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L’esca est un pathosystème complexe (Bertsch et al. 2013) dont l’expression des symptômes de la maladie dépendent de facteurs environnementaux mal compris (Guérin-Dubrana et al. 2013). De plus les symptômes foliaires sont difficilement corrélés à la présence d’un pathogène en particulier dans le bois (Bertsch et al. 2013; Bruez et al. 2012; Lecomte et al. 2012). Cependant lorsque ces pathogènes sont inoculés artificiellement dans le bois, ils causent des décolorations et des nécroses dans ces tissus (Laveau et al. 2009; Pouzoulet et al. 2013; Urbez-Torres & Gubler 2011). Nous nous sommes donc attachés à étudier les mécanismes impliqués dans les interactions entre la vigne et deux champignons associés à l’esca dans le bois.

Les travaux engagés durant cette thèse répondent à deux objectifs : la compréhension des mécanismes précoces impliqués dans les interactions vigne-champignons, et la proposition de moyens de lutte contre l’esca pour une viticulture durable.

1 LA COMPREHENSION DES EVENEMENTS PRECOCES DES INTERACTIONS

ENTRE LE BOIS DE LA VIGNE ET LES CHAMPIGNONS ASSOCIES A L’ESCA

La colonisation du bois de la vigne au niveau d’une blessure a été observée dans les premières semaines suivant l’inoculation de P. aleophilum et P. chlamydospora. Des souches exprimant le gène codant la protéine GFP ont été développées afin de marquer spécifiquement ces champignons lors de leur développement dans les tissus ligneux. Deux types de tissus ont été étudiés : l’inoculation en modèle plaie de taille et l’inoculation en modèle entre-nœud. La colonisation du modèle plaie de taille semble plus difficile pour les deux espèces de champignons étudiées. Il y aurait donc des différences physiologiques entre ces deux tissus. L’étude d’expression des gènes de défense a également montré que les gènes sélectionnés ont répondu différemment suivant le tissu inoculé.

Les fibres du xylème seraient le tissu colonisé en priorité par P. aleophilum, avant de coloniser les vaisseaux du xylème, le parenchyme et la moelle du bois. Il a été montré que P. aleophilum dégrade les parois de ces fibres (Fleurat-Lessard et al. 2014). Celles-ci auraient donc une importance particulière dans la colonisation de cette espèce. Le développement de moyens de lutte, limitant la colonisation précoce, pourra notamment cibler l’induction de défense dans ce tissu, ou bien veiller à ce que l’agent de biocontrôle colonise les fibres du xylème. La

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colonisation de P. chlamydospora 12 semaines après traitement était similaire lors de la co- inoculation des deux pathogènes. Étendre l’étude de la colonisation des organismes associés aux maladies du bois à plusieurs espèces permettrait de s’approcher progressivement du cocktail associé à l’esca. Pour cela deux approches techniques sont envisageables. En laboratoire la technique de transformation utilisée dans ce travail permettrait de marquer avec le gène gfp les champignons. Réaliser différentes cassettes contenant des gènes marqueurs fluorescents dans différentes couleurs, insérées dans Agrobacterium tumefaciens, faciliterait la localisation de plusieurs espèces co-inoculées dans la même blessure. Ainsi les interactions microbe-microbe in planta seraient suivies à différent points de cinétiques. De manière générale, étendre la cinétique pour observer la progression des pathogènes dans la bouture renseignerait de l’agressivité des différentes espèces. Cependant le modèle développé dans cette thèse permet de réaliser des expériences jusqu’à environ 12 semaines. Ensuite le modèle de boutures en tentes de cultures n’est plus adapté.

L’autre approche serait le développement de la microscopie FISH (Fluorescent In Situ Hybridization) sur champignon dans le bois de la vigne. La première étape de la FISH consiste à créer, lorsqu’elle n’est pas déjà disponible, une sonde ADN, spécifique à une séquence de l’ARNr de l’espèce d’intérêt. Cette sonde est marquée avec un fluorochrome. En maitrisant les conditions d’hybridation, il est possible d’hybrider spécifiquement cette amorce sur son ARNr cible. Etant donné que les ribosomes sont répartis quasiment dans tout le cytoplasme, la sonde révèle tout l’organisme. Nous avons tenté de mettre au point cette technique durant cette thèse, mais sans succès. Pourtant la FISH sur bactéries dans le bois de la vigne est développée (Compant et al. 2008; Campisano et al. 2014), cependant les champignons semblent être des organismes plus difficiles à marquer du fait de leur épaisse paroi cellulaire. Cette technique serait l’occasion de localiser les différents pathogènes dans le bois à partir d’échantillons prélevés au vignoble.

L’étude en microscopie de la colonisation de P. aleophilum et P. chlamydospora a également confirmé que le bois la vigne répond à l’inoculation. Des zones de réponses intenses ont été observées. La réponse du bois à P. aleophilum en microscopie semblerait spécifique à 6 semaines, mais similaire à la blessure 12 semaines après traitement. Les vaisseaux du xylème ont développé des tyloses gênant la colonisation des champignons.

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L’approche moléculaire a confirmé une partie des observations en microscopie. Le groupe de gène sélectionné pour cette étude a répondu différemment aux traitements suivant le type de tissu. La réponse à la blessure est importante. Celle-ci masque souvent la perception des champignons, surtout en modèle plaie de taille. Il est donc important d’étudier la réponse de la blessure en plus de la réponse aux pathogènes inoculés dans le bois dans notre modèle. Cette étude a mis en évidence que le bois de la vigne pourrait percevoir l’identité des micro- organismes présents dans la blessure. C’est la première fois que la spécificité de la réponse du bois de la vigne est suggérée dans le contexte des interactions plante-microorganismes. La spécificité de la perception du bois n’est que suggérée compte tenu du nombre limité de gènes étudié, et du peu de gènes ayant répondu différemment à P. aleophilum, P. chlamydospora et la blessure seule dans un même point de cinétique. Cette étude préliminaire était indispensable avant d’envisager une approche plus globale, en RNAseq par exemple. En effet, l’effet recherché est ténu, et il aurait été très audacieux d’investir dans la technologie RNAseq compte tenu du peu de recul que possède notre laboratoire sur ce modèle.

L’analyse de la réponse du génome de la vigne aux pathogènes associés aux maladies du bois permettrait de confirmer l’hypothèse de la spécificité des défenses induites dans le bois de la vigne. Elle renseignerait également des différentes voies de défense impliquées dans la réponse à ces champignons, autant d’indices supplémentaires afin de connaitre si la vigne les perçoit comme des biotrophe ou des nécrotrophe, et si l’orchestration de cette réponse est semblable au modèle Arabidopsis. Les points de cinétiques intéressants sont 48h et 120h après traitements d’après cette étude. Des points plus tardifs pourraient être envisagés, mais après cinq jours, au niveau local de la blessure, ce n’est plus la perception qui sera étudiée mais la mise en place des défenses dans le bois. Les résultats RNAseq des gènes impliqués dans la réponse précoce favoriserait la sélection des gènes clefs. C’est la fonction et l’activité de leurs protéines qu’il serait intéressant d’investiguer à des points de cinétiques plus longs. Afin de confirmer que les gènes exprimés lors de la réponse de la plante sont bien impliqués dans la défense de celle-ci, il conviendra de tester l’impact de cette réponse sur le développement des pathogènes.

Les deux modèles testés dans cette étude montrent des différences en termes de colonisation des champignons et de réponses histologique et moléculaire des tissus. Le développement du modèle plaie de taille avait été préféré à l’initiation de ce projet. En effet l’étude d’induction