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Conclusion de la troisième partie : Intérêts et limites de la base PERVAL dans l’étude des recompositions sociodémographiques des années 2000 dans la

Chapitre 4 : Rôle des politiques et acteurs locaux dans le changement social

4.1/ Nord Cotentin : impact de l’industrie nucléaire et changement social normalisé

4.1.1/ Le changement social impulsé par l’industrie nucléaire : 1960-1990

Au début des années 1960 le gouvernement gaulliste, par le CEA7, choisit de développer l’industrie nucléaire à des fins militaires. Plusieurs centrales nucléaires et centres d’enfouissement sont construits en France. La Pointe de La Hague, quant à elle, est choisie pour la construction d’un centre de traitement des déchets, qui est opérationnel en 1966. En 1980, une procédure d’utilité publique visant à agrandir l’emprise spatiale et accroître les capacités de production de l’usine est lancée. A Flamanville une même opération est amorcée pour la construction d’une centrale nucléaire. C’est le lancement des « Grands chantiers » qui vont produire de profondes recompositions socio-spatiales dans le nord Cotentin. Parallèlement, les chantiers de sous-marins nucléaires, et plus largement l’Arsenal, situés à Cherbourg, se modernisent et s’agrandissent. Plus globalement, c’est la période du développement industriel contemporain de la nouvelle communauté urbaine de Cherbourg8. Les cantons de Beaumont-Hague, des Pieux, et d’une manière moindre celui d’Equeurdreville-Hainneville, voient leur population doubler entre les années 1960 et les années 2000. Les travaux des deux sites nécessitent en effet plus de 6000 travailleurs (F. Ripoll, 1996). Cette augmentation de la population a été plus forte que la moyenne nationale, et bien plus forte que l’augmentation de la population de la Manche. Ces augmentations sont dues à l’arrivée massive de travailleurs, plusieurs milliers de personnes par « vague », et de leur famille, dans la région, pour des postes allants de l’OS aux cadres. L’arrivée des « Grands chantiers » a permis d’inverser le bilan démographique jusque-là négatif pour la quasi-totalité des communes rurales de la région. Au-delà des augmentations de population, cet espace a connu de profondes recompositions sociodémographiques liées à la modification de la structure des emplois, entre autres. Lorsqu’est arrivée l’industrie

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Toute la sous-partie est une synthèse et analyse d’ouvrages spécifiques. Le lecteur trouvera dans la bibliographie toutes les références, rassemblées pour cette thématique.

7 CEA : Commissariat d’Energie Atomique 8

Nous abrégerons par CUC dans la suite du développement. Elle réunissait les communes de Cherbourg- Octeville, La Glacerie, Tourlaville, Équeurdreville-Hainneville, et Querqueville. Désormais la CUC a été dissoute le 1er janvier 2016, en faveur de la création d’une commune nouvelle avec les mêmes villes, nommée Cherbourg-en-Cotentin.

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nucléaire, cette région vivait essentiellement de l’agriculture (élevage et maraîchage) et du petit artisanat, et souffrait d’un exode rural important.

L’arrivée d’une industrie nouvelle dans un espace rural en déprise peut être regardée sous un angle politique. En effet, les changements sociaux, les bouleversements de l’organisation économique et sociale dans cet espace sont la résultante, en partie, d’un ensemble de décisions politiques, à plusieurs échelles. La décision politique d’implanter une industrie ici et non ailleurs, s’est accompagnée de la création d’un nouvel échelon politique qui a participé à façonner un nouveau visage à cet espace. En 1977, sous l’impulsion d’élus locaux et du pouvoir politique central, le district de la Hague est créé (l’une des premières formes de coopération intercommunale en France). Aujourd’hui ce district a été remplacé par la communauté de commune de la Hague (CCH), à l’intérieur de laquelle les communes entretiennent de forts liens de solidarité de par le nombre de compétences facultatives prises. Le district avait pour but de créer une solidarité financière entre les communes, solidarité qui devait gérer l’afflux des travailleurs et des familles via les impôts professionnels reversés par les industries nucléaires. Ce district, et les communes qui le composent, ont alors construit les équipements nécessaires à l’accueil de nouvelles populations : écoles, stades, routes, ainsi que les logements, en achetant les terrains. Le district accordait la subvention sans imposer de constructions, et répondait à la demande de la commune (certaines communes refusent tout équipement « Grand Chantier » sans que la bibliographie nous permette de comprendre l’origine du refus). Les lotissements, aux formes très variées, sont construits à côté des maisons traditionnelles en pierres. La même procédure, et les mêmes impacts ont eu lieu dans le canton des Pieux suite aux travaux de construction des différents EPR. Dans l’agglomération cherbourgeoise, les ZUP9 sont déclenchées. C’est une procédure qui permet la construction de grands ensembles afin de loger les travailleurs les plus modestes. Par le biais de ces constructions, il s’agit développer le plus rapidement possible des infrastructures pour accueillir de nombreux travailleurs. Ces travailleurs proviennent de toute la France, mais aussi du Maghreb. Plusieurs travaux ont permis d’étudier les interactions entre les nouveaux arrivants et les populations déjà sur place, ainsi que la division sociale du travail dans l’espace, des années 1960 aux années 1990. Globalement, cette arrivée de population, plus diplômée, socialement hétérogène, d’origine géographique diverse, a bouleversé cet espace. Des ouvriers, des cadres, des

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contremaîtres, des techniciens, plutôt jeunes, en arrivant changent radicalement les compositions sociodémographiques. Il s’agit bien là de l’effet d’une politique particulière, exogène et d’application locale. Ces recompositions ne sont pas propres à cet espace. P. Fournier, sociologue, note les mêmes effets liés à l’implantation d’une industrie nucléaire dans la région de Lyon (P. Fournier, 2005). Enfin, plusieurs des auteurs ayant travaillé sur le nord Cotentin notent déjà les effets de processus de périurbanisation, dès les années 1970. Celui-ci n’est pas lié exclusivement à l’industrie nucléaire, mais suit la tendance nationale de l’époque. Ce bref rappel historique des mutations sociodémographiques de cet espace avait pour but de montrer l’importance de la filière industrielle nucléaire, qui, malgré une baisse d’activité à partir des années 1990, continue d’organiser en partie l’espace et la société, et de faire vivre de nombreuses populations de ce secteur. Il nous importe désormais d’étudier le processus de périurbanisation, à l’aune de ce contexte particulier, avec l’aide des données PERVAL et d’analyser les changements sociaux qu’a connu cet espace dans les années 2000.