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2. Chapitre 2 : Une formation pour favoriser le « dialogue » entre les textes prescripteurs et les

2.3. Méthodologie de recueil et d’analyse des données

2.4.1.3. Problèmes soulevées par les enseignants

2.4.2.3.3. Choix du matériel

Les enseignants prévoient également d’intervenir dans la phase d’élaboration de protocoles, au moment où les élèves doivent préciser le matériel dont ils ont besoin pour réaliser leur expérience. Les enseignants avancent plusieurs raisons à ces interventions et s’y prennent de différentes manières.

Pour la plupart, les enseignants considèrent que cette phase est difficile pour les élèves. Pour limiter la difficulté, certains enseignants choisissent de jouer sur la situation de départ, à travers laquelle les élèves pourront trouver des « idées » de protocoles.

Le groupe 2 (masse de l’air), par exemple, considère que le passage que doivent opérer les élèves entre un certain type de matériel dans la situation de départ (ballon de foot) et un autre type de matériel pour le test d’hypothèse (bouteille) est trop difficile pour eux. Les enseignantes limitent alors les protocoles possibles en suggérant aux élèves de calquer leur protocole sur la situation de départ.

G2 : 1h25’

– […] Et en partant sur l’idée des bouteilles, avec des bouteilles de plongée, on peut pas faire un truc du genre : […] « ah, ben maintenant qu’elles sont vides, elles sont quand même plus légères. Tout à l’heure, elles étaient pleine d’air et… » Je sais pas… je suis pas sûre que… c’est pour l’histoire de la bouteille. Parce que si on part sur des ballons, ils attendent forcément des ballons. […]

– Je sais pas. Parce que c’est vrai qu’avec un scénario de foot, on part sur des ballons. Et leur dire : « au lieu de prendre des ballons, on va prendre des bouteilles », en fonction du public, ça peut…

– Oui, et puis ils feront pas forcément le lien. Parce qu’ils ont toujours l’idée que le ballon gonfle, donc prend du volume.

Non seulement le matériel représenté dans la situation de départ doit correspondre au matériel que les élèves devront utiliser, mais l’utilisation de ce matériel doit aussi être la même. Si on gonfle un ballon dans la situation de départ, les élèves devront gonfler un ballon pour tester leur hypothèse. Si une bouteille de plongée se vide dans la situation de départ, les élèves devront enlever l’air d’une bouteille d’eau en plastique pour tester leur hypothèse. Tout ce qui peut dévier, même légèrement, de la situation de départ pose question aux enseignants. Pour le groupe 2, la situation de départ est donc très riche en informations sur le protocole que devront élaborer les élèves, ce qui laisse finalement à ces derniers peu de marge de manœuvre.

G2 : 1h35’

– Donc l’idée d’Isabelle, c’était de prendre deux plongeurs, un peu comme le ballon. Sauf que cette fois-ci, ça implique comme matériel, que t’as des bouteilles et puis la pompe.

Sauf que c’est complètement à l’envers de l’exemple [des ballons, NDR] parce que là, on va leur proposer d’enlever de l’air… enfin… c’est à eux de faire le lien entre enlever de l’air, rajouter de l’air.

Dans le groupe 1, les enseignantes prévoient que la grande majorité des élèves ne pensent pas à utiliser un bouchon pour éviter la dispersion du gaz formé. Elles pensent alors à poser le matériel sur leur paillasse, dont un flacon et un bouchon, pour les influencer vers le protocole « correct ». (Elles abandonneront finalement cette idée.)

G1 : 1h40’

– Mais on n’a pas redit si on montrait du matériel ou pas. Donc non ? – Ben on avait dit que non, finalement. On les laisse vraiment…

– Donc y a quand même moins de chance qu’il y ait des gamins qui pensent au bouchon.

– Mais sans leur montrer, on pourrait mettre un bouchon sur un flacon qui contient la craie et l’acide. Ils en auront un sous les yeux. Alors après, est-ce que ça va les faire… c’est pas dit, mais ça peut, pour certains, leur faire dire « tiens, faut peut-être mettre un bouchon ».

Quant au groupe 4 (conservation de la masse au cours d’une dissolution), il considère que les élèves ne sauront pas gérer une expérience nécessitant de tarer la balance. Le matériel est donc imposé pour contourner la difficulté de cette tâche.

G4 : 1h00’

– […] On prend un verre de montre, on met le sucre, on prend juste la masse de sucre. […]

– Non, un morceau de sucre, c’est plus simple. Ça évite le problème de la tare, justement. Y a pas besoin de récipient.

– Des morceaux de sucre, bien. Ah mais non, parce qu’il faut qu’ils prennent la masse du sucre. – Ben oui. Tu poses le morceau de sucre sur le plateau. Y a pas de soucoupe.

Quant aux enseignants du groupe 3, ils semblent gênés par l’idée de suggérer du matériel dans la situation de départ. Une grande partie de leur discussion porte sur l’élaboration d’une situation de départ qui laisserait une certaine autonomie aux élèves pour la phase d’élaboration de protocoles. La formulation finale de leur problème, en fin de séance, montre qu’ils ne sont pas parvenus à éviter cette manière de suggérer le protocole.

G3 : 2h00’

– Mais le flacon, tu le présentes au début ? A la fin de l’expérience ? Une fois que le matériel a brûlé ? ça veut dire que tu donnes le matériel sur le schéma, quoi, sur la photo. […]

– C’est ça le problème. Si tu dis : « qu’est-ce qui reste dans le flacon à la fin », ça veut dire que tu présentes deux petits personnages en train de faire l’expérience. En même temps, voilà…

Risque de renforcement d’une conception

Dans les groupes 1 et 2, quelques enseignants avancent des choix de gestion de classe qui les amènent à imposer une partie du protocole aux élèves. Pour le groupe 1, la volonté d’imposer du matériel a failli entraîner le renforcement d’une conception non directement liée à la connaissance visée. Quant au groupe 2, le matériel est imposé pour éviter de renforcer une autre conception, qui pourrait se manifester dans une autre situation.

Les enseignantes du groupe 1 visent l’acquisition de la connaissance « la masse totale se conserve au cours d’une transformation chimique ». Elles souhaitent déstabiliser l’idée des élèves selon laquelle la balance afficherait une masse plus faible à la fin de la transformation, et ce, pour deux raisons : certains élèves peuvent penser qu’une partie ou l’ensemble des réactifs est « détruit » ; et, dans ce type de réaction précisément, au cours de laquelle un gaz se forme, certains élèves ont tendance à considérer qu’un gaz ne pèse rien. Pour déstabiliser ces idées, quelques enseignantes souhaitent alors que leurs élèves mettent en place un protocole qu’elles ont déjà imaginé : peser le flacon au tout début de la transformation chimique (à l’instant où les réactifs entrent en contact) puis à la fin de la transformation chimique. C’est cet aspect du protocole qui va finalement déboucher sur des choix de gestion de la séance qui risquent de renforcer une autre conception : la conception « agent / patient », associée à la transformation chimique entre des réactifs dans des états physiques différents (liquide / solide). La question de départ étant « comment évolue la masse totale au cours d’une transformation chimique ? », il serait équivalent de peser le flacon tout au long de la transformation. Les enseignantes y viendront finalement un peu plus tard dans la discussion.

Partant du principe qu’il faut peser le flacon avant et à la fin de la transformation, quelques enseignantes, pour gagner du temps au cours de la séquence, souhaitent donc que le temps qui va s’écouler entre le début et la fin de la transformation chimique entre la craie et l’acide chlorhydrique soit le plus court possible pour que la fin de cette transformation soit facilement détectable par les élèves, afin qu’ils sachent quand peser leur flacon. Elles proposent donc de mettre un des réactifs largement en défaut et choisissent la craie. On peut alors se demander si elles raisonnent, à cet instant, comme les élèves ou si le choix de ce réactif est arbitraire. Dans tous les cas, elles ne réalisent pas qu’elles risquent de renforcer la conception selon laquelle, dans ce type de transformation, la craie « subit » l’action de l’acide, ce qui implique que seule la craie disparait. Cette

conception agent-patient avait déjà été abordée au cours de la première séance de formation. Une des enseignantes souligne cette difficulté.

G1 : 1h15’-1h20’

– Puisqu’on parle de la réaction chimique, si on reprend la théorie de la réaction chimique, c’est bien qu’il y a un des constituants qui a disparu. Donc en fait, il faudrait mettre pas beaucoup de craie et eux, ils pourraient dire, si à un moment ils voient qu’y a plus de craie, ils peuvent dire que la réaction est terminée. – Si à ce niveau-là, on ne parle que de transformation chimique, c’est justement pour éviter… si y a ça dans

les nouveaux programmes, c’est justement pour penser qu’il peut y avoir réaction chimique même si le réactif disparaît pas complètement. […]

– Ben pour qu’ils sachent quand peser en fait. Pour qu’ils aient l’idée de peser une fois que la réaction est terminée. […]

– Mais normalement, s’ils ont bien compris le concept de réaction chimique dans les chapitres précédents, euh… de transformation chimique, parce qu’il y a toute la subtilité, dans les transformations chimiques qui ont été vues dans les chapitres précédents, y a pas forcément eu disparition totale d’un des réactifs. – […] Mais il faut quand même qu’y en ait un qui disparaisse complètement pour que la réaction s’arrête. […] – Mais pour la conservation de la masse, il faut que la réaction s’arrête.

– Non, on aurait pu le faire pendant que ça continue. […]

– Donc c’est vrai que de ce point de vue là, la phrase est mal posée, parce qu’on dit « au cours d’une transformation chimique » et pas « à la fin d’une transformation chimique ».

D’autres enseignantes, dans le groupe 2 (masse de l’air), ont choisi d’imposer un certain type de matériel pour éviter le renforcement d’une conception. Dans l’extrait suivant, elles hésitent entre deux situations de départ qui impliqueraient du matériel recouvrant des enjeux différents : un ballon de football ou des bouteilles de plongée. Au cours d’une discussion sur le ballon de football, la formatrice les avertit d’une conception présente chez les jeunes enfants : plus un objet est volumineux, plus il est lourd. Les enseignantes, mises en garde, commencent à se tourner vers l’utilisation de bouteilles, pour éviter le renforcement de cette conception. En effet, les élèves pourraient conclure que le ballon de football gonflé est plus lourd parce qu’il est plus gros. Cependant, en choisissant le matériel pour limiter les paramètres en jeu dans cette expérience, les enseignants réalisent une part importante du travail à la place des élèves : la séparation des variables.

G2 : 1h15’

– Mais du moment qu’ils comprennent que l’air est pesant, je vois pas en quoi ça pose problème. […] Le fait d’avoir un ballon dégonflé ou gonflé, en quoi ça poserait problème étant donné que la question c’est : est- ce que ça va être plus lourd ou plus léger ?

– C’est pas que ça pose un problème. C’est que visuellement, on fait en plus changer un autre paramètre physique. Pour la suite, quand tu vas faire PV… enfin, tu le fais pas au collège mais… […]

– Personnellement, moi, je fais juste la pesée du ballon, en fait, légèrement dégonflé. On vide l’air qu’y a dedans, tu le gonfles et tu fais la pesée. Donc l’air a une masse. […]

– Moi, ce que je veux, c’est juste qu’ils comprennent que l’air est pesant. Que le volume ait quelque chose à voir là-dedans, ça m’est égal. […]

– Formatrice : les petits… je sais pas si c’est vrai au collège mais les petits pensent que, parce que c’est plus gros, alors c’est plus lourd. Ça, je sais que ça a été identifié chez les petits. […]

– Ah, qu’ils disent pas : « ben c’est normal ! Le ballon est plus gros donc c’est plus lourd. » […]

– Justement, l’histoire des bouteilles… le ballon, on voit pas l’intérieur. On n’est pas certain de ne pas modifier le volume. Alors que les bouteilles, c’est plus évident. C’est plus visuel.