• Aucun résultat trouvé

188

Ces travaux de thèse ont été motivés par le constat, clairement admis par l’ensemble de la communauté « ultrasons », qu’il est très délicat d’extrapoler un procédé sous ultrasons, sujet très concernant pour le Laboratoire de Génie Chimique. En effet, il existe une multitude d’applications de la sonochimie, et plus largement des ultrasons, développées dans les laboratoires de recherche qui présentent un réel potentiel d’intensification des procédés. Mais, malgré ces atouts, une très faible proportion de ces applications a bénéficié d’une industrialisation et trop restent bloquées à l’échelle du laboratoire. Ce verrou est commun aux technologies n’ayant pas encore fait totalement leur preuve à l’échelle semi-industrielle. La cause en est la complexité des phénomènes mis en jeu lors de la propagation des ultrasons de puissance, en premier lieu la cavitation acoustique elle-même (à l’origine de la majorité de leurs effets), ce qui rend extrêmement ardue la prédiction de leur efficacité et des zones intensifiées.

L’objectif de cette thèse a donc été de contribuer à la compréhension de ces phénomènes de propagation dans des milieux susceptibles d’être rencontrés en Génie des Procédés. Notre choix s’est porté sur un milieu liquide – solide qui a été peu étudié et dont les applications précédemment évoquées sont nombreuses. La thèse s’est ainsi articulée autour de 4 étapes. Dans un premier temps, un lit fluidisé liquide – solide sous ultrasons a été conçu pour étudier les paramètres clés identifiés (puissance ultrasonore, distance à la sonotrode, vitesse d’écoulement, taux de solide) dans une large gamme, tout en gardant autant que possible une configuration modèle (propagation unidirectionnelle, fluidisation homogène et température contrôlée). Dans un deuxième temps, une méthode de mesure expérimentale du champ acoustique a été développée et utilisée afin de cartographier le milieu expérimental soumis à divers paramètres opératoires. Ce champ acoustique a ensuite été simulé dans une troisième partie et les résultats de ces simulations ont été comparés aux mesures expérimentales. Enfin, une mesure du coefficient de transfert de matière liquide – solide, grandeur conditionnant l’efficacité des opérations unitaires concernées par ce type de milieu, a été réalisée afin d’obtenir des cartographies analogues à celles de la partie acoustique. Ces deux jeux de mesures ont ensuite été corrélés par différents modèles.

Une première contribution de ces travaux est la mise au point d’une chaîne de mesure et d’une méthode d’analyse du champ acoustique permettant de caractériser le réacteur expérimental d’un point de vue acoustique. Le traitement par analyse spectrale des signaux mesurés par un hydrophone a révélé différentes contributions à l’énergie acoustique totale. Les composantes identifiées ont été : la fréquence fondamentale, associée aux ultrasons s’étant propagés de la sonotrode à l’hydrophone sans s’être dégradés, les différentes (sous-/ultra-)harmoniques qui représenteraient une signature de la cavitation stable, et le bruit à large bande qui serait un marqueur de la cavitation inertielle.

Différents paramètres opératoires ont été modifiés et leur influence sur les différentes composantes spectrales a été étudiée. Il s’est avéré que l’augmentation de la puissance ultrasonore émise résulte en un transfert d’énergie de la fondamentale vers le bruit. Ceci

189 a également permis de mettre en lumière le phénomène déjà documenté d’écrantage acoustique par les bulles de cavitation. La présence d’un écoulement forcé est apparue bénéfique, permettant d’obtenir des niveaux de fondamentale plus importants. Une explication a été proposée, à travers le fait que les bulles de cavitation pourraient être chassées par l’écoulement, mais celle-ci a été mise à mal par les résultats de simulations et elle reste encore incertaine à ce stade. L’étude en présence de solide a montré clairement que les suspensions introduites généraient une atténuation supplémentaire, au-delà d’un simple effet additionnel. Là encore, des hypothèses ont été formulées mais les mécanismes expliquant les phénomènes observés n’ont pas été clairement identifiés.

L’autre point, plus traditionnel dans la démarche du Génie des Procédés visant à identifier les phénomènes clés pour extrapoler/optimiser les performances, a été la confrontation des mesures expérimentales avec des simulations numériques. Pour cela, la simulation acoustique du système expérimental s’est appuyée sur un modèle non linéaire décrivant l’atténuation des ultrasons par un mécanisme de bulles oscillant de manière fortement dissipatives au-dessus d’un certain seuil de pression acoustique. Ce modèle a été implémenté sur Comsol Multiphysics, ce qui a également permis le couplage (fort) du modèle acoustique avec un modèle décrivant les vibrations du solide constituant le réacteur sous l’action des ultrasons. L’écoulement, résultant des forces acoustiques s’exerçant sur le liquide et du débit imposé en entrée du réacteur, a été enfin simulé.

Les résultats obtenus ont mis en évidence l’importance d’une modélisation fidèle du corps de réacteur sur les champs acoustiques calculés. Tant la forme du réacteur que le matériau dont il est composé influent sur les niveaux de pression acoustique obtenus. En revanche, la densité de bulles, un des paramètres peu connus du modèle, n’a pas révélé d’influence importante sur les champs de pression. Dans le cas des simulations de la géométrie complète en 3D (et en comparant les résultats sur la base de la puissance du signal et non pas de l’amplitude de la fondamentale), les mesures expérimentales et les simulations ont présenté un accord très satisfaisant, jamais observé auparavant. Cependant, l’examen des champs de vitesse et des forces appliquées aux bulles de cavitation, pour différents débits circulant dans l’installation, n’a pas montré l’effet de l’écoulement observé expérimentalement.

Enfin, la fabrication à façon de microélectrodes a permis une évaluation locale du coefficient de transfert de matière liquide – solide dans le réacteur par méthode électrochimique. L’apport le plus significatif a été la comparaison des cartographies ainsi obtenues aux cartographies acoustiques associées, montrant clairement des profils de formes très similaires et permettant de relier sans équivoque l’intensification locale du transfert à l’onde acoustique propagée.

Les essais réalisés dans différentes configurations – avec ou sans particules en suspension - ont permis de vérifier l’effet bénéfique des ultrasons sur le transfert de matière, avec un facteur d’accélération atteignant jusqu’à 50 au voisinage de l’émetteur. En l’absence de solide, la zone d’intensification du transfert s’étend sur une dizaine de centimètres sous la sonotrode, alors qu’en présence de solide elle est réduite de moitié.

190

Par conséquent, en fond de réacteur, le transfert mesuré est équivalent au transfert obtenu sans ultrasons. Cet effet est particulièrement marqué et visible en présence de solide, l’atténuation ultrasonore étant plus forte dès les premiers centimètres. L’étude de l’influence de la puissance d’émission a remis partiellement en cause la corrélation attendue entre l’intensité locale du transfert et le bruit à large bande mesuré dans la même zone. A plus forte émission, le transfert s’est avéré moins intense, ce qui laisse à penser que les bulles à l’origine du bruit à large bande sont susceptibles de se trouver suffisamment proches pour être écoutées mais trop loin pour influer significativement sur la qualité du transfert. L’influence de l’écoulement rejoint le comportement observé dans les cartographies acoustiques. La présence d’un écoulement a entraîné une amélioration du transfert de matière, mais l’explication de ce phénomène reste encore à élucider.

Les résultats obtenus dans les deux volets expérimentaux ont été utilisés pour construire un modèle reliant le coefficient de transfert de matière aux composantes spectrales des ultrasons. Trois modèles ont été proposés : le premier ne fait intervenir que la fondamentale de la pression acoustique, les deux autres intègrent en complément une contribution du bruit à large bande - de façon additive pour l’un et par interaction pour l’autre. Une analyse statistique de ces modèles a révélé qu’ils n’étaient pas exempts d’imperfections conséquentes, et en ce sens leur extrapolation à d’autres systèmes n’est pas recommandée. Cependant, cette analyse révèle qu’il existe bien une corrélation significative entre ces grandeurs.

Ces travaux apportent des résultats nouveaux, tant au niveau du type de réacteur soniqué (lit fluidisé liquide - solide) que de l’analyse couplée des différentes informations obtenues (champs acoustique expérimental et simulé, cartographie du coefficient de transfert de matière). Ces résultats sont aussi intéressants car ils ne sont pas toujours facilement explicables et remettent parfois en cause certaines idées un peu schématiques communément admises, amenant donc à la réflexion et ouvrant des pistes à explorer pour élucider ces observations. Ainsi, certains points de l’étude pourraient être complétés.

• Tout d’abord, un équipement de génération des ultrasons capable de fonctionner en deçà du seuil de cavitation permettrait d’observer l’émergence des différentes composantes spectrales et de les relier de façon univoque à l‘apparition de la cavitation. Les effets d’atténuation de l’onde par les bulles et le solide en lit fluidisé pourraient être aussi mesurés ainsi séparément, pour quantifier les effets d’interaction soupçonnés.

• Ensuite, au niveau de l’équipement utilisé pour la mesure électrochimique, une acquisition très haute fréquence ouvrirait également la possibilité de mener le même type d’analyse spectrale que sur la pression acoustique, ce qui permettrait d’avoir des informations plus riches. De même, utiliser une électrode macroscopique (de la taille d’une bille du lit) pourrait permettre d’observer un effet intégral des ultrasons sur la surface de l’électrode.

191 • De plus, des capteurs (hydrophone et électrode) à la géométrie adaptée pourraient être insérés par le bas au centre du réacteur, frontalement à la sonotrode (à « contre-courant »). Cela permettrait une plus grande résolution spatiale lors des cartographies et simplifierait la géométrie en rendant obsolètes les bouchons qui génèrent des contraintes lors des simulations (nécessité de la 3D).

• Enfin, pour obtenir une corrélation de qualité, il serait avisé de réaliser simultanément la mesure acoustique et la mesure de transfert de matière afin de connaître précisément à quelle pression acoustique est exposée l’électrode. L’idéal serait de pouvoir concevoir un hydrophone dont la surface intégrerait également une électrode. Ainsi serait gommé tout effet dû à la forme ou l’état de surface différents des capteurs.

Finalement, la simulation ayant bien mis en exergue l’importance de la géométrie et de la nature du réacteur sur le champ acoustique, une rétro-conception de réacteur assistée par simulation serait un des moyens de paver la voie du Génie Sonochimique. Il serait donc intéressant d’étudier à travers la simulation diverses configurations sonotrode- réacteur, en jouant tout aussi bien sur les dimensions que sur les matériaux utilisés, et par la suite de vérifier les tendances prédites par des mesures expérimentales. Ces dernières pourraient porter sur des caractérisations locales et globales, tant sur la répartition des ultrasons (mesure de pression acoustique et analyses de ses compositions spectrales, visualisation des bulles actives chimiquement…) que sur les effets bénéfiques observés (mesure du coefficient de transfert de matière, de l’efficacité sonochimique globale à travers une réaction…). Ces éléments constitueraient une nouvelle brique vers le Génie Sonochimique.

193