektrolyten" [9], compréhensible par un non germanophone, Oka inclut des forces correc-tives s’exerçant sur les ions en plus des forces déjà utilisées par Debye. Les forces de Debye étaient la friction, la force électrostatique et l’inertie. Oka rajoute deux forces, la force hydrodynamique, ou électrophorétique et la force de relaxation électrique. Le nouveau jeu

23 Développements de l’acoustophorèse jusqu’aux années 1990 de forces s’écrit donc :

mi ∂veau ∂t = eiE kBT D0 i

(vi− veau) + δFihyd+ δFirel (2.1) Les forces hydrodynamique et de relaxation électrique dépendent a priori linéairement du champ électrique et de l’accélération :

δFihyd= αhydi E− βihyd∂veau

∂t (2.2)

et

δFirel = αreli E− βirel∂veau

∂t (2.3)

Quelles sont ces deux forces ? Pourquoi vouloir les ajouter, et est-ce judicieux ?

Dans un article [13] fondateur de la théorie du transport dans les électrolytes, Onsager1 a proposé, en 1932, pour rendre compte de l’évolution de diverses grandeurs avec la concentration, de prendre en compte l’influence des couplages hydrodynamiques (force électrophorétique) et des interactions électrostatiques (force de relaxation électrique) sur le déplacement des ions. Cet article d’une centaine de pages traitait de la conductivité électrique, de la viscosité et de la diffusion. Si certains passages sont clairs, d’autres sont particulièrement ardus. Une explication qualitative de l’origine des deux forces, et des ordres de grandeur, sont repris ici. Pour le calcul précis de ces forces correctives, un développement sera fait dans le chapitre 9. Le livre de Fuoss et Accassina [17], contenant beaucoup de calculs mais moins que les articles d’Onsager, développe les arguments présentés ici.

2.1.2 | Force électrophorétique

La force électrophorétique, ou hydrodynamique, est assez intuitive. Tout ion est entouré d’une atmosphère ionique. Dans de l’eau salée, autour d’un sodium, il y a en moyenne une charge négative. Cette charge négative vient aussi bien d’un excès local de chlorure que d’un défaut local de sodium. Suivant les travaux de Debye et Hückel [16], cette atmosphère ionique, correspondant à la compensation de la charge, est à une distance κ−1 de l’ion central supposé ponctuel, avec κ−1 la longueur de Debye :

κ2 = e 2 ǫ0ǫrkBT Ø i nizi2 (2.4)

1. Cet article en anglais est une extension d’un double article, publié en allemand en 1926 [14] et 1927 [15]. Dans ce double article, Onsager traitait de la conductivité des sels simples. Ce double article est une amélioration de la théorie de Debye-Hückel [16] sur la conductivité des électrolytes, publiée sous le même titre, et notamment sur la façon d’écrire l’équation différentielle régissant la relaxation électrique. L’erreur de Debye dans l’article [16] a été de considérer que la déformation de l’atmosphère ionique de l’ion i est indépendante de la déformation de l’atmosphère ionique de l’ion j, alors que l’atmosphère ionique de i contient j et que celle de j contient i.

Développements de l’acoustophorèse jusqu’aux années 1990 24 Quand un ion subit un champ électrique, son atmosphère ionique le subit aussi. L’atmo-sphère ionique se comporte, qualitativement, comme une boule de charge opposée à l’ion central, donc de charge -e, et de rayon κ−1. Elle se déplace, d’après la loi de Stokes, à une vitesse δvhyd

+ :

6πηκ−1δvhyd+ ≈ −eE (2.5) Cette vitesse est retrouvée quand un calcul plus rigoureux est fait, en utilisant la fonction de corrélation totale de Debye et Hückel, comme dans l’article de 1932 d’Onsager, qui reprend aussi un article de Debye. Cette vitesse correspond plus précisément à la vitesse de l’eau, à l’emplacement de l’ion central, sous l’effet de l’atmosphère ionique.

Cette vitesse δvhyd peut être transformée formellement en force :

δF+hyd = kBT

D0 +

δv+hyd (2.6)

Cette force, qui traduit l’incrément de vitesse du solvant du fait du mouvement de l’atmosphère ionique, est la force électrophorétique ou hydrodynamique. En combinant les équations précédentes, elle est proportionnelle à l’inverse de la longueur de Debye, donc à la racine carrée de la concentration. Plus précisément, le rapport de la force hydrodynamique avec la force l’ayant créée (ici, δFhyd

+ /(eE)) est de l’ordre de κaStokes, avec aStokes le rayon de Stokes de l’ion central.

2.1.3 | Force de relaxation électrique

La force de relaxation électrique est aussi assez intuitive. Un ion, par exemple sodium, est toujours entouré d’une atmosphère ionique. Si l’ion sodium est tiré vers l’avant, l’atmosphère ionique met un certain temps à suivre. Pour être précis, l’atmosphère ionique a un retard temporel de l’ordre du temps de Debye τD. Le temps de Debye2 est le temps de diffusion sur la longueur de Debye, et est donc :

τDκ

−2

D0 (2.7)

Si l’atmosphère ionique a un retard temporel de l’ordre du temps de Debye, elle a un décalage spatial δz de l’ordre du produit de la différence de vitesse entre l’ion et son contre ion par le temps de Debye :

δz ≈ τD(v− v+) (2.8)

Si les vitesses ne sont dues qu’à un champ électrique appliqué, comme en conductivité :

δz ≈ τD(−2D

0eE

kBT ) (2.9)

2. Le temps de Debye est ici égal au temps de Maxwell-Wagner, c’est un heureux hasard et non un résultat physiquement intéressant.

25 Développements de l’acoustophorèse jusqu’aux années 1990 L’atmosphère ionique n’étant plus centrée sur le sodium, le sodium ressent un champ électrique local δE, qui est de l’ordre du produit du décalage spatial par le gradient de champ électrique ∇Eatm au centre de l’atmosphère ionique. Ce champ électrique est créé seulement par l’atmosphère ionique.

δE ≈ −δz∇Eatm (2.10)

Ce gradient de champ électrique est, en prenant une loi de Coulomb avec la longueur de Debye comme longueur caractéristique :

Eatm≈ − κ

3e

4πǫ0ǫr (2.11)

Le champ électrique lié à la relaxation, ressenti par l’ion central, vaut donc :

δE ≈ κ 3e 4πǫ0ǫr(−2 D0eE kBT ) κ−2 D0 (2.12)

et la force ressentie par l’ion central :

δF+rel ≈ −κe

2(2Dk0eE BT )

4πǫ0ǫrD0 (2.13)

≈ −2κLBeE (2.14)

Cette force, dite de relaxation électrique, car elle vient du champ électrique dû à la relaxation de l’atmosphère ionique, est aussi en racine carrée de la concentration. Elle est proportionnelle au rapport entre longueur de Bjerrum LB et longueur de Debye, et est aussi proportionnelle aux forces l’ayant créée. Ce sont ces deux forces, hydrodynamique et relaxation, qui expliquent la décroissance en racine carrée de la concentration de la conductivité molaire (loi de Kohlrausch). Comme la longueur de Bjerrum est du même ordre de grandeur que le rayon de Stokes, les deux forces correctives sont du même ordre du grandeur. Onsager a réussi à calculer le coefficient de la loi de Kohlrausch grâce à ces deux forces, après que Debye [16] en ait fait l’interprétation qualitative.

2.1.4 | Pertinence de la démarche d’Oka

La suggestion d’Oka n’est pas pertinente pour deux raisons, de natures différentes. D’abord, les forces précédentes ont été calculées à partir de la fonction de corrélation totale de Debye-Hückel, laquelle est grossièrement fausse dès que la solution est concentrée. En effet, la longueur de Debye tend vers zéro quand la concentration augmente, ce qui donne des corrections trop importantes. Ainsi, la conductivité3

devient négative entre 0,1 3. La conductivité peut s’écrire comme la sommeq

inieiµi. Des corrections excessives peuvent rendre les mobilités µ négatives.

Développements de l’acoustophorèse jusqu’aux années 1990 26 et 1 mol/L pour des sels ordinaires, ce qui est évidemment non physique. Cela est facile à corriger, en prenant par exemple une fonction de corrélation totale de Debye-Hückel étendu, qui évite ce type de problème à toute concentration. Ce point sera repris en détail dans les chapitres 6 et7.

La seconde raison, plus importante, est que Oka a introduit ces forces comme seulement induites par le champ électrique, et non par l’inertie. Ainsi, ces forces modifient la conductivité, mais pas le courant d’origine mécanique dans l’équation 1.54, et elles s’écrivent :

δFihyd= αhydi E (2.15) et

δFirel = αreli E (2.16) Pourtant, pour la force de relaxation, tout ce qui induit une différence de vitesse entre anions et cations crée une force de relaxation. En reprenant l’équation2.8 et l’approche en ordres de grandeur précédente, on obtient :

δF+rel≈ −κe

2(v− v+)

4πǫ0ǫrD0 (2.17)

Comme les forces d’inertie créent aussi une différence de vitesses entre anion et cation (c’est l’origine de l’acoustophorèse des sels simples), elles créent aussi une force de relaxation, et ce terme n’a pas de raison d’être plus petit que la force de relaxation créée par le champ électrique. La force hydrodynamique doit elle aussi dépendre des forces inertielles. L’expression de Debye 1.19 devient, avec le jeu de forces d’Oka :

E = iωveau q inimieiD 0 i kBT iωǫ0ǫr+q iniei(ei+αrel i hydi )D0 i kBT (2.18)

Ne considérer les forces correctives que par rapport au champ électrique et non par rapport à l’inertie, c’est faire une correction bancale, qui dégrade les résultats. Cela implique que le champ électrique par unité d’accélération ne peut qu’être une fonction croissante de la concentration, puisque le courant mécanique est une fonction linéaire et la conductivité réelle une fonction sous-linéaire de la concentration. Or expérimentalement, les données de Zana [7], publiées 30 ans après, montrent que pour la plupart des sels, c’est plutôt une fonction lentement décroissante à haute concentration. L’approche d’Oka, bien que fondée sur une démarche a priori astucieuse, consistant à prendre en compte les couplages hydrodynamiques et électriques entre les ions, est donc un échec pour améliorer la théorie de Debye.

27 Développements de l’acoustophorèse jusqu’aux années 1990

2.2 | Introduction des forces de pression et de