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Le changement et les mutations dans le travail enseignant

Dans le document The DART-Europe E-theses Portal (Page 68-75)

2.2 L E STRESS DANS LE TRAVAIL

2.2.3 Le changement et les mutations dans le travail enseignant

Depuis fort longtemps, l’enseignement a intéressé l’homme qui voit en ce métier une transmission du savoir et des valeurs morales relatives à la société à laquelle il appartient. Le métier de l'enseignement était centré sur l’enseignant, le savoir Curriculaire et le savoir-faire occultant quelque part le savoir-être dans des situations d’interaction, appelé le savoir sur l'éducation (Deauvieau, 2004). Ce savoir concerne aussi bien la dynamique personnelle des apprenants, de l’enseignant et la dynamique interpersonnelle entre enseignant-apprenant et enseignant-enseignants. Il se rapporte spécifiquement à la gestion de l'interaction scolaire et les processus d'enseignement.

2.2.3.1 L’évolution du travail enseignant

De nos jours, d'autres variables se sont rajoutées à la dynamique de l'enseignement et se rapportent essentiellement à l'emploi de nouvelles technologies notamment les techniques d'information et de la communication TIC et l'utilisation des systèmes informatiques (Deaudelin, Lefebvre, Brodeur, Dussault, Richer et Mercier, 2005). Cette avancée technologique et scientifique a par conséquent rehaussé le domaine de l’éducation grâce à

55 l’enrichissement des connaissances et des méthodes. Il s'agit en fait d'une transformation du travail. Dès lors, le travail enseignant se voit accompagner d’une évolution des qualifications didactiques et pédagogiques, faisant de l’enseignement une profession exigeante en formation et en professionnalisation. Dans ce sens, diverses recherches sur les connaissances des enseignants ont démontré d'une part l'importance accordée à l'amélioration de la formation des enseignants et d'autre part, le caractère professionnalisant de ce métier (Lessard et Tardif, 1999 ; Perron, Lessard et Bélanger, 1993). D'où la reconnaissance du statut de l'enseignant et du corps enseignant comme une entité professionnelle dotée d'un savoir propre et de compétences spécifiques.

Pour parvenir à approcher la conception du métier de l'enseignement, il serait plus pertinent de mettre en avant son évolution et mettre en lumière la représentation du statut de l'enseignement. En s'inspirant des travaux de Lessard et Tardif (2001), nous notons que le statut de l'enseignement a évolué en n'étant plus une vocation mais un métier qui s'apprend.

Aujourd'hui il a le statut de profession. La professionnalisation de l'enseignement a certainement résolu certains problèmes didactique, toutefois, elle a engendré des crises (Lessard et Tardif, 2004). Ces dernières semblent renvoyer aux caractéristiques du métier de l'enseignement et aux différentes charges de travail, quantitatives, qualitatives et émotionnelles (Kyriacou, 2001). Leurs examens permettent de repérer des effets délétères qui affectent non seulement la santé en général mais aussi la satisfaction au travail. En effet, la plupart des travaux développés dans ce domaine, et en particulier ceux de Karasek et Theorell (1990), Lapointe, Boudrias et Brunet (2011) Bakker et Demerouti (2006) stipulent que les demandes inhérentes aux caractéristiques du travail sont mises en cause dans les tensions psychologiques au travail.

Par ailleurs, les climats organisationnels, la bureaucratisation des systèmes éducatifs et l'évolution du public éducatif contribuent au malaise et à la crise vécue par les enseignants.

Certes, le public dans l'éducation n'est plus celui des générations passées et n'a plus le statut de l'époque antérieure. Les élèves viennent de milieux assez hétérogènes et ont des rapports avec la technologie qui le plus souvent équivalent ou dépassent ceux de l'enseignant. Aussi, les rapports qu'ils entretiennent avec l'école sont particuliers, ce qui amène l'enseignant à adapter ses pratiques à la réalité du contexte d'appartenance des apprenants (Pourtois et Desmet, 2003). La question qui se pose est de savoir, dans quelle mesure les caractéristiques

56 du métier de l'enseignement, et les pratiques enseignantes induisent une souffrance professionnelle ?

2.2.3.2 Les pratiques enseignantes et les pratiques d’enseignement

«Pratiques enseignantes» et «pratiques d'enseignement», tels sont les deux concepts voisines qui nécessitent une clarification. Selon Marcel, Dupriez et Perisset-Bagnoud (2007), «les pratiques enseignantes» font référence aux pratiques professionnelles de l'enseignant alors que

«les pratiques d'enseignement» se rapportent à la pratique pédagogique dans une situation d'interaction avec les élèves dans une salle de classe.

Trois modalités caractérisent le «travail partagé» dans les pratiques enseignantes et se rapportent essentiellement à la coordination, la collaboration et la coopération entre les acteurs. La coordination des actions a pour fin d'aboutir à un but précis en rapport avec les objectifs de l'organisation. Ceci s'effectue sur la base d'une série de processus liés aux prescriptions du métier. Or dans le renouvellement des modes de coordination, les enseignants sont invités à participer activement et à collaborer pour arriver à la concrétisation des objectifs (Marcel et al., 2007). C'est une collaboration dans la mise en place d'un dispositif de travail grâce à une communication pratique et accessible. Dans ce sens, les enseignants coopèrent ensemble pour identifier les niveaux d'intervention et l'ajuster selon des objectifs fixés (exemple de coopération entre un enseignant de français et un autre de géographie).

Toutefois, l'écart entre la théorie et la pratique demeure source de contraintes. Les conséquences d'une plateforme d’interactions qui s'opère quotidiennement entre les différents acteurs se lisent sur le plan inter et intra-individuelle ainsi que sur l’activité enseignante.

Dissocier les contingences contextuelles du comportement de l'individu, en l'occurrence l'enseignant, est vain (Anadon, Bouchard, Gohier et Chevrier, 2001). Engagé dans une boucle interactive et itérative d'une communauté d'appartenance, l'enseignant agit et subit en conséquence.

2.2.3.3 Dans l'enseignement général

La transformation de l'espace de travail et la diversité des partenaires impliqués dans le travail en classe et en dehors de la classe engendrent des changements quant à la définition de la tâche de l'enseignant dans sa pratique professionnelle. Cette dynamique dans l'évolution du métier qui est passée de l'individuel au collectif a suscité l'intérêt de nombreuses approches développées en sciences du travail, en sciences cognitives, en sciences de la formation et de

57 l'éducation et en ergonomie. Ainsi, de nouveaux modes de pratiques enseignantes se sont développés et ont fait l'objet de diverses analyses du travail centrées sur l'activité.

Dans le cadre d'une approche ergonomique, Touraine (1992) a étudié l'impact de l'évolution à laquelle assiste le métier de l'enseignement et a identifié de nouveaux modes de rapports aux pratiques enseignantes. Selon l'auteur, l'enseignant s'efforce de contrôler ses pratiques professionnelles en leur donnant sens et en introduisant des modifications en fonction des caractéristiques de l'environnement dans lequel il exerce. Dès lors, il fait appel à son engagement et à l'éthique professionnelle sans passer par les injonctions d'un supérieur.

Dans l'activité professionnelle, la distinction entre tâche et activité semble appropriée à notre sujet. En ergonomie, l'activité est définie comme ce qui est mis en œuvre par le sujet pour exécuter la tâche (Leplat, 2004, p. 102). Autrement dit, l'activité est le produit des facteurs internes à l'individu et des facteurs externes liées à la situation et à l'environnement. Ceci peut expliquer les dissimilitudes notées dans le même cours présenté à deux publics différents.

Ainsi, l'analyse de la situation de travail s'avère être un élément capital dans la compréhension des pratiques et de l'activité enseignante. A travers la distinction entre le travail prescrit et le travail réel, il est possible d'identifier l'écart entre le prescrit et l'effectif pour arriver à une meilleure compréhension de l'activité (Leblanc, Ria, Dieumegard, Serres et Durand, 2008). La tâche, dans le contexte de l'enseignement, est liée à ce que l'enseignant doit faire pendant les heures de cours qui lui sont assignées. Elle se rapporte principalement à ce qu'il va faire, ce qu'il va enseigner selon les injonctions du travail prescrit (programme scolaire et programme officiel). En revanche, la tâche réelle est celle qui constitue la matérialisation du prescrit dans une dimension interactive avec les élèves et la situation vécue. Par le prescrit, on entend ce que l'enseignant doit faire selon des exigences explicites de son employeur, en l’occurrence le Ministère de l’Education. Les textes, les programmes officiels, les circulaires et ce qui est aussi transmis oralement, sont sources de normalisation du travail. De même, les programmes scolaires, les modes d'évaluation, les règlements internes et externes, sont plus orientés vers le mode organisationnel et se rapportent aux prescriptions primaires.

Les prescriptions secondaires proviennent des directeurs d'établissement, des inspecteurs, des formateurs et des conseillers pédagogiques. Il s'agit d'une interprétation des prescriptions primaires et une formulation pratique des textes officiels. Tout ceci corrobore l'activité empêchée, faute d’une autonomie relative en ce qui concerne l’organisation du travail et la décision des priorités. Entre le prescrit et le réel s'insère forcément un écart. Le travail peut

58 obéir quelques fois au mode du prescrit mais peut aussi dévier des normes imposées.

L’activité réelle, n’est pas en soi l’activité à réaliser en termes de prescrit, mais ce qui devrait se réaliser en tenant compte d’une réalité. Autant dire que c’est l’activité empêchée qui suscite la souffrance.

La tâche des enseignants est généralement complexe du fait qu'elle est «prescrite» et soumise à des objectifs et à des facteurs de contingence multiples (Durand, 1997). Même individuelle fut-elle, la tâche demeure collective puisqu'elle dépend des prescriptions, du prescripteur et du professionnel qui l'accomplit (Amigues, 2003). Le travail de l'enseignant, ou la mission à laquelle il est voué, se réalise au sein de l'école mais aussi en dehors de l'école. L'analyse du travail réel ou concret, présentée par Goigoux (2001), se fait sur la base de l'articulation des déterminants du travail. L'auteur précise que les tâches sont redéfinies et mises en concordance d'une part avec les prescriptions de l'institution scolaire, et d'autre part avec les caractéristiques des enseignants et des élèves. Grâce à la redéfinition des tâches que les enseignants peuvent bénéficier d'une certaine marge de latitude dans leur pratique pédagogique. Toutefois, les pressions temporelles sont moins facilement gérables. Le travail, organisé selon une progression annuelle est circonscrit par rapport à une séance, à un module et à un trimestre. Pour chaque strate temporelle, correspond un contenu, un ensemble d'objectifs défini par des apprentissages spécifiques. Or, entre la présentation de «la feuille de route» et les résultats escomptés, une zone d'incertitude est considérable. C’est ce qui peut générer une crise, non seulement temporelle mais aussi d'évaluation personnelle notamment chez les enseignants experts. Cette situation est d'autant plus inconfortable qu'elle peut devenir vulnérable au stress pour l'enseignant (Durand, 1997).

Dès lors, les distinctions entre tâche réelle et tâche effective permettent de mieux cerner les caractéristiques du métier de l'enseignement. En effet, l'enseignant ne se limite pas à ce qui se fait en classe. La nature de son travail exige que son activité se poursuive hors travail, en dehors du milieu professionnel pour préparer les cours, ajuster le contenu avec le niveau des élèves et faire les corrections des devoirs. C’est en se référant à Curie et Hajjar (1987, cités par Gilbert et Lancry, 2005) que nous abordons le système des activités. Les auteurs dénoncent la dichotomie de la vie de travail et la vie hors travail. Pour eux, les activités dans les deux sphères de vie ne sont pas homogènes mais agissent réciproquement, pareil à un système. Chaque activité sollicite des ressources et des moyens pour sa réalisation mais aussi elle peut être une contrainte pour l'accomplissement de l'autre. Une régulation du système

59 participe à retrouver un mode de contrôle pour remédier à la perturbation des activités en privilégiant certaines valeurs et en inhibant d'autres. La capacité à gérer les activités dépend d'un seuil de liberté et installe différents comportements par rapport aux contraintes da la tâche prescrite (Clot, 1995).

C’est à partir de cette diversité de facteurs que Vasconcellos (2005) décrit le travail enseignant comme multipartite. A part les contraintes professionnelles, il est assujetti à des contraintes relationnelles avec les collègues, les supérieurs hiérarchiques, les inspecteurs, les parents d'élèves et quelque fois avec les élèves eux-mêmes. Comparé à un caméléon professionnel, Tardif et Lessard (1999) présentent l'enseignant, comme une personne qui doit assumer différents rôles au même temps. Il est le psychologue, l'éducateur, le parent, le policier et aussi le confident. Or, la société ne lui reconnaît pas toutes ces qualités et ne lui offre aucun appui. Ce manque de reconnaissance est mal vécu par les enseignants et impacte sur leur satisfaction au travail et sur leur santé (Dejours, 2000). Paradoxalement, la société exige de lui toutes ces qualités pour qu'il soit un «bon enseignant».

Qu'en est-il des écoles professionnelles ? Est-ce que les pratiques enseignantes dans l'enseignement professionnel assistent au même positionnement et aux mêmes problèmes ? Pour comprendre l'action selon une approche ergonomique, il est nécessaire de l'appréhender dans sa dimension «située» (Theureau, 2004), c'est-à-dire en ayant recours au système symbolique du traitement de l'information.

L'action, concept de nature sociale, est porteuse de sens dans une situation d'interaction entre l'individu et les caractéristiques du métier. C'est à la suite d'un traitement cognitif que le sens se construit. La cognition ne se situe pas dans la tête, mais dans un entre-deux, entre l'acteur et la situation, dont font partie les autres (Theureau, 2004 ; p.14). Le produit qui en découle comporte quelque part l'empreinte de l'individu et de ce qu'il a interprété. Contrairement à la machine qui fonctionne selon des plans et répond selon une commande, l'homme ne peut se détacher des contingences de l'environnement (Theureau, 2004). Cette situation peut imposer à l’individu la réalisation des buts qui lui paraissent contradictoires, voire conflictuels avec ses propres valeurs (Leplat, 2004). Toutefois, dans l'analyse des conditions de travail, l'écart entre la tâche prescrite et la tâche effective n'est pas envisagé par l'organisateur du travail, pourtant il est présent et vécu par l'enseignant. Ce dernier essaie, un temps soit peu, d'ajuster son activité en fonction des prescriptions. En revanche, pour l'organisation, les conditions susceptibles de nuire au sujet sont escamotées (Leplat, 2004).

60 2.2.3.4 Dans l'enseignement professionnel

Dans les écoles professionnelles en France, la réalité contextuelle est différente de celle des écoles d’enseignement général. Si les pratiques se complexifient davantage pour les enseignants, c'est parce qu'ils sont confrontés à des élèves qui résistent à la forme scolaire.

Les attentes directes du public scolaire concernent l'apprentissage d'un métier, c'est pourquoi ils refusent les savoirs scolaires (Jellab, 2005). Les enseignants, quant à eux, se retrouvent confrontés à une tension causée par le rôle institutionnel qui leur est accordé et les savoirs scolaires à enseigner. Comme l'explique Jellab, les enseignants des écoles professionnelles n'ont pas un statut très éloigné de celui de leurs élèves, puisqu'ils ont connu eux aussi l'échec en collège, ce qui les a conduit à suivre un enseignement professionnel diplômant. Ils ont fait l'expérience professionnelle dans différents secteurs, avant de devenir des enseignants. Or, pour motiver les élèves, qui pour la plupart, sont issus de milieux défavorisés, les enseignants tentent de surestimer les apprentissages «concrets» qui sont au service de la pratique. C’est en ce sens que l’activité, s’effectue selon un mode de coordination des apprentissages et du contenu des cours dans le contexte scolaire. Les conclusions auxquelles Jellab est arrivé dans ses enquêtes, mettent en exergue des rapports privilégiés entre le contexte scolaire et le rapport au savoir (Jellab, 2003). Des approches pédagogiques innovantes font que les enseignants impliquent les apprenants dans des activités interactives accompagnées d’une certaine liberté et autonomie (Jellab, 2003). Dans ce contexte, la tâche des enseignants est double et répond à deux registres. Ils prodiguent à leurs élèves un enseignement professionnel qui ne se détache pas des apprentissages sociaux. Toutefois, force est de constater que la pluralité des attitudes indisciplinées de la part des apprenants, pousse les enseignants d'éducation professionnelle par exemple, à imposer une autorité en réponse à un comportement jugé asocial. C'est sans doute, une exigence professionnelle qui fait partie du prescrit et du concret. C'est une réalité vécue dans la classe, mais elle est loin d'être une vocation pédagogique. La mise en œuvre d'une prescription qui est à l'opposé du réel, nécessité une redéfinition pour l'enseignant lui-même et pour les autres, afin de préciser ce qui est à faire et comment il doit se faire.

La prescription, qui est à la base de l'action professorale est indissociable de l'activité (Clot, 1999). Il est clair que l'activité n'est ni neutre ni décontextualisée. Elle est la somme de plusieurs histoires de vie, celle de l'établissement, de l'individu où chaque composante contribue pour une part dans les rapports que l'individu va avoir avec les prescriptions, aux

61 tâches à réaliser, aux collègues, à l'administration, aux élèves, aux valeurs et à lui-même.

Ainsi, l’enseignement s’effectue en termes de réhabilitation avec une grande, part, consacrée à la socialisation des élèves pour découvrir d'autres savoirs davantage liés au savoir-vivre dans la société. C’est un enseignement où prévalent, le savoir-faire, l’appropriation de la pratique, les stages d’application, constitutifs d’une identité professionnelle naissante.

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