• Aucun résultat trouvé

CHAPITRE I : Introduction

1.4 Changements locaux à la JNM dans la SLA

Tel que mentionné précédemment, la perte de la JNM est un événement précoce mais peu caractérisé dans la SLA (Fischer et al., 2004; Pun et al., 2006; Vinsant et al., 2013; Tallon et al., 2016). La perte de JNMs semble indépendante de la dégénérescence du corps cellulaire des motoneurones-α (Gould et al., 2006; Suzuki et al., 2007; Parone et al., 2013), mais les mécanismes moléculaires et cellulaires menant à cette perte restent peu définis. Cela n’empêche pas que certaines études ont identifié des changements moléculaires et fonctionnels précoces à la JNM de modèles animaux de la SLA. Ces changements pourraient contribuer à la dégénérescence de cette synapse lors de la maladie, bien qu’un lien de causalité clair reste à démontrer. De manière intéressante, certains de ces changements semblent reliés aux mécanismes de réinnervation des JNMs, suggérant que ce processus compensatoire puisse être altéré ou sous-optimal durant la progression de la maladie.

1.4.1 Les altérations précoces moléculaires et fonctionnelles de la JNM

1.4.1.1 L’altération précoce de l’activité synaptique

L’un des changements les plus précoces à la JNM dans la SLA est l’altération de l’activité synaptique (Rocha et al., 2013; Arbour et al., 2015), étant observable plus de 12 mois avant l’apparition des premiers symptômes dans un modèle murin lent de la SLA (SOD1G37R ligne 29). Ces changements ne sont pas spécifiques aux modèles SOD1, ayant été observés chez des souris TDP-43Q331K (Chand et al., 2018), des poissons zébrés (Danio rerio) (Armstrong and Drapeau, 2013a, b) ou des drosophiles (Drosophila melanogaster) (Shahidullah et al., 2013; Machamer et al., 2014) porteurs de divers mutations associées à la SLA, ainsi que chez des patients (Maselli et al., 1993). Cependant, ces études semblent contradictoires, certaines rapportant une diminution (Maselli et al., 1993; Armstrong and Drapeau, 2013a, b; Shahidullah et al., 2013; Machamer et al., 2014; Chand et al., 2018) ou une augmentation de la transmission synaptique (Arbour et al., 2015), ou les deux (Rocha et al., 2013). Face à cette controverse, notre laboratoire a récemment effectué une analyse systématique de l’activité synaptique à la JNM dans des souris SOD1G37R (Tremblay et al., 2017) (annexe 1), montrant que ces changements d’activité évoluaient au fil du temps, et dépendaient du type d’unité motrice. En effet, la

transmission synaptique était constamment diminuée aux JNMs associées à des unités motrices FF, alors qu’elle était initialement augmentée aux JNMs d’unités motrices S avant de revenir à la normale peu avant l’apparition des symptômes. Dans tous les cas, ces changements semblent d’origine présynaptique, étant associés à une diminution ou une augmentation de la quantité de vésicules synaptiques libérées (la force synaptique) (Figure 1.13). Bien que la cause et l’impact de cette altération de la fonction synaptique demeurent encore incertains à ce jour, elle démontre que la JNM est affectée à un stade très précoce et de façon ubiquitaire dans la SLA, longtemps avant l’apparition des premiers changements structuraux.

1.4.1.2 L’apparition de facteurs déstabilisant la synapse

D’autre part, plusieurs études rapportent des changements précoces dans diverses voies de signalisation régulant la stabilité ou la réparation de la JNM dans des modèles de la SLA (Gonzalez de Aguilar et al., 2008; Moloney et al., 2014), et précédant ou coïncidant avec la dénervation ou l’apparition des symptômes moteurs. Notamment, les changements liés à des molécules de guidage axonale (Nogo-A et la sémaphorine-3A (Sema-3A)), à la protéine précurseur de l’amyloïde (« amyloid precursor protein », APP) et au micro-ARN 206 (miR-206) sont les mieux documentés.

Nogo-A et Sema-3A sont deux facteurs chémiorepulsifs qui inhibent la croissance axonale. Tel que mentionné précédemment, les niveaux de Nogo-A et de la Sema-3A augmentent au niveau postsynaptique avant la dénervation des JNMs chez des souris SOD1G93A (Dupuis et al., 2002; Bruneteau et al., 2015; Maimon et al., 2018), et les niveaux de Nogo-A corrèlent avec les niveaux de dénervation dans les muscles de patients (Jokic et al., 2005; Bruneteau et al., 2015). De plus, les CSPs expriment également la Sema-3A suite à la dénervation (De Winter et al., 2006). De manière intéressante, l’excision du gène Nogo-A ralentit la progression de la maladie chez des souris SOD1G93A alors que la surexpression de Nogo-A semble suffisante pour induire une dénervation des JNMs (Jokic et al., 2006). De même, bloquer l’expression de la Sema-3A ou l’activité de son récepteur ralenti la dénervation des JNMs chez ces même souris (Venkova et al., 2014; Maimon et al., 2018). Ces études suggèrent que Nogo-A et la Sema-3A déstabiliseraient les JNMs et provoqueraient la rétraction de la terminaison axonale dans la SLA. Cependant, l’administration d’un anticorps bloquant la

signalisation Nogo-A à des patients SLA ne prodigue aucun effet bénéfique (Meininger et al., 2017), suggérant que ce mécanisme soit plus complexe chez l’humain.

L’APP est une protéine transmembranaire dont l’un des produits de clivage est l’amyloïde-β (Aβ), la principale composante des plaques amyloïdes observées dans la maladie d’Alzheimer. Bien qu’immédiatement associée à cette maladie, l’APP joue également un rôle dans la formation des JNMs. En effet, l’APP est absente à la JNM adulte (Akaaboune et al., 2000), mais est exprimée par les fibres musculaires lors du développement, régulant la signalisation de MuSK et LRP4, et la production de GDNF (Choi et al., 2013; Stanga et al., 2016). De manière intéressante, l’APP est également nécessaire à l’élimination de branches axonales aberrantes (poussant au-delà des JNMs et de leurs cibles) durant le développement (Nikolaev et al., 2009). Cependant, les niveaux d’APP musculaires (Koistinen et al., 2006; Bryson et al., 2012) et neuronaux (Ferraiuolo et al., 2007) augmentent drastiquement chez les souris SOD1 et chez les patients atteints de la SLA. Cette expression coïncide avec la dénervation des JNMs. Le croisement de souris SOD1G93A avec des souris déficientes en APP améliore grandement l’innervation des JNMs et la fonction musculaire, sans grandement affecter la mort neuronale et la survie des animaux (Bryson et al., 2012). Ces résultats suggèrent que l’APP contribuerait à la dégénérescence axonale et à la perte des JNMs dans la SLA.

Un autre facteur important à la JNM dans la SLA est miR-206, un micro-ARN localisé au niveau de l’élément postsynaptique et favorisant la réinnervation (Williams et al., 2009). En effet, l’expression de miR-206 augmente durant la SLA et ralentit considérablement la progression de la maladie. Cet effet compensatoire serait entre autres attribuable à son rôle dans la régulation de FGFBP1 (« Fibroblast growth factor binding protein 1 »), un facteur favorisant la différenciation de la terminaison axonale (Williams et al., 2009). Cependant, une étude récente montre que l’expression et la sécrétion de FGFBP1 musculaire est diminuée avant même l’apparition des premiers signes de dénervation chez les souris SOD1G93A (Taetzsch et al., 2017). De manière intéressante, cette diminution serait attribuable à une augmentation précoce des niveaux de TGFβ1 (« transforming growth factor ») musculaires, observée chez des souris SOD1G93A et des patients atteints de la SLA (Si et al., 2015; Taetzsch et al., 2017). En effet, le TGFβ1 réprime la synthèse et la sécrétion de FGFBP1 (Taetzsch et al., 2017), potentiellement

Dans l’ensemble ces études documentent l’activation précoce de plusieurs voies de signalisation pouvant contribuer ou moduler la dénervation des JNMs dans la SLA (Figure 1.13). Cependant, ces changements moléculaires sont-ils des éléments causaux induits par les mutations associées à la SLA ou représentent-ils une adaptation délétère du système neuromusculaire ? Dans tous les cas, ces altérations suggèrent que des changements neuromusculaires locaux peuvent induire, ou à tout le moins favoriser, la dénervation des JNMs dans la SLA.

1.4.1.3 L’altération précoce de l’activité des CSPs

Finalement, une autre altération précoce importante de la JNM dans la SLA est celle de l’activité des CSPs. Une étude récente de notre laboratoire a montré que l’activité calcique des CSPs était altérée longtemps avant la dénervation des JNMs chez des souris SOD1G37R (Arbour et al., 2015) (annexe 2). Similairement aux changements d’activité synaptique, ce phénotype empirait peu avant l’apparition des premiers symptômes et dépendait du type d’unité motrice auquel les CSPs appartenaient. Ces changements dans la capacité des CSPs à détecter l’activité présynaptique étaient associés à une augmentation de l’activation de leur mAChRs. Or, tel que mentionné précédemment, l’activation de ces récepteurs empêche la transcription de gènes associés à la réparation des JNMs, tel la GFAP chez la grenouille (Georgiou et al., 1994; Georgiou et al., 1999). Ces résultats suggèrent que la capacité des CSPs à adopter un

Figure 1.13. Altérations moléculaires et fonctionnelles précoces aux JNMs dans la SLA. Schéma représentant

deux JNMs, l’une innervée et l’autre en cours de dénervation, à des stades précoces de la SLA. Les lignes noires pleines représentent des liens démontrés alors que les lignes pointillées démontrent des liens hypothétiques. Les lignes rouges représentent un effet inhibiteur et les « X » rouges représentent une absence du facteur ou de la fonction en raison de cette interaction inhibitrice.

phénotye « pro-regénérateur » et à promouvoir la réinnervation des JNMs pourrait être inhibé ou altéré (Figure 1.13). En accord avec cette possibilité, une étude par Liu et al. (2013) montre qu’un autre marqueur associé à ce phénotype, le récepteur des neutrophines P75, semble absent des JNMs de souris ou humaine dans la SLA.

1.4.2 La réinnervation de la JNM durant la SLA

L’altération précoce de la voie de signalisation de miR-206 et l’altération de l’activité des CSPs suggèrent que les mécanismes de réinnervation des JNMs pourraient être altérés dans la SLA (Figure 1.13). Une dysfonction de ces mécanismes compensatoires pourrait potentiellement limiter la reinnervation des JMNs et exacerber la perte de fonction musculaire dans la SLA.

Afin d’évaluer cette possibilité, quelques études se sont attardées à évaluer l’efficacité de la réinnervation des JNMs suite à une lésion axonale à un stade présymptomatique dans des modèles SOD1 ou TDP-43. La plupart de ces études rapportent un délai dans la réinnervation des JNMs suite à ces lésions (Sharp et al., 2005; Pun et al., 2006; Henriques et al., 2011; Swarup et al., 2012; Mesnard et al., 2013; Carrasco et al., 2016b). Cependant, ces études utilisaient une lésion complète du nerf, induisant une dénervation de la totalité des JNMs dans les muscles étudiés. Tel que mentionné à la section 1.3.2, la réinnervation suite à ce type de lésion, ne permettant pas le bourgeonnement compensatoire, dépend uniquement de la repousse axonale. Or, la dénervation des JNMs au sein d’un même muscle est progressive durant la SLA et de nombreuses études rapportent une présence de bourgeons axonaux et terminaux et une augmentation de la taille des unités motrices survivantes (McComas et al., 1971; Dengler et al., 1990; Dantes and McComas, 1991; Schmied et al., 1999; Schaefer et al., 2005; Valdez et al., 2012; Tallon et al., 2016). En ce sens, la dénervation des JNMs dans la SLA s’apparente vraisemblablement plus à une lésion axonale partielle. Ainsi, bien que ces études suggèrent que la croissance axonale et le rétablissement des JNMs suite à une lésion axonale soient ralentis dans la SLA, l’efficacité des mécanismes de réinnervation pertinents, tel que le bourgeonnement compensatoire, demeure incertaine.