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Des coûts élevés de production VS un budget limité et fixe pour le diffuseur

RÉDACTION DE PIÈCES À CONVICTION

Chapitre 1- Des contraintes socio-économiques entre les acteurs de Cat et cie et la rédaction interne de Pièces à conviction

2) Des coûts élevés de production VS un budget limité et fixe pour le diffuseur

Par ailleurs, le financement des productions audiovisuelles est certes assuré initialement par les chaînes de télévision, mais il ne suffit pas toujours pour assurer la bonne fin d'un film, comme nous l'avons précédemment développé. Les chaînes de télévision jouent un rôle central dans l'économie de la production audiovisuelle, notamment à travers leurs commandes, leur diffusion et l'exploitation des droits dérivés. Il en reste pas moins que le producteur indépendant doit assurer une livraison en temps et en heure du produit commandé par la chaîne, et ce avec un budget fixe initial alloué par la chaîne, quelque soit le sujet. Il s'agit d'une économie à coût fixe. Le producteur général F. Texeraud est très affirmatif sur le manque de financement originel par les chaînes pour produire entièrement un reportage d'investigation, notamment pour Pièces à conviction : « Il faudrait que PAC mette plus d'argent (rires), on le ferait pas avec juste l'argent de PAC (…) le budget d'un film pour PAC ça coûte dans les 170 000 euros et France 3 met 84 500 euros donc ils mettent la moitié grosso modo67. »

De fait, les producteurs indépendants sont obligés de déployer tout un réseau de ressources financières pour assurer un produit fini à la chaîne. Et comme le souligne la rédactrice en chef, Marie de la Chaume à propos du budget alloué, il ne changera pas, et ce, peu importe le sujet et les différences de ressources financières qu'il demande :

64 Hirsch, P. H., « Processing Fads and Fashions: An Organization-Set Analysis of Cultural Industry Systems », American journal of sociology.

65 Le Grignou Brigitte, Neveu Erik, Sociologie de la télévision, op. Cit. p.18. 66 Le Champion Rémy, Danard Benoît, Les Programmes audiovisuels,op. Cit. p.19.

« Ce budget ne bouge pas, c'est un contrat qui a été signé, d'années sur années ça ne bouge pas, c'est toujours le même tarif. Que l'équipe parte à Tokyo ou à Perpignan c'est le

même tarif. »

Ce budget d'environ 84 000 euros pour un 52 minutes, de type Pièces à conviction et qui ne varie pas, a été fixé en partie par le SATEV (Syndicat des Agences de Presse Audiovisuelles). Il regroupe une cinquantaine d'agences de presse, de taille et de contenus éditoriaux différents. Sur le plan économique, le SATEV représente près de 70% du secteur des agences de presse télévisuelle en France. Aussi, il a été négocié que les chaînes doivent acheter 1600 euros la minute, donc pour un 52 minutes ça équivaut à 84000 euros. Il s'agit pour la chaîne d'une économie de coûts fixes dans sa participation à la production, et ce, peu importe l'audience. En effet, pour une chaîne de télévision comme France 3 et son émission Pièces à conviction, « quel que soit le nombre de téléspectateurs, les coûts de production restent quasiment inchangés68 ». Il s'agit d'un important investissement de la part du producteur et également du diffuseur qui n'est jamais certain d'avoir une retombée économique de son investissement initial. Par ailleurs, comme le rappellent B. Danard et R. Le Champion, la finalité des programmes audiovisuels est d'être diffusés à la télévision afin de rencontrer un public. Dans notre cas, l'émission Pièces à conviction est diffusée sur une chaîne publique en clair. « En économie, elle se rattache à la catégorie « biens collectifs ». Ces biens sont indivisibles, accessibles dans la même quantité à l'ensemble des consommateurs et répondent au principe de non rivalité69. »

Par ailleurs, ces programmes ou « biens collectifs » répondent également à un objectif de service public. Lors de l'entretien, Marie de la Chaume a mis en avant son rôle et engagement envers le service public et la responsabilité que cela incombe. France Télévisions en tant que société qui regroupe des chaînes du service public doit respecter un cahier des charges qui représente des coûts comme le souligne le producteur F. Texeraud :

« France TV a aussi un cahier des charges éditoriales, le gouvernement lui file une feuille de route donc ils doivent parler des régions mais il faut aussi qu'il y ait de l'information et

dans l'information, il y a de l'investigation, c'est un travail de service public que d'informer sur tout »

68 Le Champion Rémy, Danard Benoît, Les Programmes audiovisuels,op. Cit. P. 31. 69 Ibid.

BRAS Elsa| Mémoire de Master 2 |Septembre 2018 Dès lors, France Télévisions doit obligatoirement consacrer une part de son budget aux reportages d'investigation quelles que soient les conditions ou le contexte économique dans lequel le groupe se trouve. Le diffuseur est donc lui aussi soumis à des impératifs et des imputations budgétaires qu'il ne contrôle pas toujours. Si l'on s'en tient à cet article du Parisien concernant le budget 2018 de France Télévisions : « c 'est finalement avec un budget en baisse de 30 M€ que France Télévisions et ses 6 chaînes débuteront la nouvelle année. Pour Delphine Ernotte, ce sont 47 M€ de moins que prévu70. » Dès lors, le diffuseur

peut-être lui aussi en position de subordination, ce qui peut se répercuter sur le budget donné par les chaînes au producteur.

De même, sur une autre échelle, le diffuseur peut-être aussi soumis à des doutes ou des contraintes dans sa grille de programmes qui peuvent se répercuter sur le producteur. Par exemple, il peut y avoir des incertitudes quant à la reconduction de l'émission et une possible fin de contrat entre la rédaction interne de Pièces à conviction et Cat et Cie. Au cours de l'entretien, Marie de la Chaume a exposé cette situation incertaine actuelle dans laquelle se trouve l'émission Pièces à conviction. Elle a également évoqué la nécessité de négocier avec la direction pour débloquer des financements et lancer une enquête malgré l'incertitude de diffusion : « après en 2019, j'en sais rien (long silence) donc c'est compliqué à gérer parce que normalement les enquêtes faut les lancer en amont donc là j'ai eu une dérogation pour lancer l'enquête de janvier alors que je suis même pas sûre qu'on sera encore à l'antenne ». Ce qui implique que le producteur doit déployer son réseau de ressources humaines et financières pour faire un reportage, sans avoir la certitude d'une diffusion. Des reportages non diffusés représentent entre autre une perte de visibilité pour la petite structure Cat et Cie et le travail de ses journalistes-réalisateurs.

70 « Budget 2018 : France Télévisions va devoir se serrer la ceinture », Le Parisien, 28 septembre 2017.