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Ce travail est né de l'intérêt de comprendre ce qu’il y a derrière les statistiques qui montrent une variation importante dans le taux de redoublement et les différents parcours scolaires observés entre les élèves suisses, italiens et « autres » dans les écoles secondaires I du Tessin. À partir de ce questionnement initial et à la lecture de la Loi de l’école (Il Gran Consiglio della Repubblica e Cantone Ticino, 1990) qui encourage les principes d’égalité et d’équité, nous nous sommes focalisés sur deux questions de recherches :

1) quels sont les obstacles qui peuvent compromettre la formation des élèves étrangers ? 2) quel type de politique d'intégration et quelles pratiques l’école tessinoise met-elle en place

pour assurer le respect des principes stipulés dans la Loi de l’école pour les élèves étrangers ?

L'existence de deux questions de recherche s’explique par notre idée de base (hypothèse) que la difficulté scolaire des élèves étrangers doit être soulevée en prenant en considération non seulement les facteurs de risque qui peuvent compromettre la formation de ces élèves, mais aussi la politique d’intégration, ses mesures et ses pratiques.

Afin de donner des pistes de réponses à nos deux questions de recherche, il a été nécessaire de comprendre le contexte de notre problématique, c’est-à-dire comprendre le système scolaire tessinois et analyser la multiculturalité du public scolaire tessinois. Pendant l’étude de ce contexte, la complexité de notre problématique a été démontrée, car seule la mise en lumière de l'hétérogénéité du public scolaire constitue une tâche difficile. En effet, ce phénomène, comme l’expliquent aussi Buholzer et Pelgrims (2013), est « complexe, constitué de multiples facettes, lesquelles sont souvent dynamiques et interdépendantes, à la fois individuelles et contextuelles ». Ainsi, nous avons montré que même les données statistiques présentent des limites pour rendre véritablement compte de la complexité de ce phénomène.

Concernant la première question de recherche, le but de ce travail n’était pas de faire état de la littérature sur le thème des inégalités scolaires, mais de mettre en avant quelques éléments et questionnements qui ressortent des statistiques et des thèses de certains auteurs afin de justifier le besoin de comprendre la politique d’intégration et les pratiques en classe. La partie théorique a montré que ce n’était pas l’origine géographique, la langue et la catégorie socio-économique des parents qui engendraient la difficulté scolaire des élèves étrangers, mais plutôt une combinaison de plusieurs facteurs. En effet, derrière un passeport étranger ne se

cache pas seulement une origine géographique étrangère ; il peut cacher une langue différente et une (possible) origine sociale modeste qui, dans certaines situations, peuvent elles-mêmes constituer des facteurs de risque. Il importe de souligner l’importance de l'expression « facteurs de risque » utilisé par Häfeli et Schellenberg (2009) qui renvoie à des « potentiels et à des possibilités ». En effet, chaque facteur de risque n’est ni explicatif ni déterminant. Les données statistiques ne démontrent pas de corrélation absolue, mais une corrélation possible qui doit être étudiée.

Nous avons montré que le cas du Tessin est intéressant parce qu'il permet de s'interroger sur la différence des résultats scolaires entre Suisses125 et Italiens qui ont la même langue maternelle. Cette réalité montre que la question de la langue n’est pas le facteur unique qui explique une différence de parcours scolaires observés entre les élèves suisses et les élèves étrangers. Dans une étude sur les élèves italiens au Tessin, Donati et Mossi (2001) démontrent un effet combiné entre origine sociale et nationalité sur les difficultés scolaires. Plusieurs études mettent ainsi en évidence un lien entre origine sociale et réussite scolaire. Les statistiques que nous avons montrées et analysées montrent aussi ce lien. Mais dans ce cas-ci il ne s’agit pas non plus d’un facteur déterminant au sens absolu. En effet l’étude de Bolzamn, Fibbi et Vial (2001) montre que la deuxième génération espagnole et italienne réalise son insertion sociale malgré le handicap de la langue et la méconnaissance du système suisse. En bref, s'il ressort de notre étude théorique qu'il existe des facteurs de risque face à la réussite scolaire des élèves étrangers, ils ne sont ni explicatifs ni déterminants. Les entretiens ont indiqué que la difficulté scolaire des élèves étrangers est expliquée par un phénomène multifactoriel, c’est-à-dire par l'existence d’un « cocktail » de facteurs liés à l’origine socio-économique, à la langue et à la culture d’origine. L'existence de ces facteurs de risque nous incite vivement à comprendre la politique d’intégration scolaire, ses mesures et ses pratiques. Cela nous amène à notre deuxième question de recherche.

Pour répondre à la deuxième question de recherche, nous avons analysé les rapports mandatés par le département de l’éducation du canton du Tessin sur les thématiques qui concernent l’intégration des élèves étrangers dans l’école (Arrigo et al., 1992 ; Monti, 1999, 2001). Ces rapports, et aussi le rapport de la CDIP (2010), ont mis en évidence la naissance de l'intérêt pour des approches interculturelles et le besoin, dans un deuxième temps, de remettre en question les pratiques scolaires afin d’avoir une école qui prendrait véritablement en compte

125 Nous faisons ici une généralisation : à savoir qu’il y a des élèves suisses dans les écoles tessinoises qui ne sont pas italophones.

l’hétérogénéité du public scolaire afin de respecter les princes d’égalité et d’équité. Le terrain a permis de mieux comprendre la politique d’intégration des écoles qui se caractérise par des mesures cantonales et l'existence de philosophies d’institut. Les entretiens ont également permis de découvrir si les recommandations mises en avant dans les différents rapports analysés (cantonal et CDIP) étaient mises en pratique dans la réalité. Le dernier rapport mandaté du département qui traite de la thématique de l’intégration pour les élèves étrangers met en avant un « idéal » que l’école « puisse passer de la réaction à l’action » (Traduction personnelle : Monti, 2001, p. 17). Dès lors, la question se pose de savoir, si plus de dix ans plus tard, l’école est véritablement passée à l’action. Le terrain a permis de montrer, par les récits des directeurs et des enseignants, que l’école faisait beaucoup et qu'elle donnait énormément de son énergie afin de proposer un enseignement qui voit le produit dans des résultats équitables pour un public scolaire de plus en plus hétérogène, mais cela ne permet pas de dire que l’école est véritablement passée de la réaction à l’action. En effet, ce travail a montré que certaines limites et recommandations qui avaient déjà été mises en avant dans les rapports d'il y a quinze ans ne trouvaient, à ce jour, toujours pas de réponse dans la pratique. Le cours de langue italienne et d'activités d’intégration est, selon les personnes interviewées, la mesure principale de la politique d’intégration de l’école. Cette mesure pose encore des interrogations non seulement sur l’organisation de la mesure elle-même, mais aussi sur le statut et la formation des enseignants qui la mettent en pratique. Les entretiens ont aussi permis de montrer que les questions et les limites mentionnées dans les rapports en question (Arrigo et al., 1992; Monti, 1999, 2001) concernant les approches interculturelles existent toujours aujourd'hui, dans leur grande majorité. Des entretiens, il ressort l’importance des initiatives des enseignants quant à la gestion de la diversité. Certaines activités se caractérisent par une approche interculturelle mais sans que les enseignants connaissent forcément cette approche sur le plan théorique. La mise en pratique de certaines activités semble être liée à leur bon sens et à leur expérience, elle ne trouve pas d'appuis sur des recommandations, directives ou approches théoriques. Les enseignants, et surtout les enseignants de cours de langue italienne et d'activités d’intégration, semblent être isolés dans cette démarche. Des entretiens, il ressort qu’il n’existe pas de connaissance partagée sur les questions liées à la diversité et à l'intégration des élèves étrangers et que les enseignants participent peu à des formations continues consacrées à ces questions.

Les entretiens ont mis en évidence que ce ne sont pas seulement la quantité et la qualité des mesures de la politique d’intégration qui peuvent avoir une incidence sur les différences de 123

parcours scolaires entre les élèves suisses et étrangers, mais aussi l’organisation elle-même du système scolaire. Selon certains enseignants, le parcours scolaire des élèves italiens est moins performant que ceux des élèves suisses parce que le système demande de faire une sélection sur des matières qui ne sont pas proches de la culture italienne : notamment l’allemand. Si nous reprenons notre question de départ, nous pouvons dire que les statistiques, qui montrent une variation importante dans le taux de redoublement et les différents parcours scolaires observés entre les élèves suisses, italiens et « autres » dans les écoles secondaires I du Tessin, ne cachent pas seulement des facteurs de risque tels que l’origine géographique, la langue et l’origine socio-économique. Elles démontrent également l’existence d’un système scolaire et d’une politique d’intégration qui essaye de rendre le système scolaire le plus équitable possible, mais qui par son organisation, ses mesures et pratiques, n’est pas encore en mesure de remplir cet objectif de manière idéale. Ceci dans l’idée que l’école fait beaucoup, mais que des améliorations peuvent et doivent être imaginées.

L’apport de cette étude est celui d’avoir présenté la manière dont l’école tessinoise (secondaire I) est directement investie dans les problématiques d’une société qui est multiculturelle et plurilingue. En effet, répondre aux principes d’égalité et d’équité mis en avant par la Loi de l’école en prenant en considération l'hétérogénéité des élèves n’est pas une tâche si simple. De plus, cette étude a mis en évidence qu’aujourd’hui, l’école n’est pas encore passée de la réaction à l’action comme il avait été suggéré dans le rapport du 2001 (Monti). Notre étude met en lumière des réflexions, des questionnements et des suggestions qui avaient déjà été soulevés il y a quinze ans. Ce travail a donc permis de montrer que les efforts sont nombreux en termes de politique d’intégration, mais qu'il y a une forme de stagnation qui dure depuis plusieurs années et que si des idées, des améliorations et des suggestions sont visibles tant au niveau du département que chez les directeurs et les enseignants, il existe des barrières à leurs mises en pratique. Une limite évidente de ce travail, est de ne pas avoir étudié les motifs qui empêchent ce véritable passage à l’action. À partir des opinions de certaines personnes interviewées nous nous posons les suivantes questions : cela est-il dû à une question de financement ? À une question politique ? Ou encore à une question de sensibilité de la société ? Les résultats des votations au Tessin montrent souvent une fermeture quant à la migration. Ainsi, par exemple, le canton du Tessin a été le canton qui a le plus voté (68,2 %) en faveur de l’initiative populaire du 9 février 2014 « Contre l’immigration de masse » (donnée statistique: Administration fédérale – Conféderation suisse, 2014). Les résultats des votations montrent aussi un sentiment de peur face à la diversité : le

canton du Tessin a par exemple voté, le 22 septembre 2013, en faveur de l’interdiction de dissimuler son visage sur les voies publiques et dans les lieux ouverts au public. Le Tessin est donc le premier canton à interdire le port de la burqa dans l’espace public. Quelle est l’incidence de la sensibilité de la société et du monde politique face à la migration sur la politique d’intégration des élèves étrangers dans l’école ? Cette question d'ouverture pourrait-elle constituer le point de départ d'une future recherche sur ce qui se cache derrière les statistiques en prenant en considération un spectre de recherche plus large qui ne tiendrait pas seulement compte de l’école comme institut avec ses mesures et ses pratiques, mais qui tiendrait également compte du contexte social et politique.

Une autre limite dans ce travail est que la complexité de notre problématique et le temps à disposition ne nous ont pas permis de présenter une analyse détaillée de toutes les questions traitées, mais plutôt des théories et des données qui ont permis de soulever des réflexions et des problématiques. En effet, ce mémoire aurait pu se baser uniquement sur l’étude d’un facteur de risque spécifique face à la réussite scolaire ou encore sur l'étude d’une seule mesure de la politique d’intégration. Il a été difficile de faire une sélection des sources théoriques, statistiques et surtout des citations des entretiens. Cependant, ce travail a pu démontrer la complexité de la problématique et a, en outre, permis de remettre en question l’ensemble des mesures et des pratiques de la politique d’intégration des élèves étrangers au Tessin.

Pour conclure, il convient d’insister sur le fait que ce travail n’a pas une prétention de généralisation et n'a pas pour objectif d'apporter une réponse précise aux problèmes toujours existants quant à la question de la politique d’intégration. Ainsi, si ce travail permet une remise en question de la politique scolaire d’intégration, le but n'est pas non plus de faire la critique du système scolaire, mais de soulever des problématiques, des réflexions et des ouvertures qui permettraient d’envisager une amélioration.