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Basculement vers la catégorie de la (non) qualification professionnelle ?

Niveau VI Personnel occupant des emplois n'exigeant pas une formation allant au-delà de la scolarité obligatoire Le contexte économique et social pèse sur l’élaboration de cette nomenclature : une forte

1.4. Basculement vers la catégorie de la (non) qualification professionnelle ?

C’est ainsi que le code de l’éducation, reprenant la loi d’orientation sur l’éducation de 1989, réformée en 2005 puis complétée par la loi sur la formation professionnelle tout au long de la vie de

108 est assurée à tous les jeunes, quelle que soit leur origine sociale, culturelle ou géographique » et précise que les enseignements ont notamment pour objet de « concourir à son perfectionnement et à son adaptation au cours de la vie professionnelle ». Certes le qualificatif de « reconnue » était initialement assez vague mais il évoquait à tout le moins la détention d’un titre bénéficiant d’une forte reconnaissance sociale.

La loi fait de l’aide aux « élèves qui cessent leurs études sans qualification professionnelle » une obligation pour l’Etat sous forme « d’adaptation professionnelle ». L’expression « qualification professionnelle » mérite d’être soulignée dans la mesure où elle étend sensiblement le spectre des responsabilités des pouvoirs publics : les jeunes qui quittent le système éducatif avec un baccalauréat général peuvent-ils être considérés comme porteurs d’une qualification professionnelle ? Le nouveau « droit au conseil en orientation et à l’information », désormais partie intégrante du « droit à l’éducation », se réfère à une « qualification professionnelle sanctionnée dans les conditions définies à l’article L. 6314-1 du code du travail », que doit pouvoir acquérir « tout travailleur engagé dans la vie active ou toute personne qui s’y engage » ; il s’agit d’une « qualification correspondant aux besoins de l’économie prévisibles à court ou moyen terme soit enregistrée dans le répertoire national des certifications professionnelles (…), soit reconnue dans les classifications d’une convention collective nationale de branche, soit ouvrant droit à un certificat de qualification professionnelle ». En outre chaque région « veille (…) à organiser des formations permettant d’acquérir [une de ces] qualifications ». Si l’on prend cette définition au pied de la lettre, ne faudrait-il pas considérer comme non qualifiés, d’une part les bacheliers généraux (et technologiques ?) sortis sans diplôme de l’enseignement supérieur et d’autre part, les détenteurs de diplômes non enregistrés dans le répertoire national des certifications professionnelles ?

En tout état de cause, cette conception de la qualification est assez éloignée de la définition statistique des élèves sortis sans qualification56 du système éducatif adossée aux nomenclatures des années soixante et soixante-dix. Ceci dit continue à prévaloir une référence aux niveaux de formation que portent les objectifs consistant à mener 80 % d’une classe d’âge au niveau du baccalauréat et 50 % à celui de la licence. Bien évidemment, le champ potentiel de la non qualification devient beaucoup plus large que dans la catégorisation statistique antérieure ; à tout le moins, elle porte l’exigence d’une certification et pas seulement d’un niveau de formation ; de ce fait, elle est plus en phase avec les benchmarks européens exigeant a minima la détention d’un diplôme du second cycle de l’enseignement secondaire et identifiant comme « mal formés » et mal préparés à l’insertion sur le marché du travail les non diplômés (de 17 à 18 % d’une cohorte de sortants). D’une certaine manière le critère européen des sans diplômes ré-introduit une cohérence de la mesure où il administre un traitement similaire aux différentes voies de formation des jeunes ; simplement au critère de l’emploi occupé se substitue celui de la détention ou non d’un diplôme relevant du second cycle de l’enseignement secondaire. Sont considérées comme non diplômés des jeunes qui ont pourtant bénéficié de durées de formation inégales, mais cette fois-ci l’application d’une norme unique joue au détriment d’une partie des non diplômés de l’enseignement général : en effet un élève issu d’une terminale générale ou technologique sera placé dans la même catégorie des non diplômés qu’un jeune ayant quitté le lycée ou le centre de formation des apprentis à l’issue de la 1ère année de préparation du diplôme.

Pour l’essentiel, cette norme est issue d’une lecture des positions différenciées vis à vis du marché du travail des personnes « adultes » (plus de 25 ans) en âge de travailler, selon leur niveau d’éducation attesté ou non par un diplôme correspondant à la fin des études secondaires. Il y a donc une certaine parenté avec l’esprit qui prévalait au Plan dans les années 60 et qui consistait à s’appuyer sur les régularités du marché de l’emploi pour étalonner les niveaux de qualification. Les critères mobilisées tant par l’OCDE que par la Commission Européenne sont ceux qui structurent désormais la stratégie européenne pour l’emploi. Cette décomposition binaire – avoir ou pas ce

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La dernière livraison de la publication intitulée « L’Etat de l’école » fait référence dans son indicateur 25 à des « sorties aux faibles niveaux d’études » et dans son introduction générale aux « jeunes sortant de formation initiale sans qualification, au sens de la classification française datant des années soixante » (MEN, 2010, p. 61).

109 de taux d’emploi, de chômage et d’inactivité - on reprend ci-dessous des passages significatifs de la livraison (2009) de la publication annuelle « Regards sur l’Education » (« Education at a glance ») :

Encadré 3

Le diplôme de fin d’études secondaire comme norme minimale d’éducation (d’après « Regards sur l’Education », OCDE 2009)

- « La différence de taux d’emploi est particulièrement marquée entre les diplômés du deuxième cycle de

l’enseignement secondaire et les individus dont le niveau de formation est inférieur, tant chez les hommes que chez les femmes » au point qu’ « en moyenne, dans les pays de l’OCDE, plus de 40 % des individus dont le niveau de formation est inférieur au deuxième cycle de l’enseignement secondaire ne travaillent pas » (p. 127).

- « Dans les pays de l’OCDE, le diplôme de fin d’études secondaires est considéré comme le bagage minimum pour être

concurrentiel sur le marché du travail » ce qui se traduit par le fait qu’ « en moyenne, dans les pays de l’OCDE, les actifs de sexe masculin âgés de 25 à 64 ans, et dont le niveau de formation est inférieur au deuxième cycle de l’enseignement secondaire courent plus de deux fois plus de risques d’être au chômage que les diplômés de ce niveau d’enseignement (la relation négative entre le taux de chômage et le niveau de formation est comparable chez les femmes, même si elle est légèrement plus faible) » (p. 131). En outre, « les taux de chômage associés à un niveau de formation inférieur au deuxième cycle de l’enseignement secondaire sont plus cycliques que ceux associés à un niveau de formation tertiaire » (p. 133).

- « C’est aussi parmi eux [les moins instruits ] que le chômage cyclique peut se muer en chômage structurel, situation

dans laquelle de fortes proportions de la population active ne travaillent pas et ne recherchent pas activement un emploi » (p. 134) ce qui fait que « la réinsertion professionnelle est un processus particulièrement difficile pour ceux qui sont restés en dehors du marché du travail pendant une longue période » (ibid.)

Il en ressort que l’enjeu est d’influencer les comportements individuels, tout autant si ce n’est plus que les politiques publiques de formation, cibles privilégiées des planificateurs français de la fin des années 60 : « des taux de chômage élevés dans l’ensemble et plus variables entre les niveaux de formation encouragent davantage les individus à investir dans l’éducation » (ibid. p. 134).

Cette logique qui place le curseur à la fin, attestée par un titre, du second cycle du secondaire est structurellement plus défavorable à des systèmes éducatifs dont la régulation est fondée sur le critère de la performance académique qu’à d’autres reposant sur une école

compréhensive ou même qu’à des systèmes dont la régulation est de type néo-corporatiste (Verdier,

2009). En effet les premiers mettent l’accent sur une sélection – orientation au cours du second cycle du secondaire et de facto lors du 1er cycle en maintenant des filières spécifiques au sein d’un collège censé être unique (Mons, 2008). A l’inverse l’orientation plus universaliste qui soutient la « comprehensive school » repousse l’essentiel de la sélection au-delà de l’enseignement secondaire et favorisera, grâce à un enseignement et des parcours plus individualisés « la réussite de tous », au regard de la capacité à atteindre une fin attestée par un titre du second cycle du secondaire. Pourtant fondés sur une orientation souvent précoce vers des filières séparées au sein du 1er cycle du secondaire, les systèmes néo-corporatistes qui mettent en avant le principe de la vocation professionnelle peuvent s’avérer au bout du compte plus inclusifs qu’un système où prédomine une régulation d’ordre académique : en effet si les places d’apprentissage sont accessibles en nombre dans une large palette de métiers et de professions, ils peuvent être en mesure de fournir une identité professionnelle et sociale au plus grand nombre (ce qui explique que l’Allemagne avec son orientation très précoce aient eu longtemps de résultats beaucoup plus favorables que la France). Les situations relatives ont évolué compte tenu du développement de la voie professionnelle en France depuis un quart de siècle et du caractère plus sélectif de l’apprentissage allemand.

2. Les jeunes français sans qualifications et sans diplômes : caractéristiques sociales et