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6.2.1 Ordre cach´e et diagrammes de phase

En mesurant la chaleur sp´ecifique et la susceptibilit´e magn´etique de URu2Si2 en 1985, T.T.M. Palstra et al. ont observ´e deux anomalies : l’une `a Tc ' 1.5 K correspondant `a l’apparition de la supraconductivit´e et l’autre `a T0 ' 17.5 K dont l’origine fait toujours d´ebat [254]. La figure 6.1a montre la chaleur sp´ecifique C/T en fonction de la temp´erature. La ligne solide est un ajustement de la formeC/T =γ+βT2 permettant d’extrapoler γ

180 mJ/molK2 et la temp´erature de Debye TD= 312 K. A T= 2 K, γ ' 60 mJ/molK2, ce qui correspond `a unefaible masse effective, indiquant que URu2Si2 est un fermion lourd

d’entropie ∆S de seulement 0.2 Rln 2.

a

b

Figure 6.1 – (a) D´ependance en temp´erature de la chaleur sp´ecifique C/T de URu2Si2 . (b) Susceptibilit´e-dc χdc suivant les directions cristallographiques a et c et inverse de la susceptibilit´e de URu2Si2 mesur´ees `a B=2 T. D’apr`es [254].

La figure 6.1b pr´esente la susceptibilit´e-dc mesur´ee dans un monocristal de URu2Si2 suivant les deux directions cristallographiques [254]. La forte anisotropie observ´ee indique que l’axec est l’axe de facile aimantation. A haute temp´erature, la susceptibilit´e v´erifie un comportement Curie-Weiss, caract´eristique de moments magn´etiques isol´es avec un moment effectif µef f= 3.51 µB/U et une temp´erature de Curie-Weiss ΘCW = -65 K. Cette valeur du moment effectif correspond `a la valeur d´etermin´ee `a partir des r`egles de Hund pour l’ion U4+ µef f = 3.58 µB/U. On observe une d´eviation `a ce comportement en dessous de T

150 K. La valeur de la susceptibilit´e-dc `a temp´erature ambiante est 30 fois plus grande que celle du compos´e ThRu2Si2 non magn´etique [255].

L’un des grands myst`eres de URu2Si2 est la d´etection d’un faible moment magn´etique dans la phaseordre cach´equi ne peut pas expliquer l’amplitude du saut de chaleur sp´ecifique. En fait, nous verrons par la suite que l’origine de ce moment magn´etique est li´ee `a la puret´e des ´echantillons, la valeur de ce moment diminuant lorsque la puret´e des ´echantillons s’am´eliore [256]. Quoi qu’il en soit, la pr´esence d’un saut de chaleur sp´ecifique (ouverture d’un gap) et d’un faible moment magn´etique a longuement fait d´ebat dans la communaut´e. Plusieurs mod`eles ont consid´er´e l’existence de deux param`etres d’ordre, l’un `a l’origine de l’ouverture du gap vu en chaleur sp´ecifique (ordre cach´e ), not´e ψ, et l’autre `a l’origine du moment magn´etique antiferromagn´etique (AF) vu par les mesures de neutrons, not´e m. Suivant si le param`etre d’ordre associ´e `a l’ordre cach´e brise ou non la sym´etrie par renversement du temps, deux classes de sc´enarios ont vu le jour : onde densit´e de spin

Le compos´e URu2Si2

non conventionnelle [257], moment AF orbital [258] ou ordre des moments octupolaires des moments sur les sites d’U [259] dans le premier cas et ordre quadrupolaire [260, 261] ou ordre n´ematique [262] de spin dans le second cas.

En ce qui concerne un sc´enario onde de densit´e, l’existence d’un vecteur de nesting n’est pas encore clairement ´etablie `a ce jour. Il semblerait d’apr`es de r´ecents calculs effectu´es dans le compos´e parent ThRu2Si2, ne pr´esentant pas de phase ordonn´ee, que ni Q0 niQ1

ne puissent ˆetre associ´e `a un vecteur de nesting [263]. N´eanmoins, Wiebeet al. ont montr´e par des mesures de neutrons que les excitations de spins itin´erants, correspondant `a Q1, semblent jouer un rˆole pr´epond´erant dans la transition `aT0 et dans la formation de l’ordre cach´e [264]. Le vecteur incommensur´eQ1 serait alors associ´e `a un vecteur de nesting.

6.2.1.1 Effet de la pression

Ce sont les mesures sous pression, et plus particuli`erement celles de diffusion de neutrons, qui ont fini par r´esoudre l’apparente contradiction entre le saut de chaleur sp´ecifique et la pr´esence d’un moment magn´etique trop faible.

A pression nulle, le spectre des excitations vu par les mesures de neutrons est caract´eris´e par deux r´eponses in´elastiques aux vecteursQ0= (1,0,0) etQ1= (1±0.4,0,0) [265, 266, 264]. En dessous de T0, les spectres deviennent ´etroits et les valeurs de gap sont respectivement ∆1,0,0 1.8 meV et ∆1.4,0,0 4.5 meV [266].

En appliquant la pression, le spectre des excitations `aQ0 devient ´elastique, caract´erisant un ordre AF `a longue distance. En revanche, le spectre `a Q1 ne semble pas affect´e par l’apparition de la phase AF [267].

L’application d’une pression hydrostatique sur URu2Si2 r´ev`ele alors un diagramme de phase particuli`erement riche et apporte de nouveaux ´el´ements `a la compr´ehension de la transitionordre cach´e[267, 268]. Ces mesures montrent queT0 est relativement peu affect´ee par l’application d’une pression alors que le magn´etisme en d´epend fortement, ce qui renforce l’id´ee de deux param`etres d’ordre distincts. La figure 6.2 montre le diagramme de phase (T,P) obtenu par E. Hassinger et al. r´ealis´e `a partir de mesures de r´esistivit´e et de chaleur sp´ecifique sous pression hydrostatique [267, 268]. Ce qui ´emerge de ce diagramme de phase est l’existence de deux phases bien distinctes, s´epar´ees par une transition du premier ordre le long de la ligneTx. La premi`ere phase `a basse pression est l’ordre cach´e et la phase `a forte pression est caract´eris´ee par un ordre AF, associ´e au vecteur d’onde Q0, dont le moment magn´etique augmente continˆument avec la pression jusqu’`a saturer versµ'0.4µB/U pour P 1.4 GPa [269]. Des mesures de r´esistivit´e sous pression ne montrent pas de changement radical au passage de la ligne de transition Tx. Ceci sugg`ere que le ph´enom`ene (nesting) `a l’origine de la condensation des porteurs est toujours pr´esent dans la phase haute pression et que le possible vecteur de nesting ne d´epend pas de la pr´esence ou non du grand moment AF. Un autre point important de ce diagramme de phase est que la ligne T0 augmente lin´eairement et faiblement (1.01 K/GPa) jusqu’`a 1.4 GPa o`u elle est rejointe par la ligne Tx. Dans le cadre de la th´eorie des transitions de phase de Landau [270], le fait que ces deux lignes se rejoignent signifient que dans la phase ordre cach´e en dessous de Tx, seul le param`etre d’ordre ψ, responsable du saut important de chaleur sp´ecifique, est non nul et qu’aucun moment magn´etique n’est pr´esent alors qu’`a haute pression l’ordre cach´e est d´etruit et on a un ´etat AF caract´eris´e par le param`etre d’ordre m. Cette suggestion est support´ee par de r´ecentes mesures RMN effectu´ees dans des cristaux extrˆemement purs et qui ne d´etectent aucun moment magn´etique `a pression ambiante [271].

Figure 6.2 – Diagramme de phase temp´erature-pression de URu2Si2 r´ealis´e `a partir de mesures de r´esistivit´e et de chaleur sp´ecifique [267, 268].

Il semblerait que les ´echantillons soient caract´eris´es par une inhomog´en´eit´e de la phase

ordre cach´e et que ce ne soit pas le moment magn´etique, mesur´e par diffusion de neutrons, qui augmente mais plutˆot le volume de la r´egion AF dans l’´echantillon qui grossit sous l’effet de la pression et qui vers 1.4 GPa occupe uniform´ement tout l’´echantillon, avec µ∼

0.4µB/U [272]. En effet, les mesures de diffusion de neutrons ne font que mesurer un moment magn´etique moyen (sur un volume) alors que les mesures de RMN et deµ-SR sont des sondes plus locales. En outre, des mesures de diffusions ´elastiques de neutrons sur URu2Si2soumis `a une contrainte uniaxiale montrent que le moment magn´etique augmente sensiblement quand la pression est appliqu´ee suivant les directions [100] et [110] alors qu’il reste constant suivant [001] [273]. La transition de phase entre l’ordre cach´e et l’ordre AF serait alors contrˆol´ee par les distorsions du r´eseau, autrement dit par le param`etre η = c/a (o`u a et c sont les param`etres de maille, cf. figure 6.4), dont la valeur critique ηc est tr`es petite. Ce sc´enario est propos´e afin d’expliquer pourquoi une phase AF peut apparaˆıtre localement dans une r´egion o`u les d´efauts du r´eseau cristallin font que η > ηc `a pression ambiante. Dans ce cas, l’antiferromagn´etisme mesur´e `a pression ambiante par les mesures de diffusion de neutrons ne serait qu’un effet parasite dˆu aux imperfections du r´eseau.

6.2.1.2 Effet d’un champ magn´etique

L’application d’un champ magn´etique intense r´ev`ele un diagramme de phase tout aussi riche que complexe, comme montr´e sur la figure 6.3. Il a ´et´e report´e d`es 1993 que la destruc-tion de la phase ordre cach´e (phase i sur la fig. 6.3) `aBc = 35 T est suivie de deux autres transitions de phase `a B '36 T (phase ii) et B '39 T (phase iii) pour T <6 K [274]. Ces transitions ont ´et´e d´etect´ees dans les mesures de transport [275], d’aimantation [276], de chaleur sp´ecifique [277] ou encore d’ultrasons [278]. La premi`ere transition correspond `a la destruction de l’ordre cach´e; il a ´et´e propos´e que celle-ci intervient en raison de la s´eparation due `a l’effet Zeeman des bandes d’´electronsf itin´erants de spin up et down [279]. Entre 36 T et 39 T, il apparaˆıt une phase induite par le champ appel´ee ordre cach´e r´eentrant, dont la nature reste encore ind´etermin´ee. La pr´esence d’un point critique quantique (PCQ) `a B '

Le compos´e URu2Si2

37 T est sugg´er´ee d’apr`es des mesures de transport et serait reli´ee `a une reconstruction de la surface de Fermi qui intervient quand le champ magn´etique fait passer les ´electrons f d’un caract`ere itin´erant `a localis´e [275]. Une autre hypoth`ese consiste `a dire que cette phase poss`ede une sym´etrie diff´erente de l’ordre cach´e. Lorsque le champ est appliqu´e suivant l’axe c, on trouve le comportement caract´eristique d’une transitionpseudo-m´etamagn´etique1 au champ BM ' 38 T, qui resterait ind´ependant de la temp´erature [276]. Cependant, bien que la pr´esence d’une transition pseudo-m´etamagn´etique `aBM soit admise, celle d’un PCQ est encore incertaine. L’allure de la d´ependance en champ de l’aimantation sugg`ere que les ´electrons 5f ont un caract`ere plutˆot itin´erant dans l’ordre cach´e et qu’ils ont tendance `a retrouver un caract`ere plutˆot localis´e dans la phase haut champ, bien que le moment magn´etique mesur´e µ ' 2 µB/U n’atteigne pas sa valeur `a saturation (µsat ' 3.6 µB/U) (effet du champ cristallin, ...). Enfin, il est sugg´er´e que pour B>40 T, un comportement liquide de Fermi est retrouv´e, mais avec la bande d’´electrons f de spin up polaris´ee [279]. Dans la suite, on appellera cette r´egion´etat paramagn´etique polaris´e (PMP).

Figure 6.3 – Diagramme de phase temp´erature-champ magn´etique de URu2Si2 obtenu `a partir de mesures de magn´etor´esistance [275].

6.2.2 Surface de Fermi

L’´etude exp´erimentale de la surface de Fermi des fermions lourds n´ecessite de travailler dans des conditions extrˆemes de temp´erature et de champ magn´etique en raison des masses effectives relativement importantes des quasiparticules. Des mesures de Haas-van Alphen ou Shubnikov-de Haas ont ´et´e r´ealis´ees dans la phase ordre cach´e de URu2Si2 [280, 281, 282]. Seulement trois branches principales de la surface de Fermi d´etermin´ee par les calculs de structure de bandes ont ´et´e observ´ees (avec le champ magn´etique appliqu´e suivant l’axe c), α,β etγ. La brancheαcorrespond d’apr`es les calculs de structure de bandes `a une bande

de trous (bande 17). La fr´equence dHvA mesur´ee estFα = 1050 T, et la d´etermination des param`etres physiques donnent une masse effective cyclotronm = 13 m0, une temp´erature de DingleTD = 0.035 K et un libre parcours moyen`= 0.55µm. Les deux autres branches correspondent `a des bandes d’´electrons (bande 19 centr´ee enXet bande 20). Les fr´equences dHvA mesur´ees sontFβ= 420 T etFγ= 190 T, les masses effectives cyclotronm= 25m0et m = 8.2m0, les temp´eratures de DingleTD = 0.045 K etTD = 0.11 K et les libres parcours moyens`= 0.14µm et`= 0.12µm respectivement. La mˆeme fr´equence d’oscillationFαest observ´ee dans l’´etat supraconducteur, avec cependant une temp´erature de DingleT0

D =TD

+ ∆TD, o`u ∆TDest une temp´erature de Dingle additionnelle repr´esentant un amortissement des oscillations suppl´ementaire.

Citons de r´ecents travaux r´ealis´es par l’´equipe de Y. Onuki et qui semblent mettre en ´evidence une nouvelle branche not´eeδ qui apparaˆıtrait autour de 20 T, correspondant `a une surface de Fermi ellipso¨ıdale de fr´equence Fδ = 1300 T et de masse effective cyclotron m = 2.7m0, pour le champ suivant l’axe cristallographique c[283].

Le fait que toutes les poches de la surface de Fermi ne soient pas observ´ees par les mesures dHvA et SdH est support´ee par le fait que le coefficient de Sommerfeldγ 70 mJ/molK2 n’est pas retrouv´e avec le nombre, la taille et les masses effectives issues de ces exp´eriences.