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2.1.1 Notion de Système

Tout d’abord, il nous est nécessaire de définir un système, et il apparaît que la définition la plus simple est aussi la plus utile : un système, concept de base de l'approche systémique, est un ensemble d'éléments en relation les uns avec les autres et formant un tout [Stoner, 1996]. On dit qu'un système est ouvert lorsqu'il est en contact avec un environnement qui peut le transformer ou qu'il peut lui-même transformer. Un système ouvert a la capacité d'échanger de l'énergie, de la matière ou de l'information avec d'autres systèmes ou avec l'environnement.

Les éléments d’un système peuvent être des concepts, et on peut parler dans ce cas d’un système conceptuel. Un système légal est un exemple de système conceptuel. Les éléments d’un système peuvent également être des objets, par exemple une voiture, composée de diverses parties mécaniques. Les éléments d’un système peuvent enfin être des sujets, ceux composant une communauté religieuse par exemple. Finalement, un système peut être composé de concepts, d’objets et de sujets, comme un système homme-machine qui contient les trois classes d’éléments. Un système est donc un ensemble d’entités vivantes ou non vivantes. Il faut remarquer qu’un système peut être composé d’autres systèmes, que l’on appelle sous-systèmes. Un système composé de sous-systèmes est aussi appelé Système Total (ou tout simplement «Système »). Au niveau ultime supérieur, le Système Intégral (ou « Supra-système ») est lui-même composé de tous les systèmes cités [Van Gigch, 1995].

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2.1.2 Système complexe

On dit qu’un système est complexe [Checkland, 1984] quand : • il contient un grand nombre d’éléments,

• il est sujet à de multiples inter-relations, • des attributs d’éléments sont non déterminés, • les interactions1

sont pauvrement organisées (comme exemple de complexité non organisé, il est possible de citer un gaz dégagé dans l’air ; à l’opposé, l’entreprise est un cas illustrant la complexité organisée).

• le système évolue dans le temps,

• les sous-systèmes ont un objectif propre, • le système est ouvert au milieu extérieur, • son comportement est probabiliste.

Selon la définition de complexité énoncée par Checkland, on découvre aux premières places « le nombre d’éléments » et les « inter-relations multiples ». Ces caractéristiques des systèmes complexes sont souvent source de confusion quant à la conception de la complexité. Le célèbre modèle de la complexité de Boulding (1956) [Checkland, 1984] permet d’éclaircir ce point et de dégager une interprétation commune et robuste.

Le modèle de la hiérarchie de la complexité de Boulding comme manifestation concrète des ambitions des pères de la Théorie General des Systèmes (TGS).

Boulding propose un modèle pour rendre compte de la hiérarchie de la complexité apparaissant dans les phénomènes empiriques (voir tableau 2.1). Boulding traite les objets empiriques comme des systèmes complexes soumis à des lois d'organisation que son modèle tente de hiérarchiser selon leur niveau de complexité. Chaque niveau de complexité inclut celle relative aux niveaux inférieurs, à laquelle s'ajoutent des facteurs nouveaux de complexification.

Le premier niveau de complexité est celui des structures statiques. Pour Boulding, c'est le niveau de la géographie et de l'anatomie de l'univers. Le deuxième niveau, celui des structures dynamiques, est caractérisé par des mouvements prévus et préprogrammés, donnant lieu à une certaine variété de comportements du système. Le niveau suivant est celui de la cybernétique, où apparaît l'information nécessaire au maintien d’un état prédéterminé d’équilibre des systèmes.

Les systèmes ouverts, en contact avec un environnement qui peut les transformer ou qu'il peut lui-même transformer, constituent le quatrième niveau. C'est à ce niveau qu'apparaît la vie. Ici, l'autorégulation du système se fait par le biais de transactions (intrants et extrants) avec l’environnement. Cette autorégulation est accompagnée d'autoreproduction.

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L'interaction : L’interaction fait ressortir les liens de dépendances existant à l'intérieur des différents composants d'un système. Cet aspect d'interaction et d'interdépendance est également applicable aux relations qui existent entre les systèmes et entre le système et l'environnement dans lequel il fonctionne.

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Le niveau génético -sociétal qui suit, dont la planète est l'exemple suggéré par Boulding, est caractérisé par la division des tâches et, par conséquent, par la nécessité d'une coordination pour le maintien de l'intégrité du système.

Niveau de Complexité Type de systèmes Caractéristiques Exemple

( - )

#1 Structure statique • Charpente, cadre, ossature statiques. • La configuration des électrons autour d’un noyau • Géographie et anatomie de l’univers

#2 Structure • Mouvements prévus et

préprogrammés • Des machines simples comme la machine à vapeur dynamique #3 Cybernétique • Mouvements thermostatiques d’auto régulation d’un état prédéterminé d’équilibre. • Le thermostat • Apparition de l’information. #4 Systèmes ouverts • Apparition de la vie. • Interactions avec l’environnement • La cellule • Auto maintenance et autoreproduction. #5 Génétique- sociétal

• Division des tâches

• Nécessité de coordination

• La plante

#6 Animal • Mobilité accrue. • L’animal

• Comportement téléologique

• Capacité de connaître. • Capacité de capter et de

traiter une énorme quantité d’information.

#7 Humain • Conscience de soi et des

autres.

• L’individu • Langage symbolique.

#8 Organisation • Capacité de jouer un

rôle.

• Le groupe

(+)

#9 Transcendantale • Non précises. • Indéterminé

Tableau 2. 1 La hiérarchie de la complexité selon Boulding (1956)

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Le sixième niveau, celui de l'animal, est caractérisé par une mobilité accrue, un comportement téléologique (associé aux objectifs) et une capacité de connaissance de soi et de l'environnement. Les systèmes, à ce niveau, doivent être munis de récepteurs spécialisés pour capter et traiter une immense quantité d’information.

Le niveau suivant, celui de l'humain, se distingue du précédent dans la mesure où la connaissance de soi et de son environnement se double d'une conscience de soi ou d'une autoréflexivité. En plus de connaître, l'humain sait qu'il connaît. C'est à ce niveau qu'apparaissent le langage et la capacité d'interpréter des symboles. Le niveau de l'organisation sociale, le huitième niveau, est celui où l'humain agit dans un environnement habité par d'autres humains. Il est non seulement un humain mais aussi un acteur social jouant un rôle. Son comportement en est d'autant complexifié.

Enfin, le dernier niveau est qualifié par Boulding de transcendantal et ajouté à sa hiérarchie pour éviter les inconvénients d'une fermeture prématurée de son modèle. A l'examen du Tableau 2.1, il semble que, pour Boulding, la complexité de la structure des objets empiriques vienne des facteurs suivants : « […] variété des états que peuvent prendre les divers éléments constitutifs d'une structure, nécessité du maintien de l'équilibre, de la structure par codage et décodage de l’information, besoin d'interaction avec l'environnement coordination, mémorisation et communication par usage de symboles, autoréférentialité, prise en compte du rôle des acteurs, etc… » [Landry, 1997].

Du modèle de Boulding, et notamment des niveaux supérieurs, on peut remarquer que ce n'est pas tant la multiplicité des composants, ni même la diversité de leurs inter- relations, qui caractérisent la complexité d'un système : tant qu'ils sont pratiquement et exhaustivement dénombrables, on sera en présence d'un système compliqué (ou hypercompliqué) [Le Moigne, 1999], dont un dénombrement combinatoire pourrait permettre de décrire tous les comportements possibles (et par là de prédire son comportement effectif à chaque instant dès que la règle ou le programme qui les régit est connue). La question de savoir à quoi est due la complexité reste donc en suspens.

2.1.3 Imprévisibilité et Complexité : la vision de Le Moigne

J.L. Le Moigne [Le Moigne, 1999] dit que la notion de complexité implique celle d’imprévisibilité possible. Pour son observateur, un phénomène est complexe parce qu’il tient pour certain l’imprévisibilité potentielle des comportements : il ne postule pas un déterminisme latent qui permettrait à une « intelligence assez puissante », de prédire par calcul l’avenir de ce phénomène, fût-ce en probabilité.

Il est difficile de déterminer si des phénomènes considérés comme imprévisibles actuellement sont ou ne sont pas totalement prévisibles par « une intelligence naturelle ou artificielle ». Une fois qu’un phénomène est prévisible, ce dernier, communément jugé comme étant complexe, ne devrait alors être tenu que pour compliqué, voire hyper- compliqué peut- être... Mais étant certainement déterminé, il n’est plus complexe.

C'est l'imprévisibilité potentielle des comportements d’un système, liée en particulier à la récursivité qui affecte le fonctionnement de ses composants, qui suscite des phénomènes d'émergence certes intelligibles (par exemple la synergie), mais non __________________________________________________________________________________________ 47

toujours prévisibles. Les comportements observés parmi les systèmes vivants et les systèmes sociaux fournissent d'innombrables exemples de cette complexité [Checkland, 1984].

J.L. Le Moigne ajoute dans La Modélisation des systèmes complexes [Le Moigne 1999] : « Toute décision en situation complexe est une décision multicritères, et il existe a priori plusieurs (souvent beaucoup) solutions satisfaisantes à un problème de sélection multicritères. La multiplicité des critères de sélection est double : elle concerne à la fois les décisions elles-mêmes et les processus par lesquels elles sont élaborées et adoptées ».

Revenant au modèle de Boulding et à la définition de système complexe citée par Checkland, il semble ne pas coïncider exactement avec Le Moigne. D’après ce dernier, les premiers niveaux de complexité de Boulding et la description de Checkland évoquant un grand nombre d’éléments et de multiples interrelations ne correspondent pas à un système complexe mais a un système compliqué. Selon cette optique, la complexité contient la complication. Il serait possible de développer une analyse plus profonde de cette affirmation, mais l’objectif de cette réflexion sur complexité et systèmes est la suivante : la possibilité de modéliser la complexité associé aux projets. Or le modèle de Boulding montre de nouveau que le niveau de complexité correspondant au projet est le niveau 8 « Organisation - Capacité de jouer un rôle / Le groupe ». A ce niveau, il y existe une coïncidence entre Boulding, Checkland et Le Moigne : tous parlent certainement de complexité. Par ailleurs, il est possible ajouter, pour mieux harmoniser cette analyse, que le système envisagé est en même temps complexe et compliqué. La nature de l’imprévisibilité dérive plus clairement du niveau précédent, « l’Humain » et sa « Conscience de soi et des autres », qui, comme cela est souligné par Checkland, a des objectifs propres et la capacité d'interpréter des symboles (complexité). La complication vient, elle, de considérer, entre autres, des humains « jouant des rôles» en tant que éléments du système.

Ainsi les systèmes complexes organisés, sont le type de systèmes qui intéressent ces travaux.

Pour arriver à comprendre un tel type de système, il faut arriver à « décoder » la complexité ou ce que Le Moigne appelle « l’intelligibilité du compliqué et complexe ». Décoder ne signifie pas dans ce cas de rendre prévisibles les phénomènes qu’on tient encore pour complexes dans les termes de Le Moigne, mais revient à gérer les multiples représentations que s’en construisent les acteurs concernés.

L’intelligibilité n’excluant pas l’imprévisibilité, la complexité est alors une propriété attribuée délibérément par les acteurs aux modèles par lesquels ils se représentent les phénomènes qu’ils déclarent complexes.

2.1.4 Vers la modélisation

Pour J.L. Le Moigne [Le Moigne 1999], la Modélisation est l’action d’élaboration et de construction intentionnelle, par composition de symboles, de modèles susceptibles de rendre intelligible un phénomène perçu comme étant complexe. Ils permettent d’affiner le raisonnement de l’acteur projetant une intervention délibérée au sein du phénomène. __________________________________________________________________________________________ 48

Ce raisonnement vise notamment à anticiper les conséquences de ces projets d’action possibles et complexes Pour autant, il est important d’admettre l’origine de la complexité modélisée. Elle est attribuée par l’auteur du modèle aux représentations qu’il se construit des phénomènes qu’il perçoit comme complexes.

Mais pour modéliser, pour donner une intelligibilité aux phénomènes, quel est l’approche adéquate ? Quelle est la différence entre approche analytique ou synthétique ? Entre approche réductionniste ou expansionniste ? L’étude des approches de modélisation permet d’envisager ces problématiques.