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De quoi la psychose est-elle le nom ? Une psychanalyse à l'envers ? : Témoignages cliniques et présentations de malades de Jacques Lacan

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Academic year: 2021

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Submitted on 17 Jan 2019

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De quoi la psychose est-elle le nom ? Une psychanalyse à

l’envers ? : Témoignages cliniques et présentations de

malades de Jacques Lacan

Daniel Blondet

To cite this version:

Daniel Blondet. De quoi la psychose est-elle le nom ? Une psychanalyse à l’envers ? : Témoignages cliniques et présentations de malades de Jacques Lacan. Psychologie. Normandie Université, 2018. Français. �NNT : 2018NORMR080�. �tel-01985189�

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THESE

Pour obtenir le diplôme de doctorat

Spécialité PSYCHOLOGIE 

Préparée au sein de l'Université de Rouen Normandie

De quoi la psychose est-elle le nom ?

Une psychanalyse à l'envers ?

Témoignages cliniques et présentations de malades de

Jacques Lacan.

Présentée par

Daniel BLONDET

Thèse dirigée par le Professeur Yolande GOVINDAMA, laboratoire CRFDP Thèse soutenue publiquement le 28 septembre 2018

devant le jury composé de

Monsieur Sidi ASKOFARÉ Professeur à l'Université Toulouse - Jean Jaurès Rapporteur Monsieur François SAUVAGNAT Professeur à l'Université Rennes 2 Rapporteur Madame Céline MASSON Professeure à l'Université de Picardie Jules Verne Examinatrice Monsieur Alain VANIER Professeur à l'Université Paris Diderot Président

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Remerciements

Je tiens à remercier Sidi Askofaré, Céline Masson, François Sauvagnat et Alain Vanier pour avoir accepté de faire partie de mon jury de thèse.

Merci à Yolande Govindama pour sa confiance.

Merci à Jacques Roussille pour son enthousiasme et ses avis éclairés.

Durant ce parcours, j'ai pu bénéficier des enseignements de Moustapha Safouan et d'Alain Vanier à Espace Analytique, de Carina Basualdo+ à l'École Lacanienne de Psychanalyse, de

Roland Meyer et du Groupe d'Étude Textuelle sur l'Identification à l'École de Psychanalyse Sigmund Freud ainsi que d'Emmanuel Koerner dans le cadre de son séminaire sur le Transfert à l'association de psychanalyse Encore.

Merci à mes prédécesseurs qui ont obtenu que les psychologues de la Fonction Publique Hospitalière puissent disposer d’une partie de leur salaire sous forme de temps dit "temps F.I.R." (Formation Information Recherche), temps que j'ai utilisé pour effectuer ce travail. Merci aux amis qui m'ont soutenu durant ces années : Martine Priour pour sa relecture, Catherine Delaruelle pour son expertise anglophone, Pierre Dadu pour ses entrées à la BNF, Bruno Besse pour son soutien logistique, Darius Azika-Eros pour ses enregistrements, Laura Ondoua Mbengono ma "collègue" de Rouen, ainsi que Geneviève Bensoussan-Roy, Caroline Tot-Boucher, Kenza Cherkaoui, Michèle Gaido-Daniel et Vanda Tabery pour leurs échanges fructueux sur la psychanalyse et sur l’épineuse question du désir de l'analyste.

Merci aux patients qui n'ont cessé et ne cessent de m'interroger.

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Sommaire

Introduction ... 9 

I. Panorama sur la question : la ou les psychoses ? ... 17 

1. Approches psychiatriques ... 17 

Emil Kraepelin ... 17 

Karl Jaspers : une approche phénoménologique ... 19 

Ernst Kretschmer ... 21 

Eugen Bleuler : le concept de dissociation ... 24 

Gaëtan Gatian de Clérambault : "le culte du regard" ... 25 

Jacques Lacan, psychiatre : la thèse de 1932... 29 

L'avènement du DSM ... 40 

Conclusion ... 48 

2. Approches psychanalytiques ... 50 

Introduction ... 50 

Freud, deux théories non contradictoires : la défense et le narcissisme ... 51 

La controverse Jung/Freud ... 62 

Karl Abraham et la mélancolie ... 70 

Melanie Klein, "une femme de génie"... "la tripière inspirée" : tous psychotiques ? ... 81 

Conclusion ... 92 

II. Lacan : la forclusion du Nom-du-Père ... 93 

1. Genèse du concept de forclusion ... 94 

2. Le père ... 98 

Le père chez Freud ... 98 

Le père chez Lacan ... 103 

3. L’échec de la métaphore paternelle ... 110 

Au niveau de l’imaginaire ... 110 

Au niveau du symbolique ... 114 

Le déclenchement d’une psychose ... 119 

4. Après la forclusion du Nom-du-Père ... 124 

Le père "réel", le père nommant ... 124 

Lien forclusion-psychose après Lacan ... 139 

III. La question de la clinique ... 145 

1. La critique de la vignette clinique par Guy Le Gaufey et l'hypothèse d'une particulière maximale ... 149 

La particulière maximale selon Guy Le Gaufey ... 149 

L'hypothèse d'une clinique dite "maximale" ... 157 

Un exemple : "Furtiva Nox. Querelles de l'interprétation" de Michel Gribinski ... 158 

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3. Considérations sur le transfert dans la psychose : le transfert au psychotique, une contre

psychanalyse, une psychanalyse à l'envers… ... 167 

Jean Allouch, le "transfert au psychotique" ... 172 

Colette Soler, une "contre-psychanalyse" ... 179 

Alfredo Zenoni, orientations dans le transfert ... 182 

Nicolas Guérin, l'hypothèse d'une interprétation dans la psychose ... 187 

Que faire ? ... 191 

4. Présentations de malades de Jacques Lacan ... 194 

Mademoiselle Viviane, présentation du 30 avril 1976 ... 198 

Mademoiselle Brigitte, présentation du 9 avril 1976 ... 204 

Madame Annie C., présentation du 12 mars 1976 ... 210 

Madame S., présentation du 6 janvier 1976 ... 214 

Monsieur Michel H., présentation du 21 février 1976 ... 218 

Monsieur Bernard D., présentation du 12 décembre 1975 ... 224 

Monsieur H., présentation du 20 janvier 1976 ... 230 

Monsieur Gérard L., l'homme aux paroles imposées, "une psychose lacanienne", présentation du 12 février 1976 ... 237 

Discussion sur les présentations de malades de Jacques Lacan ... 247 

5. L'implication nécessaire du thérapeute dans sa praxis et dans son témoignage ... 259 

Karim, cas de Jean-Claude Maleval ... 259 

Un cas de "guérison" paradoxale par la psychanalyse. Alain Vanier ... 269 

Discussion ... 273 

Conclusion ... 279 

Bibliographie ... 287 

Annexes ... 299 

1. Qu’est-ce qu’un nom propre ? ... 299 

2. Présentations de malades de Jacques Lacan. Retranscription des entretiens ... 309 

Mademoiselle Viviane, retranscription de la présentation du 30 avril 1976 ... 309 

Mademoiselle Brigitte, retranscription de la présentation du 9 avril 1976 ... 334 

Madame Annie C., retranscription de la présentation du 12 mars 1976... 357 

Madame S., retranscription de la présentation du 6 janvier 1976 ... 376 

Monsieur Michel H., retranscription de la présentation du 21 février 1976 ... 398 

Monsieur Bernard D., retranscription de la présentation du 12 décembre 1975 ... 420 

Monsieur H., retranscription de la présentation du 20 janvier 1976 ... 440 

Monsieur Gérard L., l'homme aux paroles imposées, "une psychose lacanienne", retranscription de la présentation du 12 février 1976 ... 462 

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Introduction

« La théorie c’est bon mais ça n’empêche pas d’exister1

Jean-Martin Charcot « À toute époque, les idées de la classe dominante sont les idées dominantes ; autrement dit, la classe qui est la puissance matérielle dominante de la société est en même temps la puissance spirituelle dominante2. »

Karl Marx - Friedrich Engels « Ne devient pas fou qui veut3. »

Jacques Lacan

Qui n'a entendu, au sein de l'univers hospitalier et ailleurs, l'assertion courante, à propos d'un patient : "il est psychotique" ! Remarquons que cette "qualité", toujours attribuée à l'autre, est trop souvent assenée sans argumentation et, de fait, peut être trop aisément assimilée à un "terme non prédicatif"4, soit à une "pure expérience de langage" au même titre que l'insulte.

La ségrégation du fou, du "malade mental", du "psychotique" n'est certes pas récente. Le terme "psychotique" issu de la troisième période des "grandes structures psychopathologiques" selon Georges Lantéri-Laura5, période qui prend fin à la mort d'Henri

Ey en 1977, inclut naturellement la psychanalyse qui, occasionnellement, peut servir d'alibi théorique à la ségrégation psychiatrique.

Si l'usage du diagnostic psychiatrique fondé sur l'observation induit une évolution de la nosographie, pour autant, ces raffinements ont « peu d’impact sur la conduite thérapeutique et même la plupart du temps pas d’impact du tout. Cette observation était marquée de préjugés idéologiques, colonialistes et racistes6 », remarque Patrick Landman. Par ailleurs, souligne

l'auteur, l'impact de « la généralisation de l’usage des psychotropes […] est à nuancer. D’un côté, les psychotropes ont libéré les patients les plus sévèrement atteints en leur donnant une certaine autonomie et en leur permettant un certain lien social » - ce qui, notons-le, est loin

1 Charcot, J.-M., Leçons du mardi à la Salpêtrière, note de cours de Blin, Charcot et Colin, Paris : Centre

d’études et de promotion de la lecture, 1974, p. 63.

2 Marx, K., Engels, F. "L'Idéologie allemande", (1845), dans Marx, K. Philosophie, édition de Maximilien

Rubel, Paris : Gallimard, coll. « Folio Essais », 1994, p. 338.

3 Lacan, J., "Propos sur la causalité psychique", Écrits, Paris : Seuil, 1966, p. 176. 4 Agamben, G., L'amitié, Paris : Payot, 2007, pp 16-17.

5 Lantéri-Laura, G., Essai sur les paradigmes de la psychiatrie moderne, Nantes : Éditions du Temps, 1998. 6 Landman, P., "Le diagnostic psychiatrique et la discrimination", Cliniques méditerranéennes, 2016/2, no 94, p. 117.

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d'être anecdotique - mais, d'autre part, les psychotropes ont coupé « le sujet de la signification de ses symptômes [...] la prescription et le médicament psychotrope font acte de séparation avec la parole du sujet et son écoute ».

Le nouveau paradigme psychiatrique permet, certes, au psychiatre de retrouver une position médicale plus ferme et au patient de se considérer comme "malade", donc exempt de toute responsabilité dans ce qui lui arrive. De fait, avec l'arrivée du DSM, ce nouveau paradigme tend à "rendre le diagnostic psychiatrique moins ségrégatif"7.

D'autre part, si la construction théorique de la forclusion du Nom-du-Père ne manque ni d'élégance ni de pertinence intrinsèque dans l'œuvre de Jacques Lacan, dans la mesure où il asserte qu'il n'y a "pas moyen de me suivre, sans passer par mes signifiants..."8, celle-ci n'est,

pour autant, pas sans induire, à l'occasion, un certain dogmatisme pour le moins déroutant. De fait, Christophe Chaperot dans sa Critique de l’utilisation de l’enseignement de Jacques

Lacan dans l’abord psychanalytique des troubles psychotiques9 remarque que « le concept de

forclusion du Nom-du-Père prolonge un questionnement fondamental présent dans la clinique aliéniste et postaliéniste. S’il ouvre des voies évidentes dans le déchiffrement du processus, il est porteur d’une logique discriminative et pessimiste, reléguant définitivement la personne psychosée hors le champ de l’expérience commune10. » Ce texte, précise l'auteur, aurait pu porter le titre suivant : "dangers de la théorisation de Jacques Lacan pour la personne psychosée". Il souligne que le tranchant de la découverte analytique a pu être émoussé et détourné au profit d'une adhésion discursive au(x) "mots d'ordre", aux "maîtres-mots" des "groupe(s)" psychanalytique(s) : « la cause devenant facilement religieuse ou magique, dans un récitatif rituel d’aphorismes neutralisés, le Nom-du-Père y faisant office de totem ou de baptême ». Cet usage de la théorie qui anticipe la clinique n'est pas sans conséquence sur les prises en charge et les cures des patients "dits" psychotiques. Cette utilisation de la théorie risque, dit Christophe Chaperot, « de fonder un système ségrégatif, d’une part, et condescendant de l’autre. [Or,] la personne psychosée n’est pas si radicalement différente, et nous ne sommes pas si radicalement différents d’une personne psychosée ». Toutefois, nous le verrons, le "dernier" Lacan, le Lacan des années 70, sans remettre en cause le discours médical dominant, allège quelque peu le poids de ce prédicat "psychotique" avec ses

       

7 Ibid.

8 Lacan, J., Les quatre concepts fondamentaux de la psychanalyse, Paris : Seuil, 1973, p. 198.

9 Chaperot, C., "Critique de l’utilisation de l’enseignement de Jacques Lacan dans l’abord psychanalytique des

troubles psychotiques ou d’une question post-liminaire à tout traitement possible de la psychose", Évolution Psychiatrique, vol. 73, no 4, 2008, pp 575-594.

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présentations de malades à Sainte-Anne. Quoi qu'il en soit, le terme "psychotique" recouvre une réalité clinique autrefois appelée folie. La "folie", la psychose, implique, à l'occasion, un nécessaire recours à la psychiatrie et/ou à la psychanalyse.

Dès lors, quels sont les soubassements théoriques qui permettent de poser un diagnostic de psychose ? En effet, si tout praticien sait différencier – parfois non sans difficultés – un sujet psychotique d'un sujet névrosé sans avoir besoin d'argumenter, derrière l'apparent consensus de quoi parle-t-on quand on parle de psychose ? Dans l’univers psychiatrique où j’exerce, la psychose règne et désigne le plus souvent cliniquement des patients dont les "comportements" semblent déroger à la règle sociale. De fait, si pour Freud, « PSYCHANALYSE est le nom 1)

d’un procédé pour l’investigation de processus animiques qui sont à peine accessibles autrement ; 2) d’une méthode de traitement des troubles névrotiques, qui se fondent sur cette investigation ; 3) d’une série de vues psychologiques acquises par cette voie, qui croissent progressivement pour se rejoindre en une discipline scientifique nouvelle11», pourrions-nous,

en paraphrasant Alain Badiou, poser la question : de quoi la psychose est-elle le nom ? Tentons quelque peu d'éclaircir ce concept, de "nettoyer la situation verbale"12 comme le dit

Paul Valéry.

Nous le verrons dans la première partie de cette thèse, chaque auteur, psychiatre ou psychanalyste, s'est attelé à une forme particulière de psychose. Le concept de psychose présente donc différentes facettes selon le point de vue théorique considéré. De fait, ledit consensus peut sembler quelque peu abusif. La vérification clinique de la pertinence des approches théoriques est en revanche beaucoup moins évidente qu'il ne le paraît au premier abord. D'où le succès actuel du DSM13 et de la CIM.1014, approches dites "a-théoriques"

fondées sur une analogie entre la "maladie mentale" et "la maladie organique". Le diagnostic se fonde alors sur des signes exclusivement neurologiques et comportementaux qui nécessitent en retour une molécule appropriée avec, à l’appui, une "psychothérapie" servant la

       

11 Freud, S., Œuvres complètes - psychanalyse, vol. XVI, 1921-1923, Paris : P.U.F., 1991. p. 183.

12 « Le contact d’un problème comme celui qui nous retient en ce moment m’oblige toujours à me mettre en

garde. Tout m’incite d’abord à reprendre les mots, puis la ligne expressive du langage, à en préparer le "champ opératoire" en poursuivant ce que l’on peut appeler "le nettoyage de la situation verbale". Ceci s’étend d’ailleurs à toutes les questions que j’aborde. » Entretien de Paul Valéry avec Lucien Cornil "À propos du langage", dans Paul Valéry vivant, Cahiers du Sud, 1946, p. 224. Lucien Cornil (1888-1952) fut professeur d’anatomie pathologique à la faculté de médecine de Marseille depuis la création de celle-ci en 1930 jusqu’à sa mort. L’entretien dont il est question ici eut lieu à Marseille dans le salon de Marguerite Fournier.

13 DSM : Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders.

14 La Classification internationale des maladies (CIM) est une classification médicale codifiée classifiant les

maladies et une très vaste variété de signes, symptômes, lésions traumatiques, empoisonnements, circonstances sociales et causes externes de blessures ou de maladies.

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plupart du temps à éponger le "besoin de parler" qui actuellement motive nombre de demandes de "psychothérapies" au sein des Centres Médico-Psychologiques. Notons que le terme de "psychose" a disparu dans les dernières versions du DSM au profit d'une sémiologie des "troubles" mais, paradoxalement, ce terme est toujours largement utilisé dans le discours médical.

En outre, la référence théorique du praticien, sa théorie sous-jacente, n'est bien évidemment pas sans incidence sur sa pratique. Ainsi, un psychanalyste jungien, kleinien ou lacanien n'aura, de fait, pas la même approche clinique d'un même patient et, conséquemment, ledit patient ne bénéficiera pas de la même "psychanalyse". De plus, comme nous le verrons dans la suite avec Freud, Lacan et quelques autres, les approches théoriques évoluent et ne sont pas nécessairement figées en dogme. Elles s'affinent au gré des rencontres avec les patients et des questions que la clinique suscite chez les praticiens. Ainsi, aimait à dire Lacan : « C'est de mes analysants que j'apprends tout, que j'apprends ce que c'est que la psychanalyse15. »

Toutefois, seule la théorie lacanienne, sur son versant structuraliste, a eu l'ambition de subsumer l'ensemble des manifestations psychotiques sous l'égide d'un seul et même mécanisme, d'une même cause : la forclusion du Nom-du-Père. D'où, selon nous, la conception "quelque peu totalisante" de "La" psychose chez Lacan. En effet, si pour Lacan, "La" femme n'existe pas, le "La16" de "La psychose" existe bel et bien. Le "La" renvoie à une

"cause", un défaut de structure lié à la forclusion du Nom-du-Père ; défaut qui inclut l’ensemble des psychoses (paranoïa, schizophrénie, psychose maniaco-dépressive, mélancolie, paraphrénie, etc.) alors que l’exemple princeps utilisé par Lacan est un commentaire du commentaire de Freud sur la "paranoïa" du président Schreber : la "psychose schréberienne". De notre point de vue, le premier Lacan réunit sous cette définition structurale un ensemble, pour le moins, hétéroclite, sachant que la consistance d'une théorie, suivant Kurt Gödel17, se fonde sur son incomplétude. Toutefois, dans ce travail et pour faciliter la lecture,

nous maintiendrons l'utilisation du syntagme "la psychose" pour désigner l’ensemble des

       

15 Lacan, J., Yale University, "Entretien avec des étudiants. Réponses à leurs questions, 24 novembre 1975",

Scilicet, no 6/7, 1976, p. 34.

16 Le séminaire III de Jacques Lacan de 1955-1956 sur "Les psychoses" aux Éditions du Seuil, appelé par

l'Association freudienne internationale "Les structures freudiennes des psychoses", renvoie au mécanisme de la forclusion (Verwerfung, p. 171 de l'édition du Seuil) et à la première occurrence du Nom-du-Père (p. 344 de l'édition du Seuil).

17 Un système logique est incomplet lorsqu’il supporte une proposition indécidable (qui ne peut être démontrée

ni réfutée) dans ce même système. Il est inconsistant s’il admet pour vrais des énoncés contradictoires. Ce qui n'implique pas qu'un système incomplet soit nécessairement cohérent.  Voir la critique de Jacques Bouveresse Prodiges et vertiges de l'analogie, Paris : Raisons d'agir, 1999.

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psychoses, ce qui n'implique pas que les auteurs mentionnés adhèrent à l’hypothèse d’un seul et même mécanisme pour toutes les psychoses.

Cette question de la définition de la psychose et de sa pluralité théorique fera l'objet des deux premières parties de cette thèse. Nous présenterons dans une première partie un panorama non exhaustif des approches psychiatriques et psychanalytiques concernant la psychose en nous attachant plus particulièrement à l'approche lacanienne. Dans la mesure du possible, nous illustrerons la théorie considérée par un exemple clinique. Une seconde partie sera consacrée à la forclusion du Nom-du-Père et à l'évolution de la théorie lacanienne, évolution toujours à l'œuvre en ce qui concerne la psychose.

La citation de Jean-Martin Charcot mise en exergue de cette introduction : "La théorie c'est bon, mais ça n'empêche pas d'exister", ouvre la question de la clinique qui constitue l'objet de ce travail. Dans la troisième partie de cette thèse, nous interrogerons le statut de cette "existence" et la question de la clinique dans l'abord de la psychose. Au-delà de la "scolastique" lacanienne, comment retrouver un sol un peu moins meuble en s'appuyant sur le roc de la clinique ? Au niveau de la praxis, comment témoigner d'une prise en charge effective avec des patients psychotiques sans s'abriter techniquement et doctement derrière une théorie et le vocable "psychotique" ? Comment rendre compte de cette particulière pratique avec la psychose ? À l'encontre de Freud qui considérait qu'il n'y avait pas de transfert dans les psychoses, l'enseignement de Jacques Lacan prend le contre-pied. Nous verrons dans ce chapitre que Jean Allouch18 et d'autres auteurs soulèvent très pertinemment la

question de la spécificité du transfert dans le cadre de l'analyse avec des sujets psychotiques. Cette prise en charge implique un pas supplémentaire, un nécessaire investissement transférentiel du praticien qui permet de créer une surface où le patient puisse enfin compter. C'est peu dire que du côté du "secrétaire de l'aliéné"19, comme le disait Lacan, la charge est

réelle et conséquente. Le thérapeute ou le psychanalyste ne peut s'abriter derrière une bienséante extra-territorialité qui ne sied guère à ce type de patients. Il est souhaitable qu'il se garde de savoir – ce qui n'implique pas qu'il ne sache rien – et mette ce savoir "en réserve". Cette précaution n'est pas sans faire écho à la "docte ignorance"20 de Nicolas de Cues. De

       

18 Allouch, J., "Vous êtes au courant, il y a un transfert psychotique", Littoral, no 21, 1986, pp 89-110. 19 Lacan, J., Séminaire III, Les psychoses (1955-1956), Paris : Seuil, 1981, p. 233.

20 Gorog, F. "Les présentations cliniques de Jacques Lacan", L’évolution psychiatrique, Lacan aurait cent ans,

avril-juin 2001, vol. 66, n° 2, Paris : Elsevier, p. 290 : "Dans la présentation s'illustrait la docte ignorance, "l'ignorance formée" qu'il [Lacan] avait située comme convenant au psychanalyste. Rien à voir avec la passion de l'ignorance qu'il plaça en série avec l'amour et la haine. Il s'agissait de savoir oublier dans la rencontre hasardeuse du patient présenté, le savoir acquis, comme le recommandait Freud à l'entrée de la cure." Voir aussi

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plus, s'il y a une pratique qui induise que le psychanalyste ou le thérapeute se doive d'y mettre du sien, "sans y mettre trop ses plis", c'est bien dans ce "rapport" avec la psychose car, là où la langue défaille, le sujet psychotique met son corps en jeu. Cette particularité de la prise en charge des psychoses induit nécessairement un transfert de la part de l'analyste, et conséquemment, selon nous, devrait engendrer des témoignages cliniques différents des classiques "vignettes cliniques" tant vilipendées par Guy Le Gaufey21. Dans cette partie, nous

aurons recours à l'hypothèse de Guy Le Gaufey sur la clinique dite "maximale". En effet, ne pourrait-on former l'hypothèse d'une méthodologie de la présentation du "cas22" clinique qui

impliquerait le patient et le psychanalyste ? Dans le cas de la psychose, ne pourrait-on envisager une écriture du "cas" qui inclut, outre le témoignage du patient, la position du témoin du témoin, soit, à l’occasion, du psychanalyste ? Ne pourrait-on tenter d’"écrire le cas" autrement ? Ni vignette clinique donc, ni logiciels, ni analyse statistique du discours du patient, mais le témoignage d'une clinique en acte, d'une clinique in vivo. Notre hypothèse de travail se fonde sur le fait que le thérapeute devrait témoigner de sa position dans la prise en charge de ces "pathologies peu ou non séparatives".

Toutefois, si la plupart des vignettes cliniques s'avèrent non concluantes et relèvent le plus souvent d'un exercice de style visant à montrer la "compliance" du thérapeute à l'égard de la théorie, une partie de la clinique de Jacques Lacan – les présentations de malades à l'hôpital Sainte-Anne – nous permettrait, peut-être, d'appréhender ce que nous appelons une "clinique en acte", une "clinique in vivo". Cette clinique, à l'instar de Freud avec sa Communication

d’un cas de paranoïa en contradiction avec la théorie psychanalytique23, nous permettrait

peut-être de questionner en retour la théorie psychanalytique.

Pour des raisons éthiques, la loi Jardé à propos des recherches impliquant la personne humaine nous impose, à juste titre, un protocole de recherche signé avec le/les patient(s) et introduit de fait, selon nous, un biais dans la clinique et son témoignage. Conséquemment et par souci éthique, nous n’aurons pas recours à notre pratique pour illustrer notre propos, mais tenterons de témoigner de notre implication, de notre "fraternité" parfois peu "discrète" dans la prise en charge des patients dits "psychotiques" au sein de l'hôpital public. Nous nous

        à ce propos l'article d'Alain Vanier, "Passion de l'ignorance", Cliniques méditerranéennes, vol. 70, no 2, 2004,

pp 59-66.

21 Le Gaufey, G., Le pastout de Lacan. Consistance logique, conséquences cliniques, Paris : Epel, 2006.

22 Gorog, F. "Les présentations cliniques de Jacques Lacan", op. cit., note p. 288 : « Le signifiant cas est issu du

latin casus, participe passé de cadere, tomber qui signifie la chute, l'infortune, la ruine, la mort. Lacan n'employait pas le mot, pas plus que celui de "Chose" ou de "cause" sans suggérer son étymologie latine. »

23 Freud, S., "Communication d’un cas de paranoïa contredisant la théorie psychanalytique", Œuvres complètes,

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appuierons donc sur les présentations de malades de Jacques Lacan en y adjoignant deux cas cliniques qui, selon notre lecture, incluent le témoignage de l'analyste dans le récit de la cure : le cas de Karim, de Jean-Claude Maleval et celui de la "guérison" paradoxale d'un patient d'Alain Vanier.

Une première annexe fournit un rapide aperçu historique des différentes acceptions du nom propre de Suart Mill à Jacques Lacan, afin de mieux appréhender le concept de Nom-du-Père. Une retranscription intégrale de huit présentations de malades de Jacques Lacan figure dans une seconde annexe. Elles sont disponibles sur le site internet de Patrick Valas24. Certaines

d’entre elles ont été publiées, parfois de façon fragmentaire, dans différentes revues de psychanalyse. Malgré leur évident intérêt clinique et historique, à ce jour, ces présentations ne sont toujours pas publiées dans leur intégralité. Elles mettent en exergue non "La" clinique de Jacques Lacan, mais un "instant de voir", un instantané, la photographie d'une clinique en acte. Telles les photos d'Etienne-Jules Marey ou de Jacques-Henri Lartigues ces présentations de malades nous permettent de saisir le mouvement, l'implication de Jacques Lacan avec un patient hospitalisé devant un "auditoire choisi" où le psychanalyste Lacan se situe du "même côté du mur du langage" que le patient. Ainsi, nous considérons que les présentations de malades à Henri Rousselle font partie intégrante de l'enseignement de Jacques Lacan. Elles constituent, avec les Écrits et Le séminaire, un trépied fondamental de son enseignement.

       

24 Lacan, J. Huit présentations cliniques à Sainte-Anne. Versions scannées des dactylographies des présentations

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I. Panorama sur la question : la ou les psychoses ?

« Si la folie n'excluait pas la persuasion, elle ne serait qu'une erreur au lieu d'être une maladie25. »

Dr. Jules Philippe Falret, 1877

1. Approches psychiatriques

Selon l'Encyclopedia Universalis, « C'est à Ernst von Feuchtersleben que l'on attribue la paternité, en 1845, du terme de psychose au sens très global de "maladie de l'esprit" (Seelenkrankheit), alors que celui de névrose désignait "toutes ces affections étranges du sentiment ou du mouvement qui sont sans fièvre" (William Cullen, 1776) et dont certaines seulement se traduisaient par des troubles mentaux. Le terme [de psychose] gagna progressivement les nations germanophones dans la seconde moitié du XIXe siècle, puis la France. »26

De nombreux psychiatres se sont naturellement penchés sur la question de la folie et de la psychose27. Dans le cadre de ce travail, nous ne pouvons être exhaustif et ne prétendons pas

rédiger une histoire de la psychiatrie. Nous avons donc choisi certains auteurs qui nous semblent significatifs pour illustrer les principaux courants de pensée sur la question de la psychose.

Emil Kraepelin

 

Emil Kraepelin, dans son Traité de psychiatrie – qui comporte huit éditions de 1883 à 1915 et une neuvième édition posthume en 1927 – établit une nosographie des maladies mentales. La sixième édition du Traité de psychiatrie (1899) est l'édition classique qui servira de référence.

Kraepelin ne s'intéresse pas à la dimension philosophique de la maladie mentale mais plutôt aux signes, à la plainte du malade, à l'évolution de la maladie et plus particulièrement à sa période terminale : "chaque forme d'aliénation mentale, lorsqu'elle ne guérit pas, tend au contraire à une période terminale qui lui est propre". Il faut, suivant Kraepelin, "expliquer les

       

25 Docteur Jules Falret, La folie à deux ou folie communiquée (en collaboration avec le Dr Ch. Lasègue) 1877,

Extrait des Archives générales de médecine, septembre 1877 (republié dans Études cliniques sur les maladies mentales et nerveuses, par le Dr Jules Falret en 1890, Éd. J.-B. Baillière).

26 François Sauvagnat nous a fait remarquer qu'il a été établi "que Feuchtersleben ne faisait que reprendre un

terme mis en place par Karl Friedrich Canstatt dans un geste fondateur où il s'agissait de substituer la psychée à l'âme".

27 Cette relation folie-psychose est finement articulée par Christian Fierens dans Comment penser la folie ? Essai

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phases antérieures du mal par sa période terminale, au lieu de préjuger dès le début quelle sera cette dernière et quelle évolution y conduira"28.

Sa méthode lui permet de décrire, au fur et à mesure des différentes éditions de son traité, trois grandes entités concernant la psychose : la folie maniaco-dépressive, la dementia praecox et la paranoïa :

La folie maniaco-dépressive

Rien de novateur en ce qui concerne la description kraepelinienne de la folie maniaco-dépressive qui consiste en une alternance d'accès maniaques et d'accès dépressifs. En 1905, dans Introduction à la psychiatrie clinique, la mélancolie est définie comme : « dépression anxieuse sans cause, persistante, qui génère un "délire de culpabilité", c'est ce syndrome que nous désignons sous le terme de "mélancolie". Il se caractérise par le développement insensible d'une dépression anxieuse, à laquelle se joignent en proportion fort variable des conceptions délirantes29. »

La dementia praecox

C'est une psychose chronique non "systématisée" touchant des adolescents ou de jeunes adultes (d'où le terme de praecox), caractérisée par de graves troubles intellectuels et affectifs, avec une évolution progressive vers un effondrement psychique. Kraepelin en distingue différentes formes : la forme hébéphrénique, la forme catatonique et la forme paranoïde. Dans cette dementia praecox il isole un trait spécifique : la Befehlsautomatie, l'automatisme psychique qui se caractérise par des "troubles spéciaux de la volonté" dont l'expression va de la catalepsie à l'hébétude, de l'échopraxie à l'indifférence. C'est là, dit Thierry Vincent, "le cœur de la maladie30."

La paranoïa

Selon Gérard Pirlot31 : « En France, Morel et Seglas décrivent une entité présentant des

idées chroniques à évolution délirante qu'ils qualifient de "systématiques" ou "systématisées". Leur aspect rationnel et bien construit tient selon eux à la conservation des capacités intellectuelles (contrairement à la "démence précoce", future schizophrénie). » En

       

28 Kraepelin, E., Introduction à la psychiatrie clinique, Paris : Navarin, 1984, p. 259. 29 Kraepelin, E., op. cit., p. 11.

30 Vincent, T., op. cit., p. 37.

31 Pirlot, G., Classifications et nosologies des troubles psychiques : Approches psychiatrique et psychanalytique,

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1909, Sérieux et Capgras appelleront cette entité faite de délires, folie raisonnante32 ou

délire d'interprétation, délire qui, classiquement, qualifiera ce type d'affection.

Dans les premières éditions de son Traité de psychiatrie, Kraepelin englobe les délires de démence précoce et de la paranoïa dans une même et seule entité "démence paranoïde". Ultérieurement, dans sa huitième édition, il réintroduira la paranoïa à côté de la démence précoce puis adjoindra une troisième entité les paraphrénies33 regroupant d'autres états

psychotiques délirants systématisés, se caractérisant souvent par un délire d'imagination. Ainsi, pour Kraepelin, la paranoïa est caractérisée « par le développement lent et insidieux d'un système délirant durable et impossible à ébranler, et par la conservation absolue de la clarté et de l'ordre de la pensée, du vouloir et de l'action34. » À l'inverse de la dementia

praecox, il y a absence de Befehlsautomatie (automatisme psychique), de trouble de la volonté et de l'émotivité. Au contraire, on constate, chez le paranoïaque, des idées de persécution et une "opinion excessive de sa personne"35. Selon Kraepelin, cette affection

est incurable : « Dans cette maladie s'installe un "système" produit à la fois par le délire ou par une façon spéciale de tout interpréter au moyen de ce délire... Ces patients commencent par nourrir des soupçons, qui bientôt se changent en une certitude, pour faire place à une inébranlable conviction. Les idées délirantes se greffent sur des faits qui sont soumis à une interprétation pathologique36. » Le paranoïaque est "absolument inéducable".

Dans la suite du débat franco-allemand, Genil-Perrin définit, en 1926, le caractère paranoïaque constitué de quatre éléments : l'hypertrophie du moi, la méfiance, la fausseté du jugement et l'inadaptabilité sociale. Nous pourrions actuellement, sans doute, tempérer le quatrième élément...

Karl Jaspers : une approche phénoménologique

En 1913, Karl Jaspers publie Psychopathologie générale37. L'objet de son ouvrage consiste à

édifier une science et à décrire "l'activité psychique réelle et consciente".

Karl Jaspers exclut de sa science l'inconscient au sens freudien du terme et introduit la notion de phénomènes extraconscients : « On a interminablement discuté pour savoir ou non s'il existe des phénomènes psychiques inconscients. Pour résoudre cette question, il faut d'abord

       

32 Sérieux, P. et Capgras, J., Les folies raisonnantes le délire d'interprétation, Marseille : Lafitte Reprints, 1982. 33 Terme popularisé par Karl Ludwig Kahlbaum en 1863.

34 Porot, A., Manuel alphabétique de psychiatrie, Paris : P.U.F., 1996, p. 511. 35 Kraepelin, E., op. cit., p. 183.

36 Ibid., p. 186.

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distinguer avec soin les phénomènes psychiques réellement éprouvés par le sujet sans en être remarqués des phénomènes qui se passent réellement hors de la conscience, qui ne sont pas ressentis. […] Les phénomènes extraconscients, à moins d'être des phénomènes physiologiques, ne peuvent jamais être constatés directement. Par contre, il est indéniable qu'on peut expliquer des phénomènes psychiques conscients en leur adjoignant virtuellement des phénomènes extraconscients qui en seraient leurs causes et leurs effets. [...] Ces phénomènes extraconscients ont donc un caractère théorique, idéologique ; on peut en contester l'utilité et la logique, mais leur réalité ne peut ni ne doit être démontrée38. »

Karl Jaspers prend, dans son approche phénoménologique, le contre-pied de la détermination neurobiologique de la maladie mentale (comme les signes de démence et les troubles de la mémoire de la paralysie générale ou maladie de Bayle décrite par Antoine Laurent Bayle en 1822). Il existe selon lui "un déterminisme psychique" (Freud, les Cinq leçons sur la psychanalyse) dans l'enchaînement des phénomènes que l'on peut percevoir, ce qui n'exclut pas éventuellement des causes organiques, mais tel n'est pas son objet d'étude. Sans dénier les causes physiologiques39, Jaspers ne prend en compte que les phénomènes puisque nous ne

pouvons avoir accès au noumène ("la chose en soi" kantienne). Pour Jaspers, c'est le "comprendre" qui est au centre de l'univers psychopathologique, sachant que la compréhension est nécessairement limitée : « Nous connaissons dans bien des cas des rapports entre des faits physiques et psychiques qui nous permettent de considérer les derniers avec certitude comme conséquence des premiers. Nous savons de plus, qu'en général, aucun fait psychique n'existe sans quelque condition organique : il n'y a pas de "fantôme". Mais nous ne connaissons jamais aucun phénomène cérébral, matériel, qui "par son autre aspect" soit identique à un processus psychopathologique. Nous ne connaissons jamais que des conditions de la vie mentale. Nous ne connaissons pas la cause d'un fait psychique, mais une cause40. »

Pour Thierry Vincent, l'approche phénoménologique de Karl Jaspers pose une grave question : « Jusqu'où comprend-on la personnalité sans discontinuité compréhensive d'un individu ? […] Si la compréhension se soutient du sens [...], le fou est ici proprement l'insensé, celui dont les propos n'ont pas de sens, ou plutôt dans l'esprit de Jaspers dont le sens n'est que partiel, dont le symptôme est une néoformation de la pensée41. » Lacan, dans ses

       

38 Ibid., pp 42-43. 

39 Jasper, K., op. cit., p. 326 : « La même cause "apparente" peut donner lieu à des psychoses différentes,

dépression ou schizophrénie. Le meilleur exemple […] l'alcool […] (qui va) du simple affaiblissement mental jusqu'à la psychose de Korsakoff, en passant par le delirium tremens et l'hallucination alcoolique. »

40 Ibid., p. 331. 

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Écrits, ironisera à plusieurs reprises sur Karl Jaspers et cette "relation de compréhension" : « Nous le répétons à nos élèves : "Gardez-vous de comprendre ! et laissez cette catégorie nauséeuse à Mr Jaspers et consorts"42. »

Malgré la virulence des critiques de Jacques Lacan à l'encontre de Karl Jaspers, l'approche phénoménologique garde, selon nous, une grande valeur psychopathologique, notamment dans la description du temps vécu et éprouvé par les patients dans certaines pathologies (mélancolie, manie). En témoignent de nombreux auteurs et tout particulièrement Eugène Minkowski43. Une étude plus poussée du courant phénoménologique en psychiatrie est

présentée dans l'ouvrage de Georges Charbonneau44.

Ernst Kretschmer

Ernst Kretschmer, marqué par Karl Jaspers et la phénoménologie, se situe dans la filiation d’Emil Kraepelin mais remet en cause les définitions cardinales de la paranoïa. Il souligne la nature psychogène de la paranoïa et se démarque des paranoïaques quérulents et de ce qu’il nomme la "psychose paranoïaque de désir" de Kraepelin car, selon lui, il n'y a pas de classes étanches mais des types idéaux, des paradigmes auquel chaque cas se rattache plus ou moins. Dans sa thèse de 1932, "d’inspiration jaspérienne45" dit Jacques-Alain Miller, Lacan cite cette

phrase d’Eugen Bleuler, reprise par Kretschmer : « Il n’y a pas de paranoïa, il n’y a que des paranoïaques46. »

La notoriété de Kretschmer est due à l’ouvrage Paranoïa et sensibilité. Contribution au problème de la paranoïa et à la théorie psychiatrique du caractère qu’il publie en 1918 à l’âge de vingt-cinq ans. Il décrit la paranoïa des sensitifs et le délire de relation qui, selon lui, comporte trois niveaux : le caractère sensitif, l’événement traumatique et le délire.

Kretschmer considère le contexte social et familial dans lequel s’inscrit la paranoïa des sensitifs et définit la notion de caractère comme "un élément intrinsèque de la personnalité". Il envisage le psychisme comme "un déroulement dans le temps" en réaction à l’expérience vécue où se dégagent les quatre composantes du caractère (impressionnabilité à l’expérience,

       

42 Lacan, J., Écrits, Paris : Seuil, 1966, p. 471. 43 Minkowski, E., Le temps vécu, Paris : P.U.F., 2013.

44 Charbonneau, G., Introduction à la psychopathologie phénoménologique, Paris : MJW Fédition, 2010. 45 Dit Jacques-Alain Miller qui ajoute que « c’est bien sur ce point que portait la résistance de Lacan quant à la

republication de la thèse. », in De Georges, P., De quoi Kretschmer est-il le nom ?. La Cause freudienne, vol. 73, no 3, 2009, p. 150.

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rétention, activité intra-psychique, expansion). Dans la suite, il distingue quatre types de réactions psychopathiques :

1. Les réactions primitives qui se caractérisent par un manque de rétention et une facilité d’expansion (les caractères psychopathiques - les délires imaginatifs des dégénérés de Karl Birnbaum - les formations hystériques) ;

2. Les réactions expansives le plus souvent épisodiques et liées à "l’environnement" (des sthéniques doués d’une forte capacité de rétention avec une forte composante égocentrique). Devant un conflit avec le monde extérieur se déclenche alors une "névrose de combat" ; 3. Les réactions sensitives (rétention des vécus affectifs et défaut d’’expansion : névrose obsessionnelle avec ruminations obsédantes) ;

4. Les réactions asthéniques pures (natures faibles, "tristes", incapables de réagir ou de réprimer). Cette "dépression réactionnelle" se distingue d’une dépression endogène par le besoin de communication avec autrui.

Ces types de réactions, souligne Paul Bercherie, « représentent des types idéaux, toujours combinés dans la réalité empirique47. »

Dans la suite, Ernst Kretschmer étudie le développement du délire proprement dit, en considérant "la disposition caractérielle" et l’influence de l’Erlebnis, c’est-à-dire l’événement vécu, la façon dont on donne du sens aux événements de la vie. Philippe de Georges note que « Kretschmer formule finalement que ce sont les expériences vécues "qui créent le paranoïaque"48. » Le concept d’Erlebnis est un terme issu de la phénoménologie d’Edmund

Husserl et repris par Karl Jaspers dans le champ psychiatrique. Le délire de relation des sensitifs présente : « un défaut d’expansion, incapacité à opérer une décharge, douceur, faiblesse, subtilité, vulnérabilité49 ». Au niveau clinique, le patient a une propension marquée

à l’autocritique et surtout, point essentiel, ledit patient conserve sa confiance envers son thérapeute. Philippe De Georges ajoute que « le sensitif n’est pas d’un bloc. Le conflit interne et la contradiction le définissent. […] Il oscille entre certitude et critique, orgueil blessé et agressivité, humiliation et indignité, dénonciation de l’autre et recherche d’autopunition…. Si le paranoïaque est "non contradictoire", le kretschmérien dialectise : accessible à la discussion, réceptif aux arguments adverses ou au raisonnement, il ne fait jamais entrer le

       

47 Bercherie P. Les fondements de la clinique. Histoire et structure du savoir psychiatrique, Paris : Navarin,

1980, p. 211 

48 De Georges, P. De quoi Kretschmer est-il le nom ?. La Cause freudienne, vol. 73, no 3, 2009, p. 151. 49 Bercherie P. Les fondements de la clinique. Histoire et structure du savoir psychiatrique, op. cit. p. 211. 

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thérapeute dans la série de ses persécuteurs50. » De fait, ce tableau clinique, n’est pas sans

évoquer la névrose obsessionnelle et, note Paul Bercherie, « La guérison plus ou moins rapide est de règle et la conservation de la personnalité est totale, même dans les cas graves51. »

Kretschmer décrit le cas paradigmatique du "délire des vieilles filles" - pendant féminin du cas des masturbateurs compulsifs où "leur infortune se lit dans leurs yeux" - avec Hélène Renner, femme de vingt-neuf ans, qui, à la suite d’un événement déclenchant qui fait écho à un épisode traumatique de l’enfance, bascule dans un délire où « tout le monde la regarde52

dans la rue et commente sa grossesse ». Philippe De Georges note que : « bien que l’apparente modestie du sensitif s’oppose à la suffisance arrogante des autres paranoïaques, la touche mégalomane est tout de même là : le sujet est le centre du monde. Tout fait signe et converge vers lui. Hélène interprète chaque propos comme la visant et la dénonçant, mais toujours sur un mode allusif53. ». De fait, dans le cas de la paranoïa sensitive de Kretschmer, on note un

délire de relation où le patient cherche la signification cachée de chaque fait, fût-ce le plus minime. Il n’y a pas d’hallucination, mais une intuition entraînant une interprétation univoque. Ainsi, au moi hypertrophié du paranoïaque de combat de Kraepelin, s’oppose le moi hyperesthésique du paranoïaque kretschmérien. La paranoïa sensitive a un fond dépressif, c’est « la paranoïa des introvertis, […] C’est l’envers de l’image classique du paranoïaque : on lui en veut, et il en veut. Là, loin de bousculer le monde, on a des paranoïaques qui n’en veulent pas. C’est la paranoïa des faibles, des humiliés. […] Les paranoïaques kretschmériens sont des paranoïaques modestes, écrasés, douloureux, qui s’autodévalorisent54. » Guy Briole

ajoute très pertinemment : « Dans certains milieux professionnels, on rencontre fréquemment ces serviteurs de l’État absolument exemplaires qui sont des humiliés obéissants, ayant une très haute idée d’eux-mêmes sans jamais pouvoir l’exprimer, se cantonnant à une modestie en rapport avec leur situation. Jusqu’à ce qu’un jour, une observation, une remarque leur soit faite. Dès lors, on voit se mettre en place ce délire de relation, où le sujet se vit au centre d’un procès. "Délire de relation" est bien le terme, puisqu’il se trouve en place d’être l’objet du regard et des reproches de tous55. »

       

50 De Georges, P. De quoi Kretschmer est-il le nom ?. op. cit., p. 147. 

51 Bercherie P. Les fondements de la clinique. Histoire et structure du savoir psychiatrique, op. cit., p. 212. 52 P. De Georges souligne : « Elle entend qu’on dit d’elle : "on le voit d’après les yeux" ou bien "quelle

cochonne". ». Jacques Lacan, à cet égard, parlera de « sonorisation du regard » dans son séminaire R.S.I. du 8 avril 1975.

53 De Georges, P. De quoi Kretschmer est-il le nom ?. op. cit., p. 143.

54 Miller, J.A., in De Georges, P. De quoi Kretschmer est-il le nom ?. op. cit., p. 148. 55 Briole, G., in De Georges, P. De quoi Kretschmer est-il le nom ?. op. cit., p. 153. 

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Eugen Bleuler : le concept de dissociation

Bleuler introduit le terme de "schizophrénie", du grec schizo "séparé" et de phrên, "l'esprit" pour désigner la démence précoce de Kraepelin. Il la définit comme suit : « Nous désignons sous le nom de démence précoce ou schizophrénie un groupe de psychoses qui évolue tantôt sous le mode chronique, tantôt par poussées, qui peut s'arrêter ou rétrocéder à n'importe quel stade, mais qui ne permet sans doute pas de restitio ad integrum complète. Ce groupe est caractérisé par une altération de la pensée, du sentiment et des relations avec le monde extérieur d'un type spécifique et qu'on ne rencontre nulle part ailleurs56. » Point fondamental pour Bleuler : « Il existe dans tous

les cas une scission plus ou moins nette des fonctions psychiques... » Contrairement à Kraepelin, Bleuler ne considère pas le dénouement de la maladie comme le critère principal, mais prend en compte "la tendance de sa marche vers le dénouement".

Il distingue les symptômes fondamentaux, caractéristiques de la maladie, des symptômes accessoires :

 « Les symptômes fondamentaux sont constitués par le trouble schizophrénique des associations et de l'affectivité, par une tendance à placer sa propre fantaisie au-dessus de la réalité et à se retrancher de celle-ci (autisme)57. »

Il accorde une importance particulière à l'ambivalence, terme que Freud étendra à la névrose et aux formations de l'inconscient58 : « La tendance de l'esprit schizophrène à

doter simultanément les éléments psychiques les plus divers des signes négatifs et positifs (ambivalence) n'est certes pas toujours très développée […], on la rencontre généralement même dans les cas légers, et elle est une conséquence si directe du trouble schizophrénique du trouble des associations que son absence complète est invraisemblable. C'est pourquoi nous la citons parmi les symptômes fondamentaux. La même représentation peut être teintée au même instant de sentiments agréables et désagréables (ambivalence affective) : le mari aime et hait sa femme59. »

 Concernant les symptômes accessoires : « Il n'est pas fréquent que les symptômes fondamentaux soient si fortement développés qu'ils mènent le patient à l'asile. Ce ne sont

       

56 Bleuler, E., Dementia praecox ou groupe des schizophrénies, Paris : Epel, 1993, p. 45. 57 Ibid., p. 55.

58 "Ce terme d'ambivalence est à la base d'une grande confusion, car il est largement utilisé par Freud dans une

acceptation à la fois proche et différente : le névrosé est ambivalent, mais l'est en pensée ; ses rêves, ses actes manqués, etc. révèlent l'ambivalence de ses sentiments à l'égard de l'objet aimé. Les malades de Bleuler, eux, le sont en acte, témoignant justement d'une impossibilité d'être ambivalents au sens freudien du terme : un névrosé reviendra vérifier s'il a bien fermé sa porte, le schizophrène restera au milieu de la porte entrouverte, l'ouvrant et le refermant inlassablement..." Vincent, T., op. cit., pp 43-44. 

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que les phénomènes accessoires qui lui rendent impossible de séjourner dans sa famille, ou ce sont eux qui rendent la psychose manifeste et amènent à réclamer une aide psychiatrique. Ils peuvent être présents durant toute l'évolution, ou seulement au cours de périodes tout à fait quelconques de celle-ci. Ils impriment généralement leur sceau au tableau apparent de la maladie, si bien qu'avant Kraepelin on avait pu pouvoir délimiter des maladies particulières d'après ces symptômes et leur groupement60. » Et, à l'instar de

Kraepelin, il n'accorde aucune spécificité diagnostique au thème du délire et considère comme accessoires "les hallucinations et les idées délirantes".

De plus, dans la neuvième partie de son ouvrage, au chapitre premier "la théorie des symptômes", il distingue les symptômes primaires des symptômes secondaires : « Nous ne pouvons comprendre une psychose à détermination physique que si nous distinguons les symptômes qui proviennent directement du processus morbide de ceux qui résultent seulement de la réaction de l'esprit malade à certains processus internes et externes. […] Les symptômes primaires sont les manifestations partielles nécessaires d'une maladie ; les symptômes secondaires peuvent, potentiellement du moins, faire défaut ou changer sans que le processus morbide se modifie en même temps61. »

Gaëtan Gatian de Clérambault : "le culte du regard"

Gaëtan Gatian de Clérambault, descendant d'Alfred de Vigny par sa mère et de René Descartes par son père, est Médecin Chef de l'infirmerie spéciale des aliénés en 1920. Chez de Clérambault "le culte du regard est poussée à son paroxysme […] l'art de l'observation se confond avec une histoire de l'œil revue par Charcot et corrigée par Raymond Roussel. Tel est ce formalisme de la voyance rencontré par Lacan un beau matin de 192862." Il est

particulièrement connu pour son travail sur l'automatisme mental qui lui permet de distinguer les délires passionnels de la psychose hallucinatoire chronique. Lacan qualifiera de Clérambault comme : "notre seul maître en psychiatrie"63.

Notons que le concept de psychose hallucinatoire chronique a été introduit par Gilbert Ballet en 1911. Elle est, selon Pascal Le Maléfan, « la troisième entité ainsi créée, après le délire d'interprétation de Sérieux et Capgras et le délire d'imagination de Dupré. Si ces deux dernières étaient respectivement basées sur l'interprétation et l'imagination, la PHC fut

       

60 Ibid., p. 147. 61 Ibid., pp 445-446.

62 Roudinesco, E. Histoire de la psychanalyse en France, vol. 2, Paris : Seuil, 1986, p. 120.  63 Lacan, J., Écrits, Paris : Seuil, 1966, p. 65. 

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essentiellement fondée sur la primauté du symptôme hallucinatoire et sur la désagrégation. […] Ce que Ballet entend décrire consiste en l'alliance des hallucinations essentiellement auditives et d'un délire de persécution64. »

Pour de Clérambault, l'automatisme mental est un processus primitif pouvant entraîner chez le patient la conviction qu'une force étrangère et extérieure à lui agit sur lui et contrôle son psychisme en dirigeant ses actes, sa pensée et ses perceptions. Il distingue un petit et un grand automatisme mental :

 Le petit automatisme mental "comprend les phénomènes classiques : pensée devancée, énonciation des actes, impulsions verbales, tendance aux phénomènes psychomoteurs"65.

Il n'y a pas d'hallucination.

 Le grand automatisme mental se distingue à la fois par un automatisme idéoverbal (hallucinations verbales avec commentaires des actes et écho de la pensée, certitude de deviner la pensée d'autrui et de la voler, répétition de phrases d'allure impersonnelle, qui seraient imposées au sujet), un automatisme moteur se traduisant par des impulsions qui entraînent des tics et des stéréotypies gestuelles parasitant la motricité volontaire du patient, et un automatisme sensoriel et sensitif avec de multiples hallucinations visuelles, gustatives... Tous ces troubles psychosensoriels restant anidéiques66, c'est-à-dire sans

accompagnement délirant, au début67.

Cet automatisme mental est, pour de Clérambault, le point de départ de la psychose hallucinatoire chronique. Le phénomène initial est pour lui un trouble cérébral de nature probablement organique à partir duquel se développe, dans une phase secondaire, le délire. Cette explication mécaniciste de la construction délirante est commentée ainsi par Lacan : « Son automatisme mental, avec son idéologie mécanistique de métaphore, bien critiquable assurément, nous paraît, dans ses prises du texte subjectif, plus proche de ce

       

64 Le Maléfan, P., "Gilbert Ballet et la médiumnité. Contribution à l'histoire de la PHC et des divisions

subjectives", L'Évolution psychiatrique, 68, 2003, pp 66-67. Voir aussi Le Maléfan, P., "Il y a cent ans : la psychose hallucinatoire chronique.", L’Information psychiatrique, 88 : 253-5.

65 Gatian de Clérambault, G., L'automatisme mental, Le Plessis-Robinson : Les empêcheurs de penser en rond,

1992, pp 42-43.

66 "Sur le registre symbolique l'anidéisme de G. de Clérambault comme préhistoire du signifiant lacanien est un fait

désormais connu", Allouch J. "Point de vue lacanien en psychanalyse", Encycl. Méd. Chir., Psychiatrie, 37-801-A-50, 1995, note 21 p. 8. Pour la question du "signifiant lacanien", voir Nancy J.-L. et Lacoue-Labarthe P. Le titre de la lettre, Paris : Édition Galilée, 1973, Arrivé M. Langage et psychanalyse, linguistique et inconscient, Paris : P.U.F., 1994 et Ey H. (direction) L'inconscient VIe colloque de Bonneval, Paris : Desclée de Brouwer, 1996.

Pour sa part, Élisabeth Roudinesco ne parle pas à proprement parler de "préhistoire du signifiant lacanien", mais remarque : "il [Lacan] revendique l'enseignement de son maître, mais le transforme puisqu'il remplace le concept de syndrome d'automatisme mental par celui de structure et intègre le délire passionnel au cadre général de la paranoïa "Roudinesco E. op. cit., p. 124.

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qui peut se construire d'une analyse structurale, qu'aucun effort clinique dans la psychiatrie française68. »

Par ailleurs, la notoriété de Gaëtan Gatian de Clérambault est due à son travail sur les psychoses passionnelles. Pour lui, le syndrome érotomaniaque s'origine par : « La conviction d'être en communion amoureuse avec un personnage d'un rang plus élevé, qui le premier a été épris et a fait des avances69. » Le délire érotomaniaque est selon lui « un syndrome passionnel

morbide. Ce n’est pas un délire interprétatif. [...] Les syndromes passionnels se caractérisent pas leur pathogénie, leurs composantes soit communes, soit spéciales, leurs mécanismes idéatifs, leur extension polarisée, leur hypersthénie allant quelquefois jusqu’à l’allure hypomaniaque, la mise en jeu initiale de la volonté, la notion de but, le concept directeur unique, la véhémence, les conceptions complètes d’emblée, une allure revendicatrice commune, etc. [...] Les syndromes passionnels morbides se présentent tantôt autonomes et purs, tantôt associés à d’autres délires [...]. Généralement, ils perdent de leur intensité dans la mesure où ils perdent de leur pureté. Le délire érotomaniaque se développe en trois stades : stade d’espoir, stade de dépit, stade de rancune70. »

Outre cette typologie des stades décrite par de Clérambault dans le délire érotomaniaque, nous verrons dans la suite de ce travail comment Freud, dans son étude sur le cas Schreber, avait auparavant distingué à partir de la proposition "je l'aime lui/elle" le délire de jalousie, la paranoïa et l'érotomanie à l'aide de la négation portant soit sur le sujet (délire de jalousie), soit sur le verbe (paranoïa) soit sur le complément d'objet (érotomanie).

Selon Élisabeth Roudinesco : « Clérambault est à la fois en retard sur son temps puisqu'il privilégie un constitutionnalisme étroit au détriment du dynamisme, et en avance sur ses contemporains puisqu'il saisit la pertinence de thèses structurales nécessaires à une nouvelle organisation du savoir. D'où le paradoxe de sa position : en ignorant superbement les thèses viennoises, il construit une doctrine des psychoses apparemment plus "freudiennes" que bleulériennes. Il choisit le domaine de la paranoïa contre celui de la schizophrénie... Clérambault reste bien l'héritier de Kraepelin : non seulement il maintient l'organicisme, mais il refuse toute réforme en matière de soins71. »

       

68 Lacan, J., Écrits, op. cit., p. 65.

69 Gaëtan de Clérambault, G., Œuvres psychiatriques, Paris : P.U.F., 1942, p. 331.

70 de Clérambault, G., "Les délires passionnels. Érotomanie, Revendication, Jalousie" (Présentation de malade),

Bulletin de la Société Clinique de Médecine Mentale, février 1921, p. 61.

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En fait, de Clérambault n'a pas eu de clientèle privée et n'a officié qu'au titre de Médecin Chef de l'Infirmerie Spéciale du Dépôt qui s'appelle désormais l'Infirmerie Psychiatrique de la Police de Paris. De part notre expérience passée, nous pouvons témoigner que les patients sont, la plupart du temps, amenés par la police et sont "accueillis dans ce lieu pour 24 heures, et ce, exclusivement à des fins diagnostiques. Dès leur arrivée à "l'I trois P", ils séjournent dans des chambres individuelles fermées avant d'être reçus au matin par un psychiatre. À l'issue de l'entretien, ledit psychiatre décide de la suite à donner sous forme de "placement" : soit en hospitalisation sous contrainte, soit ils sont ramenés au commissariat, soit ils sont libérés. "L'instant d'un regard" en quelque sorte...

Élisabeth Roudinesco commente ainsi la pratique de Gaëtan Gratian de Clérambault : « Conservateur et tyrannique, il cherche d'abord à débusquer le symptôme ou à prouver la cohérence de sa doctrine avant de se soucier de la personne du malade. [...] Il passe sa vie à perfectionner son regard d'aigle ; il manipule et observe le malade sans jamais l'écouter. [...] Il rédige ses certificats d'internements dans un style télégraphique en utilisant à profusion les notations visuelles, les majuscules, les éléments d'une théâtralité qui semblent surgis d'un fonds de tragédie antique. »

Il nous a paru judicieux d'illustrer notre travail par des exemples "cliniques". De Clérambault laisse pour seul témoignage de sa pratique clinique ses fameux certificats d'internements. En voici un exemple :

Observation. – Certificat de Placement

D… Léontine, 28 ans, ouvrière. – Érotomanie. Stade de dépit. –

Interprétations secondaires de nature à la fois favorable et hostile. – Un

capitaine sous les ordres de qui elle a travaillé veut l’épouser et cependant la

persécute. – Collaborations innombrables. Manifestations. Machinations. – Lettres à la fois accusatrices et affectueuses. Démarches pour reproches et pour déclarations implicites. Attentes. Injures et menaces à la femme du Capitaine. – Refus de croire qu’il soit marié. Exagération de la Personnalité. – Présentation enjouée et expansive à un degré inusité dans cette forme de délire. – Possibilité d’un Délire Polymorphe au début de son évolution. Dr DE CLÉRAMBAULT (Infirmerie spéciale), 1er février 192172.

       

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En 1942, après une opération de la cataracte où il ne retrouve pas la perception du relief, ce "maître du regard" se suicide devant son miroir avec un pistolet. Dans la suite de son décès, un écrit posthume détaillant son opération sera retrouvé. Il se termine par : "Nous tenons nos yeux à la disposition de tout confrère qui voudrait les examiner73."

Jacques Lacan, psychiatre : la thèse de 1932

En 1928-1929, Jacques Lacan est interne à l'Infirmerie Spéciale du Dépôt chez de Clérambault, à l’époque où celui-ci devient aveugle.

En 1932, il a trente et un ans. Interne à la Clinique des Maladies Mentales et de l'Encéphale du Pr Claude, il publie sa thèse de doctorat en médecine De la psychose paranoïaque dans ses rapports avec la personnalité74. L'ouvrage est dédié à "M.T.B.75" et "À mon frère, le R. P.

Marc-François Lacan, bénédiction de la congrégation de France". Voici la dédicace manuscrite adressée à ses parents : "À Papa et à maman. Ce grand ouvrage de celui qui reste – quelque part en eux et quelque part en lui – leur petit garçon. Jacquot, le 23 octobre 32."76

La publication de cette thèse connaîtra moult péripéties, Lacan manifestant une grande réticence à sa publication. Devenue introuvable car Lacan rachetait les exemplaires restants, elle ne sera republiée qu'en 1975. Erik Porge précise : « Des volumes en circulaient cependant, fabriqués pendant la guerre dans les ateliers de l’hôpital psychiatrique de Saint-Alban, sous l’impulsion de F. Tosquelles. [...] Une fois de plus, c’est sous la pression de F. Wahl que Lacan, après de multiples refus, accepta cette publication, "non sans réticence", précise-t-il par deux fois dans le quatrième de couverture qu’il a rédigé à cette occasion et qui est sa seule contribution de 1975 au volume. » Erik Porge ajoute : « La réticence est l’action de taire (re-tacere) quelque chose. En rhétorique, la réticence consiste à s’arrêter avant d’avoir exprimé toute sa pensée mais en laissant entendre ce que l’on tait77. »

La thèse est d'emblée placée sous l'égide de Spinoza. La proposition LVII de la troisième partie de l'Éthique : "Quilibet unius cujus que individui affectus ab affectu alterius tantum discrepat, quantum essentia unius ab essentia alterius dissert" apparaît en première page de la thèse et se retrouve traduite à la fin de la thèse (p. 342) par : "une affection quelconque d'un

       

73 de Clérambault, G., Souvenirs d’un médecin opéré de la cataracte, Paris : Empêcheurs De Penser En Rond,

1992.

74 Lacan, J., De la psychose paranoïaque dans ses rapports avec la personnalité, thèse de doctorat en médecine,

Paris : Seuil, 1975.

75 Marie-Thérèse Bergerot

76 Voir le site de Patrick Valas : http://www.valas.fr/Jacques-Lacan-dedicace-sa-these-a-ses-parents,041 77 Porge, E., "Lire, écrire, publier : le style de Lacan", Essaim 2001/1 (no 7), p. 34.

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