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I – LE CHIRURGIEN EN TANT QUE MEDECIN

Dans le document The DART-Europe E-theses Portal (Page 28-85)

De nombreux essais ont déjà été consacrés à la spécificité de la médecine en tant qu’activité humaine visant à soigner d’autres êtres humains. Il serait donc prétentieux de vouloir recommencer. Il convient cependant, dans le cadre d’une réflexion sur la chirurgie, de convenir de certaines vérités tout en dénonçant un certain nombre d’idées reçues. Si la raison d’être de la médecine – « ce qui fait que la médecine est médecine »27 – est bien le soin de l’homme-malade, il faut encore considérer en quoi la chirurgie s’en distingue et qu’est-ce qui fait que, malgré cette différence, elle est aussi de la médecine.

Depuis les premières traces de chirurgie dans l’histoire humaine, où longtemps elle fut liée à la magie, jusqu’au développement de la rationalité28, nous tâcherons de

27 Dominique Folscheid, La question de la médicalité, in Philosophie, éthique et droit de la médecine, Paris, PUF, « Thémis philosophie », 1997, XII, p. 112.

28 La rationalité ne peut cependant pas être comprise comme une rupture entre un monde magico-symbolique qui précèderait un monde purement rationnel puisqu’il y a de la rationalité dans la magie autant qu’une dimension magique dans notre rationalité (cf. infra p. 27).

relier l’histoire de la pratique chirurgicale avec la manière dont l’homme prend conscience du monde et de lui-même. D’autant que l’idée de magie reste toujours présente. Nous pourrons alors les considérer sous l’éclairage du sacré, ce qui nous permettra de clarifier la spécificité de la chirurgie dans le vaste cadre de la médecine.

Très tôt celle-ci, abandonnant le soin proprement dit, est devenue pour un temps pure spéculation doctorale, laissant à la seule chirurgie sa vraie raison d’être qui est bien de soulager. Mais pour cette mission le chirurgien a toujours été un médecin particulier, ne serait-ce que par son rapport au sang, dont il garda longtemps l’exclusivité.

Les premières traces de gestes chirurgicaux chez l’homme

C’est le squelette osseux, seul reste humain persistant après la corruption de la chair, qui peut nous dire quelque chose. Il atteste de la présence chez nos ancêtres, autant des traces de maladies ou de traumatismes, que des premières tentatives chirurgicales de les « réparer ».

La préhistoire ne nous en a laissé que quelques-unes, comme celles de l’ouverture de la boîte crânienne, ou de l’amputation d’un bras au-dessus du coude29, traces qui attestent d’une maîtrise du geste chirurgical, remarquable au vu des possibilités techniques d’alors. L’ethnologie nous apprend que toutes les sociétés humaines ont d’abord – avant le développement d’une véritable rationalité – été nourries de religiosité. Sans moyen de savoir quel était le statut social de l’opérateur, ne peut-on simplement suggérer que celui qui « opérait » ne devait pas être quelconque, et détenir un certain pouvoir religieux ? Platon, dans le Timée, suppose lui aussi que le démiurge crée une classe particulière : « la classe des prêtres, séparée des autres classes… »30. Analogie entre le démiurge qui « fabrique » les êtres vivants, et le chirurgien qui les « répare » ?

Plus tard, en Inde à l’époque védique (3500 av. J-C.), de nouvelles traces d’efficacité de la chirurgie sont attestées lorsque la reine Vishpla, amputée sur un champ de bataille, fut équipée d’une jambe de fer, geste inaugurant nos modernes prothèses.

29 Le crâne des Grands Causses, conservé au musée de Millau ou la découverte d’un humérus sectionné sur un site néolithique de Seine - et- Marne (INRAP, 2010).

30 Platon, Timée, 24 a.

Enfin des découvertes archéologiques datant de l’époque précolombienne, en Amérique du Sud, attestent encore d’un réel d’un savoir-faire chirurgical31.

Vers 3000 et 2000 av. J.-C., le Papyrus d’Edwin Smith32 et celui d’Ebers font état de connaissances chirurgicales plus élaborées. Ils prouvent que les anciens Egyptiens savaient réduire les luxations et, sommairement bien sûr, traiter un certain nombre de fractures. Mais si manifestement ces découvertes attestent de la raison d’être de la chirurgie comme médecine, c’est-à-dire intention de soigner ou de soulager, d’autres traces mettent en évidence l’apport des rites religieux au savoir chirurgical.

C’est le cas des embaumeurs qui, à cette époque, possédaient une technicité surprenante, comme la suture des plaies avec une lanière d’intestin par exemple. Ce savoir leur fut permis par l’autorisation, dont ils étaient seuls à disposer, d’intervenir sur les cadavres. Mais cette autorisation n’était accordée que dans un cadre strictement religieux, c’est-à-dire entouré de rituels, le cadavre ayant pour les Egyptiens un rôle encore très important pour le voyage dans l’au-delà. Nous reviendrons sur la légitimité de cette transgression et sur tout ce qu’elle véhicule. Retenons d’ores et déjà la proximité de statut entre ceux qui « opèrent » les corps en les ouvrant, qu’ils agissent sur des corps vivants ou sur des cadavres. Parmi eux, l’ancêtre du chirurgien pratiquait son geste sur des corps vivants humains.

Si nous ne disposons pas d’éléments suffisamment fiables pour en tirer des conclusions valables, nous pouvons au moins remarquer que ces quelques traces attestent bien d’une séparation déjà patente entre la médecine qui « guérit » et la chirurgie qui « répare ». S’ébauche en effet une différence d’ordre technique. La chirurgie est moins interprétative, plus pragmatique. Il y a déjà, dans l’action du chirurgien, fût-il encore un peu prêtre, une certaine immédiateté. La trace du traumatisme, déformation ou plaie, a toujours été immédiatement visible et palpable : son traitement ne nécessitera qu’un geste technique, a priori loin d’une interprétation magique ou mystique. Alors pourrions-nous dire : il n’y a rien de sacré dans la chirurgie qui, somme toute, se cantonnerait à une simple « réparation » ? Ce serait oublier le rapport au sang et au corps, en tant que constitué d’organes physiques, qu’implique

31 E. Vander Elst, Histoire de l’orthopédie et de la traumatologie, in Histoire de la médecine, vol. IV, Milan, Albin Michel, Robert Laffont, Tchou, 1978, p. 57.

32 Papyrus découvert par l’égyptologue Edwin Smith, à Thèbes en 1862, publié en 1930. Il aurait été écrit en 700 av. J.-C. mais relaterait des faits datant de l’époque des Pyramides (2500 av. J.-C.) et collige plus de 48 cas cliniques.

nécessairement tout acte chirurgical, au moins dans les premiers temps où la médecine n’était pas encore interventionniste. Et c’est, dans le sillage de la médecine égyptienne, la médecine grecque qui va pérenniser cette distinction entre chirurgie et médecine, amorçant une séparation encore plus nette, lorsque la médecine dérivera du soin concret vers la spéculation doctorale. Voyons d’abord les premières traces du clivage entre la médecine proprement dite et la chirurgie. Elles commencent avec la mythologie.

Mythes et herméneutique du réel

La médecine grecque est inséparable de la mythologie, et celle-ci distingue d’emblée le médecin qui « opère » de celui qui « soigne », quand bien même nous verrons qu’opérer c’est toujours soigner. Certains historiens33 assimilent Asclépios – l’Esculape des Romains – à Imhotep, l’Egyptien, mais rappelons cependant que ses deux fils, Machaon et Podalire avaient reçu de leur père deux dons médicaux différents.

Machaon celui de guérir les plaies, d’extraire les flèches et de pratiquer des incisions, Podalire le don de guérir les maladies. Comme si, déjà, distinction était faite entre le médecin clinicien et le chirurgien plus proche de l’effraction cutanée, donc du sang. Or le mythe d’Asclépios, lui-même fils d’Apollon, est le mythe fondateur de notre médecine. C’est le centaure Chiron34 qui lui aurait appris à soigner tandis que la déesse Athéna lui aurait confié deux fioles remplies du sang de la Méduse, mais l’une capable de sauver, l’autre de tuer. En réalité le sang issu de la veine gauche de la Méduse, celui qui permettait de soigner, ne devait être utilisé que pour éviter aux vivants que la maladie ne les tue. Or si Zeus foudroya Asclépios, c’est qu’il donna le précieux liquide à des morts pour les ramener à la vie. On voit, à travers ce mythe, que l’homme reliant alors la médecine au sacré divin a toujours pressenti les limites de la médecine : « se contenter de soigner et guérir dans les limites de la condition humaine, qui se définit par sa mortalité »35. Les dépasser, n’est-ce pas faire preuve d’hubris, comme nous reverrons ? D’autre part l’homme a toujours eu l’intuition de la dangerosité du soin : le médicament peut donner la mort ou la vie. Le terme grec de pharmakon est explicite :

33 E. Vander Elst, Histoire de l’orthopédie et de la traumatologie, in Histoire de la médecine, op. cit., p.

59.

34 Une variante étymologique pose que le mot chi-rugien viendrait en partie du nom du centaure Chi-ron.

35 Dominique Folscheid, « Médecine et religion, une circularité historique », argumentaire pour séminaire

« Religion, éthique et médecine bio-tech », Collège des Bernardins, département de recherche éthique biomédicale, mai 2012.

c’est à la fois le poison et le remède. Point n’est besoin non plus d’insister sur la dangerosité inhérente à toute intervention chirurgicale.

L’herméneutique du réel

Depuis aussi loin que les historiens ont étudié les premières sociétés humaines, il a été constamment établi que les hommes ont toujours cherché à donner du sens aux événements de leur vie, et en particulier pour ce qui touchait à leur santé. C’est ce que Keith Thomas appelle « une approche interprétative du réel »36. En l’absence de rationalité, c’était en effet la magie ou le symbole qui seuls pouvaient donner une explication acceptable à ce qui semblait inexplicable. L’homme médecin fut d’abord un mage, puis un prêtre et le rite était essentiel pour la prise en charge de toute maladie.

Nous verrons plus loin combien cette assimilation du soignant au magicien, au guérisseur, plus rarement au sorcier – on parle plus subtilement en Afrique du nganga à connotation moins maléfique – comme à celui qui est intermédiaire entre le monde des dieux, ou des esprits magiques, et celui des hommes, est restée vivace en particulier en chirurgie où l’ouverture du corps reste une transgression et véhicule toujours du sacré.

Les mythes

Car les mythes racontaient une histoire qui servait alors de référentiel, donnant du contenu aux explications magiques.

« Les rites et les mythes, qui ont une grande place dans les systèmes culturels, transmettent une information sur la Nature et nous offrent des moyens de la contrôler »37.

Rappelons que les Grecs, comme la majeure partie des civilisations d’alors38, comprenaient le cosmos – qui n’était pas encore vraiment la Nature telle que nous la concevons – comme un ensemble harmonieux, animé, mû par des forces spirituelles.

« …le Ciel, la Terre, les dieux sont liés entre eux par une communauté […], c’est la raison pour laquelle, à cet univers, ils donnent le nom de cosmos, d’arrangement et non celui de dérangement, non plus que de dérèglement »39

36 Keith Thomas, Religion and decline of magic, cité par Etienne Lepicard, Dominique Folscheid, La Médecine archaïque, in Philosophie, éthique et droit de la médecine, op. cit., I, chap. X, p. 96.

37 François Bourricaud, « Les univers transculturels », in Encyclopédie Philosophique Universelle, Paris, PUF, 2000, p. 344.

38 Karl Jaspers parle de la « période axiale » comme l’époque où va basculer cette approche du monde, scindant définitivement le visible de l’invisible (entre le VIIIe et le IIe siècle avant J.-C.).

39 Platon, Giorgias, 507e - 508a.

La phusis pour eux, est en ordre, c’est en outre une nature vivante et croissante.

Elle est investie de nombreux esprits et de beaucoup de divinités. C’est parce que, depuis la Modernité, nous ne concevons plus la Nature que comme un ensemble de forces régies par des lois physiques, que nous la considérons comme purement matérielle, « physique » au sens moderne du terme. Cette vision était tout à fait étrangère au monde grec. L’homme grec laisse la nature être, mais il s’en sert, l’utilisant simplement grâce à sa tékhnè – terme latinisé de manière ambiguë en « art », nous y reviendrons. Cette nature « naturelle » n’est pas encore artificialisée, « dé-naturée » par la technique. Ainsi, aux débuts de la chirurgie celle-ci n’était qu’une technique, comme un savoir-faire, un mode « d’opérer », parfaitement intégré à ce cosmos.

L’interprétation de ce cosmos faisait appel aux mythes tandis que les rites permettaient de se conduire, en fonction de cette mythologie, qu’ils réactualisaient sans cesse. Le mythe ainsi « vivifie et parcourt […] l’ajustement des ordres de la réalité : nature et surnature, visible et invisible, [qui] constituent une seule et même totalité cosmobiologique »40. Ainsi de la praxis des premiers hommes-chirurgiens. Il apparaît en effet évident que l’action chirurgicale ne pouvait pas être étrangère à toutes les forces spirituelles qui animaient le cosmos. Il existe d’ailleurs de nos jours encore une médecine « mystique », en particulier en Afrique, médecine « opérante » sur les esprits de toute sorte qui peuplent la Nature : dieux, demi-dieux, esprits des ancêtres ou ceux des morts, comme s’il y avait encore : « un au-delà de l’individu qui est peut-être en train de se perdre chez nous »41.

Tous les mythes de l’humanité par ailleurs, et non seulement ceux des Grecs, parlent d’un chaos originel qui aboutit à un équilibre parfait – le cosmos – où l’homme serait exempt de maux. Ce n’est qu’à la suite d’une faute, d’une offense, que les dieux ou les Esprits l’auraient ensuite accablé. Hésiode, dans Les travaux et les jours, évoque un « Âge d’or » où « la vieillesse importune n’existait pas. Les pieds, les mains conservaient toujours la même force, la même agilité […], on mourrait comme on s’endort quand on tombe de sommeil »42.

40 Marcel Gauchet, Le désenchantement du monde, Paris, Gallimard, Folio « Essais », 2005, p. 71.

41 Pierre Legendre, L’esclavage de l’obscurantisme, entretien avec Antoine Spire, Le Monde, 23 octobre 2011, p. 21. C’est nous qui soulignons.

42 Hésiode, Les travaux et les jours, Paris, Livre de poche, 2009, (115), p. 101. Le texte du Vâyupurâna, dans la mythologie indienne dit la même chose, parlant d’hommes « sans souffrance, riches en lumière, absolument heureux… ».

Dans le mythe de Protagoras, Platon reprendra l’histoire mythique de Prométhée et d’Epiméthée pour expliquer ainsi les misères de la condition humaine. Le Titan Prométhée, à qui Zeus a confié la condition de l’homme, laissa à son frère Epiméthée le soin d’équiper équitablement tous les animaux afin de compenser leur inégalité naturelle et permettre leur perpétuation. Mais il s’aperçoit vite qu’Epiméthée a distribué toutes les qualités aux animaux, laissant l’homme « nu » et sans défense, comme « un bipède sans plume ». Pour y remédier Prométhée montera sur l’Olympe pour dérober aux dieux des qualités surnaturelles : le feu – à Héphaïstos –, l’intelligence pratique – à Athéna – et l’art politique – qu’il échouera à dérober à Zeus. Celui-ci se vengera en condamnant Prométhée, enchaîné, à avoir éternellement le foie dévoré par un aigle.

Mais, si tous les arts avaient été partagés « de manière qu’un seul, expert en l’art médical, suffit pour un grand nombre de profanes »43, l’absence d’art politique risquait d’anéantir les hommes et Zeus envoya Hermès l’apporter à tous les hommes. Hésiode, dans sa Théogonie, avait insisté, lui, sur la rivalité entre Prométhée et Zeus – l’homme et Dieu ? –, à l’occasion d’un repas partagé entre eux. Prométhée maquille la part réservée au dieu, d’un bœuf sacrifié au profit des hommes. En plus du supplice de Prométhée, Zeus envoie aux hommes la femme Pandore, qui « ouvrant la boîte » libérera tous les maux qui feront les misères de la condition humaine. Double punition devant la prétention humaine, incarnée dans l’affirmation prométhéenne : « tous les arts, chez l’homme, viennent de Prométhée, [dont] les remèdes écartent toutes les maladies »44. Ainsi le héros, Prométhée, en même temps qu’il est créateur de progrès (la connaissance des arts avec le feu) et aussi responsable de la chute de la condition humaine45.

Le mythe insiste bien sur les dangers qu’il y aurait à vouloir prendre le rôle de Dieu :

« …s’approprier le statut d’un autre homme est toute autre chose que s’approprier le statut d’un dieu […] il faudra, pour réaliser la révolution finale qui brise le cercle de l’enracinement, convaincre les hommes qu’ils sont des dieux »46.

Mais il montre aussi que la maladie – comme les maux ou la fragilité de la condition humaine – est assimilée à une faute, voire à une « transgression » que seul celui qui est en contact avec les dieux ou les esprits, pourra peut-être exorciser.

43 Platon, Protagoras, 320-321 c.

44 Eschyle, Prométhée enchaîné, 26- 47.

45 Cf. Pietro Pucci, « L’idéal prométhéen ; Prométhée, d’Hésiode à Platon », in Communication, Cornell University, 2005, p. 53.

46 Chantal Delsol, Qu’est-ce que l’homme ?, Paris, Cerf, « La nuit surveillée », 2008, p. 166.

Epiméthée est le fautif, et c’est Prométhée ici qui joue en quelque sorte ce rôle de

« médecin », intermédiaire bien marri entre les hommes et les dieux, ce qui lui coûtera très cher – chair !

Et, malgré le développement d’une rationalité philosophique, cette idée de maux liés à une faute ou de punition à la suite d’une transgression est restée bien ancrée. Pour Jacqueline Vons « l’épidémie de Sida de ces trente dernières années est encore considérée par certains comme une sanction divine à l’encontre des déviants sexuels »47. Mais n’est-ce pas reconnaître que l’homme, en réalité, s’oppose à la nature : qu’il est une négativité ? Il est en effet à la fois l’animal le plus évolué sur le plan de sa constitution purement biologique et en même temps le plus « nu », le moins protégé des contingences du milieu extérieur, comme l’atteste encore sa néoténie. Nous touchons là au véritable problème de la nature humaine. Il semble en effet que seul l’homme ait un corps quand les animaux n’ont qu’un organisme48. D’autant que l’on peut considérer que la majorité des animaux apparaît être plus dans la sensation que dans la conscience.

Leur organisme semble ainsi correspondre beaucoup plus à un réceptacle de sensations auxquelles ils réagissent d’instinct, plutôt qu’à un corps propre, objet d’une conscience.

L’homme au contraire a conscience, tantôt d’être, tantôt d’avoir un corps, qu’il ressent et qu’il gouverne : il est incarné, nous le reverrons. Ce qui fait qu’à « organisme » égal, tel homme ne réagira pas comme un autre. C’est patent en chirurgie, où aucune hanche, par exemple, serait-elle hypothétiquement semblable à une autre, ne saurait pourtant être absolument autre que la hanche-ci de ce malade-là. Notion capitale pour celui qui prétend soigner un homme : s’il en restait à l’organisme il ne serait que vétérinaire et non médecin. Dans le fond, il fallait bien le secours des mythes pour assumer les vicissitudes de la condition humaine, en particulier le fait d’être incarné dans un corps, a priori bien contingent, mais pourtant humain. Observons enfin, qu’à travers ce mythe, l’homme grec est proche des dieux avec lesquels il partage un repas « sacrificiel », et que d’autre part la première femme, Pandore, d’où vont naître tous les hommes, « a été produite à l’image des dieux et des déesses »49.

47 Jacqueline Vons, Mythologie et médecine, Paris, Ellipse, 2001.

48 Les travaux en particulier d’Elisabeth de Fontenay ou de Derrida, contestent en partie cette affirmation et donnent aux animaux une place plus importante que celle que la philosophie jusque là leur avait accordée (cf. E. de Fontenay, Le silence des bêtes, op. cit.).

49 Cf. Pietro Pucci, « L’idéal prométhéen ; Prométhée, d’Hésiode à Platon », op. cit., p. 53.

En effet cette quête d’une interprétation de la réalité qui, faute d’explications rationnelles, se tourne vers l’irrationnel ne nous a jamais abandonnés. Quel est celui qui, atteint d’un cancer du poumon alors qu’il n’a jamais fumé par exemple, ne se poserait pas la question, pourtant sans réponse : « pourquoi moi ? » ou encore de cet homme,

En effet cette quête d’une interprétation de la réalité qui, faute d’explications rationnelles, se tourne vers l’irrationnel ne nous a jamais abandonnés. Quel est celui qui, atteint d’un cancer du poumon alors qu’il n’a jamais fumé par exemple, ne se poserait pas la question, pourtant sans réponse : « pourquoi moi ? » ou encore de cet homme,

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