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Chapitre 1 Systèmes T/H/E a base de Tensioactifs et huiles biocompatibles

1.3. Comportement de phases des systèmes T/H/E à l‘équilibre

1.3.1 Comportement des phases

Josiaf Willard Gibbs propose en 1875 la règle des phases qui donne le nombre de variables indépendantes qui doivent être fixées arbitrairement pour définir l'état d'un système à l'équilibre. Le nombre de degrés de liberté du système (F) se calculent avec le nombre de phases (π) et le nombre d´espèces chimiques (C) 47:

𝐹 = 𝐶 + 2 − 𝜋 Eq. 1.1

Un système T/H/E avec 3 espèces chimiques (un tensioactif, de l‘eau et de l‘huile) peut alors présenter à température « T » et pression « P » constante un maximum de trois phases, car c‘est le nombre de

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phases qui permet obtenir l‘invariance. Un système biphasique aura 3 dégrés de liberté (T, P et la composition d‘une des phases en équilibre). Pour un système monophasique il faudra spécifier, en plus de T et P, la concentration de tensioactif et le rapport eau/huile 48.

En 1947, Philip A. Winsor établi que lorsqu‘on mélange de l'eau (ou une solution aqueuse de sel), un liquide organique (pur ou non) et un composé amphiphile, quatre « types » principaux de système à l'équilibre peuvent exister 49:

 Type I : (biphasique) Un liquide organique (H) ne contenant qu‘une faible proportion des autres éléments du système est en équilibre avec une solution aqueuse (E) de tensioactif (S) contenant plus ou moins d‘huile solubilisé.

 Type II : (biphasique) De l'eau ou une solution aqueuse de sel (E), ne contenant que de petites proportions des autres composants du système, est en équilibre avec une solution de tensioactif (S) dans l‘huile (H) contenant plus ou moins de l‘eau solubilisé.

 Type III : (triphasique)De l‘eau (E) et de l‘huile (H) sont en équilibre avec une troisième phase contenant du tensioactif, de l‘eau et de l‘huile.

 Type IV : (monophasique) L‘eau et l‘huile sont solubilises dans leur totalité avec le tensioactif.

Cette nomenclature est à l'origine de ce qui est maintenant connu comme les comportements Winsor I, II, III et IV, montrés dans la figure suivante pour le système C10E4/n-alcane/eau à 25°C.

Figure 1.9. Différents comportements de phase du système C10E4/n-alcane/eau à 25°C. Les comportements WI, WII et WIII correspondent à 3% du tensioactif, utilisant n-décane, n-heptane et n-octane respectivement. Le

comportement WIV correspond à une concentration de 12% en tensioactif utilisant n-octane comme huile.

Au niveau des structures présentes dans chaque système, Winsor met en évidence l‘existence de

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est une solution micellaire organisée en couches planes (phase « G »). Lorsqu'il y a une phase anisotrope en phase liquide, la phase est appelée « M1 » ou « M2 », avec respectivement des longues

micelles cylindriques normales (la partie hydrophile du tensioactif en contact avec la phase continue aqueuse) ou inverses (la partie lipophile du tensioactif en contact avec la phase continue huileuse). Des transitions entre les systèmes S1 et S2 est possible aussi passant par des solutions isotropes avec des

mélanges fluctuant de micelles normales et inverses gonflées 50,51.

L‘existence des systèmes transparents avec des grands quantités d‘huile et d‘eau solubilisés par la présence d‘un tensioactif et un alcool avait été déjà décrite par Shulman et al 52

, mais le terme microemulsion ne sera introduit que quelques années après, avec des nombreux débats autour des structures qui sont présentes dans les systèmes avec ce comportement de phases 53–55. Danielsson et Lindman 56 proposent dans une courte communication qu‘une microémulsion « est un système d‘eau, huile et un tensioactif qui est une solution liquide isotrope stable thermodynamiquement ». La structure des microémulsions peut varier de micelles normales à inverses gonflées jusqu'à des structures plus complexes. Dans les systèmes WIII et WIV on associe les microémulsions à des

structures bicontinues dans lesquelles il n'y a ni phase interne ni externe, puisque la courbure interfaciale est nulle 55,57.

De nombreuses variables peuvent influencer les différentes transitions observées entre les systèmes mentionnés ci-dessus, y compris la température, la nature de l'huile, la chaîne carbonée du tensioactif, la salinité, le rapport eau/huile. Après avoir analysé le comportement de phases de nombreux systèmes, Winsor propose un concept généralisé qui permet d‘expliquer qualitativement l'influence de ces variables. Le paramètre R (eq.1.2) représente le rapport entre l‘énergie d‘interaction du tensioactif avec la phase huileuse (ACO) et celle avec la phase aqueuse (ACW). Les énergies d'interaction sont définis par deux contributions, les hydrophiles « AH » (par exemple pont hydrogène) et les lipophiles

«AL» (forces de Van der Walls).

𝑅 = 𝐴𝐶𝑂 𝐴𝐶𝑊 =

ALco + AHco

ALcw + AHcw Eq. 1.2

Puis, Winsor a modifié son équation 50 pour inclure les interactions entre les molécules d'huile (𝐴𝑂𝑂) et celles d'eau (𝐴𝑊𝑊). Ces interactions ont un signe négatif par rapport à 𝐴𝐶𝑂 et 𝐴𝐶𝑊, car elles favorisent la ségrégation de l‘huile et l‘eau comme des phases séparées. Finalement Bourrel 48 a proposé d‘inclure également des termes d'interaction entre les parties hydrophiles (𝐴𝑕𝑕) et les parties lipophiles (𝐴𝑙𝑙) des tensioactifs. De manière analogue, ces interactions favorisent leur séparation comme une phase précipitée. La figure suivante schématise l'ensemble des interactions décrites et l'équation 1.3 définit le rapport « R » de Winsor.

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𝑅 = 𝐴𝐶𝑂− 𝐴𝑂𝑂− 𝐴𝑙𝑙 𝐴𝐶𝑊− 𝐴𝑊𝑊− 𝐴𝑕𝑕

Eq. 1.3 Suivant que la valeur du rapport R est supérieure, égale ou inferieure à l‘unité le système T/H/E peut présenter un comportement de phase correspondant à des systèmes WII, WIII/WIV ou WI, respectivement.

Les transitions entre ces différents comportements traduisent les changements de R, c'est-à-dire des interactions entre le tensioactif et

avec l‘environnement

physicochimique à l‘interface. Figure 1.10. Energies d‘interaction dans la membrane interfaciale de l‘interface eau/huile.

Le tableau 1.4 montre l‘effet de diverses variables sur le rapport R, le mécanisme probable et la transition observée dans un système T/H/E.

Tableau 1.4. Effet sur R de changements de l‘environnement physicochimique 51 Changement Influence sur R Transition Addition a la phase huileuse

d’un composé huile plus polaire que l’huile de départ.

R

(ACO augmente) WI→ WII Augmentation du caractère

lipophile du tensioactif

R(ACO augmente)

WI→ WII Addition d’un sel inorganique R

(ACW diminue)

WI→ WII Addition a la phase aqueuse

d’un composé organique soluble à l’eau moins polaire que la phase aqueuse de départ.

R(ALcw augmente) WII→ WI Augmentation du caractère hydrophile du tensioactif R(ACW augmente) WII→ WI

Par exemple, dans le cas des agents tensioactifs non ioniques du type alcool polyéthoxylé CiEj, une

augmentation de la température provoque la déshydratation des groupes oxyde d‘éthylène de la partie

A

ll

A

oo

A

Lco

A

Hco

A

Lcw

A

hh

A

ww

A

Hcw

Huile

Eau

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ainsi à une augmentation de la nature lipophile du système, et en conséquence de « R » (tableau 1.4), avec le passage d‘un système WI à un système WII.

La force du rapport « R » de Winsor est qu‘il réussit à prendre en compte la plupart des interactions pour expliquer les différentes observations expérimentales des systèmes T/H/E. Cette seule variable représente le bilan d‘interactions entre le tensiaoctif à l‘interface et son environnement physicochimie. C‘est un outil pratique mais qui reste qualitatif en raison de la difficulté pour estimer les différentes interactions. La quantification de ces variables pour des systèmes a l‘équilibre ou émulsifiés restait encore un défi.

En 1964 Shinoda 11 introduit le concept de la température d'inversion de phase (PIT) qui correspond à la température à laquelle le caractère hydrophile/lipophile d'un tensioactif non-ionique éthoxylé change pendant le chauffage, conduisant à l'inversion de phase d‘une émulsion en phase continue aqueuse (H/E) à une émulsion en phase continue huileuse (E/H). Shinoda a étudié l'effet du nombre de groupes oxyde d‘éthylène et de la longueur de chaine hydrocarbure du tensioactif sur la PIT et a constaté que la température d'inversion de phase de l'émulsion est fortement liée avec le point de trouble du tensioactif. Ces travaux ont permis de décrire quantitativement l‘effet de plusieurs variables (huile, nature du tensioactif, concentration, salinité, rapport eau/huile) sur des systèmes T/H/E en émulsion. La PIT de Shinoda est le premier paramètre qui prend en compte d‘une façon quantitative ces différentes variables de formulation pour des tensioactifs non-ioniques dont le groupe polaire dépend fortement de la température. Son application est pourtant restreinte à ce type de tensioactif et aux systèmes dont la PIT est comprise entre la plage de température qui permet de conserver l‘eau à l‘état liquide.

Dans le cadre des travaux réalisés durant les années 70 pour trouver des tensions interfaciales ultrabasses, requises pour la récupération assistée du pétrole 58, des relations numériques incluant les effets de plusieurs variables de formulation ont été établies. Les systèmes WIII dont la tension interfaciale est ultrabasse (<10-3 mN/m) permettent d‘améliorer la récupération du pétrole brut car les forces capillaires qui le piègent dans les pores des roches réservoirs diminuent. C‘est pourquoi cette formulation est appelé « optimale ».

Ces corrélations expérimentales ont montré une contribution linéaire de chaque variable dans une équation permettant de calculer la formulation optimale pour un système T/H/E 59,60. La plupart des tensioactifs utilisés dans ces études sont des mélanges commerciaux, testés vis-à-vis de leur utilisation dans les procédés de récupération du pétrole. Salager 59,61 proposa la relation empirique suivante pour lier les conditions de salinité (S en g/dL), température (T en °C), alcool (A en g/dL), hydrophobie de l‘huile (ACN, nombre d‘atomes de carbone de l‘alcane) qui permettent obtenir la formulation optimale avec des tensioactifs anioniques :

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𝑙𝑛 𝑆 = 𝑘𝐴𝐶𝑁 + 𝑓 𝐴 − 𝜎 + 𝑎𝑡 𝑇 − 25 Eq. 1.4

Les paramètres 𝑘 et 𝑎𝑡 seraient similaires pour les tensioactifs du type alkyl benzène sulphonates et orthoxylene sulphonates utilisées. Le paramètre « σ » est intrinsèque à chaque tensioactif.

Pour des tensioactifs non-ioniques du type nonylphénol éthoxylés, octylphénol éthoxylés et tridecyloxyethanols avec différents dégrés d‘éthoxylation, Bourrel 60propose une corrélation entre les variables de l‘environnement physicochimique à la formulation optimale:

− 𝐸𝑂𝑁 = 𝑘𝐴𝐶𝑁 − 𝑚𝑖𝐴𝑖− 𝑏𝑆 − 𝑐𝑡 𝑇 − 28 Eq. 1.5

Les paramètres 𝑘 et 𝑐𝑡 seraient similaires pour les tensioactifs non ioniques utilisés ; 𝑏 et 𝑚𝑖 sont des paramètres caractéristiques qui dépendent respectivement du type de sel et de l‘alcool;  dépend du type de tensioactif et EON est le nombre de groupes d‘oxyde d‘éthylène dans le tensioactif. Les travaux menés par Salager et Bourrel ont le mérite de traduire les observations qualitatives faites par Winsor 30 ans plus tôt dans des équations empiriques. Ces équations empiriques montrent l‘influence de chaque variable pour obtenir la formulation optimale (équivalent à une valeur de R = 1 dans l‘approche de Winsor).

Quelques années plus tard des efforts ont été réalisés afin de conceptualiser et rationaliser ces observations empiriques. La différence 𝜇𝐸− 𝜇

𝐻

, appelé Surfactant Affinity Difference (SAD), mesure la variation de potentiel chimique standard lors du transfert d'une molécule de tensioactif de la phase huileuse à la phase aqueuse. Cette différence est directement liée au partage du tensioactif entre les phases eau et huile, comme indiqué dans l‘équation 1.6.

𝑆𝐴𝐷 = 𝜇𝐸− 𝜇

𝐻∗ = 𝑅𝑇𝑙𝑛 𝑎𝐻

𝑎𝐸 Eq. 1.6

Dans le cas des systèmes triphasiques pour des tensioactifs ioniques, on peut considérer que l‘activité 𝑎𝑖 est égale à la concentration 𝐶𝑖 car le tensioactif est peu soluble dans la phase huileuse en excès et la concentration dans la phase aqueuse est similaire à la concentration micellaire critique (CMC). L‘équation 1.6 peut être résolue en termes de coefficient de partage 𝐾𝐻𝐸:

𝑆𝐴𝐷 = 𝜇𝐸∗ − 𝜇𝐻∗ = 𝑅𝑇𝑙𝑛 𝐾𝐻𝐸 Eq. 1.7

Ce coefficient valant 1 pour des systèmes ioniques, la formulation optimale est définie par SAD=0. Pour les tensioactifs non-ioniques la solubilité dans l‘huile n‘est pas négligeable et la simplification concentration égal à l‘activité n‘est pas possible. Dans ce cas, le coefficient à la formulation optimale (𝐾𝐻𝐸𝑟𝑒𝑓) est pris comme référence. Ces valeurs de référence permettent ensuite d‘exprimer la déviation par rapport a la formulation optimale. Cette déviation est l'expression adimensionnelle de la différence d'affinité de l'agent tensio-actif pour les phases aqueuse et huileuse, appelée déviation hydrophile

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La dépendance du HLD avec les différentes variables intensives de formulation est la même que celle décrite par les équations 1.4 et 1.5 :

𝐻𝐿𝐷 = 𝜎 + 𝑙𝑛 𝑆 − 𝑘𝐴𝐶𝑁 + 𝑓 𝐴 + 𝑎𝑡 𝑇 − 25 Eq. 1.9 𝐻𝐿𝐷 = 𝛽 − 𝑘𝐴𝐶𝑁 + 𝜑 𝐴 + 𝑏𝑆 + 𝑐𝑡 𝑇 − 25 Eq. 1.10

Une valeur de HLD=0 indique que le système est à la formulation « optimale » (R=1). Des valeurs positives indiquent des systèmes où les conditions physicochimiques font que le tensioactif a plus d‘affinité pour la phase huileuse (R>1). Un HLD négatif indique un système où le tensioactif a plus d‘affinité pour la phase aqueuse (R<1) 62

.

Dans ces équations le coefficient 𝑘 varie de 0.1 à 0.19 selon la nature du tensioactif. Les valeurs de 𝑐𝑡 et 𝑎𝑡 sont respectivement positives pour des ioniques et négatives pour des tensioactifs du type alcool

éthoxylé, ce qui montre une tendance contraire dans le cas des changements de température. L‘influence de l‘alcool est complexe, les alcools courts sont hydrophiles, certains comme le sec- butanol ou le ter-pentanol n‘ont pas d‘effet net sur la formulation (𝑓 𝐴 =0) et le n-butanol a un caractère lipophile, dont la contribution est linéaire et du type 𝑚𝑖𝐴𝑖, comme décrit dans l‘équation 1.5. Dans certains intervalles de concentration en alcool la contribution de l‘alcool est linéaire; l‘alcool se repart dans la microemulsion et dans l‘huile et en conséquence l‘ajout d‘alcool peut modifier la polarité de la phase huileuse, c'est-à-dire l‘ACN. Par ailleurs les fonctions 𝑓 𝐴 et 𝜑 𝐴 sont une simplification car l‘hypothèse originale d‘un effet indépendant des autres variables est fausse 63.

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