• Aucun résultat trouvé

22 4.2 Collaboration avec les professionnels

L’ensemble des services sociaux que nous avons contacté s’est montré intéressé par la problématique de la reproduction sociale de la pauvreté dans les familles. Bien qu’ils ne fussent pas tous en mesure de nous mettre en contact avec les bénéficiaires de leurs services d’aides, tous ont pu nous apporter quelques nouvelles pistes de réflexion et de recherches. Les services disposés à nous apporter leur aide ont entrepris de leur côté la recherche de personnes correspondant au profil souhaité. Plusieurs de leurs usagers n’ont pas souhaité nous rencontrer. Selon le retour des assistants sociaux, les bénéficiaires de l’aide sociale ne voulaient ni être dévoilés ni revenir sur un passé difficile ou un présent fragile. Cela démontre combien il est difficile de se présenter comme « pauvres » au sein d’un pays prospère où la pauvreté et la précarité restent de grands tabous.

Les entretiens avec les professionnels ont été très enrichissants pour notre travail. En nous faisant part de leur expérience, ces personnes nous ont apporté de nombreuses réponses dans la compréhension de notre problématique. Les situations qu’ils ont rapportées pour illustrer leur propos ont constitué pour nous de précieux exemples. Les explications apportées par ces travailleurs sociaux ont confirmé certaines fois nos idées, et remis en doute d’autres fois les théories sur lesquelles nous avions déjà établi notre pensée.

45

45TUNEZIN. Adresse URL : http://www.tunezine.com/tunezine106.htm

23

E) L’ANALYSE DES ENTRETIENS

Notre analyse se décompose en trois grands axes, qui correspondent à nos hypothèses de départ. Dans le premier chapitre, qui fait donc référence à l’hypothèse 1, nous mettons en évidence l’interdépendance existante entre les différentes formes de pauvreté (cercle vicieux de la précarité). Les chapitres suivants mettent en avant des éléments plus individuels, touchant plus particulièrement les dimensions sociologiques et psychologiques. Il s’agit de mesurer l’influence de l’environnement familial (interactions, événements marquants, éducation reçue, valeurs transmises, etc.) sur la scolarité des enfants (chapitre 2), puis sur leur devenir professionnel et social (chapitre 3). Dans ce dernier chapitre, nous traiterons également l’influence de facteurs structurels, agissant de manière interdépendante avec les autres facteurs.

Tout au long de cette analyse, afin de saisir les enjeux liés à la reproduction sociale de la pauvreté, nous nous appuyons sur les entretiens des jeunes soigneusement retranscrits. Les propos des professionnels que nous avons rencontrés sont également intégrés dans cette partie du travail. Il s’agit de Mme K. Beausire Ballif, assistante sociale au service d’accueil de jour de l’enfance à Lausanne, M. K. Bortolussi, assistant social au centre social protestant de Moutier, Mme G. Glassey, assistante sociale dans un centre médico-social valaisan, et de M.

A. Granger, Directeur du Semestre de Motivation de Monthey.

Comme cité précédemment, nous avons construit notre analyse sous une approche multidimensionnelle, en prenant en compte des facteurs appartenant aux domaines de l’économie, de la sociologie ou encore de la psychologie. Dans ce sens, nous nous inspirons de modèles déjà établis par d’autres auteurs, qui répertorient les facteurs déterminants de l’insertion socio-professionnelle dans différents groupes. Mason46, par exemple, propose un modèle à caractère sociologique et socio-psychologique. Il classifie les facteurs agissant sur l’insertion professionnelle en quatre groupes distincts (les facteurs environnementaux, familiaux, éducatifs et reliés au travail). Pour leur part, R. Allard et J.-G. Ouellette47 classifient les facteurs déterminants de l’insertion socioprofessionnelle des jeunes selon trois dimensions distinctes et interdépendantes : les dimensions sociologique, sociopsychologique et psychoprofessionnelle. Il s’agit d’un modèle macroscopique, qui considère l’ensemble des facteurs opérants. Comme le décrivent les auteurs, « le macroscope se veut un instrument conceptuel qui permet d’avoir une vue d’ensemble d’un phénomène sans pour autant que les sous-composantes essentielles soient négligées » 48.

Dans le cadre de notre étude, il nous a semblé intéressant de nous inspirer de ce type de modèles. Il nous permet de tenir compte de l’ensemble des facteurs identifiés dans les témoignages, cités le plus souvent en termes d’obstacles et de ressources par les personnes interrogées. De plus, il nous permettra par la suite de construire des pistes d’intervention qui tiennent compte autant de l’individu que de son contexte.

Enfin, il est important de se souvenir que nos analyses s’appuient sur une quinzaine d’entretiens seulement et que, par conséquent, les résultats et conclusion devront être traitées avec vigilance et ne permettront en aucun cas d’établir des statistiques sur l’avenir compromis des enfants issus de milieux défavorisés. Nous nous pencherons autant sur les généralités de ces situations que sur les spécificités relevées dans chaque parcours de vie.

Cela nous permettra de tenir compte des exceptions et ainsi de ne pas tirer de conclusions hâtives.

46 ALLARD, Réal et Ouellette, Jean-Guy. Vers un modèle macroscopique des facteurs déterminants de l’insertion socioprofessionnelle des jeunes, p.498-499

47 Ibid. p.497-500

48 Ibid. p.499

24

1. La pauvreté : un cumul de handicaps

La pauvreté économique entraîne d’autres formes de pauvreté, tel que la pauvreté socioculturelle, ce qui traduit une interdépendance entre les différents capitaux (économique, social, culturel et symbolique).

1.1 La Santé 1.2 Le Réseau social 1.3 Les Conflits et Ruptures familiales

L’étroite corrélation entre les capitaux a déjà été introduite dans cette étude. En s’appuyant sur le parcours de vie de nos dix témoins, nous avons choisi de cibler cette partie d’analyse autour des trois axes mentionnés ci-dessus. Ces thèmes n’ont pas été choisis au hasard, ils reflètent les problèmes de santé, les souffrances liées aux ruptures et à l’isolement social souvent décrites par nos témoins comme conséquence de leur précarité familiale. Par la suite, ces différentes données nous aideront à comprendre en quoi les répercussions de la pauvreté économique dans le quotidien des individus fragilisent parfois le système familial et influent le parcours scolaire et professionnel des jeunes issus de ces milieux défavorisés.

1.1 La pauvreté économique influe négativement sur la santé

Si « le sentiment de bien-être psychique de la population suisse est relativement élevé, il se péjore dans tous les groupes d’âge et dans les deux sexes en fonction de la baisse des revenus. »49 Effectivement, il semblerait que les difficultés socio-économiques ne soient pas sans conséquence sur le plan de la santé. Lorsque nous avons rencontré Mme G. Glassey et Mme K. Beausire Ballif, ces deux professionnelles nous ont justement partagé qu’en majorité, elles rencontrent : « des parents qui ont besoin de l’aide sociale pour survivre et qui ont la plupart du temps des problèmes de dépendance, des problèmes psychiques (…)» ;

« (…) des familles précaires, qui cumulent les précarités dans lesquelles les parents sont malades, sont au bout du rouleau, souvent en lien avec leurs difficultés financières, ils sont dépressifs, ils souffrent de fibromyalgie, etc.»

Les deux assistantes sociales que nous avons rencontrées ne sont pas les premières à faire le lien entre pauvreté et santé. De nombreuses études se sont penchées sur les questions liées à la corrélation existante entre la situation économique d’un ménage et l’état de santé de ces composants et il nous paraît intéressant, pour répondre à notre hypothèse de départ, d’en ressortir les principales réflexions.

De plus, ces constats sont véritablement significatifs pour cette étude lorsque l’on sait : «qu’il y a environ deux fois plus de personnes défavorisées qui présentent un niveau élevé de détresse psychologique »50. Plus précisément, il est intéressant de relever aussi que la dépression serait plus élevée chez les personnes dont le niveau d’instruction est moins élevé et que ce sont notamment les personnes ayant les plus bas revenus qui présentent un risque deux fois plus élevé pour ce trouble.51 Dans ce sens, nous comprenons également que les difficultés socio-économiques d’un individu confortent facilement ce dernier dans des stratégies d’isolement et de détresse profonde. En d’autres termes : être en bonne santé ne se rapporte donc pas uniquement à des questions de bien être physique.

49MADER, Ueli. Pauvreté et Santé : les conséquences du chômage, p. 932-933 Adresse URL : http://www.medicalforum.ch/pdf/pdf_f/2007/2007-46/2007-46-553.PDF

50 FERLAND, Marc et PAQUET Ginette. L’influence des facteurs sociaux sur la santé et le bien-être, p.12 Adresse URL : http://classiques.uqac.ca/contemporains/ferland_marc/influence_facteurs_sociaux/influence_facteurs_sociaux_sante.pdf

51MADER, Ueli. Pauvreté et Santé/les conséquences du chômage, p. 932

Adresse URL : http://www.medicalforum.ch/pdf/pdf_f/2007/2007-46/2007-46-553.PDF

25

définissait la santé comme : « un état de complet bien-être physique, psychique et social et pas seulement l’absence de maladie et d’infirmité »52. Encore une fois, ces données démontrent ici dans quelle mesure : « la place occupée dans la hiérarchie sociale et la situation financière ont des effets directs et indirects sur la santé et le bien-être.»53

En nous référant à l’article Modèles et principes en éducation pour la santé : « la santé du sujet serait liée à la santé de la collectivité dans laquelle il vit et dépendrait ainsi largement du contexte social. »54 Dans cet ordre d’idée, nous pouvons retenir l’hypothèse émise par l’Office Fédéral de la Santé Publique (OFSP) qui indique que : « les personnes socialement et économiquement mieux loties jouissent généralement d’une meilleure santé que les personnes plus défavorisées.» 55 ou de M. Ferland et G. Paquet qui associent l’espérance de vie à l’échelle des revenus : « les personnes riches vivent encore plus longtemps et en meilleure santé que les personnes pauvres. »56

En observant le schéma ci-dessous, nous obtenons un aperçu des réponses données par nos témoins lorsque l’on abordait les questions liées à leur santé et celle de leur parent.

Nous nous sommes laissé surprendre par la fréquence de la détresse psychique et/ou physique des témoins et/ou du trouble de l’alcoolisme ou de la dépression de leurs parents.

Sur ces observations, nous nous sommes demandé en quoi la pauvreté expliquerait un mauvais état de santé et, certaine fois, la détresse psychologique vécue par un individu.

Figure 6 : aperçu de l’état de santé des témoins et de leurs parents

52MANDERSCHEID, Jean-Claude. Modèles et principes en éducation pour la santé, p.82

Adresse URL : http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/rfp_0556-7807_1994_num_107_1_1265

53FERLAND, Marc et PAQUET, Ginette.L’influence des facteurs sociaux sur la santé et le bien-être, p.6 Adresse URL : http://classiques.uqac.ca/contemporains/ferland_marc/influence_facteurs_sociaux/influence_facteurs_sociaux_sante.pdf

54MANDERSCHEID, Jean-Claude. Modèles et principes en éducation pour la santé, p. 83

Adresse URL : http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/rfp_0556-7807_1994_num_107_1_1265

55SPECTRA : Prévention et promotion de la santé, p.1

56FERLAND, Marc et PAQUET, Ginette. L’influence des facteurs sociaux sur la santé et le bien-être, p. 10 Adresse URL : http://classiques.uqac.ca/contemporains/ferland_marc/influence_facteurs_sociaux/influence_facteurs_sociaux_sante.pdf