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3.2 Le document classique

3.2.2 Caractéristiques qui se rattachent au sujet/lecteur d’un doc-

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3.2.2.1 Le document est le résultat d’une intention a posteriori

Pour Buckland [Buc97] un document est intentionnel dans le sens où il est

con-venu que l’objet soit traité comme preuve. Cependant l’auteur ne précise pas si le

consensus qui qualifie le document comme preuve a lieu a priori ou a posteriori par

rapport à l’acte de lecture. Le document est, selon Buckland, le résultat d’un

pro-cessus ayant comme objectif celui de le concevoir en vue d’être utilisé comme tel

(c’est-à-dire en tant que document) ce qui l’amène naturellement à déduire qu’il n’y

a pas des documents dans la nature. [Op. cit. p.14]

Le document est, certes, constitué et institué par une intention. Cependant

cette intention peut se manifester tant a priori (rejoignant la proposition de

Buck-land) que a posteriori. Un document peut constituer une trace intentionnelle et

organisée (TIO), conçue en vue de sa lecture et de son utilisation ultérieure. Cette

trace traduit une volonté d’enregistrement et de transmission, témoignant ainsi une

intentionnalité a priori. Néanmoins, une intention a priori n’est pas

systématique-ment suivie d’une « docusystématique-mentarisation

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» de l’objet/espace en question. En effet,

quelqu’un peut volontairement laisser une trace (TIO

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) en vue de transmettre une

intention, et, pourtant, cette trace peut passer inaperçue. Elle ne deviendra

ja-mais un objet herméneutique, encore moins un document. (Combien de documents

du passé n’avons-nous pas ainsi perdu précisément par manque d’identification de

leur intentionnalité de transmission?) Symétriquement, d’innombrables exemples

prouvent que des objets/espaces non investis d’une intentionnalité a priori peuvent

devenir documents. C’est le cas, par exemple, des objets trouvés lors des fouilles

archéologiques, dont l’utilisation actuelle, en tant que documents, ne correspond

pas à leur intentionnalité initiale. L’intentionnalité a priori est constitutive pour le

document mais elle n’institue pas l’objet en tant que document.

Attachés à la perspective annoncée dans l’introduction et qui consiste à situer le

lecteur au centre du dispositif interprétatif, nous considérons que c’est l’intention a

posteriori qui institue la « documentarisation » d’un espace/objet

13

. Lorsqu’un

lecteur procède à l’organisation d’un espace à travers la lecture (OEL), comme

par exemple la lecture d’une scène de crime, il transforme l’espace en question en

document. Cet espace devient document sans qu’il y eut une intention dans ce sens

(lors de sa constitution). Il s’agit alors d’une intentionnalité a posteriori, car, dans

ce cas, on réfère l’intentionnalité à celle du lecteur et non pas à celle d’un auteur

présumé à qui il appartiendrait une prédétermination. Dans le cas des OEL, la

construction du document résulte de sa lecture. L’action de lire (d’établir, entre

bien d’autres, des associations et des relations entre les éléments perçus) instaure

11On entend par « documentarisation » la qualification d’un objet/espace en tant que document.

12Trace intentionnelle et organisée.

13Nous rappelons que nous voyons systématiquement un objet/espace comme des éléments de lecture et non pas comme des données car « donnée » veut dire « ce qui se donne » et suppose implicitement un point de vue, voire une préconception [Ras09]. Ainsi, nous verrons par la suite que les « objets/espaces signifiants » sont le résultat d’élaborations multiples qui engagent à la fois la perception et l’action interprétative.

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ainsi le statut d’objet interprétable, en dehors de toute intentiona priori. On déduit

alors que tout espace, même un espace naturel (par exemple un paysage) qui peut

être interprété, est susceptible de devenir un document. La qualité de document

ne se restreint donc pas aux artefacts, mais le document devient le résultat d’un

processus de qualification d’un espace à travers l’acte de lecture.

Les TIO sont donc des artefacts conçus pour viser la communication. Ils

devi-ennent des documents, car ils témoignent d’une intention a priori, tandis que les

OEL sont documents puisqu’ils s’inscrivent dans un processus communicationnel

qui les qualifie a posteriori. Nous marquons ainsi une rupture avec l’affirmation de

Buckland selon laquelle dans la nature il n’y a pas de documents. L’intentionnalitéa

posteriori, qui se rattache à l’acte de lecture, devient ainsi celle qui permet cette

qual-ification. En s’appuyant sur les propriétés formelles et matérielles de l’objet/espace

perçu, le lecteur va finir par le considérer comme une sorte de réponse à une question

préalablement posée, c’est-à-dire comme un moyen, une stratégie de résolution d’un

problème de manque, de besoin ou encore de désir d’information au sens très large

[Sto03]. Pour résumer, le document est compris comme le résultat d’une action

en-treprise par des sujets, action qui consiste à construire et à qualifier un objet/espace

à travers la lecture.

3.2.2.2 Le document mobilise une compétence de lecture

Considérer des éléments de la nature en tant que signes et établir des relations

entre eux est, certes, une affaire de perception ; mais c’est également, et surtout,

une affaire de compétence. Un lecteur manifeste une intention de lecture à

condi-tion de posséder une compétence nécessaire à l’interprétacondi-tion. Pour un chasseur,

par exemple, des traces sur un sentier constituent des signes interprétables ; elles

sont des preuves ou des témoignages du passage d’animaux ; tandis que, pour le

promeneur, ces mêmes traces passent inaperçues et seront, dans un certain sens,

inexistantes. En écoutant la même pièce musicale, le spectateur non averti n’entend

pas la même chose que les chefs d’orchestre car son oreille, malgré une écrasante

sim-ilarité morphologique et physiologique, n’a pas été éduquée pour saisir les mêmes

formes musicales. Pour mobiliser son intention interprétative, le lecteur doit

dis-poser de la compétence nécessaire à considérer l’objet/espace perçu comme étant

potentiellement porteur de sens.

Un processus interprétatif est enclenché si les signes perçus se manifestent dans

un ordre que le lecteur peut qualifier comme interprétable voire même comme

recon-naissable. En présence d’un groupe de signes stabilisés et délimités d’un contexte,

le lecteur doit conclure par les considérer comme étant, en quelque sorte, un texte,

dans l’acception la plus large du terme : sériation empruntant beaucoup à la nativité

de signes de n’importe quel type. Le lecteur manifeste sa compétence lorsque les

propriétés de l’objet/espace se présentent dans un ordre qu’il suppose « logique »

pas dans le sens disciplinaire du terme mais dans le sens d’une conformité aux

normes et à l’horizon d’attente (rationnel). De l’autre côté, toute forme