• Aucun résultat trouvé

La centralité de la start-up et de la start-up « sociale », nouvelle forme dominante

Chapitre 1. Entreprendre au Maroc au XXIème siècle : acteurs, dispositifs et

4. Le Maroc, nouvelle « start-up nation » ? Modèles d’entrepreneuriat et « lutte de

4.3 La centralité de la start-up et de la start-up « sociale », nouvelle forme dominante

Si d’un point de vue numérique la start-up et l’« entrepreneuriat social » apparaissent particulièrement représentés au sein des associations d’entrepreneuriat nouvellement créées au Maroc (Tableau 5), il convient, dans cette sous-section, de questionner les logiques derrière leur émergence. De quels soutiens disposent-elles ? Comment ces dernières se situent-elles par rapport aux acteurs promouvant des formes plus classiques ou alternatives ?

Le graphe ci-dessous résulte d’une analyse de réseau complet réalisée à partir de la compilation, au sein d’une matrice d’interactions, des relations institutionnelles entre les différents acteurs qui promeuvent l’entrepreneuriat au Maroc. Deux acteurs (représentés par les points et certains par le nom de la structure sur le graphe) sont reliés par un arc s’il existe un accord de partenariat entre eux, pouvant porter sur différents aspects (financement, aide technique, soutien pour l’organisation d’un évènement, couverture médiatique, etc.).

Encadré 3: Lecture d'un graphe de "réseau complet"

Un graphe, dans une approche de « réseau complet », peut être lu de différentes façons. Nous présentons ici trois clés de lecture possibles :

- on peut d’abord s’intéresser à la position absolue des acteurs sur le graphe : est-ce que ces derniers sont situés au centre – comme ici la CGEM – ou en périphérie – comme ici le REMESS – ? Une position centrale signifie généralement une capacité à nouer des liens avec des acteurs aux positions différentes et dispersées, c’est-à-dire à avoir une influence relativement transverse à tout le champ.

- Ensuite, il est également pertinent de regarder les positions relatives entre acteurs. Ici, la proximité spatiale entre Injaz et Enactus, ou, à l’opposé du graphe, entre l’AMAPPE et le REMESS, signifie que ces deux couples d’associations partagent des partenariats en commun ou qu’ils sont liés à des structures qui sont elles-mêmes très liées entre elles. Elles présentent ainsi une « proximité structurale » (Lazega, 2014).

- Enfin, la structure générale du graphe peut aussi être interprétée en tant que telle : le graphe présente-t-il des sous-graphes (ou des « niches ») qui se dissocient de la structure générale ?

93 Existe-t-il de nombreux isolats ? etc. Cette lecture permet d’estimer la cohésion entre les acteurs et l’existence éventuelle de plusieurs sous-groupes relativement détachés de l’ensemble.

Figure 2: Réseau des acteurs de l'aide à l'entrepreneuriat au Maroc en 2017

Source : l’auteur, à partir du logiciel Géphi. Données de mars 2017.

Le graphe (Figure 2) illustre tout d’abord la forte densité et la relative cohésion du champ (aucun acteur ne semble réellement distancié des autres et aucune « niche » n’émerge). En orange, les associations d’« entrepreneuriat social », et notamment Injaz-al-Maghrib et Enactus, sont particulièrement plébiscitées. Elles présentent des scores de centralité très élevés

94 tant en termes de degrés79 (la taille du nom est proportionnelle au nombre de partenariats noués par la structure), qu’en termes d’intermédiation80. Cela dénote leur potentiel élevé de captation des ressources et d’attraction des partenaires, mais également leur position de broker, c’est-à- dire leur capacité à mettre en relation les acteurs entre eux (Scott, 2016). Injaz apparaît aussi sur le graphe comme l’une des associations les plus centrales, ce qui pourrait révéler ici une capacité à « parler » à tout le monde, ou, dit autrement, à faire consensus parmi les acteurs du champ. Bien qu’elles ne soient pas isolées, les associations apparentées à l’ESS (représentées en vert foncé) semblent, elles, plus périphériques, dans la partie en haut à droite du graphe par rapport aux associations d’entrepreneuriat « classique » (en bleu clair) et de start-up (en vert clair) qui sont plus dispersées et transversales.

Nous soutenons, à l’appui de ces éléments, la thèse selon laquelle il y a une forte interpénétration et hybridation entre les modèles de la start-up et de l’« entrepreneuriat social », et qu’ils sont eux-mêmes très liés à l’entrepreneuriat « classique » dont ils constituent une forme de renouvellement. Ces interrelations s’observent graphiquement par la forte proximité entre les associations qui promeuvent ces différents modèles : beaucoup partagent les mêmes financeurs (l’OCP Entrepreneurship Network, les grandes banques nationales, etc.), les mêmes partenaires institutionnels (MarocPME, le MITC, la CDG, etc.) ou médiatiques (L’économiste, Wamda), font appel aux mêmes prestataires marketing (la société de communication HardLight), se dotent d’instances de coordination et de plaidoyer communes (CAPEE Maroc81), organisent des évènements ensemble voire sont directement liées entre elles (StartupYourLife et le MCISE, Réseau Entreprendre Maroc et Enactus, Injaz et le CJD, etc.). Le positionnement de la CGEM est sur cet aspect significatif. Représentant les intérêts du capital marocain, le syndicat patronal n’est partenaire d’aucune association proche de l’ESS, mais noue des liens avec toutes les autres formes d’entrepreneuriat, ce qui explique par ailleurs sa position très centrale sur le graphe.

79 La centralité de degré renvoie au nombre total de liens qui relient un acteur A aux autres acteurs. Cette mesure de la centralité, historiquement la plus ancienne qui fut mesurée dans l’analyse de réseau, dénote la popularité ou la facilité à nouer des liens au sein du champ (Scott, 2016).

80 La centralité d’intermédiarité (betweeness centrality) est calculée en fonction du nombre de fois où un acteur se retrouve sur le chemin le plus court entre deux acteurs tiers. Cette mesure est censée être un indicateur du pouvoir et du contrôle dont disposent les acteurs dans un champ déterminé (Scott, 2016).

81 CAPEE Maroc a été lancé en 2013 pour constituer un espace « d’échange, de concertation et de plaidoyer regroupant les associations œuvrant pour l’éducation et l’entrepreneuriat ». Source :

https://www.facebook.com/pg/Collectif-des-Associations-pour-lEducation-et-lEntrepreneuriat-

377948085738654/about/ , page consultée le 25 février 2019. Voir l’épilogue de cette thèse pour une actualisation des données.

95 La Figure 3 ci-dessous permet d’éclairer plus en détail les lignes de forces qui structurent le champ institutionnel de l’entrepreneuriat. Les acteurs ne sont plus présentés individuellement mais regroupés par grandes catégories (ONG, entreprises privées, etc.) et les associations d’entrepreneuriat divisées en fonction du modèle qu’elles mettent en avant selon la typologie établie au point 3.4. Pour faciliter la lecture, seuls sont représentés les liens les plus denses (le seuil pour faire apparaître le lien a été fixé arbitrairement à 18 occurrences).

Figure 3: Principales relations structurant le champ institutionnel de l'entrepreneuriat au Maroc

Source : l’auteur, réalisé à partir du logiciel Géphi.

Les ONG et les sociétés privées apparaissent centrales dans le champ et sont directement liées aux acteurs de promotion de l’entrepreneuriat. Plusieurs autres acteurs participent à la transmission et aux reconfigurations des modèles entrepreneuriaux, comme les banques et les institutions financières qui interviennent à la fois de manière directe (supports divers aux associations), mais aussi indirecte (en finançant ou nouant des partenariats avec des ONG, par exemple, qui à leur tour financeront ou noueront des partenariats avec les acteurs associatifs de l’entrepreneuriat). Au niveau des acteurs nationaux, les institutions publiques et les sociétés privées interviennent souvent de concert, symbole d’une relative interdépendance entre le public et le privé. En ce qui concerne les acteurs internationaux, le champ institutionnel est majoritairement structuré par des logiques privées : organisations internationales, agences de

96 coopération et universités publiques sont relativement marginales dans le graphe. Cela ne doit pas masquer, à l’échelle plus micro, le rôle central (et aussi très dispersé) d’acteurs publics comme l’USAID, dont les partenariats couvrent l’ensemble des modèles entrepreneuriaux, rôle qu’il joue dans de nombreux pays de la région MENA et qui rentre dans une stratégie globale d’influence (Kreitmeyr, 2016).

L’analyse des résultats détaillés confirme l’organisation réticulaire du contrôle exercée par les autorités centrales. De nombreux organes publics ou parapublics présentent des scores de centralité élevés (en premier lieu l’OCP, la SNI, mais aussi MarocPME, voir le Tableau 31 dans l’annexe 1). Dans la « lutte de qualification » (Le Velly, 2014) qui anime le champ de l’entrepreneuriat au Maroc, entrepreneuriat « social » et start-up semblent s’imposer au niveau institutionnel, plébiscités par des acteurs aux logiques parfois divergentes.

4.4 Bailleurs de fonds et hétéronomie des associations : logiques d’un