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051 ־ Le concept du temps

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Synchroniser les pendules — Qu’est-ce que le temps ? Semblerait-il qu’il s’agit d ’un « milieu indéfini où paraissent se dérouler irréversiblement les événements et les phénomènes dans leur succession73 ».

Etienne Souriau, pour sa part, dans son Vocabulaire d'esthétique donne cette définition : « Le temps est

une dimension qui ne peut être parcourue que dans un seul sens irréversible ; des éléments successifs s 'y distinguent, déterminent des intervalles entre eux et s'ordonnent les uns par rapport aux autres, selon l'avant et l 'après74 ». Ainsi, il ne semble pas y avoir de détermination précise de ce terme ; il doit

être perçu à l’intérieur d’un concept. Néanmoins, le temps s’avère être extrêmement polyvalent. A preuve, et ce même si le terme reste vague, il est utilisé fréquemment dans la langue : temps partiel, temps plein, au temps jadis, dans le bon vieux temps, avoir fait son temps, bon temps, à temps, de temps à autre, de tout temps, en temps et lieu, entre-temps, temps mort, temps de chien, et j ’en passe...

Nous savons tous qu'une horloge, qu'elle soit mécanique, électrique, électronique ou atomique, est un appareil de mesure qui nous indique l'heure. Elle est l'organe moteur principal avec lequel nous régularisons le temps dans notre société, afin d'obtenir des repères et des références qui facilitent nos vies et coordonnent notre existence. Le temps peut être divisé en trois périodes, soit celle de nos aïeux,

la nôtre et celle de notre progéniture qui, tout en étant reliées à la fois aux domaines biologique et psychologique, servent aussi, et surtout, à démarquer notre propre « passage » : l'enfance, puis l'âge adulte, puis enfin l'âge d'or.

Ce temps, nous le percevons couramment dans nos vies. Il se manifeste certes à l ’aide de différents mécanismes de notre propre conception, tels le sablier ou l’horloge par exemple ; mais il prend également vie à travers des processus naturels. L’alternance du jour et de la nuit, ou le rythme des saisons, tout comme le flux et le reflux de la mer, nous ramènent constamment à cette réalité. De façon

71 - D’après la structure du poème univers taché d’Ollivier Dyens dans Les murs des planètes suivi de La cathédrale aveugle, Montréal, VLB Éditeur, 2002, p. 84.

72 - PATOCKA, Jan (1990). L'art et le temps, P.O.L., p. 27.

73 - ROBERT, Paul (1989). Petit Robert. Dictionnaire alphabétique et analogique de la langue française, Paris, p. 1938. 74 ־ SOURIAU, Étienne. Op. cit., p. 1338.

plus primitive, l’horloge interne contrôle et régularise nos rythmes biologiques depuis notre naissance

(« There are no clocks to measure time but the beatings o f our singing hearts15»). Paradoxalement, dès

que nous quittons une expérience temporelle, pour essayer de réfléchir sur le concept du temps lui- même, il nous paraît totalement irréel.

La notion du temps — Notre conception du temps s’avère être différente selon le point de vue avec

lequel nous l’appréhendons. En théologie, et libres sont ceux qui veulent le comprendre ainsi, le temps trouve son sens dans l’éternité, c ’est-à-dire Dieu, et il doit être compris à partir de celle-ci. Pour les croyants, ceux qui ont la foi, le temps n’a ni commencement ni fin. Pour les athées par contre, ceux et celles qui nient l’existence de Dieu, la conception du temps doit s’inscrire soit dans un mode de pensée scientifique, soit dans un mode de pensée philosophique, ou les deux respectivement.

Pour les physiciens, une expérience quantitative récente le prouve, le temps n’existe tout simplement pas76. Q u’est-ce à dire exactement ? Bon nombre de spécialistes usent pourtant du temps :

« Si le temps n 'existe pas au niveau quantique, aucune discipline scientifique ne peut cependant

s'en passer. Ainsi, les physiciens mécanistes, reprenant la leçon de Newton, l ’intègrent dans leurs équations pour modéliser la chute des pommes. Tandis que les astronomes, depuis Einstein, le savent indissociablement lié à l'espace lorsqu 'ils observent de lointaines étoiles. Pour leur part, les physiciens des particules fo n t de la symétrie entre le passé et le futur une des pierres angulaires de leur modèle. De leur côté, les thermodynamiciens croient y déceler un

sens, une flèche, lorsqu 'ils observent une diffusion de goutte d'eau ou un transfert de chaleur. Quant aux cosmologistes, ils pensent plutôt que c'est l ’expansion de l ’Univers, depuis le big bang, qui lui donne cette direction privilégiée, du passé vers le futur. Et les astrophysiciens, eux, voient dans l ’impossibilité de sortir d ’un trou noir une fo is entré un autre moyen de fonder cette irréversibilité, d ’origine gravitationnelle cette fois. Et il n ’y a pas que la physique. Les

naturalistes, p ar exemple, le considèrent comme le moteur essentiel de l'évolution des espèces depuis l ’apparition de la vie sur Terre, en parallèle des historiens qui y voient le principe intangible figeant le passé. Côté biologistes, ils le décèlent dans l'usure des cellules et le

vieillissement de nos corps. Enfin, tandis que les médecins l'écoutent s'écouler via le battement de nos cœurs, les psychologues le sentent s ’accélérer et ralentir dans nos consciences

subjectives. Bref, tout le monde fa it avec, mais aucun ne s'interroge sur son essence. Comment ces temps s'articulent-ils ensemble ? Y en a-t-il un ou plusieurs ? 77 »

Les philosophes, quant à eux, ne peuvent se résoudre à circonscrire le concept de temps à partir d ’une croyance ou d ’une expérience métaphysique. Leur approche n ’est ni théologique ni scientifique, et si le philosophe « pose la question du temps, il est alors décidé à comprendre le temps à partir du temps 78», celui qu’il rencontre dans sa quotidienneté, le temps naturel. Mentionnons a priori que la notion du temps est subjective et qu’en philosophie nous retrouvons différentes conceptions de sa structure même. En Occident, par exemple, le temps est linéaire, donc irréversible. Il ne va que dans une direction

75 - LITTLEBIRD, Harold. « Santo Domingo/Laguna Pueblo », National Géographie, vol. 180, n° 4.

76 - POIRIER, Hervé. « Le temps n’existe pas! », Science & Vie, n° 1024, (janvier 2003), pp. 34-50 : « C ’est déjà une

expérience historique : dans les sous-sols de l'université de Genève, des physiciens ont démontré que notre sens commun de la causalité ne s ’appliquaitpas à l'échelle atomique. Autrement dit, le temps n 'apas cours dans le monde quantique! ».

POIRIER, Hervé. « Le temps n’existe pas! », Science & Vie, n° 1024, (janvier 2003), pp. 34-50.

77 ־ KLEIN, Étienne. « Le temps est différent des propriétés qu’on lui attribue », Science & Vie, n° 1024, (janvier 2003), p. 46.

(impossibilité de revenir en arrière), alors qu’en Orient, le temps est cyclique79, ce qui fait que les époques se répètent, tout comme les saisons. Signalons au passage que les Amérindiens soutiennent également cette conception « orientale » du temps.

Pour le philosophe allemand Martin Heidegger (1889-1976), « le temps se rencontre d ’abord dans

l ’étant qui s ’altère80 » et cette pensée est concordante avec celle exprimée antérieurement par Aristote

(Stagire, Macédoine, 384-Chalcis, Eubée, 322 av. J.-C.) : « Le temps lui-même n ’est rien. Il n ’existe

que relativement aux événements qui s ’y déroulent. Il n ’y a pas de temps absolu, ni aucune simultanéité absolue. 81 »

Trois composantes du tem ps — Heidegger affirme également que « le temps est un déroulement dont

les étapes se rapportent les uns aux autres suivant la relation de l ’avant à l ’après. Tout avant [avenir] et après [passé] peut-être déterminé à partir du maintenant [présent] qui est pourtant lui-même

arbitraire.82 » Dans son discours, Saint Augustin (Tagaste, aujourd'hui Souq Ahras, 354-Hippone, 430)

reconnaît aussi l’apport de ces trois composantes : « Ces trois sortes de temps existent dans notre esprit

et j e ne les vois pas ailleurs. Le présent du passé, c ’est la mémoire ; le présent du présent, c ’est l ’intuition directe ; le présent de l ’avenir, c ’est l ’attente. 83 » De même, Henri Bergson (Paris, 1859-

Paris, 1941), lorsqu’il se questionne à s’avoir si la réalité du temps ne serait pas celle du présent, fait également ressortir la notion tripartite du temps :

« Mais le présent réel, concret, vécu, [...] occupe nécessairement une durée. Où est donc située cette durée ? [ ...] I l est trop évident qu ’elle est en deçà et au-delà tout à la fois, et que ce que j ’appelle « mon présent » empiète tout à la fo is sur mon passé et sur mon avenir. [ . . . ] D ’où je

conclus que mon présent consiste dans un système combiné de sensations et de mouvements. Mon présent est, p a r essence, sensori-moteur. 84 »

Je peux donc, à la lueur des affirmations précédentes, émettre l’hypothèse suivante : le temps regroupe dans son essence des composantes qui agissent entre elles : « Le temps ou la durée se compose de

différentes parties : sinon, nous ne pourrions concevoir qu ’une durée est plus ou moins longue. 85 »

Les philosophes reconnaissent que le temps existe dans le monde naturel et ce même si, à la réflexion, il nous paraît insaisissable dans ces trois entités : le passé, parce qu’il n ’est plus ; le futur, parce qu’il n’est pas encore ; le présent, enfin, parce qu’il est évasif.

C oncernant les notions de durée et de déploiem ent — Faits particuliers à remarquer et qui ressortent des allégations précédentes, les notions de durée (Bergson et Hume) et de déploiement : « l ’étant qui

s ’altère », « événements qui s ’y déroulent » (Heidegger). Sans être en mesure de le cerner, « le temps perm et de dire tout à la fo is le changement, l ’évolution, la répétition, le devenir, l ’usure, le

79 - Nietzsche s’oppose à cette notion cyclique du temps. Vo i tLe Gai Savoir (1883), Œuvres II, livre 4e, trad. H. Albert,

revue par J. Lacoste, Paris, Lafïbnt, 1993, (coll. Bouquins), p. 202. 80 - HEIDEGGER. Op. cit., p. 34.

81 - HEIDEGGER. Op. cit., p. 35. 82 - HEIDEGGER Op. cit., p. 37

83 ־ Saint AUGUSTIN (1998). Les Confessions, Livre onzième, chap. XV, trad. Péronne et Écalle, Paris, Nathan, (coll. Les Intégrales de Philo).

84 - BERGSON, Henri (1896). Matière et mémoire, 6e éd., Paris, Presses universitaires de France, 1999, (coll. Quadrige), pp. 152-153.

vieillissement, etc. Cette confusion vient de ce que nous attribuons au temps les propriétés de tous les processus dont il permet le déploiement. 86 »

La durée (du déploiement) s’avère donc cohérente en tant qu’unité de mesure des phénomènes naturels dans un système de rapports spatio-temporels. Constatons cependant que la durée n’implique pas nécessairement un état de mouvement ou de transformation :

« A ujourd’hui encore, le temps est souvent associé au mouvement, comme celui des aiguilles

d ’une montre. Mais un objet immobile est aussi temporel qu 'un objet en mouvement! Le temps fabrique de la durée mais pas nécessairement du changement. 87 »

DO

Le temps en tant que mémoire — Elle est « essentiellement mémoire, conscience et liberté », la

durée, selon Gilles Deleuze. Et Bergson présente toujours cette identité de la mémoire avec la durée même de deux manières : « conservation et accumulation du passé dans le présent89 ».

« Ou bien : soit que le présent renferme distinctement l ’image sans cesse grandissante du passé,

soit plutôt qu ’il témoigne, par son continuel changement de qualité, de la charge toujours plus

lourde qu ’on traîne derrière soi à mesure qu ’on vieillit d ’avantage. 90 »

À ce stade il s’avère particulièrement plaisant de constater, à la lueur de l’intérêt que j ’ai démontré pour le langage, que Bergson fait une analyse de la mémoire de la même façon qu’il fait l’étude du langage. Selon lui, les deux factures sont les mêmes, c ’est-à-dire « la manière dont nous comprenons ce q u ’on

nous dit est identique à celle dont nous trouvons un souvenir.91 » Le rapport entre le procédé

opérationnel de la mémoire (i.e. le temps) avec celui du signe linguistique, tel que décrit par Ferdinand de Saussure et que j ’ai présenté auparavant, est établi. Toutefois Bergson, selon Deleuze, fait état d ’une opération perceptive légèrement différente de la transcendance du sens dans le signe verbal : « Loin de

recomposer le sens à partir des sons entendus, et des images associées, nous nous installons d ’emblée dans l ’élément du sens, puis dans une région de cet élément. Véritable saut dans l ’Être. C ’est

seulement ensuite que le sens s ’actualise dans les sons physiologiquement perçus, comme dans les images physiologiquement associées aux sons. 92 »

Comme nous l’avons vu, le temps disséqué par l’entremise de la durée serait, selon certains auteurs, lié à la mémoire. Toutefois, Merleau-Ponty nous met en garde contre l’attrait de vouloir transformer le temps objectif, ou le temps des choses dans la conscience : « qualifier le temps comme une suite de

maintenant, comme le passage d ’un événement d ’un maintenant présent à un maintenant passé ce n ’est déjà plus parler du temps — en tout cas c ’est vouloir penser celui-ci sur fo n d de permanence et de simultanéité. [...] c ’est se priver de la temporalité même du temps. 93 »

Le temps en tant que rapport entre sujet et choses — Dans Phénoménologie de la perception94

Merleau-Ponty réfléchit, au contraire, au problème du temps « en son lieu », c’est-à-dire « à partir de

86 - KLEIN, Étienne. Op. cit. p. 49.

87 - KLEIN, Étienne. Op. cit., p. 50.

88 - DELEUZE, Gilles (1997). Le Bergsonisme, Paris, Presses universitaires de France, p. 45. 89 - Henri Bergson cité par Gilles Deleuze, op. cit., p. 45.

90 - Henri Bergson cité par Gilles Deleuze. Ibid. 91 - DELEUZE, Gilles. Op. cit., p. 52.

92 - DELEUZE, Gilles. Ibid.

93 - GONORD, Alban (2001). Le temps, textes choisis, Paris, Flammarion, p. 199.

notre participation intime au monde95 ». Il soutient que « le temps se donne en chair et en os dans mon champ de présence96 ». Merleau-Ponty affirme donc encore, « que le temps se déploie originairement en moi ; le passage du temps, d'un avenir fu tu r présent, d ’un présent futur passé, d ’un passé, ancien présent, ce passage est comme un geste qui enveloppe toute ses contractions musculaires, et cette synthèse s ’effectue passivement en moi. » Pour ce dernier, « le temps, c ’est moi » puisque celui-ci est

concevable « comme passage parce qu ’il est d ’abord vécu comme tel. 97 »

Husserl atteste également d ’une conception semblable du temps. Selon lui, le temps doit être pensé « à

partir d ’un lieu de contemplation absolue. » Remarquer un écoulement du temps ou bien comparer une

transformation, présuppose un observatoire d ’où nous constatons le défilement des choses. Dans pareille condition, le temps naît d ’un rapport, d ’un échange, entre le sujet et les choses.

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