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Chronique d’une exécution

Dans le document Prophétie d'un bipolaire, Fabiandaurat (Page 130-136)

Il vint me voir à la maison, en plein délire, début d'après-midi, pénard seul chez moi, les filles à l'école et ma femme au boulot, j'étais en liaison avec la matrice pour essayer de réparer les dégâts commis par les renégats.

Il tenta un dialogue mais rien de ce qu'il me racontait ne m'intéressait, j'avais à faire, le monde à sauver.

Il prit congé et revint quelques minutes plus tard, je croyais qu'il avait oublié quelque chose, non il venait avec des pompiers de Paris, entre un mètre quatre vingt cinq et deux mètres de haut, costauds comme des armoires à glace.

Ils voulaient m'emmener à l'hôpital psychiatrique.

J'étais persuadé que c'était un traître dans la Matrice qui les avait envoyés, cela faisait partie du plan de Dieu, tout irait bien.

Le psychiatre verrait tout de suite qu'il ne pouvait décemment pas me faire interner, je ne doutais pas une seconde qu’il ne pourrait que conclure à ma lucidité, car je n’étais pas seulement lucide, j’étais extra-lucide.

Je suivis donc les soldats du feu que mon père avait appelés, direction l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière, sans la moindre pitié, mais dans mon arrondissement.

Après une visite auprès de charmantes infirmières, fort agréable et sans encombre, le docteur Baroudet fut chargé de m'examiner.

D’abord ils te préparent bien en te laissant mariner dans une cage en verre, où l'ensemble des soignants présents te regardent comme un macaque au zoo, une bête curieuse, pour bien faire monter la pression.

Tu ne peux qu'avoir envie de les provoquer, tu ne peux qu'avoir le sang qui se met à bouillir, surtout si tu es un fou, justement.

C’est ce que je fis, en leur lançant les regards les plus noirs à ma disposition, tous m’inspiraient un mépris abyssal, petits bourgeois engoncés dans leur médiocre vie, qui me toisaient, moi le prophète.

Ensuite ce médecin me demande mon état civil avec cet air d'un type à qui, quoi que tu dises, tu es foutu.

Je le lui indiquai.

« Pourquoi suis-je ici s'il vous plaît monsieur ? » Aucune réponse.

Il n'a pas daigné une fois me dire pourquoi j'étais là. Il eût été simple de m’informer du fait que mon père avait sollicité la santé publique, alerté par mon comportement. Il me fit faire une prise de sang, je n'opposai pas de résistance mais devins de plus en plus défiant.

Qu'allaient-ils faire de mon sang ces vampires?

L’infirmière en charge de la ponction était à la solde de Laura Flessel, alors ministre des sports, membre de la matrice, qui voulait ma déchéance pour sauver le libre arbitre.

Puis le bâtard me demanda mon état civil à nouveau.

Cette fois je le lui dit à l'envers, mon nom et ma date de naissance en partant de la fin en allant vers le début, consciencieusement et méticuleusement, j'espérais que ça l'aide à comprendre que j'avais tous mes esprits, performants.

Il perdit patience.

Il appela un groupe en renfort, me fit descendre de mon siège-lit médical, ils se disposèrent autour de moi, comme s'ils se préparaient à me lapider.

Alors, je bombai le torse en m’approchant du “médecin”, docteur en sciences de la misère.

Comme si cela signifiait que j’étais sur le point de révéler mon anthropophagie, Ils se ruèrent sur moi avec l’aide des pompiers qui étaient venus me chercher, à qui je disais “regardez ce qu’ils font de moi, regardez bien, voyez les ordres qu’ils vous donnent”.

Car pendant le trajet, je les avais prévenus que les êtres humains exercent souvent très mal leurs responsabilités, discours auquel ils avaient l’air fort réceptifs.

Ils m’attachèrent et me piquèrent comme un animal, me laissèrent longtemps seul dans ma cage en verre, contorsionné.

Je hurlais que je voulais qu'on me détache, sans relâche. Puis je m'assoupis quelque peu sous l'effet du produit.

On me détacha et me laissa seul avec l'ambulancier qui devait m'emmener vers une unité psychiatrique fermée du centre de Paris, dont j’ai oublié le nom, où l’on me garda trois jours avant de m’envoyer dans une geôle beaucoup plus éloignée. On me pensait abattu avec la dose que j'avais reçue. J’étais censé l’être. Il n'en fut rien.

J’en profitai pour m’enfuir en courant, alors que j’étais censé tenir à peine debout, si vite que l’employé du système carcéral ne put me rattraper !

Il me prit en chasse mais je courais plus vite que lui, il hurlait mon nom en haletant « ne faites pas ça monsieur Daurat, ne faites pas ça ! ».

Je m'engouffrai dans le métro, la première bouche que je trouvai, et le pris jusqu'à Porte de Choisy, chez moi.

Alors que j'étais sédaté au dernier degré, je m'étais évadé, comme un cheval que l'on n'a pas assez piqué parce qu'il est plus puissant, plus résistant qu'un autre, habité par le diable.

Je n’avais qu’une idée en tête, aller chercher mes filles à l’école, comme je le faisais tous les jours.

Je ne savais pas que Sonia avait été prévenue de mon sort et qu’elle avait pris ses dispositions pour faire recueillir mes filles par une voisine avant de rentrer

prématurément du bureau.

Je me présentai à école de mes filles à 16 h 42 ou lieu de 16 h 30, sans savoir qu’elles n’étaient plus là.

Personne ne m'avait rien dit, un cheval que l'on abat, on ne lui raconte pas sa mort, tout avait été organisé dans mon dos pendant que je me faisais attacher et piquer. Les animateurs de l’école m’adressèrent des regards consternés, je devais vraiment avoir l’air de ce que j’étais, un fou échappé de l’asile.

Je rentrai à la maison, n'y trouvai personne, les filles avaient été tenues à l'écart du domicile par leur mère, complice de ce manège.

Puis ma femme arriva, puis des flics.

Cette fois j'étais vraiment sonné on pouvait m'embarquer sans encombre. J’étais toujours dans la matrice mais je n’avais plus qu’une préoccupation, à ce stade, que l'on ne m'attache plus, ma femme y a veillé, m'accompagnant cette fois à l'hôpital où me conduisirent non plus les pompiers mais les flics, qui ont été ma foi gentils avec moi. Beaucoup plus que l'institution médicale.

Je m’endormis en cours de route, me réveillai sur place mais je ne me souviens plus de rien à ce moment-là.

Quand mes souvenirs reviennent, je suis dans cette unité transitoire où je passai trois jours, dont la quasi intégralité à dormir.

Quand j’étais réveillé, j’étais enthousiaste de me faire de nouveaux copains. Je vivais chaque échange avec eux comme l’apport d’une substance précieuse à la matrice.

C’était mixte et il y avait là une jeune femme beaucoup plus atteinte que moi, qui était très sensible à mes charmes déments, qui me tripota très gaiement et à qui j’aurais fait l’amour, sur son lit, si l’irruption d’un infirmier ne m’en avait empêché à la dernière minute.

Mes fonctions génitales étaient parfaitement opérationnelles ce qui n’est pas piqué des hannetons en pareilles circonstances de délire et surtout de sédation.

Puis on me transféra, sans m’en avertir, sans m’en donner la raison, on m’arracha à mon nouveau cocon sans le moindre égard, la moindre empathie.

On m’envoya aux Eaux Vives, ça ne s’invente pas pour un marigot infâme, à

Soissy-sur-Seine près d’Evry, l’établissement carcéral dont je relevais, et relève toujours, eu égards à mon adresse de résidence.

Ca puait la mort. Les toilettes, d’ailleurs, étaient en perpétuel dérangement or j’en avais un perpétuel besoin.

Au début j’étais assez enthousiaste, toujours, de me faire de nouveaux amis en ce nouveau lieu, je pensais que je n’en aurais pas pour longtemps, et surtout j’étais encore sous l’effet de mon trip, bien que sorti de la matrice, bien que fortement sédaté, sous neuroleptiques à haute dose, je n’étais pas encore “redescendu”. Cela prendrait des mois après ma libération.

Je me fis notamment un ami, que j’appelerai Roger pour le protéger par l’anonymat, qui avait trucidé sa mère à coups de couteau pendant un accès psychotique, vers l’âge de dix-huit ans.

Il avait cru être attaqué par un fauve.

Unanimement reconnu irresponsable par les psychiatres chargés de l’examiner dans l’optique pénale, il n’avait écopé que d’une peine d’HP, qu’il purgeait déjà depuis plusieurs années, dont quelques unes ici même, savamment maintenu dans son jus pour lui garantir de ne jamais reprendre pied dans le monde.

Il était adorable et je l’aimais vraiment bien.

Au début ça allait parce que, bien qu’expulsé de la matrice par ces scélérats

médicaux, je me voyais encore en mission, tout ce qui m'arrivait était intéressant, le moindre contact avec d'autres patients me passionnait, tous étaient porteur de messages pour la suite de ma mission, quand je serais sorti, quand la matrice se verrait reconstituée.

Puis au bout de quelques jours, je refroidis.

J'étais toujours un prophète naturellement mais je redevenais un prophète déchu. Je me renfermai sur moi-même, ne parlai plus à personne sauf à Roger et au psychiatre, le docteur Debroize, un pauvre homme, un misérable visiblement accablé par sa propre morne et médiocre existence, certainement sujet à une

terrible anxiété d’après son regard perpétuellement aux abois, qui ne voulait pas me laisser sortir, et qui ne chercha en rien, à aucun moment, à comprendre qui j’étais. On peut dire mille choses sur ma captivité sauf une, que j'y aurais été soigné. Je ne fus traité en rien, de rien.

Je fus humilié ça oui, énormément.

On n'avait même pas le droit de porter nos vêtements, ils nous étaient confisqués, on était en uniforme bleu deux pièces, comme si nous avions été porteurs de bactéries dangereuses.

Certains avaient droit à leur propre pantalon ! Je n'ai jamais su pourquoi, c’est incroyable quand j'y repense. Je n’y avais pas droit pour ma part.

L'essentiel de mon temps, je l'employais à nourrir la haine de cet endroit où j'étais enfermé pour une durée indéterminée, le psychiatre ne m'offrait aucun horizon ou bien lointain de plusieurs mois, alors que chaque heure, chaque minute était un supplice.

Nous avions droit à deux cigarettes par jour.

Bientôt je réalisai que c'était mon père le coupable de cette indignité. J'étais là à moisir dans ce trou à rat pourri par sa faute.

Je lui écrivis une lettre incendiaire, l'un des textes les plus violents que je n'aie jamais adressé à quiconque.

Je continuai à le haïr et le harceler après ma sortie, par texto cette fois, ce fut mon premier geste une fois mon portable retrouvé, car nous étions privé de tout moyen de communication en dehors de deux coups de fil réglementaires par jour, l'inonder de dégoût infini.

Il encaissa sans broncher, courageusement.

Il fut aidé en ce sens par sa compagne à qui il était arrivée semblable mésaventure, quand elle avait fait interner son frère.

Nous nous sommes retrouvés depuis, je lui ai entièrement pardonné, j'ai compris sa détresse, sa réaction.

Il ne pensait pas qu'ils me garderaient aussi longtemps, il pensait que j'y allais pour quelques jours, que je serais soigné et surtout il n'avait pas le choix, en tout cas de son point de vue à lui.

Je continue de penser qu'il fallait me parler, non pas m'enfermer.

Certes, on me répond que je n'écoutais rien, que toute tentative de communication était vaine.

C'est faux, je me préoccupais beaucoup de communication alors que j'étais en plein délire, seulement je ne pouvais pas tout entendre, mal formulé, mal pensé, idiot, médiocre, cela ne passait pas.

Il fallait user de diplomatie et d'intelligence, entrer dans mon jeu pour me montrer ce qui n'allait pas depuis l'intérieur.

Me montrer notamment que les personnages de la matrice correspondaient à des gens qui ne connaissaient mon existence ni d’Eve ni d’Adam.

Quelqu'un de compétent aurait pu s'en charger, mais cela n'existe pas, personne n'est compétent pour faire face au type de crise qui m'agitait.

C'est très dommage car cela éviterait un gâchis formidable.

Je n'avais rien à faire dans cet établissement, aussi fou que je puisse pourtant effectivement objectivement avoir été, je n'étais pas chez les mêmes fous que moi, lesquels sont en liberté.

D’ailleurs, j’étais le seul pensionnaire à ne pas avoir eu à faire à la justice. Pour sortir, la seule possibilité qui s’offrait à moi était un recours judiciaire. Le tribunal avait rejeté purement et simplement ma première tentative.

Personne ne m'a aidé à porter ma requête, ni ma femme ni mon père ni ma mère qui pensaient que ma place était là où j'étais.

Mon avocate commise d'office, une vraie petite connasse de bourgeoise putride, tout juste sortie de son école de merde, me prit de haut avec son regard dédaigneux de précieuse dégueulasse.

Dans ces conditions je n’avais aucune chance, ma demande de libération fut rejetée par la juge, sans surprise au demeurant car ce type de démarche n'aboutit que très rarement.

Par miracle, cela se produisit pour moi lors de ma deuxième tentative. Quinze jours plus tard j'avais droit à une nouvelle audience.

Cette fois un avocat fantastique m'assista, maître François Benedetti qui enfin pris mon cas au sérieux, comprenait que quelque chose clochait avec mon internement de force. Malheureusement je n'ai jamais réussi à le retrouver pour le remercier. C'est une sorte d'avocat fantôme, impossible à détecter sur la toile, où j’ai

longuement fouillé à ma sortie pour essayer de lui témoigner ma gratitude. Il fut le premier à me regarder dans les yeux depuis mon internement.

Il obtint auprès du tribunal une expertise devant déterminer mon état, s'il était légitime de me garder ou s’il fallait me libérer.

Le médecin chargé de cette mission me rendit visite dans ma prison pour dresser son rapport.

Dans le document Prophétie d'un bipolaire, Fabiandaurat (Page 130-136)