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Chapitre IV: Pratique de la justice réparatrice: les Commissions Vérité ou l’absolue

IV. 1 Les Commissions Vérité, un cadre institutionnel indispensable à la transition à la

Il faut commencer par souligner le fait que, au Chili comme plus tard en Argentine, c’est à la suite de tergiversations ou plus exactement de tiraillements politico-juridiques que l’on est arrivé à mettre sur pied une Commission Vérité. Les précurseurs se piquent toujours les mains aux épines. Les vicissitudes intervenues dans les champs de la politique et du droit ont été décisives dans l’institution de la Commission Vérité dans ces deux pays. Au cœur de celle-ci, en effet, il y a l’idée qu’il est possible, tout en décidant de ne pas sanctionner pénalement parlant les criminels, de rendre justice aux victimes c’est-à-dire de reconnaître les dommages qu’elles ont endurés et de redresser les torts qu’elles ont subis. Pour atteindre de tels objectifs, les Commissions Vérité ne doivent pas être instrumentalisées. Elles ne doivent pas être mises au service d’un agenda politique caché.

Tirant profit des expériences survenues en Amérique latine, l’Afrique du Sud a su prémunir sa Commission Vérité et Réconciliation contre ce risque éventuel majeur. Les négociations entre l’ANC et le National Party ont été déterminantes dans la stratégie sud- africaine d’autonomisation de la Commission. Il s’agissait, pour les sud-africains, de faire

en sorte que la transition ne puisse pas, comme c’était le cas en Amérique latine, ressembler à une pendule «passant de l’impunité complète à la criminalisation agressive»87 pour reprendre le mot de Leman-Langlois. Au moment des pourparlers, les protagonistes de la sortie de crise avaient, d’un commun accord, décidé d’adopter une constitution provisoire et d’y énoncer l’option d’instituer la Commission Vérité Réconciliation qui devrait consacrer le principe de l’amnistie conditionnelle et non-révisable. Cette constitutionnalisation qui permet à la Commission Vérité et Réconciliation d’échapper aux aléas de la vie politique fera que les amnisties qu’elle va être amenée à octroyer ne pourront pas être vues comme, dans les exemples chilien et argentin, des auto-amnisties sur lesquelles on pourrait revenir au gré des contingences de la vie politique.

L’élucidation du contexte d’émergence des Commissions Vérité et la nécessité de les mettre à l’abri d’une instrumentalisation politique permettent de mieux appréhender la mission qui leur est dévolue, la mise en œuvre de la réconciliation nationale, autrement dit, la promotion de la paix, de la démocratie et de l’État de droit. En tenant compte de «l’effondrement de tous les processus habituels de régulation sociale», les Commissions Vérité s’efforceront à «identifier les ressources à partir desquelles la paix pourra être construite dans la société considérée»88. Pour s’acquitter convenablement d’une telle tâche, c’est-à-dire, mettre en pratique la réconciliation, les Commissions Vérité doivent favoriser une délibération franche entre les auteurs et les victimes de crimes. Les premières témoignent de leur souffrance et les seconds avouent leurs crimes et reconnaissent les torts infligés aux victimes. Ce faisant, les auteurs de crimes prennent toute la mesure des dommages qu’ils ont pu causer. Ils peuvent même être amenés à mettre en œuvre des mesures de réparations des préjudices causés aux victimes.

On doit souligner ici le maintien du concept de responsabilité collective qui connaitra, dans le cadre de la reformulation qu’en donne Nadeau en parfaite intelligence des enjeux du contexte de transition, une bipartition fondamentale, la responsabilité comme objectif et la responsabilité comme aveu. Qu’est-ce à dire plus concrètement? La bipartition ne désigne en fait que les deux "directions" dans lesquelles devra aller le concept. La première direction réfère à la "responsabilité comme objectif" pour reprendre le mot de Nadeau qui, rappelons-le, construit son argumentation dans le cadre d’une analyse

87 Réconciliation et justice, p. 37.

88 Béatrice Pouligny, «"Construire la paix" après des massacres», Revue du Tiers-Monde 2003, tome 44, p. 417- 438.

de la justice réparatrice en contexte international. Au niveau national, cadre où se déploie notre réflexion, on pourra dire que la communauté a des responsabilités à l’égard d’elle- même mais aussi des victimes et des criminels. Ce type de responsabilité comme le nom l’indique poursuit des objectifs au sens où «il s’agit de rechercher et de promouvoir un bien et d’agir en vue d’atteindre celui-ci»89.

Quant à la deuxième direction, elle désigne la "responsabilité comme aveu" qui va des criminels vers les victimes et la communauté. En premier lieu, on peut considérer qu’elle est le fait des bourreaux, à la fois ceux qui sont imputables90 et ceux qui sont responsables des atrocités commises. «La responsabilité collective comme aveu impliquerait que l’agent criminel reconnaisse avoir agi sur la base de son appartenance à un groupe ou sur la base de l’appartenance de sa victime à un groupe»91. Vu le type de médiation que l’on a cherché à promouvoir, on devra préciser que la responsabilité comme aveu intègre le témoignage des victimes puisqu’il s’agit d’entretenir l’échange, le dialogue offenseurs/offensés.

Il serait, dès lors, important de prêter une attention particulière aux thématiques abordées dans le cadre des Commissions Vérité. Ces dernières permettront de mieux saisir le déploiement de la responsabilité comme aveu et de mieux appréhender la mise en œuvre de la responsabilité comme objectif. Les notions de droits de l’homme, d’excuses, de pardon et d’amnistie sont les principales catégories en usage dans le cadre des Commissions Vérité. En introduisant la notion de droits de l’homme, les victimes cherchent à qualifier l’horreur vécue. Les violences subies sont décrites en faisant référence à la violation de ces droits. L’objectif poursuivi est d’introduire une culture des droits humains qui permettra d’éviter la reproduction des atrocités, de reconnaître la citoyenneté pleine et entière des victimes et d’entrevoir les conditions de possibilité de la mise en œuvre d’une politique de réparations matérielles ou de justice compensatrice.