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Conception de syst`emes interactifs

I.3.1 Le syst`eme homme-machine

Un syst`eme peut ˆetre d´efini comme un ensemble de composants organis´es interagissant pour parvenir `a un objectif. Un syst`eme homme-machine est alors un syst`eme constitu´e de machines et d’agents humains. Contrairement `a d’autres types de syst`emes, les syst`emes homme-machine ne sont pas compl`etement isol´es. L’environnement peut avoir un effet important sur le fonction-nement du syst`eme.

Les syst`emes homme-machine actuels sont de plus en plus complexes. Par exemple dans le domaine des transports, les avanc´ees r´ecentes en technologies de l’information ont suppos´e une augmentation consid´erable des transferts d’information et d’actions entre l’environnement et le syst`eme. Pour arriver `a une conception efficace d’un syst`eme homme-machine, il est donc n´ecessaire de prendre en compte les caract´eristiques de l’humain, des machines et de la nature des interactions entre l’humain et la machine et entre le syst`eme et l’environnement.

I.3.2 Les approches existantes pour la conception de syst`emes

La litt´erature en conception de syst`emes est extrˆemement riche. De nombreux mod`eles de d´eveloppement issus du domaine du g´enie logiciel ont ´et´e propos´es au cours des derni`eres d´ecennies. La tendance actuelle est d’enrichir ces mod`eles en consid´erant l’angle de l’interac-tion homme-machine (Kolski and Ezzedine, 2003). Ces approches s’av`erent efficaces pour la conception de syst`emes de contrˆole ou de supervision. Nous consid´erons qu’ils restent cependant insuffisants pour assurer une interaction homme-machine pertinente lorsqu’il s’agit de syst`emes d’aide `a la d´ecision. En effet, les syst`emes con¸cus avec ces approches ne permettent pas d’exploi-ter les capacit´es dont l’humain dispose pour r´esoudre les probl`emes. L’humain y est g´en´eralement consid´er´e comme un utilisateur qui interagit avec l’ordinateur uniquement pour l’aider `a finir la r´esolution du probl`eme, par exemple choisir entre deux solutions grˆace `a une interface. Une ap-proche finalement plus efficace pour ce type de syst`emes consiste `a consid´erer l’humain comme un “op´erateur”. L’op´erateur n’est pas limit´e `a une relation homme-machine mais va aussi chercher des informations, n´egocier le relˆachement de contraintes, etc. Dans ce cas, les tˆaches ne peuvent plus ˆetre analys´ees et mod´elis´ees uniquement sous un angle “utilisateur”, il faut aussi analyser toutes les tˆaches de l’humain avec ou sans l’ordinateur pour ainsi arriver `a concevoir un syst`eme capable de supporter l’op´erateur dans chacune de ces tˆaches.

C’est dans ce contexte que l’ing´enierie cognitive apparaˆıt. L’ing´enierie cognitive est une dis-cipline ´emergente qui se place entre la psychologie cognitive, l’ergonomie et l’ing´enierie des syst`emes. L’objectif principal est de concevoir des m´ethodes, des outils et des techniques pour guider la conception de syst`emes qui permettent de prendre en consid´eration les facteurs hu-mains. Pour cela, il est n´ecessaire de se focaliser sur les processus cognitifs de l’humain tels que la r´esolution de probl`emes, le raisonnement, la prise de d´ecisions, l’attention, la perception et la m´emoire (Roth et al., 1994). La plupart des m´ethodes issues de l’ing´enierie cognitive propos´ees

dans la litt´erature sont centr´ees sur l’analyse de la tˆache (voir Diaper (2004) pour une revue de ces m´ethodes).

Les m´ethodes d’analyse de la tˆache sont tr`es appr´eci´ees dans les applications industrielles (Ter-rier and Cellier, 1999). Ces m´ethodes permettent d’identifier les actions `a r´ealiser et les besoins d’information pour la r´ealisation de la tˆache. Elles pr´esentent deux limitations majeures. La premi`ere est que ces analyses sont souvent utilis´ees pour identifier les contraintes qui interviennent dans la r´ealisation de la tˆache et pouvoir ainsi les int´egrer dans les algorithmes de mani`ere `a au-tomatiser le plus possible sa r´ealisation. Ce mod`ele sous-estime les capacit´es de l’humain qui est rel´egu´e `a un rˆole plutˆot passif lors de la r´esolution du probl`eme. De nombreuses ´etudes ont montr´e que les syst`emes hybrides avec une bonne coop´eration homme-machine s’av`erent plus efficaces que la machine ou l’homme seuls.

La deuxi`eme limitation est que les m´ethodes bas´ees sur l’analyse de la tˆache ne sont pas ind´ependantes de la tˆache analys´ee. Le syst`eme con¸cu reste alors insuffisant face aux situations qui n’ont pas ´et´e trait´ees lors de la phase de conception, car une ´enum´eration compl`ete de tous les sc´enarios possibles n’est pas envisageable (question de coˆut, temps, ...). On esp`ere alors que l’op´erateur sera capable d’affronter ces situations en proposant des solutions satisfaisantes, ceci sans aucun support efficace puisque le syst`eme n’est pas capable de garantir la compl´etude et la coh´erence des solutions propos´ees dans un contexte non pr´evu.

Des m´ethodes alternatives sont alors n´ecessaires pour arriver `a concevoir des syst`emes qui permettent une int´egration efficace de l’ergonomie. Une de ces m´ethodes est l’Analyse Cognitive du Travail (Cognitive Work Analysis - CWA). Le CWA articule l’analyse de la tˆache `a un ensemble d’´etapes d’analyse du travail qui permettent aussi de prendre en consid´eration les contraintes environnementales du syst`eme de travail.

Analyse cognitive du travail (Cognitive Work Analysis - CWA)

L’analyse cognitive du travail a ´et´e propos´ee comme une m´ethode pour la conception de syst`emes complexes (Rasmussen, 1986a; Rasmussen et al., 1994; Vicente, 1999b). La m´ethode a ses origines dans l’approche de la psychologie ´ecologique de la perception (Gibson, 1979). La philosophie de la psychologie ´ecologique est de fonder l’analyse de la perception sur les rap-ports entre l’organisme vivant et son environnement. Ce principe de base a ´et´e repris dans le domaine de l’ing´enierie cognitive par Rasmussen et ses coll`egues. Le CWA propose une analyse

du syst`eme en se focalisant sur les contraintes impos´ees par l’environnement sur le comportement de l’op´erateur. Cette m´ethode s’´ecarte des m´ethodes classiques pour la conception de syst`emes bas´ees sur l’analyse des tˆaches r´ealis´ees par l’humain. Le CWA souligne l’importance de la des-cription des limites du domaine de travail et des contraintes impos´ees pour ce domaine pour arriver `a identifier (sans limiter) les possibilit´es de comportement de l’op´erateur humain.

La m´ethode se situe dans les approches formatives selon la classification propos´ee par Ras-mussen (1997) pour les m´ethodes d’analyse du travail. L’id´ee principale de l’approche est que l’op´erateur doit terminer la conception du syst`eme. L’approche formative se focalise donc sur l’identification des exigences qui doivent ˆetre satisfaites, en opposition aux approches norma-tives (comme c’est le cas dans la plupart des m´ethodes d’analyse de la tˆache) et descripnorma-tives qui cherchent respectivement `a mod´eliser la tˆache qui doit ˆetre r´ealis´ee et `a d´ecrire la mani`ere dont la tˆache est r´ealis´ee par les op´erateurs (voir Cegarra and van Wezel (2010) pour une dis-cussion plus approfondie sur les diff´erents types d’approches appliqu´ees aux probl`emes d’or-donnancement). Un des avantages des m´ethodes formatives est que les diff´erentes possibilit´es d’action sont pr´esent´ees `a l’op´erateur et celui-ci doit choisir la mieux adapt´ee, contrairement aux autres approches qui cherchent `a diriger et guider de mani`ere beaucoup plus directe l’op´erateur vers la tˆache ou l’activit´e connue. Ceci a des cons´equences tr`es importantes pour la concep-tion de syst`emes. La premi`ere est que le syst`eme con¸cu `a partir d’une approche formative reste ind´ependant de la strat´egie utilis´ee par l’op´erateur pour la r´ealisation de la tˆache. La seconde est que le syst`eme est cens´e toujours assister l’op´erateur aussi bien dans les situations famili`eres que dans les situations moins habituelles qui n’ont pas ´et´e pr´evues lors de la conception du syst`eme. La m´ethode se d´eroule en cinq ´etapes : l’analyse du domaine de travail, l’analyse de la tˆache, l’analyse des strat´egies, l’analyse socio-organisationnelle et l’analyse des comp´etences de l’op´erateur. A travers les cinq ´etapes de la m´ethode, le concepteur arrive `a la prise en compte des aspects cognitifs de l’op´erateur `a partir des aspects ´ecologiques ou environnementaux d´ecrits prin-cipalement dans la premi`ere ´etape. Dans la litt´erature, nous trouvons des exemples de syst`emes d’aide `a la d´ecision pour les probl`emes d’ordonnancement qui ont ´et´e con¸cus en ignorant les contraintes cognitives et qui ont montr´e leur inefficacit´e (difficult´e d’utilisation, inadaptation aux modes op´eratoires des op´erateurs exp´eriment´es, ...) (voir Hoc et al. (2004)).

L’analyse du domaine de travail est la premi`ere et la principale ´etape du CWA. Cette ´etape consiste en la r´ealisation d’une description du domaine de travail du syst`eme. Ce dernier est vu

comme l’objet de l’action, en opposition `a l’analyse de la tˆache qui d´ecrit les objectifs de l’action. La repr´esentation du domaine de travail d´ecrit la structure du syst`eme ind´ependamment des op´erateurs, du degr´e d’automatisation, des ´ev´enements, des tˆaches, des objectifs ou des interfaces. L’analyse consiste en l’identification des contraintes impos´ees par le domaine sur le syst`eme et qui vont limiter le comportement des agents d’ex´ecution (homme ou machine). L’objectif de cette ´etape est d’identifier l’information n´ecessaire `a fournir `a l’op´erateur dans des situations inattendues ou non famili`eres. Cette description du domaine reste donc ind´ependante vis-`a-vis des ´ev´enements et des moyens, mais est par contre compl`etement d´ependante de la raison d’ˆetre (but) de l’analyse. Une analyse du domaine de travail pour l’ordonnancement des transports est pr´esent´ee dans le chapitre II comme la premi`ere ´etape pour la conception d’un syst`eme d’aide `a la d´ecision pour ce type de probl`emes.

La deuxi`eme ´etape de la m´ethode est l’analyse de la tˆache. D’apr`es Vicente (1999b), l’analyse de la tˆache est une ´etape compl´ementaire `a l’analyse du domaine de travail. En effet, mˆeme si l’analyse de la tˆache ne permet pas d’identifier l’information n´ecessaire pour le support de l’op´erateur humain face `a des situations non famili`eres ou inattendues, cette deuxi`eme ´etape peut ˆetre utile pour identifier et d´ecrire ce qui doit ˆetre fait face lors de situations habituelles, sans sp´ecifier pour autant comment et pour qui cela doit ˆetre fait. L’objectif de cette analyse est donc de parvenir `a identifier l’information n´ecessaire pour l’assistance `a l’op´erateur et ´egalement les contraintes qui doivent ˆetre prises en compte pour la s´election de la strat´egie `a suivre pour la r´ealisation de la tˆache.

L’analyse des strat´egies est la troisi`eme ´etape de la m´ethode. Dans cette ´etape, le concepteur commence `a s’int´eresser aux aspects cognitifs de l’utilisateur dans la r´esolution du probl`eme. Si dans l’´etape d’analyse de la tˆache l’int´erˆet est de d´eterminer ce qu’il doit ˆetre fait, dans cette ´etape le concepteur s’int´eresse `a la description du processus de comment les tˆaches doivent ˆetre r´ealis´ees. L’objectif de cette ´etape est donc de d´ecrire les diff´erentes strat´egies possibles, de mani`ere `a identifier les besoins de chaque strat´egie (information `a fournir `a l’op´erateur) pour arriver `a r´ealiser la tˆache. Le syst`eme est ainsi capable de fournir l’assistance n´ecessaire `a l’op´erateur humain (mˆeme pour les strat´egies de grande charge mentale), ind´ependamment de la strat´egie choisie pour la r´ealisation de la tˆache.

L’analyse socio-organisationnelle et de la coop´eration est la quatri`eme ´etape de la m´ethode. Une fois le domaine d´ecrit, les tˆaches `a r´ealiser d´efinies et les diff´erentes strat´egies analys´ees,

cette ´etape aborde, d’une part, la r´epartition des rˆoles entre l’op´erateur humain et la machine et, d’autre part, les formes de communication et de coop´eration des diff´erents acteurs. L’ob-jectif de cette analyse est de r´epartir les diff´erents besoins identifi´es dans les analyses des trois premi`eres ´etapes entre les diff´erents acteurs (op´erateur ou groupe d’op´erateurs humains et ma-chine ou groupe de mama-chines). Ainsi, le r´esultat de cette ´etape est une affectation des rˆoles et des responsabilit´es pour chaque acteur et une structure organisationnelle qui d´efinit comment les acteurs doivent travailler (par groupes, par ´equipes, ...), comment doivent ˆetre institu´ees la communication et la coop´eration entre ces acteurs et quelles sont les relations de hi´erarchie entre les unit´es organisationnelles pour cette coop´eration.

Enfin, la derni`ere ´etape de la m´ethode est l’analyse des comp´etences de l’op´erateur. Cette ´etape cherche `a identifier, `a partir des besoins identifi´es dans les ´etapes pr´ec´edentes de la m´ethode, quelles sont les comp´etences dont l’op´erateur doit faire preuve. Cette analyse est `a tout moment coh´erente avec les limitations et les capacit´es cognitives de l’humain.