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PARTIE I 17 juin 1940 – 8 novembre 1942 : Sous Vichy ou sous l'Occupation, une jeunesse

Chapitre 2 – 1940 – 1942 : Des questionnements grandissants ?

III. Les Chantiers de la jeunesse, incubateur et retardateur d'engagement de la jeunesse

Si la jeunesse dans son ensemble semble hostile à l'apparition des Chantiers de la jeunesse du fait de leur caractère obligatoire et de la vie rude qui y est menée286, la jeunesse scoute semble

quant à elle séduite par cette organisation. En effet, le scoutisme a largement contribué à l'élaboration de la pédagogie et du mode de vie menés aux Chantiers et a fourni à l'organisation des cadres, en la personne notamment du général de La Porte du Theil, ancien militaire et commissaire scout adjoint de la province d’Île-de-France. Les Chantiers ressemblent par bien des aspects au scoutisme... le volontariat en moins : les Chantiers s'apparentent en effet à une sorte de « service civil obligatoire »287. Néanmoins, les Chantiers ne constituent qu'une période – le stage dure

effectivement huit mois288 – dans la vie des individus ; pour les jeunes étudiés, c'est également au

terme de cette « période » qu'ils contractent un engagement résistant. Les Chantiers ne sont-ils qu'une époque – celle du vichysme – pour eux ? En quoi participent-ils à retarder ou à accélérer l'engagement résistant ?

1. Une pédagogie inspirée de la Route qui séduit la jeunesse scoute

En juin 1940, face au désœuvrement des 90 000 conscrits de la classe 1940 qui n'ont pas eu le temps d’être incorporés avant l'armistice, le général Louis Colson, secrétaire d’État à la Guerre, confie au général de La Porte du Theil, ancien militaire et ancien commissaire scout adjoint de la province d’Île de France289 l'encadrement provisoire des conscrits. Par le décret du 31 juillet 1940,

286Alary Éric ; Vergez-Chaignon Bénédicte (dir.), Dictionnaire de la France sous l’Occupation, Paris, Larousse, 2011, p. 161-162

287Pécout Christophe, « Les chantiers de la jeunesse (1940-1944) : une expérimentation pédagogique sous le gouvernement de Vichy », Guerres mondiales et conflits contemporains n° 234, 2009/2, p. 53

288Laneyrie Philippe, Les Scouts de France, op. cit., p. 149

ils sont donc réaffectés donc dans des Chantiers de la jeunesse, camps de plein air où les jeunes effectuent des travaux ruraux et forestiers, encadrés en majorité par des cadres de l'armée d'armistice290. À leur suite, le stage devient obligatoire pour tous les jeunes hommes de zone sud et

d'Afrique du Nord française âgés de 20 ans291. Entre 1940 et 1944 – année de la dissolution des

Chantiers –, 400 000 hommes sont concernés. Véritable organisation d'encadrement de la Jeunesse, les Chantiers s'inspirent largement du scoutisme, dont La Porte du Theil loue la vie rude et en pleine nature : la vie de chaque groupement se déroule ainsi en plein air, loin de la ville et la première tache des jeunes est de construire leur campement292.

D'une part, le fonctionnement hiérarchique des Chantiers est semblable à celui du scoutisme : les Chantiers sont gérés à l'échelle régionale, chacune des six régions région rassemblant 8 à 10 groupements de 1 500 à 2 200 hommes, divisés en groupes de 150 à 220, eux- mêmes répartis en équipe de 14 – à un groupe correspond un campement293. Les techniques et les

activités scoutes sont également prisées et mises en œuvre, à l'instar des veillées, des jeux d'équipe, des entraînements physiques et des feux de camps. Les responsables d'équipe – à la tête de 14 personnes – sont souvent issus du scoutisme et portent, comme dans le mouvement, deux bandes blanches sur la poitrine pour signaler leur rôle de chef294.

D'autre part, les Chantiers s'appuient sur la transmission de valeurs semblables à celles véhiculées chez les Scouts de France, qui peuvent se résumer au « goût du travail, [au] goût de l’effort, [au] sens de la discipline et [à] l'amour de la Patrie »295. Les Chantiers, officiellement non

confessionnels296, sont en réalité empreints de morale chrétienne et les aumôniers y jouent un rôle

important. L’aumônier général des Chantiers n'est autre que le père Marcel-Denys Forestier, déjà aumônier national des Scouts de France. À l'instar du scoutisme où il fait partie de la maîtrise d'unité ou de groupe, l’aumônier occupe une place prépondérante dans l'organisation puisqu'il a le rôle d'assistant du chef de groupement297. Christophe Pécout résume d'ailleurs le projet éducatif du

fondateur des Chantiers en remarquant combien il s'est inspiré de la pédagogie de la Route, branche aînée des Scouts de France, tant sur le plan spirituel que sur le plan éducatif et civique :

290 Pécout Christophe, « Les chantiers de la jeunesse (1940-1944) : une expérimentation pédagogique sous le gouvernement de Vichy », Guerres mondiales et conflits contemporains n° 234, 2009/2, p. 56

291 Duquesne Jacques, Les catholiques français sous l’Occupation, Paris, Seuil, 1996, p. 209

292 Pécout Christophe, « Les chantiers de la jeunesse (1940-1944) : une expérimentation pédagogique sous le gouvernement de Vichy », Guerres mondiales et conflits contemporains n° 234, 2009/2, p. 59

293 Cointet Jean-Paul ; Cointet-Labrousse Michèle, Dictionnaire historique de la France sous l’Occupation, Paris, Tallandier, 2000, p. 146-148

294 Laneyrie Philippe, Les Scouts de France, op. cit., p. 150

295 Pécout Christophe, « Les chantiers de la jeunesse (1940-1944) : une expérimentation pédagogique sous le gouvernement de Vichy », Guerres mondiales et conflits contemporains n° 234, 2009/2, p. 55

296Cointet Jean-Paul ; Cointet-Labrousse Michèle, Dictionnaire historique de la France sous l’Occupation, Paris, Tallandier, 2000, p. 146-148

« […] C'est la branche aînée Route qui inspire le plus la méthode de La Porte du Theil : mêmes finalités éducatives et idéologiques, développement par santé, sport, maîtrise de soi, sens de autres, sens du service, participation à la vie du pays, à la communauté, habilité technique et apprentissage, encadrement, sens de Dieu, retour aux valeurs chrétiennes »298.

Enfin, le patriotisme, qui constitue un pilier du scoutisme, est également très valorisé au sein des Chantiers au point de se confondre presque avec une pratique martiale : en effet, le port de l'uniforme, les exercices de marche au pas, le salut au drapeau, la discipline, le régime de permission, etc. pourraient faire ressembler les Chantiers à une organisation militaire299. Pourtant,

ils ne sont ni une armée camouflée ni un organe de préparation clandestine à la remobilisation300.

Les Chantiers sont de surcroît un vecteur primordial et privilégié de la politique vichyste, du culte du Maréchal et de l'idéologie de la Révolution Nationale. Le patriotisme véhiculé en son sein célèbre Vichy comme un pouvoir légitime, établi et salutaire pour la France, conception que l'on peut retrouver chez les Scouts de France.

2. Le scoutisme, tremplin de la responsabilisation au sein des Chantiers

Au sein du corpus étudié, 17 hommes sont concernés par les Chantiers de la jeunesse, soit à peine plus de 5,5% de notre population : un calcul plus exact pourrait être effectué en tenant compte du nombre de jeunes concernés par les Chantiers, pour chaque année de la guerre, dans notre base de données301 ; de même, il faudrait tenir compte du nombre de jeunes qui se trouvent en zone

occupée avant 1942, afin de les exclure de ceux concernés par cette réquisition. Enfin, ce chiffre relativement faible de 17 individus peut aussi s'expliquer par le fait que les lettres écrites au Mémorial soient évasives quant aux activités des défunts pendant la guerre, et plus renseignées sur les circonstances de leur mort. Cela s'expliquerait non par la volonté de cacher un passage éventuel aux Chantiers, qui ne sont pas mal vus par ceux qui les évoquent dans leurs lettres – au contraire, en raison notamment du mythe résistancialiste qui entoure les Chantiers302, et du rôle ensuite tenu par

les individus dans la libération du territoire français –, mais par le fait que ceux qui écrivent au

298Pécout Christophe, « Les chantiers de la jeunesse (1940-1944) : une expérimentation pédagogique sous le gouvernement de Vichy », Guerres mondiales et conflits contemporains n° 234, 2009/2, p. 60

299Cointet Jean-Paul ; Cointet-Labrousse Michèle, Dictionnaire historique de la France sous l’Occupation, Paris, Tallandier, 2000, p. 146-148

300Pécout Christophe, « Pour une autre histoire des Chantiers de la Jeunesse (1940-1944) », Vingtième Siècle. Revue d'histoire, n° 116, 2012/4, p. 106-107

301Il nous manque cependant les données relatives au lieu de vie et aux exemptions éventuelles des Chantiers pour produire de tels calculs.

302Pécout Christophe, « Les chantiers de la jeunesse (1940-1944) : une expérimentation pédagogique sous le gouvernement de Vichy », Guerres mondiales et conflits contemporains n° 234, 2009/2, p. 53-56

Mémorial sont peu renseignés : frères ou sœurs cadets du défunts, ils l'ont mal connus et ne savent d'eux que la cause de leur décès, camarades scouts ou de combat, ils ne se souviennent pas précisément des activités du défunt pendant la guerre, etc.

En tant que commissaire général, La Porte du Theil attend d'un responsable aux chantiers plusieurs missions, qu'il expose en août 1941 – certainement aux jeunes des Chantiers :

« Un chef véritable fait éclore autour de lui ou plutôt se développer quantité de vocations de chefs qui s'ignoraient parce qu'ils n'avaient pas eu encore l'occasion de prendre pleinement conscience d'eux- mêmes. […] La vie n'est belle que lorsque l'on l'expose hardiment et sans calcul dans la bataille ; alors elle est magnifique et féconde. C'est cela que nous avons voulu pour les chefs des Chantiers. »303

Les multiples missions du chef aux Chantiers ressemblent à celles du chef dans le scoutisme : chefs dans le scoutisme : faire naître d'autres âmes de chef, et donc responsabiliser les hommes dont ils ont la charge ; les faire progresser ; leur enseigner le dévouement – vraisemblablement, le dévouement pour Vichy et la Révolution nationale. Cette similitude des tâches explique pourquoi les responsabilités dans les Chantiers sont souvent confiées à des Scouts de France ayant occupé des fonctions de direction dans le mouvement304. L'échantillon qu'il nous est

donné d'étudier met en avant la responsabilisation de onze individus au sein des Chantiers, dont six avaient occupé au sein du scoutisme des responsabilités locales ou nationales. La Porte du Theil recrute également des cadres parmi les officiers et sous-officiers démobilisés après l'armistice, dont l'expérience de commandement dans l'armée se double souvent d'une expérience d'encadrement dans le scoutisme, à l'instar de Bernard Nouvel et Robert de Courson, tous les deux commissaires de district chez les Scouts de France305. Polytechniciens et routiers au clan de l'école, nés

respectivement en 1911 et 1912, ils sont commissaire du Chantier n° 8 situé à Le Châtelard, en Savoie pour de Courson306 et commissaire adjoint au Chantier n° 16, basé à Le Muy dans le Var puis

à Manosque dans les Alpes-de-Haute-Provence pour Nouvel307. Hugues Bartet, né en 1910, est

également commissaire scout du district de Fontainebleau et officier d'active avant l'armistice : il devient commissaire du groupement n° 38 des Chantiers – dans les Hautes-Pyrénées – en 1942 et est révoqué en 1944 sous la pression de l'occupant308. Claude Lerude, assistant puis chef de troupe à

303 MNSMF, Riaumont, fonds Hugues Bartet, ANACJF Délégation Alsace, Hugues Bartet – Un chef, 1995, p. 2 304 Pécout Christophe, « Les chantiers de la jeunesse (1940-1944) : une expérimentation pédagogique sous le

gouvernement de Vichy », Guerres mondiales et conflits contemporains n° 234, 2009/2, p. 56 305 Ibid., p. 56

306 MNSMF, Riaumont, fonds Robert de Courson, Lettre de Yvonne de Courson, novembre 1994, p. 1 307 MNSMF, Riaumont, fonds Bernard Nouvel, Lettre de Pierre Philippe, 29 janvier 1996, p. 1

la 2e Orléans, devient également chef du groupement n° 1 à Tronçais, dans l'Allier, à partir de juillet

1940309.

Jacques Bouroche et Jean Foillard, tous les deux nés en 1918, ont tous les deux occupé des fonctions de commandement dans le scoutisme : Jacques Bouroche, scout puis routier, a fondé une troupe scoute à Meudon en région parisienne en 1938310 tandis que Jean Foillard assistant puis chef

de troupe à Lyon, devient ensuite commissaire de district puis commissaire national Route entre 1941 et 1944. Il fonde également le clan des apôtres à Lyon en 1937311. Les deux hommes, habitués

à commander mais également capables de créer et d'organiser une unité d'hommes, deviennent chefs de groupe dans les Chantiers : Jacques Bouroche est affecté, après sa démobilisation de l'armée d'armistice en février 1941, en tant que chef de groupe à Casteljaloux dans le Lot-et-Garonne ; Jean Foillard devient chef de groupe à Saint-Laurent-du-Pont en Isère. On ne sait pas en revanche s'il a été cadre aux Chantiers avant de prendre ses responsabilités nationales scoutes, ou s'il a conjugué les deux – ce qui ne semble pas contradictoire si l'on sait que le père Forestier l'a lui-même fait.

Paul Itier de Saint-Léon, routier à Lyon au clan Albert de Mun d'abord, puis au clan de Villars-de-Lans jusqu'en 1940 ensuite, devient chef d'atelier au sein du Chantier n° 11, basé à Villard-de-Lans également, dissous le 30 novembre 1943312. André Boubay, chef de la 1e Mauriac

dans le Cantal, Jean Traversat, chef d'équipe au clan de Limoges, et Bernard Perrin, routier au clan Albert de Mun de Lyon, sont nommés chefs d'équipe, respectivement au Chantier n° 24, basé à Lodève dans l'Hérault pour Boubay, à Pontgibaud dans le Puy-de-Dôme pour Traversat, et au Chantier du Vercors pour Perrin. Ce dernier est raflé, au sein même du Chantier le 28 mai 1943313,

pour partir en Allemagne avec d'autres requis dans le cadre du STO314.

Individu Naiss. Chantiers Parcours scout avant 1940315

Hugues BARTET 03/03/10 Commissaire groupement 38

SCOUT Fontainebleau

ROUTIER Polytechnique (cl. des rois mages)

CD Fontainebleau

André BOUBAY CE

groupement 24

SCOUT Mauriac (1e)

CT Mauriac (1e)

Jacques 20/06/18 CG316 SCOUT 1930 1936 Valence (3e)

309 MNSMF, Riaumont, Wetterwald François, Claude Lerude, Orléans, Rouam, 1947, p. 52 310 MNSMF, Riaumont, fonds Jacques Bouroche, Lettre de Georges Ligney, février 1996, p. 1 311 MNSMF, Riaumont, fonds Jean Foillard, feuille de renseignements complétée, [1996?], p. 1

312 MNSMF, Riaumont, fonds Paul Itier de Saint-Léon, Feuille de renseignements complétée, [1994?], p. 2 313 MNSMF, Riaumont, fonds Bernard Perrin, Lettre de Françoise Andriot, s.d., p. 2

314 Spina Raphaël, Histoire du STO, Paris, Perrin, 2017, p. 188-189

315 Ce qui nous intéresse est effectivement la responsabilisation dans le mouvement scout avant les Chantiers.

316 CG, pour chef de groupe, n''est employé que dans ce tableau en référence aux responsabilités exercées dans les Chantiers. A ne pas confondre avec l'abréviation CG utilisées dans le reste de notre étude pour parler du chef de

Individu Naiss. Chantiers Parcours scout avant 1940

BOUROCHE groupement 36 ROUTIER 1937 1938 Valence (clan ND des Neiges)

ROUTIER Paris (tr du Cardinal)

CT 1938 Meudon Bellevue (1e)

- fonde cette troupe (1938)

CC Valence

Robert B. DE COURSON

25/07/12 Commissaire groupement 8

ROUTIER Polytechnique (cl des rois mages)

CD District

Jean FOILLARD 01/01/18 CG

groupement 10

LOUV. 1927 1929 Lyon (2e) SCOUT 1929 1930 Lyon (11e)

SCOUT 1930 1935 Lyon (19e, tr Bayard, Trinité) ROUTIER 1934 1936 Lyon (19e, clan Albert de Mun) ROUTIER 1937 Lyon (11e, clan des apôtres)

- fonde ce clan (1937) ACT 1934 1936 Lyon (11e) CT Lyon (19e, tr Bayart) CD District CN Route 1941 1944 National Paul I. DE ST LEON

05/07/12 Chef d'atelier SCOUT

ROUTIER 1940 Villard-de-Lans (clan)

ROUTIER Lyon (3e, clan Albert de Mun)

Claude LERUDE 02/06/20 Chef de groupement, groupement 1

SCOUT 1933 1934 St Armand-Montrond (tr Psichari) SCOUT 1934 1937 Orléans (2e, tr Monseigneur) ROUTIER 1928 1937 Orléans (2e)

ACT 1937 1937 Orléans (2e, tr Monseigneur) CT 1938 0 Orléans (2e, tr Monseigneur) Georges MAUFFAIT 17/02/21 CE groupement 4 LOUV. 1932 1933 Audruicq (1e) SCOUT 1933 1938 Audruicq (1e) Bernard NOUVEL 06/03/11 Commissaire adjoint groupement 16

ROUTIER Polytechnique (cl des rois mages)

Bernard PERRIN 20/02/21 CE ROUTIER 1941 1942 Lyon (clan Albert de Mun)

Jean

TRAVERSAT

28/03/23 CE LOUV. Niort (2e)

SCOUT Limoges (3e)

ROUTIER 1940 Limoges (clan St Martin) Tableau 5 : Responsabilités occupées dans les Chantiers par le prisme du parcours scout

André Boubay meurt le 18 octobre 1941 en se noyant accidentellement à Saint-Guilhem, groupe scout.

dans l'Hérault. L'uniforme de l'organisation, qu'il revêt sur son image mortuaire – on distingue le béret, la cravate et la chemise – témoigne du fait que son rôle aux Chantiers ait tenu une place importante dans sa jeunesse et soit vécu comme un véritablement engagement, auprès de la France et de Vichy. Il meurt d'ailleurs au Chantier en tentant de sauver l'un des hommes de son équipe, si l'on en croit la citation apposée sur son signet funéraire dans laquelle on retrouve tout l'idéal de sacrifice et de dévouement mis en avant par La Porte du Theil à propos du chef :

Bel exemple de conscience de son devoir, d'esprit de sacrifice et d'oubli de soi-même, est mort victime de son dévouement ; s'est jeté à l'eau tout habillé pour essayer de sauver un de ses équipiers en train de se noyer.317

Parmi les autres individus entrés dans les Chantiers, Jacques de Baudus, routier à Lille puis chef de troupe à la 1e Guéret jusqu'en 1940, entre au Chantier de Pontgibaud en juillet 1942, avant

donc que Jean Traversat n'y soit convoqué ; d'une santé fragile, il est déclaré inapte en octobre à poursuivre le stage, avant d'y retourner l'année d'après318. Sa santé et sa présence aléatoire sont peut-

être les raisons pour lesquelles il n'a pas obtenu de responsabilité au sein de l'organisation. Il n'y a que Georges Mauffait qui n'ait pas été routier avant les Chantiers : ce dernier entre en zone sud durant l'été 1940 et intègre le groupement n °4, basé à Cormartin dans la Saône-et-Loire, où il devient chef d'équipe319 : il y reste plus que les huit mois demandés puisqu'il devient chef d'une

équipe en 1942 avant de rejoindre Audruicq, sa ville d'origine, en décembre. Est-ce son séjour prolongé au sein de l'organisation qui lui a donné la responsabilité d'une équipe ? La question reste ouverte. Étienne Magot, Gabriel Duchêne, Pierre Kammerlocher ainsi que les frères Yves et André Montel, ont également effectué un passage dans un des Chantiers d'Afrique du Nord ou de métropole pendant la guerre, sans que l'on sache où. Ils n'y ont vraisemblablement assumé aucune responsabilité, aucune qui ne soit mentionnée dans les lettres en tout cas.

Individu Naiss. Chantiers Parcours scout avant 1940 Jacques

BAUDUS (DE)

12/04/21 Pontgibaud SCOUT 1935 1939 Lille (5e, gr Lyautey) ROUTIER 1939 1940 Lille (5e)

CT 1939 1940 Guéret (1e) Gabriel

DUCHENE

29/05/24 Chantiers SCOUT Marseille

ROUTIER

Pierre 28/06/19 Chantiers ROUTIER Belfort (3e, clan G. de Larigaudie)

317 MNSMF, Riaumont, fonds André Boubay, Signet funéraire, 1941, p. 1 318 Bessières Albert ; Liénart Achille, Jacques de Baudus, op. cit., p. 93-95

Individu Naiss. Chantiers Parcours scout avant 1940 KAMMERLOCH

ER

CT Belfort (4e)

Etienne MAGOT 09/05/25 Chantiers (centre Siroco)

SCOUT Alger (gr St Dominique)

André MONTEL 15/09/21 Chantiers SCOUT Lyon (19e, tr Bayard, Trinité)

ROUTIER 1940 1942 Lyon (3e, clan Albert de Mun)

Yves MONTEL 18/05/20 Chantiers SCOUT Lyon (19e, tr Bayard, Trinité)

ROUTIER 1940 1942 Lyon (3e, clan Albert de Mun) Tableau 6 : Individus n'ayant pas occupé de responsabilité aux Chantiers de la jeunesse Responsabilités

Ajoutons à ces jeunes gens le cas d'un 18e homme concerné par les Chantiers, mais en tant

que réfractaire cette fois-ci : il s'agit de Claude Biran-Amade. Né en 1924, il a du être appelé au cours de l'année 1944, année où les réfractaires, nombreux, n'ont pas répondu à leur convocation pour les Chantiers du fait du danger qu'ils représentaient vis-à-vis du STO et du fait de la décrédibilisation de plus en plus importante de Vichy aux yeux des Français320. Il intègre un maquis

dans le Lot-et-Garonne, et est tué au combat le 15 août 1944321. Tout au long de la guerre et à l'instar

de Vichy, les Chantiers suscitent une méfiance naissante chez les jeunes qui y sont convoqués. L'attrait pour la vie et les valeurs de telles organisation concerne toujours la majorité des individus étudiés, mais il se teinte, dans quelques cas, d'une défiance menant à l'engagement dans la Résistance.

3. Des Chantiers... à l'engagement résistant ?

Les Chantiers de la jeunesse ont suscité l'enthousiasme de la jeunesse scoute, qui retrouve dans l'organisation, les valeurs véhiculées et le mode de vie des Chantiers de grandes similitudes avec la pédagogie scoute. Responsabilisés, baignés de patriotisme – vichyste – et d'une spiritualité semblable à celle qu'ils connaissent chez les Scouts de France, leur engouement est indéniable et les Chantiers constituent en ce sens un véritable retardateur dans l'engagement résistant : séduits par la Révolution nationale, les jeunes hommes des Chantiers ne réalisent pas – ou ne veulent pas réaliser – les accointances que le régime entretient avec l'Allemagne, surtout après l'invasion de la zone sud en novembre 1942. La soumission de Vichy à l'Occupant devient de plus en plus prégnante, en témoigne par exemple la volonté des Allemands de considérer les Chantiers comme un vivier de main d’œuvre pour le STO. Néanmoins, l'organisation de jeunesse n'agit pas seulement comme un

320 Spina Raphaël, Histoire du STO, op. cit., p. 188

retardateur de l'engagement : dans deux cas de figure, elle est même un incubateur d'engagement,