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• Une compétence d’efficience…

L’augmentation du nombre des sphères de travail, des interlocuteurs et des interactions potentielles amène le cadre à gérer un dilemme de taille : rendre l’information pertinente, fiable au sein de collectifs éphémères qui n’ont pas eu le temps de développer des habitudes de travail en commun, ni de relation de confiance. Cette difficulté est accentuée par le recours croissant aux TIC, susceptible d’accroître le risque de délitement du collec- tif en raison de la déshumanisation des liens sociaux. En effet, l’efficience au travail n’est pas seulement une gestion fluide des informations mais doit permettre à chaque professionnel intégré au projet de produire une contribution, digne d’intérêt et de reconnaissance. • Une compétence d’animation, de dynamisation des communautés virtuelles…

Dans les réunions de travail médiatisées à distance, les nombreux aléas techniques, l’absence de feed-back vidéo (si communication audio), le décalage vidéo/son, la multiplicité des intervenants et des cultures, la variété des sujets traités, l’utilisation d’une langue étrangère… peuvent très vite perturber et fatiguer les équipiers en co-présence, et entraver le processus de coopération.

Aussi, la valeur ajoutée du cadre manager est de faire en sorte que les échanges soient les plus dynamiques et constructifs possibles afin de maintenir l’implication et l’attention de chacun et surtout d’éviter que les partici- pants ne décrochent (en présentiel et à distance). Cette écoute flottante requiert des qualités particuliè- res : conscience mutuelle, attention partagée et dis- tribuée vis-à-vis du collectif. Ces capacités permettent d’instaurer entre les partenaires distants des effets de présence et une conscience mutuelle des situations, indispensables à la progression de leur travail commun. • Une compétence dans la gestion de la pluri- activité en mode nomade…

L’activité nomade consiste à alterner des lieux sociaux et professionnels très variés (client, maison, bureau, hôtel, voiture, train, salle d’attente…). Ce sont autant de contextes qui vont réclamer des usages et des pra- tiques particulières des TIC ainsi qu’un type de travail spécifique.

Le cadre doit donc savoir s’intégrer rapidement à ces différents contextes et être capable de mobiliser instan- tanément la technologie adaptée à ces espaces physi- ques singuliers et au travail susceptible d’y être réalisé. Savoir articuler, jongler, s’adapter à ces divers contextes de travail est un savoir faire en développement.

Les compétences émergentes consistent à faire face à un flux informationnel croissant, le traiter (prioriser l’infor- mation, lui donner du sens et y ajouter le cas échéant une plus-value) et l’inscrire dans un réseau opératif commun. Ainsi, le seul traitement efficient de l’infor- mation ne suffit plus mais nécessite son partage au sein d’un collectif, pour développer une vision commune de la tâche. Cette co-construction dans le groupe et par le groupe des références communes pour créer une compré- hension partagée du problème est déterminante. Or l’intervention d’une multiplicité d’acteurs dans l’ici et maintenant, mais également dans l’ailleurs oriente l’ac- tivité du cadre vers une fonction « d’accordage ». Nous la définissons comme une tentative de mise en « dialo- gue » d’acteurs multiples et diversement impliqués dans la tâche à réaliser. Il s’agit pour le cadre de rendre expli- cite et utilisable par tous les partenaires d’un projet, les apports de chacun. Dans ce rôle, la production d’indices à destination des acteurs en interaction vise à la fois au positionnement de chacun dans le processus de coo- pération mais également participe de son implication. L’identification des apports spécifiques de chaque acteur traduit une compétence « sensible » qui se décline selon

trois dimensions :

– Une dimension cognitive (une gestion/intégration des informations).

– Une dimension collaborative (identification et déve- loppement des réseaux).

– Une dimension implicative (mobilisation de la subjec- tivité des partenaires à travers des manifestations de reconnaissance).

Dans plusieurs terrains présentés dans ce rapport, la com- pétence du cadre déborde la seule délégation de tâche que l’on dénomme parfois un « savoir faire faire », pour se déployer plus spécifiquement à travers un « savoir faire ensemble ». La mobilisation en situation des res- sources cognitives nécessite un engagement subjectif des contributeurs.

Une sur-adaptation qui relève de la responsabilité du cadre ?

Le tableau d’un cadre engagé dans une activité d’adapta- tion permanente, assailli d’informations à trier, traduire et insérer dans un contexte, n’est pas sans donner le tournis. L’efficacité des cadres relèverait-elle d’une course effrénée à donner du sens dans un environnement mou-

CONCLUSION GÉNÉRALE

vant, en lien avec des acteurs engagés dans des tâches multiples ? Lui assigner la responsabilité de cette hyper- adaptation, c’est occulter le rôle des organisations dans les ressources qu’elles allouent aux salariés. Il ressort dans les études centrées sur le travail tel qu’il se fait un engagement subjectif qui déborde la seule sphère profes- sionnelle. Le recours croissant aux TIC, outils d’efficacité, et dans le même temps, lien quasi permanent avec la pré- occupation professionnelle, mérite d’être questionné. Si elles participent par les multiples sollicitations ou appels au débordement cognitif, elles contribuent également à la colonisation de la vie personnelle. Cette dissolution des frontières entre vie au travail et vie hors travail est une caractéristique majeure de l’évolution du travail des cadres. Les TIC font-elles office de « Cheval de Troie » dans cette guerre de colonisation du temps libre ? Cette tendance est d’autant plus pernicieuse qu’aux dires de nombreux cadres, elle facilite la tâche. Elle contribue pourtant également au renforcement d’une identité pro- fessionnelle par le pouvoir qu’elle confère en marquant une distinction avec les non-détenteurs de ces objets techniques (signes extérieurs de positionnement). La position du « tout communicant » doté de son arsenal technologique pose une question sensible : est-ce suffi- sant pour bien communiquer ?

Les résultats des recherches présentées dans ce rapport montrent qu’il n’y a pas de travail efficace sans inten- tionnalité des acteurs sous-tendue par une construction permanente de sens en situation. L’utilisation des TIC n’éclipse pas tout, au contraire, comme le suggérait Léontiev (1958) : « L’homme n’est jamais seul en face d’un monde d’objets qui l’environne. Le trait d’union de ses rapports avec les choses, ce sont les relations avec les hommes ». Aussi, plus les équipes recourent aux TIC, plus elles doivent penser les relations entre individus et intégrer des temps de régulation.

Un développement des compétences en lien avec les ressources

Ainsi, la question du développement des compéten- ces des cadres est intrinsèquement liée aux ressources allouées (moyens techniques), ou du moins celles dont le cadre peut disposer ou négocier. L’environnement (diversité, réseaux de savoirs,…) contribue à une pro- pension à créer des compétences comme le suggère Le Boterf (1998). Il est ainsi préférable de raisonner dans un « univers de propension » et non dans un univers de simples possibilités personnelles. En revanche, le contexte, c’est un champ de possibles pour les compé- tences. En confrontant ce cadre à un environnement, au sein duquel il bénéficie de ressources techniques et collectives pour produire du sens à son activité, il est en mesure de tirer son épingle du jeu. Il revient toutefois aux organisations d’accompagner ce développement des compétences en veillant à :

– Limiter l’utilisation des TIC à la seule sphère profes- sionnelle. Il paraît important de faire œuvre de dis- suasion pour assurer la protection du salarié. Sans un message clair émanant de l’organisation de travail, ce dernier peut rapidement verser dans une escalade d’en- gagement susceptible de créer des tensions fortes au sein de la vie familiale et privée.

– Limiter les phénomènes de surcharge (sentiment d’ur- gence, dispersion, tension, fatigue) auxquels peuvent se greffer les activités empêchées ou suspendues – et susciter de l’anxiété car la personne n’arrive pas à faire face et/ou à maîtriser une activité qui échappe (débor- dement).

Dans la sphère professionnelle, le traitement d’une information pléthorique, ne doit pas se substituer à une position réflexive. Faire de son travail un objet de pensée participe à la fois de l’efficience (dimension productive du travail) et du développement de ses pro- pres compétences (dimension constructive du travail). Ce développement des compétences combine le rôle de l’apprentissage par l’action et celui de l’apprentissage par l’analyse de l’action (Weill-Fassina & Pastré, 2004, pp.226-229). Ces retours réflexifs peuvent s’inscrire dans des dispositifs plus ou moins formalisés (réunions autour de situations critiques, échanges de pratiques, sollicita- tion du regard d’autrui pour bénéficier d’un point de vue extérieur, capitalisation de l’expérience,…) et facilitent une distanciation avec l’agir dans l’urgence à tout prix. L’implication subjective croissante requise par les organi- sations, peut provoquer à terme des risques d’épuisement professionnel (burn-out, désengagement, retrait,…). Compétences individuelles ou collectives ou … s’entendre pour agir !

En mettant la focale sur l’analyse de l’activité du cadre, nous relevons une augmentation des collaborations médiatisées, une transversalité accrue des espaces par- tagés, qui tend à brouiller la distinction entre compéten- ces individuelles et collectives. Nous serions tentés de penser que cette distinction perd de sa pertinence, tant les compétences individuelles sont à resituer au sein de la compétence collective d’une équipe ou d’un réseau. L’efficacité rapportée à l’efficience et au sens (Clot, 1995) passe par une réponse collective, faisant appel à une mobilisation de ressources hybrides (connaissan- ces pratiques, savoirs objectivés, personnes ressources, bases de données et de connaissances, dictionnaires techniques…). On peut ainsi parler de compétences des réseaux sociotechniques (Callon, 1989).

Certains auteurs tels Rabardel et Mayen vont jusqu’à opé- rer une distinction entre le développement professionnel et le développement des compétences professionnelles. Le premier relèverait d’un pouvoir d’agir, qui serait trans- versal à toutes les compétences, et permettrait de rendre compte de la capacité, plus ou moins développée selon

les acteurs, d’adapter son répertoire de compétences aux changements de situation, aux ruptures, aux mutations. La compétence présente deux dimensions intrinsèque- ment liées : elle a une dimension spécifique (on est compétent pour une classe de tâches), qui rend l’action efficace dans un secteur délimité ; mais elle a aussi une dimension générique, qui permet au professionnel de pouvoir évoluer et s’adapter. Elle est à la fois un acquis et un pouvoir d’agir et de s’adapter.

Enfin, il ne faudrait pas sous-estimer les difficultés aux- quelles doivent faire face les cadres pour mobiliser ces compétences techniques et adaptatives, qui ne s’inscri- vent dans aucune tradition professionnelle. C’est proba- blement là un des paradoxes de leur activité : construire un genre professionnel à partir de collectifs éphémères constitués d’identités multiples.

A. Consigne inaugurale

– Rappel du contexte de l’étude (durée, projet de recher- che APEC) / présentation des chercheurs et des partenai- res scientifiques (Lyon2, ECL, INSA, Grenoble 2, Lyon 3) – Thème de l’entretien. Entretien exploratoire qui s’ins- crit dans la problématique suivante

«Dans quelle mesure les TIC viennent modifier/recon- figurer/affecter le métier de cadres ➔

L’objet de l’entretien est d’appréhender l’activité et la fonction du cadre, de déterminer les technologies utilisées dans le travail, d’évaluer leurs usages et de repérer leurs incidences (positives et négatives) sur diverses dimensions de l’activité… ».

– Durée : 90 minutes

– Modalités : Entretien enregistré et retranscrit – Confidentialité et anonymat garantis

NB : Pour faciliter l’entretien, des axes thématiques et des questions (plus précises) sont proposés pour lancer/ relancer l’entretien et explorer chaque dimension de la problématique.

Ne pas oublier de demander des exemples et illustrations précis pour chaque situation décrite.

b. Profil du cadre

Consigne : Présentation rapide du cadre

Description de son entreprise, de l’activité, présenta- tion de son service

Âge, formation, expériences, ancienneté…

Responsabilité, fonction, statut, rôle, missions, spé- cialité…

Son parcours au sein de l’entreprise, du service et éventuellement avant d’intégrer l’entreprise

Nombre de personnes qui dépendent de lui

Avec qui travaille-t-il (services, établissement, inter- national/international, clients….)

De qui dépend-il (sous la responsabilité de qui est-il placé) ?

C. Domaines d’activité et de responsabilité

Consigne : cherche à déterminer en quoi consiste son activité ? Sur quoi porte son travail ? Quelles sont ses principales tâches ?

Que fait-il ? Description de son travail, ses missions, ses responsabilités ?

Préciser les taches les plus fréquentes/récurrentes ?

les plus délicates ? les plus importantes ? Les plus contraignantes, difficultés ? les plus fastidieuses ?

y a-t-il des périodes, des tâches exceptionnelles ? Part de travail individuel/collectif dans l’activité ? Quelles sont ces activités collectives et individuelles ? Part de déplacement/mobilité dans son activité (fré- quence, nécessité, objet…). Pourquoi faire ?

Compétences requises, nécessaires pour effectuer son travail ?

Langue utilisée pour le travail ? Etc.

D. Les technologies utilisées dans l’activité : leurs usages et domaines application

Consigne : aborde les différents dispositifs technologi- ques employés dans l’activité et en définir les usages (la manière dont ils les utilisent)

Nature des technologies employées …

Nature et types de technologies mis à sa disposition pour son activité ?

Quelles sont celles qu’il utilise réellement et pour- quoi ?

Quelles sont celles qu’il considère comme réellement utiles et nécessaires pour son travail ?

Modalités et conditions d’usage

Par qui/avec qui ces technologies sont utilisées : accès limités, réservés ? Utilisés par certains cadres, fonctions, responsabilités, par tous…,

Pourquoi/pour quels objectifs devaient-ils les uti- liser ? ➝ par exemple, nécessaire pour accéder à certaines données, pour entrer en relation avec des per- sonnes distantes, rendues obligatoires par l’entreprise ou par une procédure quelconque (qualité, ISO…). Plus généralement : quel était le projet initial associé à leur diffusion ? Qu’est-ce qu’elles devaient permettre de faire, de faciliter, d’améliorer ?

À quoi sont-elles utilisées (réellement) ? ➝ Pour quels types de tâches sont-elles mises en œuvre vous effecti- vement ? Pour faire quoi/pour quel domaine d’activité ? Quand ces technologies sont-elles utilisées/À quel moment (au travail/hors travail) ? Dans quel contexte, pour quelle situation ? Fréquences de leur usage (ponc- tuelle, régulière) ?

Sentiments, appréciations générales sur les technologies utilisées dans le travail

Technologies trop nombreuses/Pas assez nombreuses ? Technologies bien adaptées/insuffisamment au tra-

ANNExES

ANNExE 1 – GUIDE THÉMATIQUE D’ENTRETIEN UTILISÉ POUR