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Afin de préciser les contours de la problématique, il convient de délimiter les champs disciplinaire et matériel de la recherche.

1. Champ disciplinaire

Du fait de son objet, le champ juridique principal de la recherche est le droit public. La régulation semble aujourd‟hui bien être une notion de droit public145, plus précisément de droit administratif, à supposer qu‟un droit administratif proprement dit existe dans la plupart des Etats modernes146 utilisant des mécanismes de régulation. A ce titre, la régulation prend une part importante des réflexions liées au droit administratif moderne, et, abordée le plus souvent en qualité de fonction de l‟Etat, la régulation peut être considérée comme une fonction principalement de droit public.

145 Pour reprendre l‟idée formulée par le Professeur Yves Gaudemet, bien que les juristes privatistes aient été les premiers à s‟interroger sur la régulation, « il s‟agit fondamentalement d‟une notion de droit public » ; Y. GAUDEMET, « La concurrence des modes et les niveaux de régulation. Introduction », op. cit., p. 13.

146 F. HAUT, « Réflexion sur la méthode comparative appliquée au droit administratif », RIDC, Vol. 41, n°4, 1989, p. 907. Voir également pour des approches de droit comparé du droit administratif en Europe : S. CASSESE, « L‟étude comparée du droit administratif en Italie », RIDC, Vol. 41, n°4, 1989, p. 879 ; S. CASSESE, La construction du droit administratif: France et Royaume-Uni, Montchrestien, 2000 ; J. BELL, « Le droit administratif comparé au Royaume Uni », RIDC, Vol. 41, n°4, 1989, p. 887 ; E. SCHMIDT-AßMANN, S. DAGRON, « Les fondements comparés des systèmes de droit administratif français et allemand », RFAP, 2008/3, p. 525 ; R. ARNOLD, « Le droit administratif comparé dans l‟enseignement et la recherche en Allemagne », RIDC, Vol. 41, n°4, 1989, p. 853 ; S. FLOGAITIS, « Le droit administratif en droit comparé : La Grèce », RIDC, Vol. 41, n°4, 1989, p. 867.

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La présente recherche nécessite de faire appel à des schémas provenant du droit étranger afin de dégager une structure de la régulation et de l‟organiser d‟un point de vue juridique et conceptuel147. Pour cette raison, la présente recherche s‟interdit d‟être bloquée dans un univers juridique cantonnée à la seule expérience nationale. Comme unique base de travail, le caractère normatif du système juridique français pourrait constituer une limite et un frein à la réflexion et à la créativité, alors que d‟autres systèmes étrangers peuvent offrir des espaces de liberté et d‟inventivité148. En effet, il s‟avère que « certains des réflexes acquis avec patience, et qui constituent parfois un dogme dans le système juridique auquel [on] est habitué, se révèleront inexacts et pourront même, dans certains cas, cacher des solutions originales envisageables en dehors de ce cadre »149. Confinée de la sorte, une réflexion sur la construction d‟un modèle de régulation semble donc peu satisfaisante. Confrontée à la pratique étrangère, elle prend à l‟inverse tout son sens et sert à la fois de source et de catalyseur150. S‟appuyant sur la formule selon laquelle « il ne faut pas être aveuglé par les règles de notre droit positif »151, il faut savoir emprunter, s‟inspirer des autorités de régulation telles qu‟elles sont imaginées, décrites et conçues en Europe.

En outre, de par la nature de la recherche, il sera fait une complète intégration du droit de l‟Union européenne. L‟Union européenne tient le premier rôle dans l‟ouverture à la concurrence des industries de réseaux dans le marché commun européen152 et la politique d‟harmonisation de l‟Union a sans cesse une incidence sur les régulations nationales153, initiant et entretenant la vague de régulation que connait l‟Europe. Pour certains Etats, l‟UE est même l‟instigatrice de la fonction de régulation à l‟échelle nationale. Par ailleurs, la question du développement d‟autorités de régulation à l‟échelle de l‟Union européenne est plus que jamais d‟actualité depuis une dizaine d‟années, en témoignent tant les interrogations

147 Voir : O. PFERSMAN, « Le droit comparé comme interprétation et comme théorie du droit », RIDC, 2001, Vol. 53, p. 287.

148 L. COHEN TANUGI, Le droit sans l‟Etat, PUF, 1987, p. 10.

149 R. SAINTE FARE GARNOT, « Des juristes au service d‟une entreprise opérant au plan international », RIDC, Vol. 47, n°2, avril juin 1995, p.357

150 A. LEVI, « L'apport du droit comparé à la recherche juridique prospective », RIDC, Vol. 47 n°2, avril-juin 1995, p 498 : « comment l‟analyse des législations étrangères, mais également de leurs modalités d‟application, de leur vécu, pourrait-elle ne pas représenter un point de passage obligé pour des travaux qui visent à explorer les voies et moyens possibles d‟une amélioration de notre système juridique ? ».

151 R. RODIERE, Introduction au droit comparé, Paris, Dalloz, 1979, p. 52

152 J-P. HANSEN, « La construction d‟une culture européenne de régulation faisant l‟économie de l‟articulation entre régulations hétérogènes », in M-A. FRISON-ROCHE (dir.), Règles et pouvoirs dans les systèmes de régulation, Droit et économie de la régulation Vol. 2, Presses de Sciences Po et Dalloz, 2004, p. 171.

153 H. CALVET, « Les incidences du droit européen sur la régulation nationale », in M-A. FRISON-ROCHE (dir), Règles et pouvoirs dans les systèmes de régulation, op. cit., p. 34 et s..

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relatives à la création d‟un modèle européen de régulateur154 que celles liées au devenir des institutions qui ne cessent de se développer155. Enfin, le droit de l‟Union doit s‟apprécier en phase avec le droit administratif national des pays étudiés, à travers, notamment, le développement d‟un droit public européen156.

A l‟inverse, bien qu‟intégrant du droit supranational, et exception faite de la Convention de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales et du contentieux dont celle-ci est à l‟origine à propos de l‟organisation et des pouvoirs des régulateurs en Europe, seules quelques rares références au droit international public de la régulation seront faites157. De même, le droit privé sera en principe exclu de l‟étude. Néanmoins, certains secteurs régulés158 relèvent traditionnellement au moins pour partie de ce champ, qu‟il s‟agisse des ordres de juridictions compétents en appel contre les décisions des régulateurs159 ou du statut même des autorités de régulation160. L‟étude de certains secteurs nécessitera donc des incartades aux frontières du droit privé dans un nombre restreint de situations.

En outre, la présence d‟un champ extra-juridique est nécessaire. Il s‟agit même d‟une obligation dans l‟optique de la construction d‟un modèle d‟autorité de régulation : afin de mieux comprendre les différents points vue que peuvent avoir les acteurs de la régulation en Europe, il paraissait nécessaire de procéder à la compréhension des points de vue d‟autres

154 H. DELZANGLES, « L'émergence d'un modèle européen d'autorités de régulation », op. cit., p.4 et s ; S. RODRIGUES, « Quelques considérations juridiques en faveur d'un statut pérenne des autorités européennes de régulation », AJDA, 2004 pp. 1179 et s.

155 N. DE GROVE VALDERON, « Les agences de la communauté sont-elles des autorités de régulation ? », in Autorités de régulation et Droit européen, Cahiers de droit de l‟Entreprise, JCP. E., n°19, 2004, p. 22.

156 J-B. AUBY et J. DUTHEIL DE LA ROCHERE, Droit administratif européen, Bruylant, 2008.

157 Voir sur ce point : R. BISMUTH, La coopération internationale des autorités de régulation du secteur financier et le droit international public, Bruylant, coll. Mondialisation et droit international, 2011 ; M. CHEMILLIER-GENDREAU, « Le droit international et la régulation », in M. MAILLE (dir), La régulation entre droit et politique, Paris, L‟Harmattan, Coll. Logiques juridiques, 1995, p. 57 et s.

158 Les secteurs régulés liés traditionnellement au droit privé sont essentiellement les secteurs financiers et de la concurrence.

159 En France, en matière de régulation financière, la dualité de compétence entre juge administratif et juge judiciaire a été maintenue après la fusion de la Commission des opérations de bourse, du Conseil de discipline de la gestion financière et du Conseil des marchés financiers en Autorité des marchés financiers en 2003.

160 Au Royaume-Uni, l‟ancien régulateur des marchés financiers, la FSA (Financial Services Authority), tout comme l‟une des récentes autorités de régulation créées depuis sa scission en trois opérateurs en 2013, la PRA (Prudential Regulation Authority) sont des sociétés à responsabilité limitée en garantie, donc des régulateurs « privés ».

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disciplines, telles que l‟économie et la science politique, qui témoignent de l‟aspect pluridisciplinaire du sujet.

Outre le champ disciplinaire, la recherche nécessite de préciser à travers le champ matériel de la recherche les secteurs directement concernés par la construction d‟un modèle de régulation.

2. Champ matériel

La présente recherche porte sur les autorités de régulation économique. Il s‟agit d‟abord des autorités de régulation intervenant dans les secteurs des services publics en réseaux. A ces secteurs économiques classiques que sont les communications (postes, communications électroniques) et l‟énergie (électricité et gaz) s‟ajoutent plusieurs secteurs peu étudiés mais tout aussi pertinents pour l‟étude, comme celui du transport (ferroviaire notamment). Parce que l‟absence de tels secteurs serait un frein pour une étude conceptuelle globale sur la régulation et parce que leur étude constitue tout autant l‟ADN de cette recherche, les secteurs des finances (assurance, banque et marché de valeurs), intimement liés à l‟économie et à ses problématiques actuelles, sont également au centre de nos réflexions161. La supervision prudentielle est par ailleurs partie intégrante de la recherche. Nous savons qu‟il est communément opéré une distinction entre réglementation et contrôle prudentiel, notamment dans les secteurs financiers. La réglementation viserait le comportement des opérateurs, et les normes qui la composent ont pour objet de maintenir les équilibres du secteur lui-même. La supervision, elle, aurait pour fonction d‟assurer la solidité et la stabilité d‟acteurs dont la défaillance entraînerait celle du secteur tout entier. Cependant, nous avons vu que la frontière entre les deux activités est poreuse tant la distinction entre les normes prudentielles et celles de réglementation est parfois peu aisée162, et que la figure de l‟autorité

161 Pour une analyse détaillée des liens entre secteur financier et croissance économique, voir : R. LEVINE, « Finance and growth : Theory and evidence », in P. AGHION et S. DURLAUF (dir.), Handbook of economic growth, Amsterdam, Elsevier Publisher, 2005, p. 865 et s ; D.W. ARNER, Financial stability, economic growth, and the role of law, Cambridge University Press, 2007.

162 L‟une des difficultés rencontrées pour intégrer la supervision prudentielle au champ matériel de la recherche tient à sa proximité avec l‟exercice du pouvoir de résolution, qu‟il est possible de situer ex-post. En France, l‟ACPR dispose à la fois de la mission de contrôle prudentiel et de celui de résolution des crises. A l‟échelle de l‟UE, la distinction opérée entre la supervision prudentielle (par le Mécanisme de surveillance unique) et la résolution (par le Mécanisme de résolution unique) explique toutefois qu‟on puisse distinguer les deux et intégrer le premier dans l‟exercice de régulation.

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de régulation rassemblait largement ces deux missions163.

Certains secteurs sont en revanche écartés de la recherche qui ne peut intégrer l‟ensemble des secteurs potentiellement concernés par la création d‟un modèle d‟autorité de régulation. Ce choix peut paraître contradictoire avec l‟objectif même de l‟étude. Il se justifie toutefois. Ainsi, certains secteurs économiques sont régulés pour des raisons essentiellement non économiques. On pense au secteur des jeux en ligne, pour des raisons de protection de l‟ordre public, et de l‟audiovisuel pour des raisons de pluralisme. Ensuite, la régulation ne cessant de s‟étendre et restant indéterminée164, il est normal d‟exclure certains secteurs dont la qualité et la qualification de secteur régulé peut faire débat, comme c‟est le cas des secteurs de la santé165. Sont également exclus les secteurs en plein essor mais dont la visibilité est faible, au regard notamment de la complexité de leurs composantes. C‟est l‟exemple de la régulation du secteur agricole166, qui doit à la fois intervenir sur les prix de différents produits parfois en compétition, mais aussi sur le foncier, les quotas, les assurances et l‟environnement167. Ces différents secteurs ne font d‟ailleurs pas l‟objet d‟une législation européenne commune imposant la création d‟autorités de régulation nationale, et plusieurs Etats membres n‟ont pas à ce jour créé d‟autorités de régulation dans ces secteurs. Exclure ces secteurs régulés ou en voie de régulation ne signifie cependant pas que les intégrer dans un processus de construction d‟un modèle d‟autorité de régulation n‟est ni possible, ni souhaitable. De par leur

163 En cela, le président de l‟ACPR range lui-même cette autorité dans la catégorie des régulateurs. Voir : C. NOYER, « La création de la nouvelle Autorité de Contrôle prudentiel : quels enjeux ? », Les rencontres de l‟asses management, 22 juin 2010. Voir également : F. MARTY, « La sécurité de l'approvisionnement électrique. Quels enjeux pour la régulation ? », Revue de l‟OFCE, 2002/7, n°101, p. 442.

164 Voir par exemple : M-A. FRISON-ROCHE, « Les nouveaux champs de la régulation », RFAP, 2004/1, n°109, p. 53s ; A. GESLIN, « Le champ de la régulation », RFDA, 2010, p. 731s ou encore S. NICINSKI, « Le mode de régulation », RFDA, 2010, p. 735s.

165 La diversité des types de régulation en matière de santé (régulation des professions de santé, régulation du marché du travail de santé, régulation des systèmes de santé) illustre la difficulté de la prise en compte de ce(s) secteur(s). Pour la régulation juridique dans son ensemble des secteurs de santé, voir M-A. FRISON-ROCHE, La régulation des secteurs de la santé, Dalloz / Presses de Sciences Po, Coll. Thèmes & commentaires, Droit et économie de la régulation, Vol. 6, 2011 ; L. VIDAL, « Trois années de régulation de la santé », in T. REVET, L. VIDAL (dir), Annales de la régulation 2009, volume 2, Bibliothèque de l‟Institut André Tunc, Paris, IRJS Editions, 2009, p. 237 ; A-M. BROCAS, « Pour une régulation du système de santé », Droit social 1995, p. 608.

166 Voir notamment M-A. FRISON-ROCHE, « Appliquer le droit de la régulation au secteur agricole », RLC, n°4, août/octobre 2005, p. 126-130 ; A. MOLLARD, « L‟approche sectorielle de la régulation : L‟agriculture entre régulation globale et sectorielle », in R. BOYER, Y. SAILLARD (dir), Théorie de la régulation. L‟état des savoirs, Paris, Editions La Découverte, Coll. Recherches, 2002, p. 332s ; P. BARTOLI et D. BOULET, « Conditions d‟une approche en termes de régulation sectorielle. Le cas de la sphère viticole », Cahiers d‟économie et de sociologie rurale, n°17, INRA-ESR, Paris, 1990, p.7.

167 J-P. JOUYET, C. DE BOISSIEU, S. GUILLON, Prévenir et gérer l‟instabilité des marchés agricoles, Rapport remis au Ministre de l‟agriculture, 22 septembre 2010.

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complexité, ces branches de la régulation ne feront simplement pas l‟objet d‟études comparées afin de nourrir la recherche.

Une fois la problématique et l‟intérêt de la recherche explicités, il convient de préciser la méthode retenue afin de remplir les objectifs affichés.