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« L'angoisse a été choisie par Freud comme signal de quelque chose.

Ce quelque chose, ne devons -nous pas en reconnaître ici le trait essentiel ? dans l'intrusion radicale de quelque chose de si Autre à l'être vivant humain que constitue déjà pour lui le fait d'être passé par l'atmosphére, qu'en émergeant à ce monde où il doit respirer, il est d'abord littéralement étouffé, suffoqué. »163. Jacques Lacan.

L

a matrice de l'angoisse permet à Lacan d'aller chercher dans le texte freudien l'essence même de ce qui la constitue. Partant des trois termes paradigmatiques d'inhibition, symptôme et angoisse, il en découvre la trace et en dégage la quintessence. Leur « reformulation », indiquée comme telle, toujours dans la matrice, autorise une nouvelle appréhension de l'affect. L'introduction par Lacan de l'objet a, objet cessible, antérieur à la deuxième naissance du sujet du fait de son inscription dans la chaîne signifante, détermine cette reformulation. L'objet a (ou l'un des objets a) s'introduit pour rendre compte de la constitution du sujet au désir. « Ce qui est ici intéressé n'est donc ni l'objet en soi, ni le sujet qui s'autonomiserait dans une vague et confuse priorité de totalité, précise Lacan, ... dès l'abord, initialement, il s'agit d'un objet choisi pour sa qualité d'être spécialement cessible, d'être originellement un objet lâché, et il s'agit d'un sujet dans sa fonction d'être représenté par a, fonction qui restera essentielle jusqu'à son terme »164.

Cette angoisse vitale, dont Freud affirmait également qu'elle était première, originelle, et avait valeur de matrice de toutes les angoisses à venir, annonçait la Chose. A la fois « heimlich- unheimlich », « intimité-étrangeté », Lacan la conceptualise dans l'objet a, cession du sujet. L'objet a Lacanien est la Chose Freudienne.

« L'angoisse est sans cause mais non sans objet » affirme Lacan qui précise encore : « non

163 Ibid., p.378, l.20-26. 164 Ibid., p.380, l.18-23.

Page | 118 seulement elle n'est pas sans objet, mais elle désigne très probablement l'objet, si je puis dire, le plus profond, l'objet dernier, la Chose »165, et aussi « ce qui est objet, quelque part objet capital, essentiel à se présenter comme l'au-delà, et le plus angoissant du désir qu'il constitue »166.

De même que Freud avait découvert "la fonction de la clé " du transfert, Lacan trouve la “fonction de la clé "167 de l'angoisse et ce faisant nous met sur la trace de l'objet a.

L'irruption de cet Autre, radicalement Autre, à l'instant de la naissance du petit homme se fait sur un mode intrusif et potentiellement létal. L'angoisse qui en découle annonce aussi l'apparition de l'objet dont elle est à l'origine. L'objet est « comme produit de l'angoisse. Puis, comme quelque chose d'antérieur, il est mis à la disposition de la fonction déterminée par l'introduction de la demande »168. « En effet, constate Lacan, ... s'il est vrai que par essence l'Autre est toujours là dans sa pleine réalité, et si donc, pour autant qu'elle prend présence subjective, cette réalité est toujours susceptible de se manifester par quelqu'une de ses arêtes, il est clair néammoins que le développement ne donne pas un accès égal à cette réalité de l'Autre »169. Il faut en passer par le cri, par la demande, par l'objet anal, par le niveau scopique pour qu'enfin vienne prendre place l'objet voix.

L'Autre est là, antécédent au sujet, comme l'est l'angoisse. Le « moment de l'apparition du a, moment du dévoilement traumatique où l'angoisse se révèle pour ce qu'elle est, ce qui ne trompe pas, moment où le champ de l'Autre, si l'on peut dire se fend, et s'ouvre sur son fond »170. L'angoisse est donc à comprendre comme mode de communication entre le $ et

l'Autre.

Pour traiter de l'angoisse Freud avait étendu son investigation au champ entier de la psychanalyse, faisant du « problème de l’angoisse, (ce qui) forme un point vers lequel convergent les questions les plus diverses et les plus importantes, une énigme dont la solution devrait projeter des flots de lumière sur toute notre vie psychique »171. Lacan, quant à lui,

165 Ibid., p.360, l.27-28, 30-32. « Un acte est une action en tant que s'y manifeste le désir même qui aurait été fait

pour l'inhiber ». 166 Ibid., p.364, l. 32-34. 167 Ibid., p. 30, l. 28. 168 Ibid., p.380, l.15-17. 169 Ibid., p.376, l.30-34. 170 Ibid., p.361. l.25-29.

Page | 119 nous convie à ce point de rendez-vous « où vous attend, dit-il, ... tout ce qu'il en était de mon discours antérieur »172. L'angoisse, en tant que point de nouage des concepts déjà évoqués, présente dès la constitution du sujet, a un rapport étroit avec ce qu'il en est de celui-ci.

L’angoisse, en passant de son statut d'“ affect-signal du danger " à celui, que Freud établit dans un deuxième temps, de « réaction à une perte, une séparation »173, rend nécessaire la conceptualisation d’un objet antérieur, « créé »174 et investi. « Ainsi, écrit Freud, ... la douleur est la réaction propre à la perte de l'objet, l'angoisse la réaction au danger que comporte cette perte et, au terme d'un déplacement supplémentaire, la réaction au danger de la perte de l'objet elle-même »175.

Lacan ira jusqu’à lui donner une structure, un cadre, et un objet. « C'est le surgissement de l'heimlich dans le cadre qui est le phénomène de l'angoisse, et c'est pourquoi il est faux de dire que l'angoisse est sans objet »176. « Si le fantasme est le support du désir $ ◊a , $ désir de a, l'angoisse est la seule traduction subjective de l'objet a »177. Il y a un rapport de a au $, qui se présente comme exclusif, et également un rapport de a à l'Autre, qui lui, s’annonce comme inclusif, ce qui fait dire à Lacan : “entre le a et le $, l'Autre, en tant qu‘ensemble des signifiants qui de constituer le sujet $ l'autorise aussi à toucher le réel a“. Ainsi nous pouvons faire notre cette phrase de Marie-Jean Sauret : « nous sommes des êtres fictionnels ». Lacan assigne le a au rang de suppléant du sujet : « le a est ici suppléant du sujet – et suppléant en position de précédent. Le sujet mythique primitif, posé au début comme ayant à se constituer dans la confrontation signifiante, nous ne le saisissons jamais, et pour cause, parce que le a l'a précédé, et c'est en tant que marqué lui-même de cette primitive substitution qu'il a à ré-émerger secondairement au-delà de sa disparition »178. Aini se constitue le sujet

et il rajoute : « dans le monde de la parole, il s'engage dans une quête de « trouvailles » de ce qui est rejeté : l'objet a ».

Bibliothèque Payot, 1983, pp.370-388. 

172 Lacan, J., Le séminaire, Livre X, L'angoisse (1962-1963), Paris, Editions du Seuil, 2004, p.11, l.13-14. 173 Ibid., p.54, l.3-6. 174 Ibid., p.100, l.1-13. 175 Ibid., p.100, l.17-20. 176 Ibid., p.91, l.28-30. 177 Ibid., p.119, l.8. 178 Ibid., p.363, l.18-23.

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CHAPITRE 4.

DE QUELQUES ENJEUX ET CONSEQUENCES ETHIQUES