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Le but de cette conclusion n’est pas de revenir exhaustivement sur le diagnostic des recompositions sociodémographiques qu’a connu le département de la Manche durant la dernière décennie. Relevons plutôt les enjeux.

- Sur le littoral, la pression foncière et immobilière, produite par l’arrivée d’acheteurs âgés et plutôt favorisés, exclut les franges les plus modestes de ce marché immobilier. Le vieillissement et la spécialisation sociale de cet espace n’est pas sans enjeu, en termes d’équipements et infrastructures, activités économiques et d’environnement.

- Dans le nord Cotentin, la périurbanisation s’étend. Elle est le fruit, globalement, des « classes moyennes » bien que certains espaces connaissent des spécialisations sociales selon leur distance au centre urbain. Cette division sociale dans l’espace n’est pas relevée par « le » politique. De plus, il ne faut pas ignorer qu’une partie de ces «périurbains » s’éloigne du pôle, en partie par contrainte, le foncier et l’immobilier lui étant financièrement inaccessible. Les processus internes à ce pôle urbain (relégation, embourgeoisement dans le centre) ne doivent donc pas être ignorés.

- Les espaces ruraux les plus éloignés des aires urbaines connaissent des processus intenses de vieillissement des populations, qui ne sont pas palliés pas l’arrivée ou le maintien sur place d’individus plus jeunes. Le devenir de ces espaces, dont le portrait n’a été dressé qu’à grands traits, pose question. Les populations âgées ont des besoins spécifiques, en termes de services, d’habitats, d’équipements, qu’il faut prendre en compte.

Nous souhaitons souligner une nouvelle fois l’aspect exploratoire de notre démarche. L’utilisation conjointe des deux bases de données, qui avait pour but de répondre à la question « comment ont évolué les compositions sociodémographiques et quel est le rôle des mobilités résidentielles ? » montre, selon nous, son intérêt. Si de nombreuses limites existent, nous avons pu mettre les évolutions sociodémographiques en lien avec les profils des acheteurs pour certains espaces. Les espaces littoraux en sont les plus exemplaires. Cette méthodologie mériterait d’être approfondie, testée pour d’autres espaces, et actualisée dans le temps. En outre, nous souhaitons affirmer l’inscription dans la géographie

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sociale de notre recherche. Si la question des inégalités socio-spatiales et du rôle des politiques publiques, leurs (micro-)acteurs, n’est peut-être pas clairement explicite, elle est un fil conducteur de cet écrit, et a été un aiguilleur de cette recherche. Certaines actions des maires, conscientes, tendent vers la mixité sociale, via l’implantation de HLM par exemple. Inversement, la non-action volontaire de ne pas faire de réserve foncière, et in fine ne pas implanter de HLM, est créateur de ségrégation. Cependant, la réalité est plus complexe. Les maires ne suivent parfois pas consciemment un objectif de mixité sociale. Inversement, d’autres sont contraints par la loi littorale et une mauvaise prévoyance, qui les rend incapables d’acheter du foncier. La division sociale dans l’espace est le fruit de processus très complexe, difficile à appréhender par une recherche peu étendue dans le temps. Nous voyons nos résultats comme un exemple de recherche, localisée, dans l’ensemble des études sur les inégalités sociales. Enfin, la question « du » politique nous apparaît primordiale à intégrer dans l’étude (mais également dans l’action) des espaces périurbains. La partie 4 nous semble soulever beaucoup plus d’interrogations, de voies d’études, que de réponses. La question de la gestion du foncier et son lien avec les flux de populations reste un angle mort du politique. Plus globalement, nous nous interrogeons sur l’avenir des espaces périurbains, sous le prisme de leur gestion politique.

Cette question de la gestion des espaces périurbains, où vit désormais un quart de la population française, nous apparaît pertinente à étudier. En effet, ces espaces ont longtemps été un impensé de l’action politique. Les espaces périurbains ne répondaient ni aux politiques de la ville qui se développaient, ni aux espaces ruraux souffrant de forte déprise, espace de nombreuses attentions. Il faut attendre les années 1990, et plus encore les années 2000, pour que cet espace soit regardé par le politique. Lorsque le périurbain arrive dans l’agenda politique, il est le plus souvent sujet d’actions provenant d’un prisme unique et négatif, celui de la désorganisation spatiale, de la consommation d’espace, voire d’espaces vides d’urbanité (Muselle, 2006). Il s’agit alors, par la loi SRU, auxquelles se greffent les lois Grenelle, d’engager ces espaces dans la voie de la solidarité (entre eux, entre eux et la métropole, afin d’éviter toute sécession sociale) et du développement durable (pour augmenter les densités, en finir avec le mitage des terres agricoles, etc.). Les échelles d’application passent principalement par les mairies, mais les intercommunalités sont

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appelées à prendre de l’ampleur, notamment depuis la loi NOTRE25. Cette réforme de l’organisation territoriale a été une thématique importante durant nos entretiens, et in fine pour notre recherche. Nous n’avons pas souhaité exploiter ces matériaux trop succincts. Cependant cette réforme soulève énormément d’enjeux. Dans la manche, les 27 intercommunalités vont fusionner en moins d’une dizaine26, suivant peu ou prou les limites des Pays. Pour les maires, les flux de population pourraient s’inverser en faveur des pôles urbains par le lissage à la hausse des différents impôts. La perte d’identité est aussi un élément récurrent dans les entretiens. Plus largement, nous nous interrogeons sur les comportements qui seront adoptés en matière d’aménagement, particulièrement sur ceux concernant l’habitat et le logement dans des intercommunalités regroupant des communes très hétérogènes sur de vastes espaces.

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Nouvelle Organisation Territoriale de la République, promulguée en août 2015.

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Le chiffre définitif n’est pas encore fixé, en janvier 2016, Monsieur le préfet Witkowski avait annoncé cinq intercommunalités. Au moment de la rédaction, les nombreux recours des maires et présidents d’EPCI ont permis d’augmenter ce chiffre provisoire à huit intercommunalités.

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Bibliographie :