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Un cas de Freud en contradiction avec la théorie : une méthode "freudienne"

III. La question de la clinique

2. Un cas de Freud en contradiction avec la théorie : une méthode "freudienne"

Le texte de Freud Communication d’un cas de paranoïa contredisant la théorie psychanalytique s’inscrit pour Guy Le Gaufey au titre d’un exemple paradigmatique qui pourrait augurer d'une "clinique maximale" dans la mesure où l'expérience clinique singulière permettrait de questionner l'universel d'une théorie.

Au préalable, nous nous devons de rappeler succinctement les éléments constituants de la théorie de la paranoïa chez Freud avant d’expliciter la contradiction inhérente à ce cas.

En 1911, Freud construit sa théorie de la paranoïa sur un texte et non sur un cas clinique. Il fonde son hypothèse sur sa lecture de l'ouvrage de Daniel Paul Schreber, Mémoires d'un névropathe572, ouvrage qui lui a été transmis par Carl Gustav Jung. Notons qu'à cette époque il n'a pas encore en sa possession le concept de Verwerfung qui ne sera élaboré qu’en 1918 dans "l’Homme aux loups".

Freud va rendre compte de sa lecture du "cas Schreber" dans son célèbre texte Remarques psychanalytiques sur un cas de paranoïa (dementia paranoïdes) décrit sous forme autobiographique et dégager deux éléments "structuraux" concernant la paranoïa :

 « Nous dirons que le caractère paranoïaque réside en ceci que, pour se défendre contre une fantaisie de souhait homosexuelle, on réagit précisément par un délire de persécution […] Dans tous ces cas, la défense contre le souhait homosexuel était reconnaissable au centre du conflit morbide, et comment ils avaient tous échoué dans la maîtrise de leur homosexualité inconsciemment renforcée573. »

 D’autre part, en ce qui concerne la "formation du symptôme dans la paranoïa", Freud appuie son hypothèse en soulignant que : « le trait frappant entre tous est celui qui

       

572 Schreber, D. P., Mémoires d'un névropathe, Paris : Seuil, 1975.

573 Freud, S., "Remarques psychanalytiques sur un cas de paranoïa (dementia paranoïdes) décrit sous forme autobiographique", In Œuvres complètes - psychanalyse - vol. X 1909-1910, Paris : P.U.F., 1993, pp 281-282.

mérite d’être nommé projection. Une perception interne est réprimée et, comme substitut de celle-ci, son contenu arrive à la conscience en tant que perception venant de l’extérieur. »

Freud apporte ensuite une précision de poids : « Il n’était pas exact de dire que la sensation intérieurement réprimée est projetée vers l’extérieur ; nous nous rendons bien plutôt compte que ce qui a été intérieurement supprimé fait retour de l’extérieur574. » Nous reconnaissons ici l’écho du syntagme freudien repris par Lacan : « Ce qui est verwofen ou rejeté du symbolique réapparaît dans le réel. Ce réel dont il s’agit c’est l’hallucination575. » Cette assertion lacanienne du 25 juin 1958 est toujours d'actualité et constitue un paradigme de la structure psychotique.

Revenons à Freud et à son style qui, à son habitude, nous fait part de son questionnement, de son "work in progress" et affine son assertion théorique. Dans ce texte sur la "paranoïa" de Schreber, ni la pulsion homosexuelle ni la projection ne constituent, en soi, le trait "absolument pathognomonique de celle-ci"576 car, dit-il : « Si nous ne cherchons pas en nous-mêmes les causes de certaines sensations […] mais si au contraire nous les situons à l’extérieur, ce processus normal mérite aussi le nom de projection. » De fait, nous procéderions comme le paranoïaque.

Dans la mesure où ni la motion homosexuelle ni la projection normale ne caractérisent la paranoïa, quel autre élément permettrait-il de spécifier cette entité nosographique ?

Outre la motion homosexuelle et le mécanisme projectif, la finesse clinique de Freud se révèle particulièrement dans le statut qu’il accorde à la négation (bien avant son article sur La dénégation577 en 1925) de la proposition "je l’aime lui/elle" : négation, soit du sujet (délire de jalousie) – soit du verbe (paranoïa) – soit du complément d’objet (érotomanie).

Selon Freud, « Il demeure néanmoins remarquable que les principales formes connues de la paranoïa peuvent toutes être présentées comme étant des contradictions opposées à cette seule

       

574 Ibid., p. 294.

575 Lacan, J., Le séminaire, livre V, Les formations de l’inconscient, Paris : Seuil, 1998, p. 481. 

576 Freud, S., "Remarques psychanalytiques sur un cas de paranoïa (dementia paranoïdes) décrit sous forme autobiographiques", In Œuvres complètes - psychanalyse - vol. X 1909-1910, op. cit., p. 289.

577 Die Verneinung, La dénégation. Nous reprenons ici l'excellente traduction de pierre Thèves et Bernard This de 1982 paru dans Le Coq-Héron. Dans la nouvelle traduction, Freud, S., Œuvres complètes T. XVII, Paris : Seuil, 1992, Die Verneinung est traduit par La négation.

et unique proposition : Moi (un homme), je l’aime (lui un homme), et même qu’elles épuisent toutes les manières possibles de formuler cette contradiction578. »

1. la proposition est contredite dans le délire de persécution de la façon suivante : "Je ne l’aime pas – je le hais !"

Cette contradiction ne peut devenir consciente sous cette forme chez le paranoïaque. Le mécanisme paranoïaque exige que la perception interne – le sentiment – soit remplacée par une personne venant de l’extérieur. C’est ainsi que la proposition "je le hais !" se transforme par projection en cette autre : "Il me hait" (me persécute).

2. Dans l’érotomanie, la contradiction est formulée ainsi :

"Ce n’est pas lui que j’aime, c’est elle que j’aime ! Parce qu’elle m’aime."

Freud précise : « dans cette forme de paranoïa la proposition intermédiaire "c’est elle que j’aime" peut devenir consciente parce que sa contradiction avec la première proposition (ce n’est pas lui que j’aime) n’est pas antinomique, elle n’inclut pas la même inconciabilité que celle existant entre aimer et haïr579. »

3. Dans le délire de jalousie, la contradiction de la proposition initiale "Moi un homme, j’aime un homme" est niée de cette façon :

"Ce n’est pas moi qui aime l’homme – c’est elle qui l’aime ! Et il soupçonne la femme d’être liée avec tous les hommes qu’il est tenté d’aimer580."

Freud conclut : « Ne croirait-on pas dès lors qu’une proposition composée de trois termes, telle que "je l’aime lui", n’autorise que trois sortes de contradictions. Le délire de jalousie contredit le sujet, le délire de persécution le verbe, l’érotomanie l’objet. » Toutefois, ajoute-t-il : « une quatrième sorte de contradiction est encore possible, la récusation globale de toute la proposition : Je n’aime absolument pas et personne […] je n’aime que moi. » Et, dès lors, le délire de grandeur ou la surestimation sexuelle du moi propre serait l’envers de l’idéalisation amoureuse.

Suivons donc Freud dans la construction de sa théorie de la paranoïa.

       

578 Freud, S., "Remarques psychanalytiques sur un cas de paranoïa (dementia paranoïdes) décrit sous forme autobiographique", In Œuvres complètes - psychanalyse - vol. X 1909-1910, op. cit., p. 285.

579 Ibid., p. 286.

En 1922, dans Quelques mécanismes névrotiques dans la jalousie la paranoïa et l'homosexualité, après avoir défini trois types de jalousies (normale ou concurrentielle, projetée et délirante), Freud établit un parallèle logique intéressant entre psychose et perversion. Mais surtout, il met en relief "un nouveau mécanisme qui conduit au choix d'objet homosexuel".

Dans la prime enfance, le futur homosexuel aurait éprouvé des sentiments hostiles à l'égard d'un frère plus âgé, sentiments qui auraient été réprimés sous le coup du refoulement, "et il se produisit alors une transformation [...] les rivaux devinrent les premiers objets d'amour homosexuels". La haine de l’un devint l’amour pour tous. Cette liaison est, selon Freud, "l'opposé intégral de la paranoïa persécutive où les personnes primitivement aimées deviennent des persécuteurs haïs"581.

Ainsi, même s’il ne s’agit pas des mêmes "structures" cliniques, la mise en relation duale de l’homosexualité "Un pour tous" et de la paranoïa "Tous pour un" pourrait s’avérer probante du fait que les deux structures se réfèrent au même sexe.

Après ce bref aperçu de la théorie freudienne de la paranoïa, abordons le texte de Freud auquel se réfère Guy Le Gaufey : Communication d’un cas de paranoïa contredisant la théorie psychanalytique.

Au même titre que le président Schreber, ce cas ne concerne pas un patient de Freud. Il est rapporté par un "avocat de renom" et concerne "une jeune dame" qui subissait les persécutions de la part d’un homme qui aurait abusé d’elle en prenant des photos compromettantes afin de lui faire perdre son emploi.

Freud la rencontrera une première fois avec le juriste et ne sera pas insensible – à l’instar de Madame Hirschfeld582 – à sa "grâce" et sa "beauté peu commune". "Elle donnait", dit Freud, "une authentique impression de féminité". Cette jeune et jolie dame vivait avec sa mère. Un collègue de bureau, probablement marié, la séduisit. Elle vint dans sa "garçonnière" et ils "couchèrent l’un près de l’autre, il admira sa beauté en partie dévoilée". Au matin, elle fut effrayée par un bruit "comme un battement ou un déclic" qui provenait du bureau. L’ami lui

       

581 Freud, S., "Quelques mécanismes névrotiques dans la jalousie la paranoïa et l'homosexualité", in Névrose, psychose et perversion, Paris : P.U.F., 1973, p. 280. 

582 Falzeder, E., "Ma grande patiente, Mon fléau principal", dans Haynal, A., Falzeder, E., Roazen, P., Dans les secrets de la psychanalyse et de son histoire, Paris : P.U.F., 2005, p. 77 : « Rappelons que c’est en faisant allusion à Jung et à Spielrein que Freud parlait de la "peau dure qu’il nous faut" et que, pour la toute première fois, il employait le terme de "contre-transfert" (Freud à Jung 7 juin 1909). Étant donné l’affection de Freud pour Madame Hirschfeld, il devient clair qu’il mettait en garde non seulement Jung, mais peut-être aussi lui-même contre les dangers inhérents à trop d’implication émotionnelle. »

dit que le bruit en question provenait de la pendule. Lorsqu’elle quitta la garçonnière, elle rencontra dans l’escalier deux hommes qui "à sa vue" chuchotèrent "quelque chose". Ils portaient un "objet enveloppé comme un coffret". Elle pensa alors que le coffret était un appareil photographique et que l’un des deux hommes, "photographe" caché derrière le rideau, l’avait "saisie" dans une situation compromettante. Dès lors, elle "persécuta oralement et par écrit" son collègue de bureau afin qu’il justifie la certitude "délirante" de la patiente. Dans la suite, elle eut recours à un avocat et lui remit les lettres de celui qu’elle "suspectait". Le juriste transmit la correspondance à Freud. Ce dernier, lisant les lettres de l’amant qui déplorait que leur relation fût rompue par cette "funeste idée morbide", fit sien le jugement de l’homme incriminé et, ajouta-t-il, "sans doute n’ai-je pas à m’en justifier"…

Toutefois, dit Freud, "le cas avait pour moi un autre intérêt que le simple intérêt diagnostique".

« Il avait été affirmé dans la littérature psychanalytique que le paranoïaque lutte contre un renforcement de ses tendances homosexuelles, ce qui au fond renvoie à un choix d’objet narcissique. De plus, il avait été fourni comme interprétation que le persécuteur est, au fond l’aimé ou l’aimé d’autrefois. Du rapprochement de ces deux thèses résulte l’exigence que le persécuteur soit nécessairement du même sexe que le persécuté. La proposition selon laquelle la paranoïa est conditionnée par l’homosexualité, à vrai dire, nous ne l’avions pas établie comme valable généralement et sans exception, mais si nous ne l’avons pas fait, c’est seulement parce que nos observations n’étaient pas en nombre suffisant583. »

On voit ici que Freud ne considère pas sa théorie comme "toute" et que le cas présent semble infirmer l’hypothèse de l’homosexualité comme étant à la source de la paranoïa, telle qu’il l'indiquait auparavant dans son cas Schreber et dans Quelques mécanismes névrotiques dans la jalousie la paranoïa et l'homosexualité. À cet endroit, il nous semble entrevoir la raison pour laquelle Guy Le Gaufey a décelé dans cet exemple une particulière maximale au titre d'un "quelque" qui serait en contradiction avec le "tout" de la théorie. Le fait de pouvoir contredire la théorie, ou du moins l'un de ses postulats, permettrait peut-être au projet lacanien du discours de Rome en 1953 de compter la psychanalyse parmi les "sciences conjecturales"584, de sortir cette dernière de l'ornière du dogme et d'acquérir un statut plus

       

583 Freud, S., "Communication d’un cas de paranoïa contredisant la théorie psychanalytique", Œuvres complètes, 1914-1915, T. XIII, op. cit., p. 309.

"scientifique" bien que, en 1975 au Massachusetts Institute of Technology, Lacan fait le constat que "la psychanalyse n’est pas une science, c’est une pratique585".  

Pour vérifier son hypothèse, Freud convia la patiente à un second et nouvel entretien, mais sans la présence de l’avocat cette fois. Dans le cadre de cette nouvelle consultation, il obtint quelques informations supplémentaires.

Il s’avéra que la jeune dame était venue non pas une, mais deux fois dans la garçonnière. Le "bruit" n’eut lieu qu’à la seconde visite. Toutefois, suite à sa première visite au domicile du collègue, de retour à son travail, dans son cadre professionnel, elle vit "son collègue de bureau" parler "à voix basse à la vieille dame à propos d’une affaire de service". La vieille dame en question était sa chef de service, "une vieille dame aux cheveux blancs – comme ma mère – hiérarchiquement au-dessus d’elle". Pendant qu’ils parlaient, la patiente acquit alors "la certitude" que son collègue lui communiquait l’aventure de la veille et, de plus, qu’il entretenait avec elle un rapport dont elle n’avait rien remarqué auparavant. La maternelle vieille dame aux cheveux blancs savait donc tout, pensait-elle. Elle trouva là des signes qui corroboraient sa "certitude" et somma l’aimé de s’expliquer. Toutefois, étonnamment, "elle se sentit suffisamment en confiance pour répéter sa visite chez lui586".

On reconnaît, dit Freud, « que la supérieure aux cheveux blancs est un substitut de la mère, que l’homme aimé est mis, malgré sa jeunesse, à la place du père et que c’est la puissance du complexe maternel qui contraint la malade à admettre, au mépris de toute vraisemblance, un rapport amoureux entre ces deux partenaires dissemblables. Mais, du même coup, voici volatilisé également l’apparente contradiction avec l’attente nourrie par la doctrine psychanalytique, [nous soulignons] selon laquelle une liaison homosexuelle surforte apparaît comme la condition du développement d’un délire de persécution. Le persécuteur originel, l’instance à l’influence de laquelle on veut se soustraire est, dans ce cas aussi, non pas l’homme mais la femme587. » Ainsi s’efface la contradiction avec la théorie que Freud croyait avoir décelée car on retrouve "la liaison au même sexe qui s’oppose aux efforts pour gagner un membre de l’autre sexe comme objet d’amour"588. Cette re-trouvaille avec la théorie n’est donc plus de l’ordre d’une particulière maximale et l’on aboutit à un exemple de vignette clinique tant vilipendée par Guy Le Gaufey. Toutefois, si les "vignettes cliniques" avaient cette teneur,

       

585 Lacan J., "Conférences et entretiens dans des universités nord-américaines", Scilicet 6/7, Paris : Seuil, 1976, p. 53.

586 Freud, S., "Communication d’un cas de paranoïa contredisant la théorie psychanalytique", Œuvres complètes, 1914-1915, T. XIII, op. cit., p. 311.

587 Ibid., p. 311-312.

nous serions assurément sur la piste d'une théorie qui s'enrichirait et ne cesserait d’évoluer au fil des rencontres cliniques.

Dès lors, comment rendre compte d'une clinique qui permettrait de questionner la théorie psychanalytique ?

Les essais que nous avons envisagés, soit un cas en contradiction avec la théorie de Sigmund Freud, Furtiva nox de Michel Gribinski et la particulière maximale de Guy Le Gaufey, se sont avérés peu concluants. Nous allons dès lors arpenter une nouvelle piste qui tient compte de la spécificité du transfert dans la psychose en nous référant à l'article de Jean Allouch "Vous êtes au courant, il y a un transfert psychotique" et à d'autres approches.

3. Considérations sur le transfert dans la psychose : le transfert

au psychotique, une contre psychanalyse, une psychanalyse à

l'envers…

 

« La psychanalyse apporte […] au délire du psychotique une sanction singulière, parce qu'elle le légitime sur le même plan où l'expérience analytique opère habituellement, et qu'elle retrouve dans son discours ce qu'elle découvre d'ordinaire comme discours de l'inconscient. Mais elle n'apporte pas pour autant le succès dans l'expérience […] En somme, pourrait-on dire, le psychotique est un martyr de l'inconscient, en donnant au terme de martyr son sens, qui est celui d'être un témoin. Il s'agit d'un témoignage ouvert589. »

Jacques Lacan

Dans le séminaire sur Le transfert, le 30 novembre 1960, Lacan commente Le Banquet de Platon et définit le transfert comme "une mise en acte de la réalité de l’inconscient590" en tant qu’elle est sexuelle car "La réalité de l’inconscient, c’est – vérité insoutenable – la réalité sexuelle591". Autrement dit, Lacan met le transfert en relation avec la pulsion. En outre, il dégage - de cette formation opaque et imaginaire que constitue l’amour de transfert – l’amour comme signifiant, l’articulation signifiante, soit un pur jeu signifiant qu’il nomme "la métaphore de l'amour"592. Le transfert est initié par le désir de l'analyste qui occupe la place "qu'il doit offrir vacante au désir du patient pour qu'il se réalise comme désir de l'Autre"593. Selon Philippe Julien, « il n'y a pas pure répétition du passé, mais production d'un agieren nouveau. L'analyse n'est pas seulement la symbolisation d'un passé refoulé, mais

       

589 Lacan, J., Le Séminaire, livre III, Les psychoses, op. cit., p. 149.

590 Lacan J., Le Séminaire, livre XI, Les quatre concepts fondamentaux de la psychanalyse, op. cit., p. 137.

591 Ibid., p. 138.

592 Lacan, J., Le séminaire, livre VIII, le transfert, Paris : Seuil, 2001, pp 49-65.

innovation594 », production d'un sujet désirant. Dans le cadre d'une cure et de la disparité subjective induite par l'artifice analytique, l'analysant qui, dans un premier temps, demande à être aimé, désiré, est en position d'éromène. L'analyste, lui, est en position d'éraste et offre son manque qui le fait désirant. La "métaphore de l'amour" est la substitution de la position d'éromène à celle d'éraste par l'analysant au cours de la cure. Cette substitution s'effectue selon une double condition ou condition de double "ignorance". L'analysant devient éraste "dans la mesure où il ne sait pas en quoi il est éromène"595 et l'analyste occupe la place du désir de l'Autre, ne sachant pas lui-même "l'objet qu'il recèle, l'objet cause du désir de l'analysant"596. Cela n'implique pas que l'analyste ne sache rien, qu'il ait à "se suffire de savoir qu'il ne sait rien, car ce dont il s'agit c'est de ce qu'il a à savoir597". De fait, l'analyste se situe dans le registre de la docte ignorance telle que nous l'avons évoquée dans l'introduction de cette thèse, "le non-su s'ordonne comme le cadre du savoir598". Ainsi, disait Lacan, le 7 juillet 1954 : « Que le psychanalyste croie savoir quelque chose, en psychologie par exemple, et c’est déjà le commencement de sa perte, pour la bonne raison qu’en psychologie personne ne sait grand-chose, si ce n’est que la psychologie est elle-même une erreur de perspective sur l’être humain599. » En 1967, il ajoute : « Nous avons à voir ce qui qualifie le psychanalyste à répondre à cette situation dont on voit qu'elle n'enveloppe pas sa personne […] le costume ne va pas au psychanalyste600. »

À propos de la métaphore de l’amour, Emmanuel Koerner dans le cadre de son séminaire, a attiré notre attention sur le fait que Lacan, le 21 février 1962, dans L’identification, considère que la métaphore de l’amour est « structuralement impossible601. » Emmanuel Koerner relève trois ambiguïtés et note, entre autres, que le terme grec éros recèle une certaine ambiguïté puisqu’il conjoint l’amour et le désir. De fait, la dialectique de l’amour et du désir est illustrée ainsi par Lacan dans L’identification : « Je désire l’autre comme me désirant […] je n’ai expressément pas dit "comme me désirant", car c’est moi qui désire, et désirant le désir, ce