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Introduction du chapitre II

7. Les quatre lieux d’enquête

7.3. Centre Hospitalier Universitaire de Nîmes

Le deuxième lieu que nous avons intégré est le service pédiatrique du Centre Hospitalier Universitaire (CHU) de Nîmes, au sein du site Carémeau Sud23. Selon le dernier rapport d’activité datant de 2017, le pôle femme-enfant dont fait partie le service pédiatrique, regroupe 539 personnes, dont 208 issues du personnel médical, et 331 du personnel non médical. Le service pédiatrique accueille des nourrissons, enfants et adolescents jusqu’à dix-sept ans. Les spécialités de la pédiatrie sont très nombreuses : pneumologie, allergologie, neurologie, néphrologie, algologie, chirurgie, hématologie/immunologie, endocrinologie, infectiologie, génétique médicale, dermatologie, diabétologie, gastro/nutrition, rhumatologie, et enfin, pédopsychiatrie. Les enfants et adolescents accueillis au sein du service sont donc pris en charge par les différents médecins présents en fonction de leurs maux ou de leur pathologie. Certains séjournent dans le service plusieurs jours (c’est le cas notamment des enfants diabétiques), mais la plupart ne sont présents que quelques heures seulement au sein de l’Hôpital de Jour (c’est le

23 Le CHU de Nîmes regroupe trois sites hospitaliers : Carémeau, Serre-Cavalier et Le Grau-du-Roi. C’est le premier que nous avons intégré, il est lui-même découpé en deux bâtiments distincts : Carémeau Nord et Carémeau Sud.

cas des enfants qui viennent pour des opérations, bilans médicaux, ou traitements ponctuels de type chimiothérapie).

Si intégrer un service médical avec le statut de doctorant est chose commune, il peut toutefois être plus difficile à intégrer avec celui de doctorant en design. Nous avons pu profiter de l’opportunité que le CHU de Nîmes avait déjà collaboré, à plusieurs reprises, avec les étudiants du Master Design Innovation et Société (DIS) de l’Université de Nîmes lors de projets de design. Les premières prises de contact ayant été facilitées par cette collaboration antérieure, nous avons pu être mis facilement en relation avec la directrice de la Recherche, du Groupement Hospitaliers de Territoire (GHT) et des Relations Internationales du CHU au cours du mois de septembre 2018. C’est cette dernière qui a nous permis de nous entretenir avec la cadre supérieure de santé du pôle femme-enfant qui, au fil de nos échanges téléphoniques et rencontres, a rendu possible notre présence au sein du Service Pédiatrique en soutenant notre demande auprès du Service Recherche du CHU. Ainsi, dans le cadre de ces travaux de recherche, nous avons pu réaliser des observations au sein du service pédiatrique du CHU de Nîmes pendant une durée de trois mois, de mars à mai 2019, à raison de trois demi-journées par semaine : les mardis et jeudis de 9h00 à 12h00 et les mercredis de 14h00 à 17h00. Le Service Pédiatrique du CHU de Nîmes est divisé de cette façon : pédiatrie A pour les enfants et adolescents de quatre à dix-sept ans, et pédiatrie B pour les nourrissons et enfants jusqu’à quatre ans ; communément appelés les grands et les petits au sein du service. En raison de la tranche d’âge que nous souhaitions observer, notre enquête s’est faite uniquement au sein du service de pédiatrie A.

Si nous avons souhaité, dans un premier temps, réaliser des observations de toutes les pratiques hospitalières que nous rencontrions dans le service pédiatrique, nous nous sommes rapidement retrouvés, par notre statut de doctorant-observateur et qui plus est en design, « en dehors des activités spécialisées qui structurent le champ » et « sans avoir les compétences qui permettent de s’y intégrer » (Althabe & Hernandez, 2004 : 24). À la manière d’Ida (2016 : 97) qui questionne le rôle de l’anthropologue dans un service pédiatrique « au milieu des extrêmes souffrances et des difficultés réelles sans solution immédiate », nous nous sommes longuement, et non sans peine, interrogés sur notre place, notre rôle et surtout notre légitimité, en tant que chercheur en design, à observer la souffrance des familles. Des familles qui souhaitaient, avant

tout, la guérison de leur enfant, et non pas qu’on les interroge eux et leur enfant, sur leurs ressentis émotionnels, surtout dans le cadre de travaux de recherche en design. Il nous a donc paru urgent de trouver un rôle au-delà du simple rôle d’observateur étant donné que celui-ci nous mettait dans une position d’inconfort voire de malaise tant vis-à-vis du personnel soignant et médical que des familles accompagnant l’enfant malade. En d’autres termes, à quoi pourrions-nous servir face à certaines détresses rencontrées et comment justifier notre présence, nos observations ou mêmes nos interrogations ? Pour surmonter cette difficulté, nous avions pensé au départ que la blouse blanche à manches longues que nous étions obligés de revêtir, comme celles que portent les médecins et étudiants internes en médecine, nous faciliterait à la fois l’intégration au sein du service et à la fois le contact avec les familles et les enfants malades. Néanmoins, nous avons rapidement été confrontés au fait que celle-ci, dans le même temps, pouvait faire obstacle à la posture que nous souhaitions avoir pour être au plus près des enfants :

CHU. Notes de terrain du 19/03/2019

10h15 : Laura, animatrice au sein de la salle de jeux, porte un gilet de type gilet de chantier, mais bleu avec, au dos, les inscriptions « Service Civique » écrit dans un logo rouge similaire à celui du super-héros Superman. Elle m’explique que tous les animateurs embauchés pour animer la salle de jeux doivent porter ce gilet pour se distinguer du personnel soignant. Elle souligne également le fait que les enfants semblent plus rassurés lorsqu’ils sont en présence des « gilets bleus » et non pas des « blouses blanches ». Elle me raconte une anecdote où un enfant, cloîtré dans sa chambre d’hôpital, refusait de parler avec les soignants et que ces derniers sont venus personnellement la chercher, elle et son gilet bleu, pour qu’elle essaye de faire parler l’enfant, et cela a fonctionné.

Fig. 14 – CHU, 19/03/2019 : Le gilet bleu des animateurs de la salle de jeux

D’autres personnes présentes dans le CHU nous ont également rapporté des propos similaires tout au long de notre enquête. En ce sens, la blouse blanche est apparue soudainement comme pouvant être une entrave à la communication avec l’enfant. Pour cette raison, il nous a été d’autant plus nécessaire de reconsidérer notre posture au regard de cette « disposition », encore une fois pour pouvoir « faire malgré » le vêtement que nous étions contraints de revêtir (Greimas & Fontanille, 1991 : 69). Ainsi, pour tenter d’avoir un rôle au sein de cette dynamique hospitalière où tout le monde a, à juste titre, un rôle bien défini, et pour essayer de brider le regard de l’enfant à l’égard de la blouse, nous avons choisi d’investir en priorité la salle de jeux du service. C’est pour cette raison que la majeure partie de nos observations se sont déroulées au sein de cette dernière, et quelques fois, quand cela était possible, également au sein de la salle de classe24 dont disposait le service. En somme, deux pièces plus ordinaires en

24 Cette dernière a été mise en place dans le cadre du dispositif d’école à l’hôpital élaboré par l’Éducation Nationale et dont l’objectif est de permettre aux enfants malades ou en convalescence de maintenir leur niveau en suivant des cours en lien avec le programme scolaire. Les enseignements desservis au sein de l’école à l’hôpital ont plusieurs particularités et nécessitent de nombreux ajustements : 1) l’enseignant doit ajuster ses cours au regard des maux, pathologies et soins des enfants, et parfois réaliser des cours individuels dans les chambres pour ceux qui ne peuvent se déplacer jusqu’à la salle de classe ; 2) il doit également adapter ses cours en fonction de la durée du séjour de chaque enfant et en fonction du nombre d’enfants présents chaque jour ; 3) enfin, il doit également

comparaison avec toutes les autres pièces du CHU qui, quant à elles, semblaient irrémédiablement renvoyer au domaine de la santé et du médical. Si a priori nous pensions que restreindre nos observations à cette pièce pouvait entraver la récolte de nos données, la salle de jeux s’est rapidement avérée être une véritable potentialité pour déployer la posture qu’il nous était nécessaire d’adopter.

Fig. 15 – CHU, 21/03/2019 : Le point central de la salle de jeux

harmoniser ses enseignements en fonction de l’hétérogénéité du groupe d’enfants présents (âges différents et donc, par conséquent, des niveaux d’étude ou de scolarité différents).

Fig. 16 – CHU, 10/04/2019 : Un cours particulier en chambre

La salle de jeux se situait en face de la pièce dans laquelle les enfants étaient accueillis pour leur prise en charge, c’est donc principalement ici que ces derniers patientaient avant leur rendez-vous. Quelques fois, c’est aussi un lieu où les parents encourageaient l’enfant à aller, le temps qu’ils discutent avec le médecin. La salle « aux mille jeux » (CHU, notes de terrain du 26/03/2019 à 10h45) était également l’endroit où les enfants séjournant plus longuement dans l’hôpital pouvaient venir pour se distraire. En somme, il s’agissait d’un lieu de passage où les rencontres avec les enfants pouvaient à la fois être très succinctes (quelques minutes) ou de plus longue durée (quelques heures), et qui nous a permis de pouvoir écouter et observer les comportements, expressions et interactions de l’enfant avec les différents acteurs présents (parents, proches, personnel soignant, autres enfants).

La salle de jeux était animée par Laura, Marie et Nicolas toute la semaine : leur présence permettait le libre accès à la salle de jeux pour les enfants accueillis au sein du service pédiatrique ainsi que pour leurs parents et leurs proches (frère(s) et/ou sœur(s) par exemple). En étant un peu ici et là, les animateurs se sont avérés être de réelles sources d’informations sur

la manière dont fonctionnait le service. Pendant trois mois, nous avons donc investi la salle de jeux au même titre que Laura, Marie et Nicolas : nous avons accueilli et joué avec les enfants, rangé la salle de jeux quand cela devait être fait, et participé aux diverses activités créatives comme c’était le cas, par exemple, lors de la conception de petits paniers en papier pour y loger les chocolats de Pâques des enfants accueillis dans le service. Au fil du temps, les animateurs nous ont semblé témoigner, à plusieurs reprises, que nous étions attendus dans la salle de jeux et, plus encore parfois, que nous faisions partie des leurs : ils nous questionnaient, par exemple, sur l’heure à laquelle nous arriverions le lendemain pour se permettre quelques petits retards parfois, et nous ont confié des choses personnelles au fil de nos conversations relevant de la sphère amicale (CHU, notes de terrain du 17/04/2019). Nous avons finalement compris que notre place avait été acceptée, ici au sein de cette pièce, et sous ce rôle d’animateur, lorsque la cadre du service elle-même s’est assurée que nous soyons présents pour surveiller et animer la salle de jeux lors de l’absence des autres animateurs (CHU, notes de terrain du 23/04/2019). Ceci nous a permis de pouvoir écouter et observer les comportements et les interactions de l’enfant avec les différents acteurs présents (proches, personnel soignant, autres enfants) de sorte que l’ensemble de ces interactions soit représentatif de « leurs paroles spontanées, avec moins d’influence de la part de l’enquêteur » (Ida, 2016 : 105). Aussi et surtout, plus qu’une simple occupation ou un divertissement, notre enquête nous a permis de nous rendre compte du potentiel offert par le jeu : en plus de nous placer dans une position éloignée de celle du personnel hospitalier, il a semblé inscrire un nouveau cadre à travers lequel les échanges nous ont semblé être différents. En effet, nous avons pu constater tout au long de notre enquête que les discussions que nous avons eu avec les enfants et qui se sont avérées être les plus riches sont celles qui se sont déroulées dans le cadre du jeu :

CHU. Notes de terrain du 28/03/2019

11h30 : Adam (11 ans), qui était installé à la table et en train de lire une bande dessinée, m’a demandé si moi aussi j’avais déjà été hospitalisée quand j’étais petite. Je lui ai répondu que oui et lui ai demandé pourquoi il me posait cette question. Il m’a répondu

« Non, pour rien, comme ça » avant de se replonger dans sa BD. Quelques minutes plus tard, Sofiane (9 ans) est arrivé dans la salle de jeux et m’a demandé si je voulais jouer avec lui à un jeu de société, j’ai accepté et proposé à Adam de jouer avec nous. Au cours du jeu, Adam est soudainement finalement revenu sur la question qu’il m’avait posée un peu plus tôt en me demandant cette fois-ci si ça m’avait rendue triste quand j’avais été hospitalisée lorsque j’étais petite. Il m’a expliqué que lui était très triste parce qu’il n’avait pas vu ses copains de l’école et du foot depuis plusieurs jours et qu’il s’inquiétait que ça dure encore longtemps.

Comme nous pouvons le voir dans cet exemple, Adam, au départ, ne voulait pas nous en dire davantage sur son ressenti, mais s’est naturellement ouvert à la discussion et au partage lorsque nous étions en train de jouer. Cet extrait issu de notre carnet de terrain, loin d’être un évènement isolé, s’est avéré se répéter tout au long de notre enquête au CHU ainsi qu’au centre loisirs comme nous le verrons (cf. §7.5), soit lorsque nous discutions nous-mêmes avec les enfants, soit lorsque nous observions des échanges entre ces derniers et d’autres adultes. En cela, notre présence dans ces lieux a renforcé la première impression que nous avons pu avoir lorsque nous étions à l’association JADE (cf. §7.2), celle que l’activité récréative ou le jeu pourrait permettre de faciliter l’expression du vécu émotionnel de l’enfant.