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L’examen du décompte des catégories de produits par ensemble stratigraphique s’effectuera par tendances et non par effectifs, étant donné la variabilité de ceux-ci d’un ensemble à l’autre (Figure 62 et Figure 63).

La première remarque concerne la catégorie des supports simples (« prod ») : elle domine l'effectif très largement et ceci pour la plupart des périodes. La présence de supports en quantité importante est explicable par au moins deux facteurs : la volonté d’obtenir des objets qui serviront tels quels ou après retouche, et la nécessité dans certaines étapes du débitage d’éliminer différentes pièces qui ne conviendraient pas aux objectifs de taille. On ne peut davantage écarter l’hypothèse d’un débitage d'essai, malgré l'aspect technologiquement abouti de la plupart des supports. Les pics les plus élevés dans les proportions de supports produits (Tableau 25) concernent le Bronze final (ensemble 1.3), le NMB (ensemble 4) et le Chasséen moyen (ensemble 5), qui se rapportent à des occupations diffuses et assez denses, sans répartitions spatiales du matériel bien définies. Les quantités de déchets techniques et de débitage pour ces ensembles étant peu abondants, on peut supposer qu’une partie des supports a pu être apportée avec les populations, voire que l'espace fut principalement investi dans une optique de rejet. Le Bronze moyen (ensemble 2.1) représente un cas particulier. Faisant aussi partie de la catégorie des occupations ayant produit un taux élevé de supports, l'occupation de l'espace à cette période apparaît comme bien structurée, avec une aire d'activités attestée à l'ouest du porche. Il semblerait donc que cet ensemble matériel se traduise, du point de vue corrélatif entre la spatialité et la qualité des restes lithiques, comme l'occupation la plus cohérente et caractéristique de la stratigraphie.

A contrario, les occupations du Bronze ancien (ensemble 2.2), du Néolithique final (sup. :ensemble 3.1 et inf. : 3.2-3.3), du Chasséen ancien/Saint-Uze (ensembles 6 et 7) ont fourni des proportions de déchets techniques quasiment égales voire supérieures aux supports (Tableau 25). Les groupes matériels du Bronze ancien et du Néolithique final inférieur ont livré des aménagements de l'espace (attestés par l'industrie lithique) tels que des aires d'activités en lien avec des structures de combustion.

Le croisement des données spatiales et mobilières permettent d'interpréter ces vestiges comme attestant d'activités structurées de débitage et traitement du matériel en silex in situ, avec emport des produits en résultant (inversement au cas du Bronze moyen). Les ensembles du Néolithique final supérieur et du Chasséen ancien/Saint-Uze concernent pour leur part des dispersions diffuses et peu denses de mobilier, sans lien avec des aménagements, que l'on peut donc interpréter comme des rejets de restes de débitage (fonction "détritique" de l'espace) avec ou sans fabrication locale.

Les restes techniques (« tech », nucléus, chutes de burins, etc.) sont généralement moins fréquents que les produits, sauf pour les ensembles du Néolithique final inférieur et supérieur, où leur proportion est presque égale (ensemble 3.1) voire supérieure (ensembles 3.2-3.3) à celle des supports. Cette abondance ponctuelle des éléments témoignant de gestes techniques sur le site peut être interprétée comme rattachant ces vestiges à des schémas d'entretien de l'outillage plus fréquents que lors des autres occupations. On peut aussi rattacher à cette hypothèse le fait que la fréquence la plus importante de rejet d'outils "typologiques" (deux fragments de lamelles et deux racloirs) ait eu lieu dans l'ensemble daté du Néolithique final supérieur (ensemble 3.1).

Les déchets de débitage (« deb », esquilles, cassons, etc.) sont présents en quantité moindre, excepté lors de trois périodes d'occupation. Au Bronze ancien (ensemble 2.2), la fréquence de ces restes est largement supérieure à la catégorie technique, et presque équivalente à celle des produits. L'ensemble 6 voit se répéter un schéma similaire dans la prédominance des déchets de débitage sur les éléments techniques, alors que l'ensemble 7 possède un taux de restes de débitage presque équivalent à celui des objets techniques. Les cas des ensembles 2.2 et 6 nous semblent attester clairement d'activités de taille du silex sur place, au moins en ce qui concerne le Bronze ancien, et peut-être de simple rejet des déchets pour les périodes chasséennes.

Figure 62 : catégories de produits par ensemble stratigraphique (graphique J.-F. Buard).

Ens

Catégories de produits

Prod Typo Tech Deb Ind Totaux

1.3 18 2 10 5 0 35

2.1 60 3 23 11 2 99

2.2 25 2 16 21 4 68

3.1 14 4 13 4 1 36

3.2-3.3 37 5 47 24 11 124

4 47 1 27 18 8 101

5 40 0 13 9 5 67

6 21 0 6 12 5 44

7 23 3 19 17 4 66

Totaux 285 20 174 121 40 640

Tableau 24 : effectifs des catégories de produits par ensemble stratigraphique.

Ens

Catégories de produits

Prod Typo Tech Deb Ind Totaux %

1.3 51.43 5.71 28.57 14.29 0 100 %

2.1 60.61 3.03 23.23 11.11 2.02 100 %

2.2 36.76 2.94 23.53 30.88 5.88 100 %

3.1 38.89 11.11 36.11 11.11 2.78 100 %

3.2-3.3 29.84 4.03 37.9 19.35 8.87 100 %

4 46.53 0.99 26.73 17.82 7.92 100 %

5 59.70 0.00 19.40 13.43 7.46 100 %

6 47.73 0.00 13.64 27.27 11.36 100 %

7 34.85 4.55 28.79 25.76 6.06 100 %

Tableau 25 : fréquences en ligne des catégories de produits par ensemble stratigraphique.

Figure 63 : relations entre le nombre de déchets de taille (deb) et le nombre de supports produits (prod et typo) par ensemble stratigraphique (graphique J.-F. Buard).

Synthèse

En combinant l’observation de ces différentes catégories, on peut en tirer certaines conclusions sur les différentes phases d’occupation :

Le Bronze final (1.3) se rapporte à une occupation assez limitée de la grotte, avec une petite activité de débitage et façonnage sur place. On note une bonne connaissance technique de l’usage du silex.

Le Bronze moyen (2.1) est étonnant du fait du grand nombre de supports retrouvés et des connaissances techniques des populations, qui ont là aussi effectué une partie du travail sur place.

L’utilisation du silex à cette époque est en général limitée et peu élaborée, l’ensemble examiné ici démentant cette règle. Il s’agit peut-être d’un particularisme régional, mais la rareté des études pour les périodes protohistoriques ne permettent pas de comparaisons. On peut considérer les occupations de l’ensemble 2.1 comme importantes, tant du point de vue de l’intensité d’investissement de l’espace que du bagage technique des populations.

Le Bronze ancien (2.2) traduit la présence de restes assez nombreux, avec une activité bien délimitée dans la cavité (zone de travail) et une industrie siliceuse plutôt abondante et investie techniquement.

Les niveaux supérieurs du Néolithique final (3.1) ont livrés des restes peu abondants, et peu caractéristiques, mais qui attestent d’une exploitation technique des ressources siliceuses.

Les niveaux inférieurs du Néolithique final (3.2 et 3.3) ont livré les vestiges d’occupations importantes, tant du point de vue de la densité que de la caractérisation. On a pu distinguer une zone de travail bien délimitée (témoins nombreux et attestant d’un savoir-faire technique), ainsi que plusieurs outils caractéristiques du début du Néolithique final, avec des influences méridionales et du nord de la France.

Le NMB (4) a livré des silex abondants, déterminant une occupation assez dense de l’abri avec des schémas techniques et de production d’obédience méridionale, nuancés par des adaptations aux contraintes régionales.

Le Chasséen moyen (5) a fourni des restes importants, tournés vers la production de supports laminaires, dont une partie traduit les influences du sud avec la présence de silex blond translucide, l’ensemble traduisant une occupation assez dense.

Le Chasséen ancien à céramiques du style de Saint-Uze (6 et 7) est peu riche en éléments techniques, qui attestent toutefois d’un débitage sur place, la production de produits laminaires étant ici aussi prédominante, avec une part non négligeable d’éclats. Les éléments typologiques confirment l’appartenance des populations à la sphère chasséenne, avec des variantes peut être attribuables aux caractères régionaux.

6 - Conclusion

La grotte de l’Abbaye a livré une série assez peu abondante d’industries en silex, qui permet de compléter la documentation régionale, en général fragmentaire à quelques exceptions près. Les différents ensembles attestent de fréquentations régulières de l’abri, la plupart du temps par des groupes humains de taille réduite, mais dont les vestiges techniques révèlent une connaissance des savoir-faire liés à l’exploitation du silex, aussi bien dans l’utilisation des matières premières locales (étude en cours) que dans la production d’outils. Le manque d’études régionales approfondies limite les interprétations pour les périodes protohistoriques, mais le Néolithique moyen et final (ensembles 7 à 3.1) fournit ici des données confirmant certaines idées développées dans d’autres travaux17, à savoir une dichotomie d’influences existant dans la culture matérielle des populations du Bugey à ces époques. Il apparaît en effet que la plupart des tendances morphologiques caractérisant les industries siliceuses sont originaires du sud et tributaires des schémas chasséens, mais sont pondérées par des influences venues du nord-est de la France à partir du Néolithique moyen et au début du Néolithique final (Michelsberg), avec des particularismes dus probablement à l’adaptation des populations aux possibilités régionales.

7 - Bibliographie

BUARD (J.-F.) ed.  ANDRE (I.), HERITIER (L.), JAFFROT (E.), LHEMON (M.), MÜLLER (C.), PATOURET (J.), PERRET (S.), ROCCA (R.), SARRESTE (F.) collab., 2007. Grotte de l’Abbaye I, Chazey-Bons, Ain.

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17 Perrin 2001.

Figure 64 : les silex de la séquence supérieure, éléments choisis (dessins J. Patouret).

CHAPITRE VI

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