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Catégories en usage pour définir un jeune sans qualification

L’Allemagne et la (non)qualification des jeunes

1. Catégories en usage pour définir un jeune sans qualification

1.1. Importance de la validation et forte segmentation des voies

Appliquée au contexte allemand, la définition administrative française des jeunes sans qualification (MEN 2010) n’aurait aucune portée pour deux raisons majeures. D’une part, une telle définition signifie en creux qu’un jeune sortant du système éducatif sans diplôme peut être qualifié. D’autre part, elle accorde un poids prépondérant à la durée des études, sans établir de distinction entre enseignement général et formation professionnelle.

Au-delà de l’importance accordée à la validation de la formation, le modèle allemand se caractérise par une forte segmentation. Celle-ci se traduit d’abord par l’absence de collège unique (voir encadré 1.1 en annexe). Cette segmentation se traduit aussi par la dissociation entre l’enseignement général dont le plus haut niveau est le baccalauréat et les deux voies d’acquisition de la qualification, la voie professionnelle, essentiellement assise sur l’apprentissage, et la voie dite académique : l’enseignement supérieur (voir encadré 1.2 en annexe).

Le cloisonnement du système éducatif allemand reproduit aussi la répartition des compétences entre l’Etat fédéral et les Länder. Au niveau fédéral (ministères et partenaires sociaux) revient la politique de formation professionnelle (extra-scolaire), aux Länder celle de l’enseignement, orchestrée par une instance de coordination, la conférence des ministres de l’Education des Länder27. On a là dans la répartition des compétences entre le niveau national et le niveau décentralisé, une configuration qui, toute proportion gardée, est symétriquement opposée à la configuration française.

Deux indicateurs permettent ainsi d’identifier les jeunes sortants non-diplômés de l’enseignement général et les jeunes adultes « sans qualification formelle ». Le premier comptabilise les sortants de l’enseignement secondaire n’ayant pas obtenu de diplôme de fin d’études générales. Le second recense les jeunes adultes de 20 à 24 ans (ou 20-29 ans) ne poursuivant aucune formation et n’ayant ni diplôme professionnel, ni diplôme d’enseignement supérieur. Un récent sommet de l’Education (Bildungsgipfel), réunissant le gouvernement fédéral et les gouvernements des Länder s’est donné pour objectif de réduire de moitié la part de sortants sans diplôme général et la part de jeunes adultes sans certification professionnelle d’ici 2015 (voir point 3 infra) (Bundesregierung-Regierungschefs der Länder 2008).

La transposition des données allemandes dans les nomenclatures internationales et la mise en œuvre des objectifs européens adoptés à Lisbonne en 2000 conduisent les experts allemands à utiliser les classifications unidimensionnelles, intégrant diplômes généraux et diplômes professionnels28. Ainsi, un troisième indicateur recense les sorties précoces du

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Ce chapitre a été rédigé par Martine Möbus (CEREQ, Marseille).

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KMK : Kultusministerkonferenz, instance à laquelle s’ajoute pour l’enseignement supérieur, la conférence des

recteurs d’université (HRK : Hochschulrektorenkonferenz). Dans le domaine de l’enseignement supérieur, l’Etat fédéral a cependant la maîtrise de la régulation des flux d’entrée et de la politique des diplômes.

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Le baccalauréat et le brevet Dual sont ainsi tous deux classés au niveau 3 de la nomenclature ISCED (respectivement 3A et 3B).

système éducatif, conformément à l’objectif fixé par l’Union européenne de ne pas dépasser 10% de sortants sans diplôme du second cycle du secondaire, à l’horizon 2010, (BMBF(1) 2010).

Tableau 1 Les indicateurs en usage à propos de la non qualification

Indicateurs Mode de calcul et origine

Taux

Sortants du système scolaire sans diplôme d’enseignement général 29 Schulabgänger ohne allgemeinbildende Abschlüsse

Jeunes ayant quitté le système scolaire sans au moins le certificat de fin de Hauptschule en % d’une classe d’âge

(15 ans à <17 ans)

BMBF(1) 2010

7, 5 % en 2008

Jeunes sans qualification formelle/sans certification professionnelle nfQ = Nicht formal Qualifizierte

ou Ungelerntenquote

ou Jugendliche ohne Berufsausbildung

Part de jeunes de 20 à 24 ans ne suivant ni études, ni formation professionnelle et n’ayant ni certification professionnelle, ni diplôme de l’enseignement supérieur

BIBB 2009 30

14, 5 % en 2007

Sorties précoces du système éducatif Frühzeitige Abgänger

Proportion de jeunes âgés de 18 à 24 ans ne suivant ni études, ni formation initiale/continue et n’ayant aucun diplôme du second cycle du secondaire (général ou professionnel)

Indicateur européen Lisbonne

12% en 2008

De ce point de vue, les débats qui accompagnent la mise en œuvre des décisions et outils politiques européens sont très illustratifs des enjeux que soulève la définition de la qualification en Allemagne. Ainsi, la transposition du Cadre européen des certifications (EQF) pose un certain nombre de problèmes dans le contexte allemand puisqu’il s’agit d’étalonner l’ensemble des certifications générales et professionnelles sur trois registres : les connaissances, les aptitudes et les compétences. Initialement, cette transposition était présentée en Allemagne comme une opportunité d’assurer la transparence, l’équivalence et la perméabilité des différentes voies éducatives. Bien que l’ensemble des acteurs (Etat fédéral, Länder et partenaires sociaux) se soient entendus pour élaborer en commun un cadre allemand des certifications (Deutscher Qualifikationsrahmen) qui soit transversal à l’ensemble des

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Au-delà de la séparation entre niveau de diplôme général et niveau de diplôme professionnel, l’utilisation de la notion de sortants est particulière puisqu’elle se réfère aux effectifs d’une classe d’âge. Or les diplômes d’enseignement général peuvent être aussi acquis dans les établissements d’enseignement professionnel.

filières, ils se heurtent à de réelles difficultés. Parmi les points d’achoppement, deux sont particulièrement épineux et opposent les acteurs fédéraux et les acteurs des Länder. Il s’agit de trouver un accord d’une part sur la place respective du baccalauréat général et du brevet Dual, d’autre part sur la place du titre de Meister par rapport au nouveau titre universitaire de Bachelor (Netzwerk Weiterbildung 2010). 31

1.2. Une conception exclusive de la qualification structurant le marché du travail …

Si la certification professionnelle, plus que la durée d’études, constitue le « passeport d’entrée dans le monde du travail » (BMBF(1) 2010)32, l’avantage relatif dont bénéficient les jeunes allemands qui en sont titulaires lors de leur insertion professionnelle a pour corollaire la forte disqualification de ceux qui n’en ont pas. L’intégration de la formation professionnelle au marché du travail, son mode de structuration par le métier (Lutz, Sengenberger 1974, Möbus et Verdier 1997, Laur-Ernst 2000) marquent la définition de la qualification. Le métier appris repose sur un concept global (Kuda 1997), validé à l’issue d’un parcours de formation spécifique. Il se différencie de conceptions plus modulaires de la qualification, davantage axées sur les résultats des apprentissages que sur leur processus d’acquisition, telles qu’elles existent au Royaume-Uni mais également en France (Möbus 2006). Ainsi, les difficultés d’adaptation du modèle allemand aux systèmes européens de crédit, d’unités capitalisables et de validation des acquis s’expliquent par la remise en cause des conceptions sur lesquelles il repose (Ehrke 2010) (voir point 3 infra).

Les catégories utilisées par l’Institut de recherche sur le marché du travail 33 dans ses travaux sur la structure de la population active et les taux de chômage par niveau de qualification illustrent la forte référence à la certification professionnelle. Trois grands niveaux y sont distingués : les faiblement qualifiés (sans formation professionnelle certifiée) ; les qualifications intermédiaires (titulaires d’un brevet d’apprentissage ou équivalents, d’un brevet de technicien ou de maîtrise) et les diplômés de l’enseignement supérieur (voir encadré 1.2 en annexe). Ces travaux font également ressortir l’importance de l’écart de taux de chômage entre ceux qui n’ont pas de formation professionnelle certifiée et les autres actifs. Ainsi, le taux de chômage des actifs sans formation professionnelle certifiée (26 %) est-il respectivement deux à trois fois et six à sept fois plus élevé que celui des titulaires d’une certification professionnelle ou d’un diplôme du supérieur. L’Allemagne figure parmi les trois pays européens dans lesquels l’écart de taux de chômage entre non-qualifiés et diplômés du supérieur est le plus élevé.

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Le vice-président du groupe de travail DQR du BIBB, représentant de la confédération syndicale DGB, a ainsi évoqué un conflit culturel entre enseignement général et formation professionnelle. Selon lui, si les diplômes d’enseignement général participent du processus de qualification, ils ne constituent pas une qualification en tant que telle : « Da wir einen Qualifikationsrahmen - und keinen Qualifizierungsrahmen - entwickeln wollen, ist es

erst einmal schwierig nachzuvollziehen, warum allgemeinbildende schulische Abschlüsse überhaupt in einem Deutschen Qualifikationsrahmen enthalten sein sollen… Zugespitzt könnte man sagen: Wir führen zurzeit einen Kulturkampf zwischen allgemeiner und beruflicher Bildung“. (Bildungsspiegel.de 2010).

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Depuis le milieu des années 2000, le ministère fédéral de la formation et de la recherche et l’instance de coordination des ministres de l’Education des Länder ont confié à un consortium d’experts le soin d’élaborer tous les deux ans un rapport sur l’état du système éducatif qui intègre les données de l’enseignement général, de la formation professionnelle et de l’enseignement supérieur. Ce consortium, dirigé par l’institut allemand de recherche pédagogique internationale (DIPF), comprend l’institut allemand de la jeunesse (DJI), la société d’information sur l’enseignement supérieur (HIS), l’institut de recherche en sociologie (SOFI) de l’université de Göttingen et l’office fédéral de la statistique (Destatis). Ce rapport sur l’éducation fait état des meilleures conditions d’emploi (accès à l’emploi, statut et revenu) d’un apprenti breveté par rapport à un bachelier sans formation professionnelle.

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Institut für Arbeitsmarkt und Berufsforschung : Institut de recherche sur le marché du travail et les professions rattaché à l’Agence fédérale du travail

La part de filles sans aucun diplôme général est nettement plus faible que celle des garçons (6% contre 9 % en 2008) de même que celle des sortantes avec le certificat de fin de

Hauptschule (24,5 % contre 32,2 %) alors que la part de sortantes diplômées du baccalauréat

ou équivalent atteint 49,4 % contre 41,1 % pour les sortants hommes. La différence hommes – femmes est également visible parmi les jeunes étrangers.

Tableau 2 Structure de qualification des actifs occupés en 2005 (hors apprentis) Sans formation professionnelle certifiée Apprentissage /Technicien et assimilés Enseignement supérieur ND Ensemble 15 % 67 % 17 % 1 % 100 %

Source : Reinberg, Hummel, IAB Kurzbericht n°18/2007

1.3 … mais un lien étroit entre le niveau d’enseignement général et l’accès à la certification professionnelle.

Au-delà des formes institutionnelles de cloisonnement des structures éducatives, les problèmes relatifs à l’absence de qualification des jeunes en Allemagne font ressortir l’interdépendance croissante entre le niveau de sortie du système scolaire général et les possibilités d’accès à la formation professionnelle. Le niveau d’enseignement général conditionne de plus en plus l’accès à la formation professionnelle. Il détermine les possibilités de choix entre les spécialités et donc le métier appris. Il pèse donc indirectement sur la qualité de l’insertion professionnelle et les conditions d’emploi et de carrière.

L’essentiel des débats publics dédiés aux jeunes en difficulté concerne une étape décisive, qualifiée de premier seuil d’entrée sur le marché du travail, la transition entre la sortie de l’enseignement général secondaire et l’entrée en formation professionnelle. Cette étape focalise l’ensemble de l’attention depuis le milieu des années 1990, compte tenu de la croissance des difficultés de placement en formation professionnelle des jeunes sortant du système d’enseignement général (voir point 2. infra).