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Chapitre III Les lieux de l’acheminement

C. Commencements et État

Après avoir décrit l’inscription au sein de l’université de la communauté de combat, nous voudrions à présent traiter du rôle (méta)politico-historial de l’universitaire au sein du peuple. D’ailleurs, c’est là procéder à l’envers, ou, pour ainsi dire, renverser la cause et l’effet, car « [c] » est de la résolution du corps des étudiants allemands d’endurer le destin allemand dans sa plus extrême détresse que provient une volonté concernant l’essence de l’université325 », c’est-à-dire

que l’inscription de la communauté philosophique dans l’université en vue de sa dissolution ou de la mise en suspension de toute positivité en elle provient de la charge (méta)politico-historiale

321 Überlegungen II-VI (Schwarze Hefte 1931-1938), GA94, p. 11 ; tr. l. 322 Überlegungen II-VI (Schwarze Hefte 1931-1938), GA94, p. 16 ; tr. l.

323 Logik als die Frage nach dem Wesen der Sprache (SS 1934), GA38, p. 160/190 : « La résolution ne consiste pas à être

rempli par la tension aveugle d’une grande force de volonté, comme on dit ; c’est la manière d’agir qui s’est ouverte pour le secret, et transportée dans l’être, cet agir dans la proximité duquel continuellement demeure la possibilité de succomber (Untergang), c’est-à-dire le sacrifice. »

324 Reden und andere Zeugnisse eines Lebensweges (1910-1976), GA16, p.184; tr. l., cf. aussi p.208 ; tr. l. « Je demande de

vous le courage du sacrifice (Opfermut) et l’exemplarité de la posture face à tous les camarades du peuple. »

que nous allons à présent aborder. La libération tonale en tant que ce qui maintient, en la transmettant, la possibilité du Dasein ouvre à l’être et tente de sauvegarder cette ouverture. En vue de quoi ? En vue de la possibilité d’un autre commencement, d’une autre histoire. Autre par rapport à quoi ? Par rapport au commencement grec. (a) Nous débuterons cette section par ce rapport souligné (l’autre de…) à ce premier commencement, pour ensuite traiter de l’autre commencement comme de la tension métapolitique qui doit animer la politique. (b) Cela nous conduira à décrire la pensée dynamique de l’État révolutionnaire que Heidegger développe, État qui n’advient et qui ne se maintient « en son suspens » que par la confrontation de l’université et de la masse, confrontation par laquelle celle-ci devient peuple, et celle-là Führung.

a. COMMENCEMENTS

Le commencement grec : ce qui n’a cessé d’être

Dans son discours du rectorat, Heidegger dit du « commencement » que fut « l’irruption de la philosophie grecque » que c’est « là que pour la première fois l’homme occidental, à partir du génie d’un peuple et grâce à la langue de ce peuple, se dresse en face de l’étant en son tout*, qu’il l’interroge et le saisit comme l’étant qu’il est326. » À partir de cette première exposition, qui est

en même temps saisissement (« dans cette question, le hors-retrait est pour la première fois éprouvé327* »), commence l’histoire328, qui est en même temps histoire de l’oubli de l’être. Nous

avons déjà vu que le secret qui « révèle » se déploie comme détresse. La détresse saisit par son incontournabilité, elle ne nous laisse pas de choix : c’est elle et ce n’est qu’elle. Mais ce qui est incontournable, ce n’est pas de la prendre elle-même en compte, mais de suivre le tournant auquel elle contraint. Ce tournant détourne justement de la détresse (Not) elle-même et contraint à se tourner vers l’étant selon telle ou telle tournure (Wende), qui devient nécessité (Not-wendigkeit). L’oubli de l’être qui débute dès le commencement provient de ce mouvement détournant de l’être même, qui décèle l’étant en se recelant. Le commencement est une première révélation, une première lumière dont l’histoire n’est que l’approfondissement en jeux de miroirs, c’est-à-dire un raffinement des prises de mesures (puis à rebours raffinement de la

326 « Die Selbstbehauptung der deutschen Universität », GA16, p. 8*. 327 « Vom Wesen der Wahrheit » (1930), GA9, p. 191/12*.

328 « Vom Wesen der Wahrheit » (1930), GA9, p. 191/12 : « Le décèlement inaugural de l’étant en son tout, la

question de l’étant comme tel, et le début de l’histoire occidentale sont le même, et sont contemporains en un ‘temps’ qui lui-même ouvre pour la première fois im-mensément l’Ouvert, c’est-à-dire l’être-ouvert pour toute mesure. »

production de ce qui est mesuré lui-même (technique)) à partir de cette première et unique exposition à la mesure.

Si c’est de cette première exposition à la mesure que dépendent toutes nos mesures, il faut alors dire que toute science positive tire son savoir (par le biais de ses mesures) de ce premier commencement de la philosophie : « [c] » est de lui qu’elle puise la force de son essence329… »

On se demande pourtant comment ce « commencement » qui nous renvoie « deux millénaires et demi en arrière330 » pourrait encore donner « la force de son essence » à la science, puisque

celle-ci a sans aucun doute progressé depuis et nous offre des possibilités qui dépassent des milliers de fois celles que la modeste philosophie offrait aux Grecs. « Mais cela n’implique pas que le commencement même ait été de quelque façon surmonté ou même réduit à rien331. »

Pour Heidegger, en effet, « [d]ans ce qui est essentiel […] le commencement ne peut jamais être surmonté, — non seulement il n’est pas surmonté, mais il ne peut jamais plus être atteint. Dans ce qui est essentiel, le commencement est l’inaccessible, le plus grand332… » En se livrant

en questionnant à l’étant en son tout, les Grecs « engendr[èrent] pour l’homme un nouveau

Dasein, provoquant une transposition-tonale (Umstimmung), dans l’écho de laquelle nous nous

tenons toujours333. » Le commencement correspond au saisissement par la tonalité

fondamentale à partir duquel tout autre saisissement n’est jamais qu’un écho qui lui répond, ne serait-ce qu’en s’en distançant. Ainsi, de la même manière que la fuite tonale ne peut jamais dépasser, surmonter, réduire à néant l’influence de la tonalité fondamentale puisqu’elle en découle, la science seule ne peut jamais dépasser ce qui s’est imposé aux Grecs à l’occasion de leur questionnement inaugural, parce que c’est là son origine. Dans le progrès des sciences, on ne fait jamais que décliner les conséquences de « principes » déjà posés, en cherchant toujours à être plus conséquent, et c’est cette volonté d’être toujours plus conséquent qui peut éventuellement provoquer des « changements de paradigme ». Mais ces changements de paradigmes ne changent rien quant au fond, tout au contraire : ils ne sont jamais qu’une meilleure façon de se plier à la décision inaugurale qui nous porte toujours.

329 « Die Selbstbehauptung der deutschen Universität », GA16, p. 8. 330 « Die Selbstbehauptung der deutschen Universität », GA16, p. 10*. 331 « Die Selbstbehauptung der deutschen Universität », GA16, p. 11. 332 Vom Wesen der Wahrheit (WS 1931/32), GA34, p. 15/31.

Par là nous voyons que nous n’en avons pas fini avec les Grecs, ou à tout le moins avec ce qu’ils nous ont « légué ». Mais quel est le statut de ce legs ? Comment nous comportons-nous face à lui ? Il nous est possible d’hériter des Grecs de trois manières. D’une première manière, et c’est la plus commune, en ignorant complètement cet héritage et en proclamant que nous n’avons rien à en faire : c’est une attitude malgré tout courante, où les Grecs sont considérés comme des « objets » de l’histoire, des « choses » qui n’ont aucun lien avec nous, et dont nous ignorons (plus ou moins délibérément) donc complètement l’influence. D’une seconde manière, nous pouvons en hériter en considérant qu’ils nous ont laissé un « bien » (la culture, la philosophie) dont nous pouvons jouir en tant que descendants. Mais d’une troisième manière, beaucoup plus difficile, nous pouvons considérer la réception de l’héritage grec comme l’exigence, afin de leur être fidèle, de regagner la hauteur qu’ils atteignirent :

Le commencement est encore. Il ne gît pas derrière nous, comme ce qui a eu lieu il y a bien longtemps, mais il se dresse devant nous. Le commencement est, en tant que ce qui est le plus grand, d’avance passé par-dessus tout ce qui arrive, et par conséquent aussi par- dessus nous-mêmes. Le commencement est allé tomber dans notre futur, c’est là qu’il se tient comme ce qui, de son lointain, nous enjoint d’égaler à nouveau sa grandeur334.

Le commencement grec, en tant qu’héritage, ne se situe pas dans un passé duquel nous serions déliés, pas plus qu’il n’est la présence résiduelle de biens culturels : il est ce qui, en tant qu’exigence, se tient dans notre avenir et nous incite à la grandeur. Il est « ce qui n’a cessé d’être » (das Gewesene), c’est-à-dire l’avenir qui nous vient du passé et qui guide ainsi notre présent, que nous le mettions en œuvre, ou que nous le fuyions. Pour Heidegger ce commencement grec « consiste en l’assignation lointaine qui anticipe largement notre destin (Schicksal) occidental et qui attache à soi l’envoi-destinal (Geschick) allemand335. » L’injonction

« d’égaler à nouveau sa grandeur », c’est la charge qui se destine au peuple allemand.

C’est là une réponse à tous les révolutionnaires qui auraient tendance à croire qu’il faut inventer, à partir de soi-même et dans la négation du passé, la « société de demain ». Car le Soi- même en ce cas demeure pris dans une identité de contenu avec le « passé » qu’il ne peut justement dépasser : il le répète malgré lui, et ce dans une répétition au sens faible336. « L’homme

croit qu’il doit lui-même s’occuper – et ne comprend pas, que le Da-sein l’a déjà

334 « Die Selbstbehauptung der deutschen Universität », GA16, p. 11. 335 Sein und Wahrheit (WS 1933/34), GA36-37, p. 6 ; tr. l.

336 Überlegungen II-VI (Schwarze Hefte 1931-1938), GA94, p. 145 ; tr. l. « On ne pressent rien du danger dans

lequel on s’engouffre déjà : par des négations répétées, se faire esclave de ce que l’on nie ; à défaut d’un Autre auquel prendre appui… »

(commencement de la philosophie) occupé – de quoi il s’est longuement détourné337. » Cette

traduction approximative ne peut pas rendre le jeu de mots sur lequel Heidegger insiste : s’occuper se dit ici « mit sich anfangen » ce qui, traduit littéralement donnerait « commencer quelque chose avec soi-même », par quoi Heidegger renvoie manifestement à ce destin qui est destiné à l’homme (allemand selon lui), depuis le premier commencement. Les Grecs, dans leur simple grandeur, ont su être le Là : « Encore inconçue, et même pas nécessiteuse d’une fondation d’essence, l’ek-sistence de l’homme historial commence en l’éclair de cet instant (Augenblick) où le premier penseur, questionnant, fait front au hors-retrait de l’étant par la question : qu’est l’étant338 ? » En nommant la vérité ἀλήθεια, hors-retrait, ils indiquèrent du

même coup ce jusqu’où leur interrogation les avait portés : au retrait. Dans l’épreuve du retrait, ils furent, le temps de cet instant, Dasein. Notons que Heidegger précise justement : « encore inconçue » et « même pas nécessiteuse d’une fondation d’essence », ce qui signifie que les Grecs n’eurent pas besoin, par exemple, d’une analytique existentiale pour devenir Dasein, ils n’eurent pas besoin de le concevoir. Ce qui signifie également en revanche que n’étant ni conçu, ni dégagé, ils ne le « dirent » point non plus : la possibilité d’être Dasein est ainsi demeurée dans l’ombre de sa première occurrence, immédiatement voilée par ce qu’elle venait de mettre au jour, selon le mouvement erratique même de la vérité, mouvement erratique par lequel les Grecs – et toute l’histoire qu’ils inaugurèrent – s’égarèrent. Il faut ainsi « parvenir à concevoir que notre Dasein, malgré tous nos progrès et toutes nos réussites, est – comparé au commencement – demeuré derrière, qu’il s’est égaré et perdu sur des chemins transversaux339. »

Pour dégager la « voie » du Dasein, ces chemins transversaux doivent être reparcourus, à l’envers. On doit remonter, par les indications laissées, aux exigences originaires qui poussèrent (qui égarèrent) sur ces chemins, ascension que Heidegger compare à celle d’une montagne. En effet, pour « parvenir au sommet de la montagne » de sa grandeur, et cesser de se buter « aux parois rocheuses » des chemins égarants, l’Allemand doit « voir la montagne », ce qui est pourtant impossible lorsqu’on se trouve à « son pied ». Il lui faut pouvoir la voir depuis « une autre » montagne, et prendre d’elle, pour ainsi dire, « l’élan » (Sprung) de son regard. Mais le problème demeure entier : « comment escalader cette autre montagne ? » Heidegger répond

337 Überlegungen II-VI (Schwarze Hefte 1931-1938), GA94, p. 8 ; tr. l. 338 « Vom Wesen der Wahrheit » (1930), GA9, p. 189/11-2. 339 Sein und Wahrheit (WS 1933/34), GA36-37, p. 89 ; tr. l.

« Y être déjà été » ou encore « N’avoir cessé d’y être » (Schon dort gewesen sein), ce que nous comprenons désormais assez bien. L’Allemand qui grimpe la montagne de sa grandeur, l’Allemand qui se fait Dasein, se guide en cette ascension par le point de vue que le sommet grec n’a cessé de lui offrir340. La métaphore a sans doute ses limites, mais l’essentiel est bien de

comprendre que rien ne permettra à l’Allemand perdu dans les « parois rocheuses » (Nur Wände

und Wände : il n’y a plus que des parois rocheuses341) de trouver le chemin de l’exposition des

sommets (l’Ausgesetztheit libérée des recouvrements), sauf s’il parvient à ressaisir en reconstruisant (par destruction) ce qui lui reste de souvenir de l’exposition du sommet grec.

L’approfondissement du commencement : l’étonnement retenu

Hériter du commencement grec, c’est pour le peuple allemand correspondre à l’exigence destinale qui les intime à s’élever à la hauteur de ce commencement grec, en ressaisissant en lui ce qui permet de le dépasser. Ce dépassement correspond au commencement allemand, à ce qui deviendra l’autre commencement. Nous avons déjà vu que dans l’endurance questionnante des Grecs à l’étant en son tout, la possibilité du Dasein était déjà préparée, en suspens. Mais les Grecs étaient, dans ce questionnement, tendus vers l’étant lui-même (« qu’est l’étant ? »), et ce n’est que par ce biais qu’ils « posèrent » la question de l’être. La question de l’être n’a donc été qu’effleurée, tout comme la possibilité du Dasein qui va de pair avec elle, ce qui fait dire à Heidegger, sous la forme du paradoxe, qu’il faut « requestionner la question non questionnée de l’être », ou encore « commencer à nouveau le commencement non commencé342. » Ce qui

n’a été qu’aperçu par les Grecs, puis déposé (par la contrainte) dans des mots fondamentaux (ἀλήθεια, λόγος, φύσις), c’est là le territoire « nouveau » à partir duquel Heidegger envisage le commencement allemand. Il convient de saisir à neuf ce qui s’est pensé par ou à travers les Grecs, malgré eux. Devant l’égarement qui a conduit l’Occident (et l’Allemagne avec lui) à s’emmurer dans les « parois rocheuses » des sciences qu’il s’est lui-même constituées, jusqu’au point où voir au-delà de l’étant est à peine possible à l’homme (la « déréliction de l’homme d’aujourd’hui au milieu de l’étant343 »), devant cet égarement « notre existence la plus propre

[celle des Allemands] se trouve elle-même à faire face* à une grande mutation344 », c’est-à-dire à

340 Überlegungen II-VI (Schwarze Hefte 1931-1938), GA94, p. 6 ; tr. l.

341 cf. la « déréliction de l’homme d’aujourd’hui au milieu de l’étant » que le mot de Nietzsche (« Dieu est mort »)

marque selon Heidegger « Die Selbstbehauptung der deutschen Universität », GA16, p. 12..

342 Der Anfang der abenländischen Philosophie (SS 1932), GA35, p. 97 ; tr. l. 343 « Die Selbstbehauptung der deutschen Universität », GA16, p. 12. 344 « Die Selbstbehauptung der deutschen Universität », GA16, p. 12.

la mutation qui doit conduire l’homme cristallisé par le savoir grec jusqu’au Dasein. Cette mutation doit ressaisir le geste grec en l’approfondissant, et en elle « [l’]endurance admirative initiale des Grecs à l’égard de l’étant » (ce faire-face à l’étant en son tout en questionnant « qu’est l’étant ? » (en étant tendu vers la découverte de l’étant)) « se change alors en un être- exposé, entièrement à découvert, au caché et à l’incertain, c’est-à-dire à ce qui est digne de questionnement. Questionner n’est plus alors seulement ce premier degré qui peut être dépassé vers une réponse constituant le savoir » – ce qu’il pouvait être pour les Grecs et ce qu’il fut jusqu’ici – « mais questionner, cela devient la plus haute figure du savoir » : le questionnement

retenu du Dasein maintient l’ouverture à « l’essentiel de toute chose345. »

Nous avons prétendu que la remontée tonale se faisait à partir des échos d’un premier saisissement tonal, ce qui revient à dire que le commencement fut l’occasion d’« une transposition-tonale (Umstimmung) dont l’écho nous porte encore346. » La tonalité dans laquelle

les Grecs furent saisis, nous venons de la nommer : il s’agit de « l’endurance admirative initiale […] à l’égard de l’étant », il s’agit de l’étonnement (du θαυµάζειν). Ce que l’Allemand doit viser, c’est donc sans doute en effet, comme le dit Christian Sommer, « en provoquant l’affect ou

Stimmung de l’étonnement philosophique, θαυµάζειν » « “être saisi”, “rester saisi” par le concept

philosophique de science347 », mais précisément parce qu’il s’agit du concept philosophique de

science, et non pas de la science telle qu’on la connaît, le questionnement qui découle de ce saisissement ne doit pas, ainsi que nous l’avons dit, se renverser immédiatement en une réponse : ce ne doit pas seulement être l’étonnement grec (qui demeure « à l’égard de l’étant »), ce doit être un « étonnement retenu face à l’être348. »

La retenue (Verhaltenheit) est la possibilité, dans le cadre de la tenue-de-rapport (Verhalten) et pour elle, de ne pas « se fondre complètement dans ce à quoi elle se rapporte » de ne pas « s’y perdre349 ». Or, le propre de la tonalité, comme (ex)pression tournante de la détresse, est

généralement de détourner de ce qui intone. Mais l’étonnement « retenu » au contraire ne se laisse pas aller à ce mouvement égarant de la vérité, il tient bon « dans le courant qui s’écoule

345 « Die Selbstbehauptung der deutschen Universität », GA16, p. 12. 346 Sein und Wahrheit (WS 1933/34), GA36-37, p. 8 ; tr. l.

347 Christian Sommer, Heidegger 1933, p. 23.

348 Der Anfang der abenländischen Philosophie (SS 1932), GA35, p. 265 ; tr. l. Nous soulignons. 349 Der Anfang der abenländischen Philosophie (SS 1932), GA35, p. 87 ; tr. l.

contre [lui]350. » C’est pourquoi ce qui est essentiel pour l’autre commencement n’est pas

seulement d’être saisi, mais de rester saisi. L’étonnement retenu est la tonalité qui a pris acte351 de

« l’épreuve de l’être en tant qu’autre de tout étant que procure l’angoisse », il est ainsi la tonalité qui a entendu la « voix silencieuse qui nous intone dans l’effroi de l’abîme352 » et qui ne s’en

détourne pas. Dans un fragment préparatoire du cours de 1932 sur Parménide, Heidegger décompose de fait l’étonnement retenu en deux : d’un côté « l’effroi devant le Rien », c’est-à- dire devant le « rien d’étant », « l’autre de tout étant » qu’est l’être, « effroi – recul devant – (se)

refuser », et de l’autre l’étonnement lui-même : « Étonnement – en-traîner vers353 ? » L’un est pur

recul, épreuve fascinée du Rien qui s’y perd, et l’autre est pur entraînement, épreuve implicite (par la tournure) du Rien qui cherche tout de suite à être comblé. L’étonnement habité par l’effroi devient retenue, parce que l’effroi n’est pas l’épreuve de l’être, mais celle du refus de l’être, de la « déréliction de l’homme d’aujourd’hui au milieu de l’étant » : c’est l’épreuve de la détresse de l’absence de détresse (de la Notlosigkeit354 qu’est la Seinsverlassenheit, la déréliction de l’homme

délaissé par l’être). Cette épreuve de l’absence de détresse est l’épreuve de la fin : « Au commencement, l’être – un cadeau, une allégresse et un frisson, une question. / À la fin, l’être – une propriété usée, un radotage, un ennui, un nom355. » En tant que détresse, elle ne

contraint cependant pas au découvrement, elle ne tourne plus vers l’étant, mais justement contre tout étant, elle ordonne à celui qui l’éprouve de ne plus se laisser égarer par la fuite tonale. Ne plus se laisser égarer, c’est comprendre la « plus grande détresse » qui est « la détresse spirituelle pour le Dasein »356. Dans l’épreuve de la fin, c’est-à-dire « dans [s]a clarté et

[son] implacabilité », « le commencement luit et le recommencement devient détresse357 » : il

s’impose comme la charge de régénérer l’Occident. C’est cette tonalité qui saisit le Führer, et c’est porté par elle qu’il peut mener autant son action philosophique que son action « politique ».

350 Überlegungen II-VI (Schwarze Hefte 1931-1938), GA94, p. 113 ; tr. l.

351 cf. p. ex. Überlegungen II-VI (Schwarze Hefte 1931-1938), GA94, p. 149 ; tr. l. « Quand prendrons-nous au

sérieux la dignité de questionnement du Dasein et la grande angoisse qui fait saillie devant ce risque ? »

352 « Nachwort zu ‘Was ist Metaphysik ?’ », GA9, 306-7 ; tr. l.

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