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Rejet du matériau

III. La corrosion dans les bétons armés

III.2 Corrosion de l’acier en matrice cimentaire

III.2.3.1 Carbonatation de la matrice cimentaire

Lorsqu’elle est exposée à l’air libre, une matrice cimentaire partiellement saturée en eau est sujette à la carbonatation. Le processus peut être divisé en différentes étapes débutant par la diffusion du CO2 à travers le réseau poreux, suivi par sa dissolution dans la solution interstitielle, entrainant la précipitation de carbonates de calcium. La carbonatation n’a pas toujours un impact négatif sur la pâte de ciment. Elle peut entrainer une diminution de la porosité, rendant le matériau moins perméable (Castellote et al. 2008), et peut aussi s’accompagner d’une augmentation des performances mécaniques. Mais c’est principalement la baisse de pH, associée à la consommation de portlandite, qui est responsable de la dépassivation des armatures métalliques et de l’initiation de la corrosion.

La cinétique de carbonatation dépend de la concentration en CO2 qui peut varier de 0,01% en milieu rural à 0,3% dans certains environnements urbains (ponts et tunnels). La perméabilité

Valeurs typiques prises par une armature dans un enrobage sain

influe sur le processus de diffusion du CO2. Elle est dépendante du mûrissement, de la porosité, du rapport E/L, et de la présence d’ajouts cimentaires. L’hygrométrie est également un paramètre important puisqu’elle définit le degré de saturation en eau. Il a été montré qu’en environnement sec, la couche d’eau recouvrant les pores est trop faible pour que le CO2 se dissolve. Dans le cas d’un environnement très humide, la saturation en eau des pores empêche la diffusion du CO2 sous forme de gaz. La diffusion en solution étant bien plus lente, la carbonatation est généralement superficielle. La cinétique de carbonatation est régit par la diffusion du CO2, et il est généralement admis que la cinétique suit une loi de Fick (avancée du front de carbonatation est proportionnelle à √temps).

III.2.3.1.1 La chimie du CO2

Le CO2 gazeux peut se dissoudre en phase aqueuse et forme l’acide carbonique selon l’équation (R. 1.3). Le composé formé est un diacide, dont les dissociations successives sont données par les équations (R. 1.4, R. 1.5).

Kh ≈ 1,70×10-3 à 25 °C 𝐶𝑂2(𝑔)+ 𝐻2𝑂 ⇌ 𝐻2𝐶𝑂3(𝑎𝑞) R. 1.3 PKa1 = 6,35 𝐻2𝐶𝑂3(𝑎𝑞) ⇌ 𝐻𝐶𝑂3 (𝑎𝑞)+ 𝐻+ R. 1.4 PKa2 = 10,33 𝐻𝐶𝑂3(𝑎𝑞) ⇌ 𝐶𝑂32− (𝑎𝑞)+ 𝐻+ R. 1.5

D’un point de vue thermodynamique, la dissolution du CO2 est régie par la constante de Henry, Kh, définie par :

𝐾=[𝐻2𝐶𝑂3(𝑎𝑞)]

𝑃(𝐶𝑂2(𝑔)) Eq. 1-3

Où [H2CO3 (aq)] représente l’activité du CO2 dissout en phase aqueuse, considérée égale à sa concentration, et P(CO2 (g)) représente l’activité du CO2 en phase gazeuse, considérée égale à sa pression partielle.

En milieu alcalin, les formes prédominantes de l’acide carbonique sont donc CO32- et HCO32-. Comme le montre la figure 1-14.

Figure 1-14 : Formes prédominantes de l’acide carbonique en fonction du pH.

0% 10% 20% 30% 40% 50% 60% 70% 80% 90% 100% 7 8 9 10 11 12 13 14 [CO2] [HCO3‾] [CO32-] H2CO3 HCO3- CO32-

III.2.3.1.2 Carbonatation de la matrice cimentaire

Le béton présente un pH élevé (pH~13) qui est fixé par la portlandite, Ca(OH)2 et par la présence d’alcalins (Na+, K+) dans la solution interstitielle. Pour une approche simplifiée, on estime généralement que c’est la portlandite qui réagit avec le CO2 selon l’équation :

𝐶𝑎(𝑂𝐻)2+ 𝐶𝑂2→ 𝐶𝑎𝐶𝑂3+ 𝐻2𝑂 R. 1.6 Mais en réalité, les mécanismes sont plus complexes. En équilibre avec de l’eau, la portlandite se dissocie selon :

𝐶𝑎(𝑂𝐻)2 ⇌ 𝐶𝑎2+ + 2𝑂𝐻 R. 1.7

𝐾𝑠 = [𝐶𝑎2+]. [𝑂𝐻]2 = 10-5,1 Eq. 1-4

Ainsi, en présence de CO2 dissout, un carbonate de calcium précipite à partir des deux espèces dissoutes :

𝐶𝑎2+ + 𝐶𝑂32− ⇌ 𝐶𝑎CO3 R. 1.8

𝐾𝑠= [𝐶𝑎2+]. [𝐶𝑂32−] = 10-8,1 Eq. 1-5

La présence d’alcalins (NaOH et KOH) augmente la concentration en ions hydroxyle, et diminue ainsi la concentration en Ca2+ dans la solution interstitielle (R. 1.10). Mais ces espèces se carbonatent rapidement en présence de dioxyde de carbone dissout (Baron & Ollivier 1996), selon les équations :

2𝑁𝑎+ (2𝐾+)+ 𝐶𝑂32− ⇌ 𝑁𝑎2𝐶𝑂3 (𝐾2𝐶𝑂3) R. 1.9

La carbonatation des alcalins augmente alors la solubilité des autres bases qui peuvent réagir à nouveau en quantité suffisante. Il a d’ailleurs été montré que les alcalins tendent à augmenter la cinétique de carbonatation des bétons (Kobayashi & Uno 1989).

𝑁𝑎2𝐶𝑂3 (𝐾2𝐶𝑂3) + 𝐶𝑎(𝑂𝐻)2 ⇌ 𝐶𝑎CO3+ 2𝑁𝑎+ (2𝐾+) R. 1.10

De nombreux auteurs montrent que les autres phases, C-S-H, mono et tri-sulfoaluminates de calcium (AFm et AFt) se carbonatent également. Les aluminates AFm et AFt se décomposent en gypse et en gel d’alumine. Ces phases étant mineures, leur carbonatation est généralement négligée face à la portlandite et au C-S-H. Ces derniers subissent une décalcification progressive au cours de la carbonatation. Le dioxyde de carbone réagirait avec les C-S-H pour former de la calcite et un gel de silice, ce qui correspondrait à l’état ultime de carbonatation (Thiery et al. 2007; Šauman 1971; Slegers et al. 1976).

Les réactions de carbonatation mettent en évidence la diminution de la teneur en hydrates au profit de la formation de calcite. Il a été montré que ce produit précipite dans le réseau poreux et puisqu’il présente un volume molaire supérieur à celui de la portlandite, ce qui conduit à une diminution de la porosité globale (Rigo et al. 2002; Ngala et al. 1997). D’après (Ngala et al. 1997), la carbonatation entrainerait surtout une redistribution de la porosité. La porosité totale diminuerait, alors que la porosité capillaire augmenterait, ce qui serait associé à la formation d’un gel de silice lors de la carbonatation des C-S-H. Pour les matériaux cimentaires

contenant des additions pouzzolaniques, la diminution ou l’absence de portlandite qui en résulte conduit généralement à une augmentation de la porosité par carbonatation des C-S-H.

La principale conséquence de la carbonatation est l’acidification de la solution interstitielle. L’avancée du front est généralement mesurée par un test à la phénolphtaléine, indicateur coloré virant à pH=9. Mais comme le montre la figure 1-15, le front est plutôt caractérisé par un gradient de pH.

Figure 1-15 : Gradient de pH au niveau du front de carbonatation (Thiery et al. 2007).

Le virage de la phénolphtaléine ne correspond donc pas précisément avec la zone totalement carbonatée. D’après les auteurs (Thiery et al. 2007), cet effet serait dû aux cinétiques des réactions. La carbonatation de la portlandite serait initialement plus rapide que celle des C-S-H, mais cette situation s’inverserait au fur et à mesure de la formation de calcite à la surface des cristaux de Ca(OH)2 entrainant l’inaccessibilité du CO2. En fin de carbonatation, la portlandite serait toujours présente dans des quantités appréciables. En revanche elle ne permet pas de conserver un pH alcalin puisqu’elle serait piégée dans les C-S-H ou par des carbonates de calcium (Thiery et al. 2007).