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Conciliation des principes constitutionnels en matière de santé

La question du niveau d’efficacité productive visée est étroitement liée à celle des moyens disponibles. Le médicament est considéré comme un bien supérieur, dans la mesure où la croissance de sa dépense est supérieure à celle du revenu. Ceci signifie que « ce secteur est irrigué par le déversement des revenus supplémentaires liés à la productivité plus grande des secteurs industriels traditionnels » [97]. Mais jusqu’à quel point ces ressources sont-elles garanties ?

Dans ce domaine, un troisième principe constitutionnel se rajoute à ceux d’accessibilité et d’équité : celui de l’équilibre financier de la sécurité sociale. Et la Constitution en confie la responsabilité au Parlement (Section 1). Il s’avère donc que le législateur est désormais en première ligne. Et au-delà de la fixation d’un objectif de dépenses, c’est l’ensemble des orientations de la politique de santé et de sécurité sociale qui est placée sous la responsabilité du Parlement. C’est donc au travers de la règle juridique que seront affichés les choix effectués en matière de maîtrise des dépenses de santé. (Section 2).

99 Section 1- Compétence du législateur

La réponse apportée à la question de savoir qui est compétent pour poser les règles de maîtrise des dépenses de santé a longtemps fait l’objet d’une réponse originale, en laissant une part très importante aux prescripteurs (au travers des conventions de maîtrise médicalisée) ainsi qu’aux financeurs. Ceci était à l’origine d’un problème de démocratie et de politique publique. Les ordonnances Juppé marquent le retour du législateur, avec notamment la fixation de l’objectif national des dépenses d’Assurance maladie. La loi constitutionnelle n°96-138 du 22 février 1996 ajoute à l’article 34 de la Constitution un alinéa qui dispose que « les lois de financement de la sécurité sociale déterminent les conditions générales de son équilibre financier et, compte tenu de leurs prévisions de recettes, fixent des objectifs de dépenses ».

La loi de financement de la sécurité sociale (LFSS) est votée tous les ans en même temps que la loi de finances déterminant le budget de l’Etat. Elle inclut l’objectif national des dépenses d’Assurance maladie. Cette loi émane d’un projet de loi, dont l’initiative est gouvernementale.

Quant à l’objectif national d’évolution des dépenses d’Assurance maladie, il est calculé sur la base des évolutions des dépenses de l’année précédente, en considérant aussi bien les besoins de la population que la croissance de la richesse nationale. Il s’agit d’éviter que les dépenses d’Assurance maladie ne croissent plus vite que les ressources qui les financent, sans que soit remise en cause la liberté d’accès au soin. Pour cela l’objectif est décliné en différentes enveloppes limitatives de dépenses.

Il faut souligner que la LFSS émane obligatoirement d’un projet de loi d’origine gouvernementale. Précisément, c’est le Conseil de l’hospitalisation qui est chargé de transmettre chaque année, aux ministres chargés de la santé et de la sécurité sociale, une proposition sur le montant des sous-objectifs de l'objectif national de dépenses d'Assurance maladie relatifs aux dépenses des établissements de santé. La présidence du conseil est

assurée par le directeur général de l'offre de soins18, et la vice présidence, par le directeur de

la sécurité sociale. Le directeur général de la santé et le directeur général de la Caisse nationale d'Assurance maladie des travailleurs salariés font également partie de ce Conseil.

18 Arrêté du 7 mai 2007 pris en application de l'article L. 162-21-2 du code de la sécurité sociale et fixant la

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Les autres membres sont des représentants de la direction générale de l'offre de soins, de la direction de la sécurité sociale, des organismes nationaux d'Assurance maladie, ainsi qu’une personne qualifiée nommée par les ministres chargés de la santé et de la sécurité sociale. Le rôle majeur des instances gouvernementales dans la préparation du projet de budget de la sécurité sociale peut laisser penser que les LFSS apparaissent comme « un renforcement des capacités d’action et de réforme du gouvernement, singulièrement du ministère en charge de la sécurité sociale » [98]. Dans ce contexte, la LFSS doit être « comprise davantage comme une loi permettant au Parlement d’autoriser le gouvernement à exécuter le budget social, que comme une détermination du budget lui-même par le Parlement ». Il faut également souligner que la LFSS ne fixe pas les recettes : elle ne fait que les prévoir. De la même façon, elle se prononce sur des objectifs de dépenses, mais ne limite pas ces dépenses.

Néanmoins, la fixation de l’ONDAM sous-entend des choix, à différents niveaux. Tout d’abord, toute dépense consacrée à la santé ne le sera pas pour un autre secteur, tel que la sécurité, la justice, l’éducation… La borne supérieure acceptable de ressources dédiées à la santé reflète ainsi un coût d’opportunité. Ensuite, cette contrainte macro-économique crée un environnement spécifique : elle fait coexister l’industrie concurrentielle des biens de santé avec un marché administré. De Pouvourville souligne que les deux acteurs y trouvent leur avantage : l’industrie assume le risque du développement de produits nouveaux, et l’Assurance maladie garantit la solvabilisation du marché [97]. Mais où est le point d’équilibre entre une solvabilisation complète qui donnerait au marché un caractère rentier, et l’absence de prise en compte de cette dimension, qui pourrait in fine nuire au bien-être de la population en ne créant plus les conditions favorables au progrès thérapeutique ?

Enfin, l’hôpital n’est qu’une des structures d’accueil des problèmes liés à la santé et n’est pas qu’une structure d’accueil des problèmes liés à la santé. Une des structures d’accueil, car il est nécessaire de définir sa place à côté d’autres modalités de prise en charge de la maladie. Mais réduire l’hôpital à une structure d’accueil des problèmes de santé, c’est nier son rôle dans l’activité économique, mais aussi dans l’aménagement du territoire.

Toutes ces dimensions soulignent à quel point la politique publique a des objectifs multiples [99]. Cette multiplicité, associée à un manque de hiérarchisation et de transparence, transparaît souvent en filigrane au travers des indéterminations et des contradictions des certaines décisions publiques. Et en cela, « le droit n’est pas seulement l’agencement hiérarchisé des règles et l’art du contentieux auquel on le réduit trop souvent. Il est aussi – surtout – une technique de décision et un art du choix » [62].

102 Section 2- Art du choix dans la règle juridique

La réforme constitutionnelle de 1996 donne ainsi au Parlement un droit de regard sur l’équilibre financier de la Sécurité sociale, en l’autorisant à se prononcer sur les grandes orientations des politiques de santé et de sécurité sociale, ainsi que sur leur mode de financement.

La fixation de l’ONDAM constitue une première expression du choix fait par le législateur, quant à l’importance des dépenses qui sont consenties en faveur de la santé. Il s’agit ensuite de mettre en place au travers de la loi toutes les mesures de régulation nécessaires pour garantir cet équilibre.

C’est ainsi que la norme juridique introduit, à différents niveaux du système de santé, et en direction de différents acteurs, des mécanismes de régulation de la dépense de santé. Ces règles se doivent de respecter les principes constitutionnels d’accessibilité au soin, d’équité, mais aussi d’équilibre financier de l’Assurance maladie. Concernant l’utilisation des médicaments dans les établissements de santé, les modalités de financement introduits parallèlement à la mise en place de la tarification à l’activité ont permis de garantir une accessibilité et une équité souvent jugées satisfaisantes. En revanche, l’effort financier consenti depuis 2005 en vue de satisfaire ces objectifs met en danger le troisième principe constitutionnel, celui de la maîtrise des dépenses. En quoi les modalités actuelles de régulation de la dépense de médicaments dans les établissements de santé permettent-elle de concilier les trois principes d’accessibilité, d’équité et de maîtrise des dépenses ?

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DEUXIEME PARTIE - REGULATION DES DEPENSES