• Aucun résultat trouvé

Situation 11 :

J’ai rencontré Samuel (12 ans) alors qu’il était dans une phase de doute. Il était démotivé et sa maman essayait un changement de professeur en dernier recours avant d’accepter qu’il arrête le violon. Nous avons abordé le premier cours en composant une mélodie et en l’exploitant sous toutes ses formes. Il a été surpris dans un premier temps, puis ravi que je ne l’interroge pas d’emblée sur son travail. J’ai senti qu’il s’était précédemment beaucoup ennuyé avec son instrument et par ailleurs qu’il ne maitrisait pas la lecture de la musique. Nous nous sommes donc mis à composer nos propres morceaux. Au début, j’écrivais ce qu’il me jouait. Je lui demandais d’être précis dans son jeu afin que je par-vienne à noter ce qu’il voulait. Parfois, nous nous heurtions à des difficultés (fausses notes) et il nous fallait préciser, adapter ou modifier légèrement. Nous en discutions. Les échanges furent très riches et Samuel reprit rapidement confiance. Je me rendais compte qu’il avait plein d’idées. Les premiers temps, je ne lui demandais aucun autre travail pendant la semaine que de recopier proprement et de jouer nos compositions de la leçon. Puis nous avons inversé les rôles et c’est lui qui devait écrire des mélodies qui lui plaisaient. Rapide-ment, Samuel s’est aperçu qu’il maitrisait les bases du solfège. Il devenait plus autonome. J’ai pu lui proposer un nouveau morceau sur une partition. Il n’a plus parlé d’arrêter le violon.

Situation 12 :

J’ai eu dans mes cours de soutien plusieurs élèves qui paraissaient parfaite-ment « intelligents », mais qui pourtant, d’après les maitresses, refusaient d’apprendre. Anne était en 2e année enfantine. Les apprentissages scolaires ne l’intéressaient pas et elle ne retenait ni les chiffres ni les lettres qui étaient au programme de l’année. En classe, elle présentait des déficits d’attention de façon générale, et dérangeait ses camarades. Je lui proposai que nous inven-tions une histoire qui deviendrait son livre. Ravie d’avoir mon attention pour elle toute seule, Anne n’eut aucune difficulté à imaginer une aventure remplie de suspens et de détails que j’écrivais au fur et à mesure. Chaque semaine, je lui demandais de résumer la dernière partie. Nous en discutions ensemble. Puis elle inventait un nouvel épisode. Ce travail s’étala sur plusieurs semaines. Après que l’histoire fut terminée, Anne illustra patiemment chaque épisode, selon les indications que nous avions retenues et que j’avais notées. Je numé-rotai les pages et, au début des cours, j’inventai des petits jeux de recherche et d’écriture des numéros en lien avec ces pages (que s’est-il passé à la page 3, quel est le chiffre deux pages plus loin, etc.). Cela l’amusait et elle n’eut alors aucune peine à mémoriser la lecture des chiffres jusqu’à 10. Anne était très liée à ce travail et se réjouissait d’une séance à l’autre. Quand son livre fut terminé, je lui demandai de le raconter à toute sa classe, en montrant les images, ce qu’elle fit avec une assurance étonnante.

48

EnavantlamusiquE !

Pour aborder le thème de la motivation, je me permets de citer les interrogations de J.-F. Perret :

Comment tenter d’apprécier objectivement l’apport de l’éducation musicale en termes d’intérêt, de motivation, de source de satisfaction, de joie, voire de sens ? Quels critères se donner pour mettre en évi-dence ces aspects fondamentaux de l’apprentissage musical, aspects que les pratiques usuelles d’évaluation tendent si souvent à ignorer ? 13

Dans tout apprentissage, il est nécessaire que l’élève trouve du sens. Un travail bien accompagné l’aide à oser, à devenir curieux et inventif, à se surpasser. Alors il a envie de persévérer, d’essayer encore de perfectionner.

Le travail répétitif et mécanique est souvent démotivant. Jouer pour jouer, chanter pour chanter, apprendre pour apprendre, même si la musique est belle, peut devenir un exercice dénué de sens et donc rébarbatif. Surtout lorsque l’élève rencontre des difficultés et se heurte à des blocages d’apprentissages.

J’ai eu nettement moins de problèmes de motivation chez mes élèves (aussi bien dans les cours individuels qu’en classe de musique) depuis le jour où j’ai décidé de ne plus avoir d’attentes particulières du cours lui-même. Cela ne m’empêche pas de fixer des objectifs à moyen et à long terme, mais, au moment présent, j’ai appris à considérer la leçon pour elle-même dans une dynamique de rencontre. Ainsi, je considère chaque leçon comme une situation nouvelle.

Les échéances (présentations, concerts, examens) posent certes un cadre de moti-vation, particulièrement en milieu scolaire. Je les exploite également. Pour moi, ce sont des occasions importantes et nécessaires, mais qui doivent garder un caractère réjouissant. Après tout, le peintre ne travaille-t-il sur un tableau que pour l’exhiber ou le vendre ? Plus modestement, l’enfant peut être motivé à faire un beau dessin, car il aimerait faire plaisir à un proche. Mais il peut aussi, à l’inverse, s’investir pleinement dans son œuvre, avant de se faire une joie de l’offrir. La démarche est toute autre, et sa motivation profonde vient alors de l’envie de donner de lui-même. C’est dans ce besoin de s’exprimer qu’il faudrait à mon sens chercher et cultiver la motivation dans les cours de musique.

Dans le cadre des cours de violon (particulièrement dans les niveaux élémentaires), d’une part je me laisse surprendre par ce que l’élève me présente, et d’autre part je ne place plus de priorité sur les devoirs effectués pendant la semaine. J’ai en effet remar-qué que lorsque l’élève se sent d’emblée jugé, cela est totalement contreproductif. Je considère que c’est un moment de rencontre hebdomadaire qui nous est donné. Je garde en tête que le but de ma présence est que l’élève s’épanouisse. J’aborde donc le cours dans une ambiance réceptive et bien sûr créative. Notre échange est à chaque fois une surprise, même si je sais qu’il y a une ligne de progression instru-mentale incontournable et, comme je l’ai dit, des objectifs à atteindre. Comme décrit plus haut, j’aborde (dans la mesure du possible) les nouvelles pièces en référence à des choses connues, ou bien nous en exploitons les apprentissages dans des impro-visations.

13 Perret Jean-François (éd.), Musique vécue, musique apprise, DelVal, Cousset Fribourg ; Institut romand de recherches et documentation pédagogiques (IRDP), Neuchâtel, 1993.

On pourrait penser qu’une méthode d’instrument de musique bien élaborée puisse convenir à tous, car elle permet d’aborder les difficultés progressivement. Il n’est pas exclu qu’un élève studieux et particulièrement « docile » puisse cheminer sans pro-blème et considérer l’avancement dans la méthode comme une source de motivation en soi. Mais il me semble que de plus en plus d’enfants sont vite démotivés par une telle approche « toute faite ». J’ose avancer que l’une des principales raisons est que les enfants d’aujourd’hui ont un urgent besoin de créativité et d’une attention per-sonnalisée.

Le fait de pouvoir faire de la musique en groupe, de partager avec d’autres, de parve-nir à un niveau suffisant pour entrer dans une chorale ou un orchestre est une bonne source de motivation. Cela donne un sens au fait d’apprendre à lire la musique par exemple, pour les instrumentistes et les chanteurs.

Par rapport à ce qui précède, j’aimerais ajouter que mes trois années d’expérience à l’école publique dans le domaine du soutien et du renfort pédagogique ont fait consi-dérablement évoluer mon enseignement musical. J’ai compris que ce qui a du sens pour le maitre n’en a pas forcément pour tous les élèves. Lorsque ce n’est pas le cas, référons-nous à ce qu’ils connaissent et avec quoi ils sont à l’aise. La situation 12 est présentée dans ce sens, même si elle n’a pas de rapport direct avec la musique. En résumé, il est important de comprendre que si un enfant n’est pas motivé et ne semble pas s’impliquer dans le travail, ce n’est pas forcément qu’il n’en est pas capable, mais probablement qu’il n’en voit pas le sens. Dans le cadre de la musique, c’est à nous, enseignants, d’oser sortir des chemins battus pour aborder la musique sous des formes différentes, afin que nos élèves se sentent concernés et touchés par leurs expériences.

« L’enfant n’est pas un vase qu’on remplit, mais un

feu qu’on allume »