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Du comte au prince : le principe de succession dans la maison princière entre 1787 et

La chaîne et les anneaux Héritages et mariages dans la maison princière au tournant du XIX e siècle

I. Du comte au prince : le principe de succession dans la maison princière entre 1787 et

A. Une refondation de l’ordre familial lors des transitions princières

Héritiers et héritières dans la maison Clary lors de la première transition en 1787-1788

Jean de Clary-Aldringen (1753-1826) est le premier à véritablement vivre la transition du comte au prince au sein de sa maison élevée en 1767, lorsque survient la mort de son père Franz Wenzel en 17889. Afin de préparer la transmission du patrimoine, ce dernier établit en 1787 un bilan financier des biens allodiaux de sa maison sur lesquels sont fixés les héritages de son fils et de ses quatre filles10. Cette estimation revient sur le fonctionnement du principe de succession dans cette famille noble.

Depuis 1749, le prince de Clary-Aldringen est responsable d’un patrimoine juridiquement double : le fidéicommis de Teplitz-Graupen et les terres allodiales qui comprennent principalement les seigneuries de Bensen et Binsdorf en Bohême du Nord. Depuis l’institution en primogéniture de 1749, la transmission du cœur patrimonial de Teplitz se fait toujours au bénéfice du premier né (« erst gebohren ») qui devient dépositaire du fidéicommis. Ce patrimoine inaliénable est donc exclu du bilan de Franz Wenzel en 1787. Deux lignes suffisent pour l’évoquer dans les testaments depuis 1750, comme l’illustre ensuite celui du prince Jean de Clary en 1826 copié par son fils le prince Charles-Joseph en 183111. Comme dans le cas des Colloredo étudié par Thibault Klinger, ce sont les terres allodiales qui permettent de verser un héritage aux autres enfants issus de la branche princière12. Elles sont donc indispensables pour assurer la cohésion familiale au sein d’une structure porteuse de nombreux conflits familiaux, comme l’indique les études récentes13.

La richesse des grandes familles ne se conçoit que dans cet ordre patrimonial qui permet de préserver le patrimoine, tout en assurant un héritage à chacun selon la position qui est la sienne dans la maison princière à la fin du XVIIIe siècle. Le bilan de 1787 estime à 190 000 florins la valeur mobilière en actifs du patrimoine allodial, soit environ la moitié de

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Voir leurs portraits en annexe, p. 110-111.

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SOAL-Děčín, c. 93, « Kurzer überschlag meines […] allodial-Real- und Mobiliar Vermögens in Böhmen und

Österreich » (KU), 1787. Les biens allodiaux sont libres de tout lien fidéicommissaire, et peuvent sortir du

patrimoine.

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SOAL-Děčín, c. 80, 30 mars 1750, c. 116, testament de son petit-fils Jean, mai 1825, avec copies de Charles- Joseph de Clary, 3e prince de 1826 à 1831.

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Thibault Klinger, « Évaluer les seigneuries de la noblesse austro-bohême à l’époque moderne : l’exemple des domaines de la famille Colloredo », dans O. Chaline (dir.), Familles nobles, châteaux et seigneuries en Bohême,

XVIe-XIXe siècles, Histoire, Economie & Société, Paris, Armand Colin, 2007, p. 59-86. 13

J.-F. Chauvard, A. Bellavitis, P. Lanaro, « De l’usage du fidéicommis à l’âge moderne. État des lieux », Mélanges de l’École française de Rome, MEFRIM, 2012/124-2, p. 321-337.

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celle du fidéicommis14. Hannes Stekl retrouve des estimations similaires dans la secondogéniture Schwarzenberg, par exemple avec les terres de Zaluschan, Zbenitz et Bukowan en Bohême, respectivement estimées à 93 000, 86 500 et 132 000 florins quand le fidéicommis de Worlik est estimé à 1 087 500 florins15. L’estimation allodiale de Franz Wenzel Clary est ensuite divisée en deux parties de 95 000 florins. La première est conservée en réserve d’hypothèque ou de paiement de rentes, l’autre est subdivisée en cinq parts de 19 000 florins, pour les cinq enfants du prince Franz Wenzel16. Sa descendance n’est pas la mieux dotée de la monarchie des Habsbourg, mais elle hérite d’un capital suffisant pour garantir une existence noble aux comtes et comtesses de la maison Clary-Aldringen.

Le fait que Jean de Clary-Aldringen soit le futur dépositaire du fidéicommis ne change rien au partage équitable des allodiaux avec ses quatre sœurs. Cette équité définit les droits sur la succession hors préciput, selon des pratiques normées que l’on retrouve dans d’autres familles comme les Arenberg au début du XIXe siècle17. Les chefs de famille tentent ainsi d’éviter les contestations toujours possibles sur les biens allodiaux. Ce partage ne vise pas à compenser l’inégalité du fidéicommis, mais à pourvoir aux besoins spécifiques de chacun des enfants. Le capital individuel de 19 000 florins n’est pas placé, il ne fournit pas de rente. Les héritiers touchent progressivement leur part jusqu’à ce que le seuil soit atteint, et dès lors n’ont plus rien à prétendre sur les allodiaux. Cette procédure conserve intact le patrimoine allodial transmis à l’héritier et permet au prince d’étaler les versements tirés des revenus des terres de Bohême. Le bilan précise que Jean de Clary ne touche pas nécessairement ces 19 000 florins qui lui reviennent de droit car en tant que successeur, il hérite des terres allodiales qui fournissent une large part des revenus de la maison princière. Il est mentionné en dernier dans la description de la manière dont ces parts ont été distribuées : c’est donc le sort des comtesses qui est au cœur de ce partage.

Lorsque Franz Wenzel établit son bilan en 1787, les 19 000 florins sont déjà presque intégralement versés au moment de l’établissement de ses filles. Cet héritage est au fondement de la position des comtesses de Clary-Aldringen dans la société des élites de la

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La valeur du fidéicommis est tirée du bilan des actifs retrouvé dans les documents de succession du prince Jean en 1826, SOAL-Děčín, c. 116, « Commission Protocoll », 4 avril 1826 n° E8717, « Uebersicht des

gesammten Activ und Passiv Stand ». 15

H. Stekl, Österreichs Aristokratie im Vörmarz. Herrschaftsstil und Lebensformen der Fürstenhäuser

Liechtenstein und Schwarzenberg, Vienne, VGP, 1973, p. 217. Valeurs tirées des actifs de 1820. Il faut donc

compter avec un passif allodial de 220 200 florins.

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Les traités de changes de l’époque s’accordent sur la base de 1 florin gulden = 52 sols soit 2,60 livres tournoi. 19 000 florins représenteraient alors 49 400 livres. La situation des comtesses est éloignée du cas de la princesse de Conti qui hérite de 346 118 livres de sa mère en 1761. Aurélie Chatenet-Calyste, Une consommation

aristocratique fin de siècle. Marie-Fortunée d’Este, princesse de Conti (1731-1803), Limoges, Pulim, 2013, p.

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monarchie des Habsbourg à la fin du XVIIIe siècle. La définition des sommes allodiales est révisée à chaque nouvelle naissance, car le versement effectif n’a lieu qu’au moment où la comtesse se marie. Lorsque l’aînée Josepha Maria (1747-1778) épouse le baron Ledebur en 1766, sa mère la princesse de Hohenzollern-Hechingen a trente-huit ans, et il est probable qu’elle n’ait pas d’autres enfants. Les 19 000 florins sont indispensables pour préparer cette union, comme celles de Marie-Sidonie (1748-1824) et Marie-Christine (1755-1821) avec les comtes Chotek et Hoyos la même année 1772. Ils permettent aussi de pourvoir aux frais d’entrée de la cadette Thérèse (1756-1790) au chapitre de Nivelles en 1780, dont elle sort en 1787 pour épouser le comte Wilczek18. À chaque fois, la somme est répartie sur une base similaire : 9000 florins sont constitués réserve matrimoniale (« Heirats-austattung »), effectivement versés au moment du mariage au titre de dot ou de cadeau de noce (« Morgengabe »). Le reste de la somme est constituée en versements annuels de 500 florins à partir du mariage ou de l’entrée au chapitre. Non seulement la maison porte ses comtesses dans le monde ou au chapitre, mais elle maintient aussi un lien monétaire avec elles, une attache fondée sur le patrimoine de Bohême du Nord.

Ce cordon financier facilite la transition d’une maison à l’autre, ce que les correspondances relaient sur le mode affectif. Avec cette ressource temporaire, les comtesses ne dépendent pas totalement de leur époux et des maisons qui les accueillent. La fin des dotations « héritées » achève de les établir en femmes dont les conditions matérielles d’existence reposent principalement sur les contrats de mariages.

Les situations individuelles peuvent varier. Josepha Maria Clary-Ledebur bénéficie de la réserve matrimoniale et touche 6000 florins entre 1766 et sa mort en 1778. Les 4000 florins restant à sa mort ne retournent pas dans les caisses de la maison : ils sont versés par le prince pour l’éducation des deux filles qu’elle laisse et le paiement du loyer qui leur permet de résider avec leur père dans une partie de l’hôtel Clary de Prague (Prager Hausszins). L’aînée a reçu l’autorisation de s’établir à Prague en plus de son héritage légitime19. Les Clary- Aldringen maintiennent une présence dans la capitale du royaume de Bohême alors que la famille poursuit son insertion dans la société de cour à Vienne en acquérant l’hôtel de la Herrengasse en 1760 et en obtenant le rang princier en 1767.

À la mort de Franz Wenzel en 1788, les comtesses de Hoyos et Chotek ont encore 3000 florins de « part légitime » à percevoir. En sortant du chapitre de Nivelles, Thérèse avait

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SOAL-Děčín, c. 93, KU, 1787, fol. 9-12.

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Son contrat de mariage n’y fait pas allusion (SOAL-Děčín, c. 103). Cet accord rappelle l’importance du logement des héritiers, en particulier des filles célibataires et des veuves dans les testaments depuis le XVIIe siècle. P. ex. SOAL-Děčín, c. 1/c. 61, testament du comte Johann Georg Marc, lit. A., fol. 8-9, 1700.

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bénéficié de 3000 florins que son père avait fixés sur ses droits dans l’expectative d’un mariage tardif, et doit encore toucher 7000 florins. Ces charges reviennent à Jean de Clary- Aldringen, qui doit à la fois assumer la fin du cycle successoral de son père, tout en faisant débuter le sien. Le bilan allodial de 1787 est un document de référence que Franz Wenzel transmet à son fils Jean de Clary : en 1789, celui-ci réalise ses propres estimations à partir de ce document20. Tout en respectant le fil des héritages de ses ancêtres, il regarde vers l’avenir pour ses propres enfants, les comtes Charles-Joseph et Maurice nés en 1777 et en 1782.

Les sommes sont revues à la baisse, pour les adapter aux prix courants à Vienne. Le passage de témoin est très visible dans les documents : au moment de définir la situation du nouveau « fideikommis-anwarter21 », il biffe son propre nom et le remplace par celui de son jeune premier né. Ce trait de plume illustre la transition à l’œuvre. L’actif allodial, réévalué à 175 838 florins est de nouveau divisé en une part de réserve et l’autre attribuée à ses deux fils, qui se voient donc mieux dotés que la génération précédente. Le prince Jean appartient à la génération éduquée aux sciences camérales dans la monarchie des Habsbourg et choisit un traitement différent de l’héritage : il fixe une rente à 4% sur la part estimée des allodiaux, soit un intérêt annuel de 1758 florins (4500 livres environ). À la différence des comtesses dont les attaches patrimoniales sont théoriquement coupées au seuil des 19 000 florins, ce système rentier établit un lien à vie entre le cadet Maurice et sa maison. Le principe de ce type de rente viagère est commun à la majorité des maisons aristocratiques au tournant du XIXe siècle, à l’instar des Schwarzenberg entre 1815 et 184822. Si cette maison est justement pionnière dans les opérations de finances, la terre demeure la première richesse de la noblesse qui adopte un système de rentes patrimoniales caractéristique du XIXe siècle.

Prince depuis un an, Jean de Clary prépare déjà le cycle familial suivant. Dès 1789, il est prévu que le comte Charles-Joseph ait une responsabilité envers son frère et prenne le relais en cas de décès de son père23. Le frère devient alors responsable des rentes indexées sur le patrimoine. Or cette situation est exactement celle que Jean de Clary-Aldringen est en train de vivre. Le passage du comte au prince en 1788 se traduit par une reconfiguration des liens de famille. Au cours de la première transition dans la maison princière, la reconnaissance du nouveau chef de famille qui n’est plus le père mais le frère est un enjeu important. Derrière le principe successoral commun à l’ensemble des maisons fidéicommissaires, chaque transition reste un moment délicat mettant en jeu la cohésion familiale pour une génération. L’attitude

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SOAL-Děčín, c. 116, KU, 1789.

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Littéralement « expectant du fidéicommis ».

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H. Stekl, Österreichs, op. cit., p. 37.

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des sœurs de Jean de Clary-Aldringen en 1788 montre que l’application des règles fixées par les ancêtres ne va pas sans une négociation permettant d’assurer la continuité de la maison princière.

Maintenir la cohésion familiale : un enjeu de la succession

L’arsenal juridique des grandes familles ne suffit pas à canaliser les aspirations individuelles au cours de la transition princière de 1788. En 1787, les sœurs de Jean de Clary voient arriver le terme des 19 000 florins qui leur reviennent légitimement. Marie Sidonie Chotek et Christine Hoyos tentent alors de peser auprès de leur père malade qui met en ordre ses affaires. Leur but est d’obtenir une clause testamentaire qui convertirait leur pension provisoire de 500 florins en une « rente viagère » tirée d’un « capital à fond perdu » attesté par le prince Franz Wenzel. Ces deux expressions sont les seuls termes français de lettres

rédigées en allemand en mars 178724. Dans la monarchie des Habsbourg, ce choix donne un

caractère officiel à la démarche qui vise à modifier le testament et contraste avec l’écriture en français que l’on retrouve dans la correspondance familiale ou le journal de Marie-Sidonie25. Les enjeux des lettres ressortent grâce à l’usage du français. Cet usage conjugué de la langue administrative de la monarchie avec l’idiome des grandes familles pourrait traduire la mise en rapport de l’ordre familial institué avec l’affection princière sur lesquelles les sœurs comptent pour le modifier. Quelle que soit la langue employée, les comtesses tentent de tirer parti de la transition en faisant vibrer la corde de l’amour paternel (« Vätterlichen liebe »).

Il ne s’agit pas des inévitables querelles d’héritiers qui n’épargnent pas les maisons à majorat. Il n’y a pas de contestation de la succession comme chez les cadets et les filles de la maison Arenberg au début du XIXe siècle, dont les protestations, « pétries d’individualisme témoignent indéniablement d’une crise post-révolutionnaire du principe du droit d’aînesse dans les mentalités aristocratiques » selon Bertrand Goujon26. Cette idée de crise est toutefois nuancée par le maintien d’un attachement au majorat, alors l’attitude la plus fréquente dans une partie de la noblesse française. Le testament de la duchesse de Rohan-Chabot en 1818 en est une illustration27. L’individualisme est une réalité qui éclaire la face plus sombre de l’attachement aux maisons nobles et constitue la hantise des pères de familles patrimoniales à

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SOAL- Děčín, c. 93, succession du prince Franz Wenzel. L’ainée Josèphe Ledebur est décédée depuis 1778 et la comtesse Thérèse ne participe pas à cet échange.

25

SOAL- Děčín, c.104-106, 110-114.

26

B. Goujon, Entre cosmopolitisme, op. cit., p. 130.

27

Cité par Adeline Daumard, « Noblesses parisiennes et civilisation bourgeoise au XIXe siècle », dans C.-I. Brelot (éd.), Noblesses et villes (1780-1850), Tours, Maisons des sciences de la ville, 1995, p. 109-121, ici p. 115. En France, les majorats sont progressivement supprimés entre 1835 et 1848.

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l’époque moderne. Le prince Franz Wenzel l’exprime dans sa réponse au tiers familial pris à témoin dans cette affaire :

je ne souhaite rien plus ardemment que d’établir de mon vivant une description précise des biens allodiaux que je possède, afin que je puisse passer le reste de ma vie en paix et je dois donc être convaincu qu’une fois que mes yeux seront fermés à jamais, mon épouse vivra correctement et qu’une véritable concorde régnera au sein de l’ensemble de ma descendance28.

Les comtesses se mobilisent au moment où le successeur de Franz Wenzel ne dispose encore que d’une autorité par procuration29. Une pression est exercée sur le vieux prince qui rédige les documents censés aider son fils à assumer sa nouvelle position et déterminer ses engagements futurs. C’est bien Jean de Clary qui serait tenu de verser cette rente si son principe était accepté. Les comtesses ne reculent pas devant le chantage affectif : elles insistent sur le fait que le calme (Ruhe) et la satisfaction générale (Zufriedenheit) dépendent de l’accès à leur requête30. En menaçant de porter le trouble au sein de leur maison d’origine, les comtesses tentent d’imposer leurs propres aspirations sur l’exigence de paix sociale indispensable à la stabilité des maisons31. Les phases de transitions ouvrent des opportunités qui placent les individus devant la tentation d’améliorer leur sort individuel, mettant ainsi la maison noble à l’épreuve de la solidarité familiale.

La mécanique des héritages conduit les femmes hors de la maison en leur permettant de réaliser des alliances de rang. Ces dernières se rappellent au lignage au prix de négociations pour transformer les conditions de vie liées à la naissance dans les grandes familles. Un tel comportement illustre aussi la capacité des élites féminines à peser dans un ordre successoral qui favorise la descendance masculine32. Le sujet n’est cependant pas tant les rapports de genre que l’utilisation de la conflictualité par des « individus qui sont dans une double temporalité, la leur et celle de la « maison33 » ». Les acteurs les moins favorisés, les cadets et leurs sœurs, peuvent tenter d’en faire bouger les lignes, au risque de la fragiliser34.

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SOAL-Děčín, c. 93, Vienne, 5 mars 1787, trad.. Les lettres sont toutes adressées à un cousin à l’identité inconnue qui permet de conserver une discrétion.

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Malade, le prince met en place une procuration de l’autorité seigneuriale pour son fils Jean en 1786. SOAL- Děčín, c. 93, « Gewalt und Vollmacht », Vienne, 4 juillet 1786.

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Termes employées dans les lettres des comtesses : SOAL-Děčín, c. 93, Vienne, 17 mars 1787.

31

Anna Bellavitis, « Genre, transmission, mobilité sociale : quelques notes bibliographiques », dans A. Bellavitis, L. Croq, M. Martinat (dir.), Mobilité et transmission dans les sociétés de l’Europe moderne, Rennes, PUR, 2009, p. 13-23.

32

Idem, p. 23.

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Élie Haddad, « La « maison » noble : pistes de recherches concernant les contraintes de la transmission dans la noblesse française des XVIe et XVIIe siècles », dans A. Bellavitis et alii (dir.), Mobilité et transmission, op. cit., p. 211.

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Ces conflits n’épargnent pas les fidéicommis : J.-F. Chauvard et alii, De l’usage du fidéicommis, MEFRIM,

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Sidonie et Christine ne se rebellent pas contre l’ordre familial, elles ne disposent d’aucun argument lignager pour revendiquer un héritage. Leur demande ne correspond pas à un besoin vital car leur situation matrimoniale est établie. Elles la justifient comme un moyen de valoriser la capacité de la maison Clary-Aldringen à prendre soin de celles qui restent ses représentantes dans la monarchie des Habsbourg. Aussi écrivent-elles conjointement que « cette proposition n’est pas un fardeau pour la maison, car le capital demeure dans les mains de notre frère, et s’il se prive de mille florins de plus, il nous permet de maintenir notre état et peut être de constituer une petite réserve pour nos enfants35 ». L’argument n’est pas celui du lignage mais s’inscrit dans la préservation d’une descendance. Il met en jeu la reconnaissance de la succession du frère, Jean de Clary. Comme le souligne Élie Haddad, « il ne faut pas voir la « maison » comme une entité en soi : elle ne se perpétuait que parce que des possessions la soutenaient, que des personnes jouaient le jeu qu’elle imposait, et que le capital symbolique qui la constituait était reconnu par les autres36 ».

Le résultat de ces échanges où Jean de Clary n’apparaît qu’indirectement n’est pas confirmé en raison de l’absence du testament de Franz Wenzel et de l’obscurité des comptes princiers entre 1790 et 182537. Le nouveau prince semble toutefois avoir pris conscience de la faille qui s’est ouverte en 1787 : en choisissant le système de rente viagère pour l’héritage allodial de son cadet Maurice, il consolide la mécanique lignagère en évitant que ce type de situation se reproduise. Dès 1789, la refondation suivante est facilitée38. Lorsqu’elle intervient en 1826, Charles-Joseph n’a qu’à reprendre le fil continu du versement des intérêts sur le capital de Maurice. Ce dernier pourrait sans doute réclamer sa « legitima portio », mais il