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I. Les inclusions magmatiques et les techniques expérimentales et

I.1. Les inclusions magmatiques

I.1.7. Cas particulier de la nucléation d’un globule de sulfure

Des globules de sulfures sont fréquemment observés dans les inclusions magmatiques (Figure 19). L’analyse à la microsonde électronique de certains de ces sulfures dans les inclusions de l’île Maurice et du Piton de Caille (Piton de la Fournaise) montre une hétérogénéité de ces phases entre les différentes inclusions. On trouve : (1) des chalcopyrites (CuFeS2), (2) des phases à Fe-Ni-S (Mackinawite, groupe de la pentlandite) qui peuvent accueillir un peu de Cu dans leur structure, contenant S (36.9 wt.%), Fe (41.7 wt.%), Ni (17.4 wt.%) et peu de Cu (1.1 wt.%) et (3) et des phases à Fe-Cu-Ni-S contenant S (33.3 wt.%), Fe (34.9 wt.%), Cu (20.8 wt.%) et moins de Ni (7.3 wt.%). Les phases (2) et (3) présentant les mêmes éléments dans des concentrations variables, notamment en Ni et Cu, coexistent dans certaines inclusions et sont donc des solutions solides (Fe, Ni, Cu)S. Ces différentes phases sulfurées ne disparaissent pas lors des expériences d’homogénéisation, même lorsque la disparition de la bulle de rétraction est observée (Danyushevsky et al., 2002a).

Figure 19. Photographies en lumière transmise d'inclusions magmatiques primaires contenant des globules de sulfures dans l'échantillon picritique du Piton de Caille (Piton de la Fournaise, île de la Réunion).

Le problème de la nucléation et la croissance d’un globule de sulfure en tant que nouvelle phase dans un liquide silicaté peut être discuté en s’appuyant sur la théorie classique de la nucléation homogène (Mungall et Su, 2005). La variation d’énergie libre ∆G résultant de la formation d’un nucléus de liquide sulfuré (supposé sphérique, de rayon r) correspond à la somme d’un terme de volume et d’un terme de surface :

SF m F r V G r G π 4π ²γ 3 4 3 + ∆ = ∆ (4)

où ∆GF est la variation d’énergie libre associée à la formation d’une mole de liquide sulfuré (à partir des composants dissous dans le liquide silicaté), r est le rayon du globule, Vm est le

volume molaire de liquide sulfuré, et γSF est la tension interfaciale liquide sulfuré / liquide silicaté. Une condition sine qua non pour la formation d’un nucléus stable (∆G = 0) est que ∆GF < 0, c’est-à-dire que le liquide silicaté soit saturé en sulfures.

La Figure 20 illustre la courbe ∆G(r) pour deux cas de figure : (1) cas d’un système à peine sursaturé avec ∆GF ≤ 0 mais proche de 0 ; et (2) cas d’un système très sursaturé avec

∆GF << 0.

Figure 20. Variation de l'énergie libre ∆G en fonction du rayon r du nucléus. Le cas (1) correspond à un sytème faiblement sursaturé (∆GF ≤ 0 mais proche de 0) où la nucléation est très difficile. Le cas (2) représente un système très sursaturé (∆GF << 0) où la nucléation est aisée. rc (ou r'c) est le rayon critique du nucléus. ∆GC est la variation d'énergie libre associée à la formation d'un nucléus stable. Voir le texte pour les détails.

Considérons d’abord le cas (1) d’un système peu sursaturé. On constate que pour des nucléi de rayon inférieur à la valeur critique rc, le terme de surface (> 0) l’emporte sur le terme volumique (< 0) dans l’équation (4) : la pente

dr G d

est positive et tout nucléus de

rayon r < rc aura tendance à rétrécir. Au contraire, les nucléi de taille ≥ rc sont stables et vont spontanément croître ( <0

dr G d

). La valeur du rayon critique peut être calculée à partir de

l’équation (4) en posant =0 dr G d : c m SF c G V r ∆ − = 2γ (5)

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En substituant r par rc dans l’équation (4), on obtient la variation d’énergie libre ∆Gc associée à la formation d’un nucléus stable :

2 2 3 3 16 F m SF c G V G ∆ = ∆ πγ (6)

Cette valeur ∆Gc représente l’énergie d’activation de la nucléation. Si l’on compare les états 1 et 2 dans la figure 15, on voit que lorsque le degré de sursaturation augmente, le rayon critique des nucléi et l’énergie d’activation de la nucléation diminuent très fortement, ce qui facilite la nucléation. Le taux de formation Ro de nucléi supercritiques dans une unité de volume de liquide par unité de temps est donné par l’expression :

⎭ ⎬ ⎫ ⎩ ⎨ ⎧ ∆− = RT G K Ro exp α (7)

Le facteur K correspond à la fréquence d’apparition d’un nucléus, R est la constante des gaz parfaits et T est la température. Le rôle de la tension interfaciale dans le contrôle de la nucléation d’un globule peut être envisagé en considérant la contribution de l’équation (6) dans l’équation (7). On voit alors que de faibles augmentations de γSF peuvent conduire à des augmentations extrêmes de l’énergie d’activation de formation des globules de sulfure, ce qui provoque une diminution drastique de la densité de sites de nucléation dans le bain silicaté.

La nucléation homogène de minéraux silicatés et d’oxydes à partir des liquides silicatés est régie par les mêmes lois. En général, les phases avec de faibles énergies interfaciales vont avoir tendance à nucléer rapidement et pour de faibles degrés de sursaturation. Les énergies de surface des minéraux silicatés dans les liquides silicatés sont de l’ordre de 120 mJ m-2, ce qui correspond à un cinquième de ce qui est mesuré pour les interfaces sulfures-silicates (Mungall et Su, 2005). L’énergie d’activation qui retarde la nucléation de globule sulfuré à partir du magma silicaté est alors supérieure d’environ deux ordres de grandeur à celle nécessaire à la nucléation d’un minéral silicaté.

Alors que la nucléation hétérogène sur des phases préexistantes peut faciliter la nucléation des minéraux silicatés, cette option ne s’applique pas pour les liquides sulfurés dans un magma contenant uniquement un liquide silicaté et des cristaux silicatés ou des oxydes. En effet, les angles de mouillage très grands mesurés aux interfaces solides-sulfures (Mungall et Su, 2005) montrent que les énergies de surface sulfure-silicate cristallin sont très élevées, au même titre que les énergies de surface sulfure-liquide silicaté : les cristaux silicatés ne sont donc pas des supports favorables à la nucléation des globules sulfurés.

Si un liquide silicaté sous-saturé en sulfure évolue par cristallisation fractionnée lors de son refroidissement, le soufre s’enrichit dans le liquide résiduel jusqu’à ce que le liquide

soit à saturation. Les globules de sulfures peuvent être incapables de nucléer pendant quelques temps après que le système ait évolué vers le point d’équilibre de la saturation en sulfure car les valeurs élevées des énergies interfaciales entre liquide sulfuré et liquide silicaté peuvent induire des retards à la nucléation de liquide sulfuré.

La présence de phases sulfurées est fréquente dans les inclusions magmatiques de basaltes de rides ou de basaltes d’îles océaniques (Figure 19 ; Danyushevsky et al., 2002a). Ceci indique que l’on atteint au cours de l’histoire des inclusions magmatiques des degrés de sursaturation en sulfure suffisants pour nucléer ces phases. Ceci est supporté par le caractère saturé à sursaturé en S des inclusions des basaltes océaniques (Figure 21). L’occurrence de seulement un ou deux globules par inclusion est peut-être une conséquence de la valeur élevée de la tension interfaciale liquide sulfuré / liquide silicaté γSF.

Figure 21. Teneur en S en fonction de la teneur en FeO* dans les inclusions magmatiques piégées dans les MORB et OIB (compilation de données GEOROC) comparée à celle de verres de coulées basaltiques sous-marines (Wallace et Carmichael, 1992) et à la courbe de solubilité du S pour un liquide basaltique définie à 1200°C et 1 atm. Les données expérimentales de Jugo et al. (2005) correspondent à la concentration en S dans des liquides basaltiques saturés avec un liquide sulfuré à 1300°C et 1-1.6 GPa.

Dès lors qu’il est relativement difficile de nucléer en grand nombre des globules de sulfures à partir d’un liquide silicaté de composition basaltique, une sursaturation en sulfure du liquide silicaté semble nécessaire. Deux interprétations peuvent être envisagées pour expliquer l’atteinte du degré de sursaturation suffisant. Danyushevsky et al. (2002a) ont proposé que leur nucléation serait une conséquence de la rééquilibration chimique entre le liquide inclus et l’olivine hôte (cf. section I.1.6). Selon ces auteurs, le processus de rééquilibration diffusionnelle, conduisant à une diminution de la teneur en Fe dans le liquide

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silicaté (Danyushevsky et al., 2000 ; Danyushevsky et al., 2002b), peut induire une saturation en sulfure et la nucléation d’un globule de sulfure. D’autre part, la « perte en Fe » pourrait augmenter l’état d’oxydation dans l’inclusion avec des rapports Fe3+/Fe* plus élevés et donc modifier la spéciation du S (Danyushevsky et al., 2002a). Plusieurs observations dans les inclusions magmatiques des olivines des îles Maurice et la Réunion semblent être en contradiction avec ces hypothèses. D’une part, les inclusions magmatiques dans tous les échantillons étudiés du point chaud de la Réunion contiennent fréquemment des globules de sulfures, que leurs compositions présentent ou non des évidences de rééquilibration Fe-Mg par diffusion avec le minéral hôte (cf. section I.1.6.2 et partie III). D’autre part, une estimation de la fugacité d’oxygène et donc du rapport Fe3+/Fe* a été réalisée dans les inclusions du Piton de Caille (Piton de la Fournaise, île de la Réunion) qui ne montrent aucune évidence de « perte en Fe », et dans celles provenant du Piton des Neiges et de l’île Maurice qui semblent affectées par le processus de rééquilibration (teneurs faibles en FeO* et valeurs élevées du ). Cette estimation, réalisée à la microsonde électronique (technique décrite dans la section I.2.3.2.), donne une valeur pour le rapport Fe

Mg Fe Liq Ol D K

3+/Fe* qui est plus élevée dans les inclusions non affectées par la rééquilibration chimique que dans les inclusions affectées, ce qui témoignerait d’un milieu plus réducteur dans les inclusions qui auraient subi une rééquilibration. Ainsi, la présence de globules de sulfures dans les inclusions magmatiques des olivines du point chaud de la Réunion ne semble pas être la conséquence d’une rééquilibration diffusionnelle du liquide silicaté avec l’olivine hôte. Il est plus vraisemblable de penser que la formation de ces globules résulte d’une évolution en système clos avec une augmentation du degré de sursaturation au cours du refroidissement, jusqu’à la nucléation. Pour les inclusions qui ont subi un refroidissement lent, la sursaturation se produirait donc en réponse à une évolution par cristallisation d’olivine et de minéraux fils (clinopyroxène, amphibole).