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1.3 Aléas associés aux failles en décrochement

1.3.2 Cas de la faille nord-anatolienne

Les failles décrochantes les plus surveillées au monde, car présentant un risque sociétal considérable sont vraisemblablement la faille de San Andreas en Califor-nie, et la faille nord-anatolienne en Turquie. Concernant cette dernière, il s’agit d’une importante faille décrochante d’environ 1200 km de long qui parcourt le Nord de la péninsule turque (igure 1.25). Elle constitue la frontière entre les plaques eurasienne et anatolienne. La vitesse de déplacement relatif des deux plaques est estimée à 20-27 mm/an [Hergert & Heidbach, 2010]. Son comportement est remar-quable dans la mesure où celle-ci a rompu régulièrement d’est en ouest au cours du siècle sur la quasi-totalité de son tracé (igure 1.26) provoquant des séismes souvent meurtriers [Armijo et al., 2000].

N AF EA F E U R A S I A ANATOLIA A F R I C A A R A B I A H e lle n ic S ub d uc tion SD F C R N A T A E G EAN Black Sea M ed ite rran ean S ea K 20 mm/yr 22˚E 30˚E 38˚E 40˚N 36˚N

Fig. 1.25 – Mouvements relatifs des plaques arabique et anatolienne par rapport à l’Eurasie stable. la NAF représente la faille nord anatolienne (d’après Armijo et al. [2000])

On considère comme le premier séisme de ce cycle celui de Erzincan en 1939 en Turquie de l’Est [Stein et al., 1997], la rupture s’est propagée régulièrement vers l’Ouest, le dernier événement majeur étant le séisme d’İzmit en 1999 à environ 100 km d’İstanbul [Barka, 2002]. Le dernier segment n’ayant pas rompu est celui de la mer de Marmara, le segment İstanbul-Silivri (ISS) [Şengör et al., 2005]. À l’ouest de la mer de Marmara, le séisme référencé le plus récent est celui de Ganos en 1912 en Thrace occidentale (Turquie européenne). La portion de la faille nord anatolienne traversant la mer de Marmara n’a connu aucun événement sismique signiicatif depuis au moins 1766, voire 989 [Ambraseys, 2002].

La question de la rupture possible de ce segment est au centre des recherches actuelles, principalement en raison du risque considérable associé à la proximité immédiate de la mégalopole d’İstanbul où résident près de 15 millions d’habitants. La probabilité d’un séisme est jugée signiicatif par Murru et al. [2016]; Aochi & Ulrich [2015]; Parsons [2004], et Schmittbuhl et al. [2016] interprètent la faible sismicité comme un comportement bloqué.

Bohnhof et al. [2016] estiment qu’un séisme dans cette zone ne dépasserait pas la magnitude de 7.5, mais les modèles géomécaniques prédisent généralement une forte accumulation de contrainte le long de l’ISS, suisante pour produire

Fig. 1.26 – Historique de la sismicité le long de la Faille nord anatolienne, avec représentation du déplacement associé à chaque événement. Remarquez l’absence de séisme récent en mer de Marmara. (d’après Pondard et al. [2007])

un événement de magnitude supérieure à 7. Hergert & Heidbach [2010]; Pon-dard et al. [2007]; Armijo et al. [2005]; Le Pichon [2003]. En revanche, Ergintav et al. [2014] suggèrent au contraire à partir des données GNSS des stations per-manentes distribuées de manière disparate à terre que l’ISS est en situation de creep asismique, et que l’accumulation de contrainte est inférieure à 2 mm/an. Mais à l’image du cas des Antilles, la répartition spatiale des données GNSS à terre ne permet pas de répondre à la question du blocage : il faut se rapprocher de la faille.

La question du comportement bloqué ou asismique de segment İstanbul-Silivri de la faille nord anatolienne ainsi que du risque sismique associé reste donc ouverte. Outre le fait que nous manquons de recul historique concernant ce segment, les données sismiques, relevant une faible activité, ne permettent pas de discriminer les deux possibilités. L’apport d’observations géodésiques se justiie donc totalement pour aider à la détermination de la déformation induite par la faille à cet endroit. Cependant, l’acquisition de mesures in situ est rendue diicile par le fait que la faille court sous la mer de Marmara. Les techniques classiques de surveillance topographique ne suisent plus, et le développement de nouvelles méthodes de géodésie de fond de mer s’avère ainsi nécessaire.

Chapitre 2

Instrumentation géodésique en

mer

À terre, il est désormais relativement facile et peu coûteux d’observer les défor-mations de la surface terrestre, que ce soit en utilisant les techniques de topographie classique (mesure d’angles et de distance) ou de géodésie spatiale (GNSS, InSAR...) (igure 2.1) et ce avec une exactitude millimétrique, voire submillimétrique.

VLBI SLR

Triangulation Trilatération Nivellement

DORIS GPS

INSAR

θ

Fig. 2.1 – Éventail des techniques de géodésie utilisées à terre (d’après Feigl [2002]) 51

En environnement sous-marin, ces techniques sont inexploitables. En efet, les ondes électromagnétiques, qu’elles soient émises depuis les satellites de navigation, ou depuis un instrument de mesure au sol (distancemètre, tachéomètre) s’atténuent extrêmement rapidement dans le milieu aquatique en raison de son caractère dissi-patif, et de fait ne s’y propagent pas (et ont au contraire tendance à se réléchir à la surface d’eau). Il est alors nécessaire de développer des technologies alternatives. À ceci s’ajoute l’hostilité de l’océan, les matériels devant être conçus spéciiquement pour résister aux conditions extrêmes de pression et de corrosion.

Une solution physique alternative existe pour propager une information dans l’océan. Il faut avoir recours à un autre type de signal : une onde acoustique, cor-respondant à une vibration mécanique dans le milieu. Un type d’onde qui, contrai-rement aux ondes électromagnétiques, se propage très eicacement dans l’eau, et permet donc de remplacer ces dernières.

On peut distinguer les techniques de géodésie marine suivant trois critères [Bürgmann & Chadwell, 2014] :

— la nature de l’observable qui se subsistera aux ondes électromagnétiques : principalement les ondes acoustiques, mais également la mesure de pression. — la fréquence de répétition des mesures, de laquelle découle une philosophie de travail par campagne ou d’enregistrement des données continu automatisé — le référentiel associé aux observations : relatif (interne au chantier) ou absolu

(global).

Nous présentons dans un premier temps les techniques permettant de résoudre partiellement le problème d’observations de déformation sous l’eau, à savoir les mesures de distance et de hauteur, puis nous détaillons dans un second temps la méthodologie GNSS/A, qui s’avère être la plus complète en général et la plus appropriée pour le contexte antillais, en présentant les programmes menés par les diférentes équipes travaillant sur cette technologie.

2.1 Approche simple : mesure de hauteur et de

distance

Les mesures de variations suivant la composante verticale se font par capteurs de pression installés de manière pérenne sur le fond, enregistrant de manière conti-nue la charge de la colonne d’eau [Fox, 1993]. Les données, une fois décorrélées des signaux tidaux et atmosphériques mesurés de manière indépendante (par maré-graphe, bouée GNSS ou satellite altimétrique par exemple) et corrigées des signaux océaniques et de dérive, ne contiennent plus que le signal tectonique. Ces instru-ments permettent de mesurer les déformations intersismiques ain d’en déduire le taux de couplage [Ballu et al., 2013], ou alors les événements brusques (séismes ou

slow slip events) [Wallace et al., 2016]). Les instruments doivent cependant être

calibrés précisément préalablement à leur déploiement, et sont sujets à une dérive instrumentale, qui est un vrai handicap pour la quantiication de déformations lentes.

Une autre approche pour mesurer la déformation est celle de l’acoustic ranging, que nous traduirons par distancemétrie acoustique. Elle consiste à observer l’évo-lution de la distance entre deux points ou plus, matérialisés par des balises, cette distance étant obtenue par conversion du temps de propagation d’une onde acous-tique émise par un transpondeur, et réceptionnée par les autres. Cependant, cette technique ne peut être utilisée que si les points sont susceptibles de s’approcher ou s’éloigner les uns des autres et s’ils sont tous situés dans un périmètre relativement restreint (i.e. à portée des instruments). Ainsi, les mesures sont dites relatives : elles n’ont de valeur que dans le référentiel de la zone de travail. En pratique, les instruments sont donc déployés de part et d’autre d’une faille [Chadwick et al., 1999; Osada et al., 2008, 2012]. Il faut néanmoins remarquer qu’un réseau de ce type a récemment été installé au large du Chili en contexte de subduction [Kopp et al., 2016], mais qu’un grand nombre d’instruments est nécessaire pour mesurer eicacement l’accumulation de contrainte, les balises étant alors installées perpen-diculairement à la fosse de subduction ain d’estimer la déformation de proche en proche le long du proil.