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CONCLUSION GENERALE

Dans le document L'enseignant universitaire (Page 195-200)

« Rien n'est plus faux, selon moi, que la maxime universellement admise dans les sciences sociales suivant laquelle le chercheur ne doit rien mettre de lui-même dans sa recherche »

P. Bourdieu

Les enseignants-chercheurs algériens constituent un groupe professionnel qui se distingue des autres groupes par leurs territoires, leurs projets, leurs intérêts, leurs difficultés, leurs conflits etc. Ils s'expriment de façon énergique lors des périodes de crises (grèves) et mettent en avant leurs revendications socioprofessionnelles et identitaires (statut spécifique), dont le salaire constitue le facteur fédérateur et mobilisateur autour duquel viennent se greffer tous les espoirs d'une vie meilleure. Mais ils s'expriment peu sur ce qu'ils sont, sur ce qu'ils vivent et ce qu'ils désirent, etc. La présente recherche vise l'exploration de ce territoire peu connu par les universitaires eux-mêmes pour essayer de comprendre ou de construire une image de ce monde qui soit la plus proche possible de la réalité, malgré les multiples aléas générés, d'une part, par notre posture (sujet et objet) et les phénomènes transférentiels qui en découlent et par la complexité du thème traité (l'identité professionnelle), et par l'approche utilisée pour élucider la question, d'autre part. De ce fait, sans prétendre pouvoir étendre les résultats à tous les universitaires, nous pensons qu'à travers cette étude, nous avons construit, pour le chercheur algérien, un objet d'étude et un sens sociologiques à la trajectoire professionnelle des enseignants-chercheurs. A ce sujet, il est important pour nous de signaler que l'absence ou le peu de recherches sur le sujet que nous avons traité

a constitué un handicap sérieux pour la construction de notre partie conceptuelle, et par conséquent pour faire des comparaisons ou des inférences.

En adoptant une démarche descriptive, nous avons donc mené une enquête par questionnaires auprès des enseignants de l'université de Constantine pour essayer de saisir le projet de ces acteurs, leurs identités, leurs rapports aux étudiants et aux collègues, à la profession, à l'institution et à la recherche. Nos références théoriques ont pris appui principalement sur la littérature relative à sociologie des professions et sur les travaux de nombreux sociologues (Bourdieu, Dubar, Sainsaulieu, Bajoit).

Concernant les travaux sur les universitaires, les travaux de Fave-Bonnet, Musselin et Viry ont été des références incontournables. La référence, peu significative, aux travaux sur les universitaires algériens constitue sans doute l'une des insuffisances de ce travail. Par ailleurs, le recours, en l'absence d'une littérature suffisante sur les enseignants du supérieur, à des travaux sur les enseignants du primaire et du secondaire (Cattonnar, Robitaille, Gohier) a été d'un grand apport.

Les résultats que nous avons obtenus ont été soumis à un traitement statistique en utilisant le logiciel Tri deux mis au point par Cibois qui nous a permis d’effectuer une analyse globale des résultats (tris à plat), de faire des croisements et d'établir des profils de modalités à travers le calcul des pourcentages d'écart maximum (PEM).

Ces résultats ont montré que le monde des enseignants-chercheurs algériens est un univers choisi, construit sur un projet sur soi pour soi, mais dont les contours s'articulent autour d'une identité dont la dimension dominante est disciplinaire : l'intérêt ou la passion pour la discipline et le désir de rester en contact avec le savoir en constituent les principaux fondements .L'analyse des missions a permis de constituer une typologie des rôles. Ce qui se dégage, c'est qu'ils se sentent investis d'une mission d'enseignants au service de l'étudiant, à savoir lui faire acquérir des compétences. Les enseignants se présentent comme enseignants- chercheurs. Ils sont peu nombreux à se définir seulement comme chercheur ou comme enseignant ou comme professionnel de l'enseignement.

Concernant la socialisation professionnelle, notamment en matière d'enseignement, faut-il encore rappeler que les enseignants sont des autodidactes qui ont appris à enseigner sur le terrain. En ce sens, une formation leur semble nécessaire, mais l'on constate que la logique des savoirs l'emporte sur la logique pédagogique. Ces derniers mettent en avant la priorité d'une formation dans le domaine « des savoirs à enseigner », c'est à dire dans la matière qu'ils enseignent au détriment des « savoirs

pour enseigner » (pédagogie, didactique, NTE). En s'inscrivant dans cette logique, les enseignants manifestent encore leur identification à la discipline qu'ils enseignent.

Quant à l'image et la place de la profession dans la société, on se trouve en face à une ambivalence. D'une part, celle-ci est vécue comme une promotion quand ils la comparent avec d'autres métiers, et, d'autre part, est ressentie comme dévalorisée à partir de l'image qui leur est renvoyée par la société. Cette image négative se trouve encore amplifiée, ternie par le discours médiatique qui en a fait un objet d'humour. En ce qui concerne la reconnaissance dans le métier et le désir de changer d'orientation professionnelle, il se dégage une identité qui se caractérise par la permanence et le changement : les enseignants-chercheurs assument leur choix, se reconnaissent en lui, mais en même temps développe, comme on le soulignera dans ce qui va suivre, une attitude de retrait de déplacement professionnel.

En ce qui concerne les sources de satisfaction; les discours des enseignants nous confirment encore une fois que le salaire n'est pas l'unique source de satisfaction. Le regard de l'autre est fondamental. Chez les universitaires algériens, c'est la notoriété acquise à travers la reconnaissance de leurs travaux scientifiques, la reconnaissance de leurs compétences par les étudiants et les autorités, et enfin par les pairs qui prime.

Quant à l'investissement dans le travail, ce que nous révèlent les réponses des enseignants, c'est une identité de retrait c'est à dire une baisse de l'engagement. Ils imputent une forte part de la responsabilité de ce désengagement aux mauvaises conditions matérielles et à l’absence de gratifications ou de satisfactions. Pour un éventuel ajustement de leur identité engagée et leur identité assignée, ils font le lien entre le niveau de salaire et l'investissement. Les conséquences de la construction de cette identité de retrait se traduisent entre autres par un déplacement de l'ancrage professionnel et le rapport qu'ont les enseignants à l'espace de travail. Ces derniers, obligés de retrouver leur équilibre, décident de produire eux mêmes l'orientation de leurs actions. Sur ce point, on s'aperçoit que les modes d'appropriation de l'espace de travail ont changé: En effet, victime d'une atteinte à l'estime de soi et d'une dévalorisation sociale de la profession, ils semblent vivre une crise interne ayant fortement affecté leur identité. Pour faire face aux conflits et gérer les tensions, l'enseignant universitaire développe des stratégies d'équilibrage en établissant de nouveaux réseaux, de nouvelles attitudes et de nouveaux ancrages. Frustré par le bas salaire dans une société où le pouvoir de l'argent a considérablement augmenté, il se développe alors chez l'enseignant ce que l'on peut désigner comme une « reprise

mobilisatrice ». L'investissement et le redéploiement dans d'autres espaces, et parfois, comme nous l'avons souligné, au prix d'une « dé-sédentarisation », constitue pour lui une alternative pour se repositionner socialement en augmentant ses capacités adaptatives, pour retrouver une compensation pour l'affirmation; la défense de son identité et de sa logique interne : car si l'argent permet d'être à l'abri du besoin, il. est considéré comme révélateur de l'estime de soi.

L'échange entre pairs sur des questions l'intérêt général est quasiment absent. Chaque enseignant se cantonne dans son territoire, s'adapte seul et opère des réajustements au niveau de la structuration du contenu, de la gestion des groupes, de l'évaluation, de la communication, en fonction de ce qu'il sait, de ce qu'il est.

Le rapport qu'entretiennent les enseignants-chercheurs à la recherche n'est que le prolongement de la définition qu'ils donnent de leur soi. Celle-ci est centrale dans leur carrière, car elle leur permet de se valoriser à travers la promotion de leur travail intellectuel.

A la fin de cette conclusion, on peut dire que la vie d'un enseignant-chercheur est un projet, une identité en perpétuelle construction et déconstruction. Le principe de l'idéal du moi (réalisation de soi, affirmation de soi, quête de visibilité, etc.) se trouve confronté au principe de la réalité. Il est donc vrai qu'un monde construit sur les projets des personnes est voué à faire apparaître des tensions, des déceptions et des satisfactions.

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