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I.4 Evolutions paléoenvironnementales au cours de l’Ediacarien 1 Géodynamique continentale

I.4.3 Chimie des océans et changements géochimiques globau

I.4.3.1 Les isotopes du calcium et du magnésium

Les variations isotopiques de ces deux éléments ont été utilisées comme marqueurs de l’altération continentale de l’extrême fin de la glaciation du Cryogénien et à celle de la déglaciation. D’un point de vue lithologique, cette période est marquée par des dépôts de carbonates dolomitiques laminés typiques, reconnus presque partout dans le monde (Hoffman et al., 2007; Hoffman & Li, 2009). Localement, leur signature isotopique a été interprétée en termes de taux importants de pCO2 et de degré élevé d'altération (Kasemann

et al., 2005). Ces conditions post-glaciaires très particulières semblent avoir été générales à

l’échelle mondiale (Shields, 2005 ; Allen & Hoffman, 2005). Le dégel généralisé a libéré dans l’atmosphère de grandes quantités de CO2 qui a favorisé l’altération des surfaces

continentales qui se sont retrouvées dénudées. Les minéraux altérés ont alors libérés du calcium et du magnésium en solution (de Villiers et al., 2005) dont les flux ont été drainés jusqu’aux océans.

Plus spécifiquement, la géochimie isotopique de Mg a été mise en œuvre pour tenter de résoudre le débat sur l'origine, primaire ou de diagenèse très précoce (Fairchild, 1985 & 1993), de la dolomie à la base de l'Ediacarien, dépôt qui marque globalement la fin de la période glaciaire du Cryogénien (Shields, 2005 ; Nédélec et al., 2007 ; Hoffman et al., 2007; Hoffman & Li, 2009).

La chimostratigraphie de l’oxygène dans les roches précambriennes est un sujet controversé (Jaffrés et al., 2007), car les compositions isotopiques de cet élément dans les carbonates marins anciens les moins modifiés sont presque universellement épuisées en 18O par rapport

aux carbonates du Cénozoïque (Veizer et al., 1999). La signification de ces valeurs typiquement négatives fait débat entre les tenants d’une composition en 18O de l’eau de

mer restée inchangée au cours des temps géologiques (Gregory & Talyor, 1981 ; Meuhlenbachs, 1998) et ceux considérant que les valeurs de ce paramètre ont évolué (Burdett et al., 1989 ; Veizer et al., 1999) et reflètent les relations eau de mer – climat (Jaffrés et al., 2007).

Ainsi, à la base de l’Ediacarien, les niveaux dolomitiques typiques de la fin du Cryogénien présentent des 18O

VPDB remarquablement constants de -8 à -6‰ (Hoffman & Schrag, 2002 ;

Halverson et al., 2004), nettement inférieurs à ceux des autres dolomies du Néoprotérozoïque (Halverson et al., 2007a). Ces valeurs faibles ont été interprétées comme signalant l'influence de l'eau de fonte glaciaire dans l'océan de surface pendant la transgression post-glaciaire (Shields, 2005; Hoffman et al., 2007).

I.4.3.3 Les isotopes du soufre

Lorsque le soufre est lié à des minéraux (sulfates ou les phosphorites) formés par précipitation directe de l’eau de mer, sa composition isotopique en 34S

sulfate reflète

l’équilibre solide-solution. En revanche, associé aux sulfures comme la pyrite (34S

pyrite), il

enregistre le fractionnement isotopique lié à la réduction bactérienne des sulfates et les effets de fractionnement additionnels dans le cas où ces sulfures ont été oxydés (Canfield & Teske, 1996; Detmers et al., 2001; Hurtgen et al., 2005). Cependant, de manière approximative, l’augmentation des valeurs de 34S

pyrite dans les schistes coïncide largement

avec l'augmentation de la teneur en oxygène de l'environnement terrestre (Canfield & Teske, 1996).

D’autre part l’évolution de la différence (34S) entre 34S

sulfate et 34Spyrite), en particulier sa

forte augmentation au Paleoprotérozoïque précoce, a servi de base au modèle selon lequel l'océan océanique mondial initialement anoxique et devenu euxinique, comme l'atteste le dépôt de BIFs au cours du Paléoprotérozoïque tardif (Canfield, 1998; Poulton & Canfield, 2005; Poulton et al., 2004). Puis, au Néoprotérozoïque, une seconde augmentation du 34S

signale un deuxième événement d'oxygénation, éventuellement lié à l'évolution de la vie animale (Canfield & Teske, 1996 ; Hurtgen et al., 2005).

En effet, à l'Ediacarien moyen l'augmentation du 34S est l'une des caractéristiques les plus

importantes de l'évolution complexe du 34S au Néoprotérozoïque, avec un 34S proche de

0‰ peu de temps après la glaciation cryogénienne passant à des valeurs siupérieures à 30 ‰ au moment de l'anomalie négative de Shuram-Wonoka en 13C à 590 Ma (Fike et al.,

2006). Cette augmentation rapide 34S est également un prélude à des valeurs

exceptionnellement élevées de 34S

sulfure (> 35 ‰), qui caractérisent l'Ediacaran tardif et le

Paleozoïque précoce (Holser & Kaplan, 1966 ; Kampschulte & Strauss, 2004), nécessitant probablement la coexistence de valeurs en 34S exceptionnelles et durables (Shields et al.,

2004), un fractionnement diagénétique important de la pyrite (i.e. fpyr ; Halverson & Hurtgen,

2007), et une contribution inhabituelle des sulfates enrichis en 34S dans l'eau de mer (Fike &

L'évolution isotopique du soufre au Néoprotérozoïque précoce est moins évidente mais semble être également très variable, avec des fluctuations extraordinaires à la fois en 34Spyrite et en 34Ssulfure. Pour partie, ces changements apparemment rapides en 34S reflètent les faibles concentrations en sulfate marin tout au long du Néoprotérozoïque (Hurtgen et al., 2002). Cependant, il est également clair que les fluctuations en 34S sont étroitement

couplées aux événements glaciaires (Gorjan et al., 2000 ; Hurtgen et al., 2002 & 2006) et autres perturbations biogéochimiques, telle que l'anomalie de Bitter Springs. Ce couplage est particulièrement évident au Cryogénien terminal, où des valeurs exceptionnellement élevées de 34S

pyrite (jusqu'à + 60 ‰) correspondent à la Formation Rasthof et aux séquences

carbonatées équivalentes de Gobabis Member en Namibie (Hurtgen et al., 2002 ; Gorjan et

al., 2003), ainsi qu'aux formations contemporaines de Coalka et Tapley Hill en Australie

(Gorjan et al., 2000). Les valeurs de 34S

pyrite diminuent ensuite fortement, en coincidence avec des valeurs de

13Ccarbonate généralement élevées, ce qui reflète probablement une augmentation des concentrations en sulfate au-dessus de quelques millimoles dans le milieu marin (Halverson & Hurtgen, 2007). Les données disponibles en 34S

sulfure montrent une nette augmentation en

réponse à l'anomalie de Trezona, témoignant d'une réduction en sulfate marin vers la fin de la glaciation du Cryogénien (Marinoen), et du rôle potentiellement important d'un couplage des cycles soufre-carbone dans le déclenchement du refroidissement global.

I.4.3.4 La spéciation du fer

Les espèces du fer (Fe) piégées dans les sédiments marins sont très influencées par les conditions redox régnant dans la colonne d’eau. Parmi les espèces porteuses de la totalité du fer (FeT), certaines, comme les oxydes et oxyhydroxydes ou les sulfures associés aux carbonates, sont facilement mobilisables lors de la diagenèse précoce, et à ce titre ont été qualifiées par Canfield (1989) de fer hautement réactif (FeHR).

Sous une colonne d’eau anoxique, les sédiments déposés possèdent des rapports élevés FeHR/FeT > 0,38, car des espèces, comme les sulfures de fer (pyrite syngénétique), peuvent précipiter directement à partir de la colonne d'eau, ce qui accroît la teneur en fer du sédiment par rapport à la fraction héritée. En revanche, les sédiments déposés sous une tranche d’eau oxique sont caractérisés par des rapports FeHR/FeT plus faibles < 0,38 (Poulton & Raiswell, 2002 & 2005 ; Lyons & Severmann, 2006).

Au Néoprotérozoïque, l’étude des formations Doushanto en Chine et Sheepbed au Canada, qui correspondent à des dépôts marins profonds, a mis en évidence une forte baisse du rapport FeHR/FeT caractéristique de l’oxygénation de la colonne d’eau dans la partie médiane du plateau continental (Shen et al., 2008). Vers 580 Ma, l’existence d’un phénomène similaire a été enregistré à Terre-Neuve (Canada) dans les roches sédimentaires des groupes Conception et St. John's (Canfield et al., 2007 & 2008). Bien que ces évènements ne soient pas strictement synchrones, l’étude comparée des évolutions oxygène-soufre-fer a permis de renforcer l’hypothèse selon laquelle les océans profonds sont devenus oxygénés dans une période comprise entre l’Ediacarien moyen et terminal (Hurtgen et al., 2005 ; Fike

des travaux réalisés sur l’ensemble du Néoprotérozoïque (Canfield et al., 2008) suggèrent que des fluctuations du potentiel rédox des océans se sont manifestées dès le début de cette ère (Tonien-Cryogénien), notamment dans certains bassins individualisés dont la colonne d’eau a oscillé entre états oxique et anoxique (Nagy et al., 2009; Johnston et al., 2010) puis à nouveau dans l’interglaciaire de la dernière phase du Cryogénien (Canfield et

al., 2008). Par ailleurs, l’analyse des sédiments modernes déposés sous des colonnes d'eau

anoxiques-sulfitiques et anoxiques-ferrugineuses a montré que le rapport Fepyrite/FeHR était

respectivement > 0,8 (Poulton et al., 2004) et < 0,8 (Raiswell & Canfield, 1998). En couplant l’étude des rapports FeHR/FeT et Fepyrite/FeHR, Canfield et al. (2008) ont soutenu qu’assez

tardivement au Néoprotérozoïque les eaux profondes étaient encore en grande partie anoxiques et ferrugineuses plutôt que radicalement euxiniques, et que l’oxygénation complète de l'océan profond n’était survenue qu’à la toute fin de l’Ediacarien.

I.4.3.5 L’évolution du molybdène

La présence du molybdène dans les eaux océaniques est directement liée à l’altération oxydante des surfaces continentales. Par ailleurs, du fait de sa solubilité élevée sous forme d’anion molybdate (MoO42-), le molybdène est le métal de transition le plus présent dans

l'eau de mer (Scott et al., 2008). Il possède d’autre part une grande affinité pour les sulfites, ce qui explique pourquoi il se concentre dans les black shales actuels (Algeo & Lyons, 2006). Par conséquent, les teneurs en Mo de l'eau de mer reflètent à la fois la valeur de pO2 et le

degré d’euxinie des océans (Scott et al., 2008). Si l'enrichissement en Mo des black shales reflète l'état redox de l'eau de mer, cette relation peut être oblitérée par la forte corrélation positive existant entre les concentrations de Mo et le contenu en COT (Algeo & Lyons, 2006). Néanmoins, les concentrations en Mo des schistes noirs déposés dans des conditions euxiniques depuis le Protérozoïque sont généralement faibles tout au long de cette ère et augmentent brusquement au Phanérozoïque. Scott et al. (2008) ont interprété cette évolution comme la conjonction, dans les eaux océaniques, de l'augmentation de pO2

(provoquant la diminution de leur caractère euxinique) avec l’arrivée du Mo libéré par l’altération oxydante des masses continentales (Scott et al., 2008).

I.4.3.6 Comportement des autres métaux de transition

A l’instar du fer et du molybdène, les isotopes d’autres métaux de transition tels que Cr, Cu et Zn offrent un fort potentiel pour l’étude des séquences sédimentaires néoprotérozoïques. Dans les black shales notamment, les variations isotopiques du Fe reflètent celles du soufre de la pyrite sédimentaire et semblent conforter l’idée que les eaux profondes des océans sont restées euxiniques du Paléo- au Mésoprotérozoïque tardif (Rouxel et al., 2005 ; Yamaguchi et al., 2005 ; Anbar & Rouxel, 2007). Au Néoprotérozoïque, les données éparses semblent indiquer que les eaux profondes euxiniques sont devenues oxiques après une phase pendant laquelle les eaux sont redevenues anoxiques et ferrugineuses (Canfield et al., 2008).

I.4.3.7 La phosphogenèse

Les changements de la chimie océanique ont également été enregistrés dans les bio- minéralisations issues de la précipitation des éléments nutritifs tels que Fe, Si et P (Pufahl, 2010). Au cours du Néoprotérozoïque, ces processus ont profondément influencé le cycle biogéochimique du carbone et de ces éléments et ont favorisé la photosynthèse d'oxygène (Caird et al., 2017). Ainsi, cette période correspond aux seconds grands épisodes de phosphatisation (Shields et al., 2000 ; Papineau, 2010 ; Pufahl, 2010 ; Papineau et al., 2013 ; Pufahl & Groat, sous presse), et d’oxygénation ou NOE (Shields-Zhou & Och, 2011 ; Och & Shields-Zhou, 2012) que la Terre ait connu. La présence importante de phosphates dans les dépôts de la période Néoprotérozoïque-Cambrien est interprétée comme le résultat de l’intense altération chimique post-glaciaire de la croûte terrestre, qui a libéré de grandes quantités de P dans l'eau de mer (Pufahl & Hiatt, 2012 ; Drummond et al., 2015 ; Hiatt et al., 2015). Ces événements climatiques uniques (Vincent & Berger, 1985) aurait permis de libérer suffisamment de P dans les océans pour permettre une forte productivité planktonique et par conséquent l’enfouissement d’une fraction importante du phosphore organique. Ce phosphore se serait alors transformé en phosphate sous l’action microbienne lors de la diagenèse, principale responsable de la formation de phosphorites.

Chapitre II