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2.3. Description du dialogue « sciences en/et société »

2.3.2. Le concept de culture

Rappelez-vous dans la partie précédente exposant le concept de science, nous entamions la présentation du concept en faisant référence à une citation de Thésée (2003), que nous vous proposons de nouveau ici :

La science est : « une vison du monde unique, une forme de pensée unique, une démarche unique, une méthodologie unique, […] bref, [correspond] à une culture unique très particulière. » (Thésée, 2003, p. 68)

Nous venons de voir que l'unicité qui apparaît dans la citation de Thésée peut être discutée et qu'aux fins de notre étude, nous y sommes opposés en présentant les sciences dans leur multiplicité et leur complexité. En revanche, l'inscription culturelle des sciences soulignée par l'auteure se révèle importante et se trouve au cœur de notre problématique. De ce fait, après avoir exposé les significations de ce concept, nous présenterons ces implications dans le domaine éducatif.

a. Présentation du concept

De la terre…22à l'humain. Rousseau débutait son ouvrage L'Émile ou l'éducation

avec la citation suivante :

« On façonne les plantes par la culture, et les hommes par l'éducation. » (Rousseau, 1966, p. 36)

Il rappelait que la culture désigne autant l'action de cultiver la terre que d'éduquer

22 Les points de suspension sont présents pour marquer l'étendue du concept. C'est une sorte de métaphore de ponctuation.

l'esprit. Voici la beauté des mots et des différents sens qu'ils véhiculent. Toutefois, pour opérer une présentation plus profonde et articulée de ce concept, nous proposons de l'aborder à travers les perspectives classique et anthropologique. Ce choix s'appuie sur le fait que ces perspectives sont principalement citées dans les écrits faisant des liens entre science, culture et éducation (Corben et Aikenhead, 2003 ; Mellouki et Gauthier, 2003 ; Simard, 2002 ; Thésée, 2003). Nous reviendrons d'ailleurs sur ces éléments pour présenter les implications du concept de culture dans le champ éducatif.

Dans une perspective classique ou humaniste, la culture est considérée comme un objet (Simard, 2002). Mellouki et Gauthier (2003) la définissent ainsi :

La culture correspond à « l'ensemble des connaissances, relevant de domaines variés, qui contribuent à la formation du sens critique, du goût et de la faculté de juger des individus. » (Mellouki et Gauthier, 2003, p. 61)

Dans ce sens, la signification de la culture donnée par Messieurs Mellouki et Gauthier fait écho à la citation de Rousseau lorsqu'ils mentionnent qu'elle permet d'éduquer l'esprit. Dans ce sens, la notion de culture résonne avec une accumulation de connaissances. Et, comme l'indique Godin (1999), ce lien étroit établi entre culture et connaissance est soutenu par trois postulats : l'existence d'une culture savante (ou de l'érudit), qui repose sur une hiérarchie des savoirs (Arendt, 1983) et qui fait écho au désir d'élévation du statut social (Gagnon, 1989). Les savoirs théoriques, estimés comme les savoirs situés en haut de la pyramide des savoirs sont ceux à acquérir par l'individu qui souhaite être considéré comme un individu cultivé. Les savoir-faire étant estimés en bas de la pyramide des savoirs, l'acquisition des savoirs de l'érudit permet une ascension sociale pour la personne. À ce titre, les savoirs pratiques ne sont pas enseignés à l'école ce qui révèle leur exclusion dans le processus d'élévation sociale (Picon, 1994 dans Godin, 1999). En tant que savoir théorique, le savoir scientifique fait partie des savoirs placés en haut de la pyramide. Cette vision de la culture comme une somme de connaissances théoriques spécifiques est qualifiée « d'encyclopédique » (Godin, 1999, p. 27). C'est une vision critiquée, mais qui se retrouve souvent au cœur des politiques publiques et qui guide les programmes de l'école en désignant les connaissances de base

à acquérir. Cette perspective soulève le problème de la désignation des connaissances de base, notamment à l'heure actuelle où la production du savoir est exponentielle et engendre une hiérarchisation des savoirs au détriment d'une horizontalisation.

Dans une perspective anthropologique, la culture est considérée comme :

Un système « complexe comprenant à la fois les sciences, les croyances, les arts, la morale, les lois, les coutumes et les autres facultés et habitudes acquises par l'homme dans l'état social. » (Tylor, 1920)

La culture sous-tend les « valeurs, les attitudes et les représentations » des individus qui composent les sociétés (Cuche, 1996 dans Gagné, 2008) et apparaît à travers les pratiques, les comportements et les institutions mis place en société (De Certeau, 1990). Elle correspond aux modes de vie acquis à travers des formes de socialisation et d'acculturation qui passent et se modifient à travers les générations. Les langues, les croyances, les façons de cuisiner et de s'habiller en sont des éléments. Ce système est désigné comme un processus et correspond à un système de symbole qui facilite l'interaction entre les individus (Geertz, 1973) : une grille de lecture du monde facilitant la communication (Mellouki et Gauthier, 2003).

La perspective anthropologique culturelle invite à considérer une diversité de « cultures humaines » (Dortier, 2004). Selon le contexte ou la société dans laquelle un individu ou un groupe d'individu se trouve, la culture à laquelle il appartient peut se révéler comme la culture dominante ou minoritaire. De ce fait, les éléments peuvent faire partis de son capital culturel ou en être éloignés (Bourdieu, 1996). Dans ce sens, les processus d'acculturation liés à certaines cultures peuvent être facilités ou non par l'adéquation ou la non-adéquation que forment les systèmes de références. À ce titre, nous avons vu que dans la perspective d'éducation aux sciences proposée par des auteurs comme Waiti et Hipkins (2002) ainsi que Corben et Aikenhead (2003), une recherche d'exposition des systèmes complexes culturels est proposée aux jeunes afin qu'ils puissent identifier les savoirs issus de la culture indigène versus ceux issus de la culture scientifique et de voir quels sont ceux les plus communément acceptés en raison de la culture dominante où ils se trouvent. Comme les sciences, selon les significations que

l'on porte à la culture, les finalités éducatives qui en découlent changent et les approches pédagogiques diffèrent, ce que nous allons voir plus en détail dans la prochaine partie. b. Les implications dans le champ éducatif

« En éducation, la culture adopte une configuration bipolaire, l'un des pôles est singulier et l'autre est pluriel. Le pôle singulier, « la culture », est l'une des fonctions essentielles de l'éducation et le pôle pluriel, « les cultures », est la prise en compte de la complexité des rencontres de divers groupes d'humain dans le contexte de l'éducation. »

Thésée, 2003, p. 104

Thésée (2003) met en évidence l'existence d'une « configuration bipolaire » de la culture dans le champ éducatif. Les deux perspectives précédemment décrites se côtoient donc dans le champ éducatif. Dans le premier cas, elle est objet alors que dans l'autre, elle est processus (Simard, 2002). Dans ce sens, les finalités éducatives ne seront pas les mêmes selon la perspective choisie. Dans une perspective classique, l'éducation de l'esprit critique à travers l'acquisition d'un certain bagage de connaissances est envisagée à travers le concept de « la culture ». Par le bagage de connaissance théorique qu'il a, l'individu est considéré comme un être plus ou moins « cultivé ». L'acquisition de cette culture permet l'atteinte d'un statut social élevé. L'évaluation de cette culture se fait généralement par l'école et est associée à la culture dominante de la société dans laquelle elle prend place (Bourdieu, 1996), où la hiérarchie des savoirs est postulée (Arendt, 1958). Dans la perspective anthropologique, la compréhension du processus des différents aspects des manières de vivre en société et de leur évolution est recherchée. Elle ne désigne pas un contenu, mais davantage un contenant (Thésée, 2003). D'un point de vue éducatif, elle permet de « prendre en compte la complexité des rencontres de divers groupes humains », comme l'indique Thésée (2003, p. 104) dans la citation qui est mise en entête de cette partie. Elle ne suppose plus la hiérarchie des cultures, mais au contraire cherche à comprendre comment celles-ci peuvent être prises en compte dans l'élaboration du savoir.

Souvent dans le contexte scolaire, lorsqu'il est fait référence à la notion de culture, c'est la définition classique de la culture qui est sous-jacente (Mellouki et Gauthier, 2003). De ce fait, une logique d'accumulation des connaissances est proposée à l'égard de certaines disciplines, où l'acquisition de connaissances théoriques se fait au détriment des savoir-faire, compétences et habilités pratiques qui sont exclues de cette vision de la culture (Godin, 1999, p. 24). On remarque tout de même que la considération de la culture de manière anthropologique est suggérée par les travaux menés dans une visée d'éducation interculturelle (Hammond et Brandt, 2004 ; Thésée, 2003).

Au sein de l'animation, il est intéressant de constater qu'une visée anthropologique de la culture est mise en avant. En effet, elle apparaît au sein d'une conception antiautoritaire et participative des approches pédagogiques et de l'attention portée aux cultures minoritaires ou marginalisées (Lamoureux, 2004). Cette perspective semble favorable au dialogue « sciences en/et société » à la fois car elle sort d'une vision de hiérarchie des savoirs en s'inscrivant dans une conception antiautoritaire des savoirs et en prenant en compte les savoirs des apprenants, mais aussi en permettant de considérer la diversité des cultures par le fait de favoriser la participation des cultures minoritaires ou marginalisés. Ces considérations constituent des éléments clés dans un monde où sont suggérées une co-construction et une diversité des savoirs engageant différentes parties prenantes (comme nous l'avons mis en évidence dans la problématique). Dans ce sens, il s'agit d'un argument de plus au profit de l'animation scientifique comme espace de dialogue « sciences en/et société ».

En résumé, nous avons vu dans cette partie que dans le cadre du dialogue « sciences en/et société », la quatrième formule proposée par Helms et Carlone (1999) ainsi que la perspective constructiviste/contemporaine suggérée par Désautels et Larochelle (1989 ; Larochelle et Désautels, 2003) appuient l'appréhension des sciences plurielles et complexes. Définies comme une pratique sociale, elles sont considérées comme des produits culturels. Toutefois, selon la perspective dans laquelle est envisagé

le concept de culture, la perspective classique lui donne un gage d'autorité alors que la perspective anthropologique permet d'appréhender le jeu des cultures dans une situation d'horizontalité, comme le suggère notamment l'anthropologie culturelle. Maintenant, puisque faire des sciences correspond à une action de modélisation (Gingras et Villedieu, 2008), les modèles proposés par Godin (1999) pour illustrer les différentes relations science-culture envisageables vont être exposés.