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Commentaire par B Majour – mercredi 14 janvier

La conscience, ou lucidité, était d’ailleurs une caractéristique saillante de Bertrand Dans son billet du 11 décembre 2015, il a

8/  Commentaire par B Majour – mercredi 14 janvier

Bonjour,

Oui, j’ai bien lu le sourire sous « légitimité », et les exemples montrent l’affection.  Reste que ça me pose une vraie question.

La « légitimité » est à double sens. L’usager non utilisateur est-il « légitime » ou « légitimé », mais aussi le bibliothécaire est-il « légitime » ou même « légitimé » par ce public non demandeur ?

« Légitimé » pour le bibliothécaire (sa tutelle ?) parce que la présence de l’usager est  quantifiable  dans  des  approches  « légitimes »,  ou  parce  que  ces  approches  peuvent être évaluées ?

Cela devient « légitime » lorsqu’on fait du chiffre ! Mais pas en dehors ? Voilà qui m’interpelle.

Nous, bibliothécaires, ne pouvons pas compter, alors l’utilisation du lieu relève de l’illégitime. Les gens ne consomment pas, alors leur présence (hors chiffre de fréquentation)  devient « illégitime ». Pourtant, il y a une chose qu’un lieu ne peut pas apporter, une chose que l’on ne  peut pas facilement quantifier et même que l’on ne peut pas quantifier de manière  « rentable » : c’est l’accueil.

Cet accueil qui ne rentre dans aucune statistique, mais qui se retrouve partout. Accueil humain, accueil du lieu (que ce soit dans sa façade, dans son aménage- ment, ou dans sa propreté – et que les équipes d’entretien soient ici remerciées pour cette inestimable contribution à l’accueil), accueil des guides du lecteur, des tarifs, des programmes d’animation… et des sites.

Accueil dont la « légitimité » résonne à travers la ville et au-delà. Même si les gens (et nos tutelles) ne viennent pas assister ou même fréquenter nos structures, ils écoutent cet accueil que nous donnons à la population.

Rien que le mot « bibliothèque » contient un accueil et une « légitimité » qui dépasse la notion de collection, de simple consommation de la culture.

À la bibliothèque, je peux être là pour ne rien faire (même dormir) sans qu’on me demande quoi que ce soit, sans qu’on interprète ma venue comme une « demande » pour quelque chose et sans que l’on me classe dans une petite case ou dans une autre (ici, je pense à l’église, à la mosquée, ou à tout autre lieu de culte… où règne le calme ! Un calme parfois/souvent bienvenu d’après ce que j’ai  entendu dans certaines bibliothèques de grandes villes.)

Rien que ce calme, ce calme tranquille, pourrait légitimer un lieu comme la bibliothèque.

Or ce n’est pas quantifiable, parce que nos enquêtes de bibliothécaires se foca- lisent sur autre chose : les collections, les facilités d’accès, la signalétique, etc. Sans chercher à creuser le « pourquoi » les gens viennent à la bibliothèque pour  avoir d’autres pratiques que celles « légitimes » que « nous » avons décrétées. Et là, j’ai un peu peur que l’invasion de l’Internet en bibliothèque vienne casser ce qui fait le lien social de la bibliothèque… ce rare endroit en ville, où il est pos- sible de se réunir autour d’une grande table, en face-à-face… sans obstacle entre les gens.

Ce qui m’interpelle aussi dans la « légitimité », c’est celle du bibliothécaire. Car qui permet ces différents usages « légitimes », si ce n’est le bibliothécaire.

On pourrait fort bien préciser au clochard que dormir n’est pas permis en biblio- thèque, que se bécoter ne l’est pas plus (même dans les endroits discrets), que lire son propre livre est toléré, que… le bibliothécaire définit le « légitime » et « l’illégi- time » dans sa bibliothèque. Même si ce n’est pas écrit dans le règlement intérieur. Et peut-être qu’en définissant ou en ne définissant pas ces variables, il est dans le  cadre de sa mission d’accueil pour l’accès à la culture. Comme il peut trouver légi- time une dégustation de produits basques, à l’intérieur de la bibliothèque, dans le cadre d’une découverte culturelle alors qu’il étiquettera les dégustations sau- vages comme « illégitimes ».

Est-il totalement libre de sa « légitimité », n’y a-t-il pas un accord tacite de la popu- lation dans ce qui est légitime ou illégitime en bibliothèque ?

Là non plus, ce n’est pas quantifiable facilement… et ce peut être différent sui- vant les lieux et les régions, suivant les saisons : en bord de mer, en été, les tenues vestimentaires peuvent être plus aérées que dans une bibliothèque de grande ville. Comme le fait d’éclater de rire devant une BD, ou de la lire couchée sur la moquette.

Chaque bibliothécaire définit son « légitime » et son « illégitime » en fonction des  circonstances, de ce qu’il croit être bon ou pas pour sa structure, et de l’intérêt du public (présent dans le lieu à un moment T ?).

Autant de points inquantifiables, mais qui contribuent à l’accueil du public, à la  bonne disposition du pas de tir « culture ».

Pour ceux qui le souhaitent… un jour ou l’autre, quand la fenêtre d’ouverture est positive.

Ce samedi, je viens d’inscrire un « visiteur » vieux de deux ans d’âge, qui pas- sait seulement pour retrouver ses ami(e)s, les embrasser et monter au cours de Solfège à l’étage.

Usage « illégitime » débouchant sur un usage « légitime ».

Doit-on compter le « légitime » sur une année administrative, ou sur la vie totale de ces usagers visiteurs ?

Voilà tout ce que me raconte le mot « légitimité ». Bien cordialement

Réponses de Bertrand Calenge – mercredi 14 janvier 2009

@ Bernard Majour,

À défaut de réponse de l’usager inconnu, nous avons Dieu merci le bibliothécaire nomade qui égrène patiemment ses messages au gré des blogs et listes de diffu- sion… Merci Bernard, pour votre commentaire. Vous dites d’une autre façon – ô  combien plus évocatrice ! – ce que j’exprime par l’évocation du lien ou de la fonc- tion social(e)de la bibliothèque.

La vanité du comptage des actions de proximité, je l’avais déjà évoqué dans un précédent billet. Mais cette limite de l’évaluation traditionnelle, on peut aussi la rapporter à toutes les évaluations en bibliothèque, qui restent utilitaristes : est- ce que le service fonctionne ? Est-ce que le lieu reste accueillant ? Etc. Il arrive un moment où toute évaluation relève de l’introspection, intime ou plus difficilement  sur une équipe (de préférence petite et soudée)…

Détail : si les clochards posent des problèmes non par leur tenue mais par leur « périmètre odorant » ou par leur déni des intimités des autres usagers, ce n’est pas vrai pour les amoureux : ils étaient trop mignons les amoureux qui, juste après le Nouvel An, se bécotaient en oubliant le prétexte de leur travail estudiantin ! Nul  n’en a pris ombrage, heureusement, au contraire… pourvu qu’ils ne se livrent pas à une orgie effrénée !

C’est justement cette dernière réserve qui est au cœur de ma question : les biblio- thèques publiques, si préoccupées soient-elles de leur mission culturelle, ont-elles pris la mesure de la fonction de lieu social qu’elles remplissent naturellement ? On a le droit de partager, de discuter, d’embrasser dans une bibliothèque… sans lire ni emprunter (!), pourvu qu’on n’envahisse pas l’univers d’autrui. Et c’est là que la  question se pose : où commence l’univers d’autrui ?

Les autres services publics ont des fonctions « simples » : enregistrer l’état-civil, calculer les impôts (c’est de saison), percevoir une taxe, recevoir les enfants dans le cadre d’une obligation scolaire réglementée, maintenir le calme social dans la cité… Restent les autres services, notamment culturels, dont la légitimité tient aujourd’hui plus à leur représentation et usage au sein de la société qu’à leur nécessité institutionnelle.

Or les bibliothèques ne sont pas nécessaires, il faut bien s’en convaincre. Elles doivent être culturellement utiles, socialement indispensables !

@ Antmeyl,

Évidemment d’accord avec vous ! La vraie question se pose avec l’inacceptable : la  plupart des BU ouvertes au grand public ont fini par renoncer à cette « duplicité »,  comme les BM s’échinent à limiter les étudiants dans leurs espaces et services…

Le problème ne se pose peut-être pas dans les usages « déviés » que nous savons plus ou moins contrôler, que dans les projets poursuivis. Qui veut-on servir ? Quels services met-on en œuvre pour cela ? Et par rapport à ce projet quels usages sont nuisibles (et pas « non-conformes » !!!!!) ?

Et hors ces contraintes négatives, le « plus » apporté par les visiteurs eux-mêmes serait permis ?

La « légitimité » des usages serait-elle autre que celle des objectifs (plus ou moins) affirmés par l’équipe bibliothécaire, dans le contexte prégnant d’une société dont  les bibliothécaires font partie ?

Juste une pierre pour relancer le débat…