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Situation 26 :

Laura n’a pas encore 5 ans lorsque ses parents s’adressent à moi pour des leçons de violon. La pédiatre leur a conseillé de proposer des cours de musique à leur fille, car elle est très éveillée, quelque peu hyperactive, et semble avoir besoin de plus de stimulations. Laura a choisi le violon. Elle est très jeune et je propose une initiation musicale individuelle avec le violon intégré. Au début, nous composons des petites comptines rythmiques, nous récitons, nous chan-tons, nous exerçons une rythmique simple en mouvement et avec des frappés corporels. Nous dessinons aussi les mouvements de la musique. Au cours de chaque leçon, nous apprenons une petite chose sur le violon, et surtout nous le choyons, nous découvrons ses qualités vibratoires, les gestes de caresse de l’archet, les sons des cordes à vide, et à la fin nous le bordons dans son petit lit, avec soin. Tout au long des leçons, je joue sur mon instrument des petits airs ou des chansons qu’elle connait, ou que je lui apprends. Laura est très vive au début. Mais cette agitation se transforme vite en curiosité et en créativité. Elle apporte beaucoup d’idées. Après quelques cours seulement, sa voix se pose, devient parfaitement juste et magnifique. À partir de ce qu’elle chante et de ce qu’elle invente, nous créons nos premières chansons pour le violon. Quelques mois plus tard, sa concentration a tant progressé que nous pouvons travailler toute la leçon (30 minutes) autour de l’instrument. Laura a 8 ans aujourd’hui et ses leçons de violon sont autant de bonheur pour l’élève que pour le professeur.

Le cours individuel d’instrument est un moment privilégié pour chaque élève. Il est souvent le rare (si ce n’est pas l’unique) moment de la semaine où il est seul en présence d’un professeur. Cette situation particulière peut être impressionnante, voir déstabilisante pour lui. Qui n’a pas ressenti la frustration de sentir que les choses marchent tellement moins bien dans la leçon, alors que : « à la maison, j’y arrivais » ? Mais ce moment peut aussi être extrêmement porteur et enthousiasmant si l’élève se sent valorisé, qu’il est au centre d’une riche relation humaine et artistique. Cela peut avoir un impact très important sur son équilibre personnel, sa confiance et son estime de soi de façon générale, ainsi que sur sa motivation, et sa curiosité.

Le petit enfant est déjà un artiste, il n’y a qu’à le voir danser ou regarder ses dessins. Plein de vie, il est un créateur en herbe. C’est pourquoi il doit être considéré dès le pre-mier cours comme un partenaire. Dans toute relation, il y a un échange. En tant que professeur cela peut être bien embarrassant parfois d’en savoir trop. Que faire de tout ce bagage dans la situation. C’est grâce à la fraicheur et à la spontanéité de l’enfant, de ses réactions, de ses idées, de ses réflexions, que le cours reste vivant.

Cela nécessite d’être capable par moments (et particulièrement en début de cours) de laisser de côté toutes attentes particulières. La priorité, comme je l’ai déjà men-tionné, est d’accueillir l’élève comme il est, là où il est, et de chercher à le mettre en confiance… « ici et maintenant, nous allons faire un bout de chemin ensemble ». En fonction du vécu de la leçon, l’élève peut repartir serein et cheminer seul pendant la semaine jusqu’à la prochaine leçon. Comme je l’ai déjà dit, cela n’ôte nullement par

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ailleurs la conscience du maitre qui sait la direction à prendre, qui connait les objectifs et les échéances éventuelles.

Plus l’élève est forcé à faire de la musique, par ses parents par exemple, ou plus largement par son environnement ou sa condition sociale (dans certains milieux, il est encore bien vu d’apprendre à jouer d’un instrument), plus il est important de développer l’aspect créatif et personnel dans la relation. Rien ne sert de rajouter une autorité supplémentaire, de le forcer à exercer, de lui imposer un horaire d’exercice ou une discipline de travail. Cela ne fonctionne plus au XXIe siècle. C’est très certaine-ment peine perdue, car cela ne rendra pas l’élève plus intéressé. Par contre, il se peut qu’en construisant la relation autour de ce qu’il est et de ce qu’il parvient à exprimer de lui-même, dans un éveil de curiosité artistique et d’expression personnelle, ainsi que dans l’échange, une petite étincelle s’allume et qu’il prenne goût à la découverte. L’improvisation bien soutenue et la création de chansons sont certainement des outils formidables, pour les jeunes élèves en particulier.

Un enfant n’est pas un espace qu’on peut combler. Il a sa propre nature et lui seul peut s’épanouir. De même, ce n’est pas en tirant sur une fleur qu’on la fait pousser. La fleur s’épanouit en fonction du terreau dans lequel elle pousse et des conditions qui l’entourent. En l’observant attentivement, on s’aperçoit peut-être que quelque chose lui fait de l’ombre, mais qu’on peut lui apporter de la lumière. Que la terre est peut-être sèche, mais qu’on peut lui donner à boire. À ses côtés, on s’efforcera de nourrir le terreau dans lequel elle pousse. C’est ce qu’exprime cette magnifique citation célèbre :

« Un enfant n’est pas un vase qu’on remplit, c’est une plante qu’il faut cultiver. »