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Caractéristiques de la démarche d’accompagnement

1. La globalité : en réaction à une démarche privilégiant exclusivement soit la dimension

déficiente de l’individu soit sa dimension économique (cas de la personne réduite à son employabilité, par exemple), l’accompagnement prend en compte la personne dans sa globa- lité. Elle y est considérée dans toutes ses dimensions : dimension somatique (le corps), dimen- sion affective (les émotions), dimension rationnelle (la tête : la raison), dimension sociale (les autres, la culture, la société), dimension spirituelle (ses croyances, sa conception de l’humain, le sens attribué à l’existence). Sélectionner un seul aspect est tout simplement perdre toute chance d’avoir avec soi une personne susceptible de trouver du sens à ce qu’elle engage.

2. La relation : le professionnel est un accompagnant qui partage l’aventure relationnelle. Il

n’est pas dans la neutralité bienveillante analytique ni dans l’acceptation inconditionnelle rogérienne29. Il partage et confronte si besoin ses points de vue, ses impressions, ses

surprises, ses impatiences avec l’autre, et reste attentif à l’effet produit autant qu’à son ressenti personnel dans la relation. On n’a rien changé lorsqu’on attend tout de l’autre. Le pouvoir ne vaut que partagé. Se garder d’implication sous prétexte de ne pas intervenir est à coup sûr maintenir les jeux de domination. Certes, la posture n’est pas celle de l’expert « supposé savoir » mais, pour qu’elle devienne une cocréation, une composition, une avancée concertée et concertante, il faut bien que les deux soient acteurs dans l’interaction.

3. L’expérimentation : là où certains travaillent sur le passé ou recherchent des solutions, la

démarche d’accompagnement, comme on l’a vu, propose l’expérimentation comme source du changement dans l’« ici et maintenant » de la relation. Cette expérimentation doit ménager le droit à l’erreur, le droit au tâtonnement, le droit de changer d’avis, de se contredire, de créer sa propre approche.

4. Le processus : les personnes en relation sont attentives l’une et l’autre,

concentrées sur les aléas de la relation. Ce qui amène l’accompagnant à

29/ Référence à Carl Rogers (1902-1987), psychothérapeute dont le nom est communément associé à la non-directivité et à l’approche empathique du sujet capable de trouver en lui les ressources de son développement, voire de sa guérison (Ndle).

QUESTIONS/RÉFLEXIONS

poser des questions centrées sur le processus associant la ou les personne(s), comme : Que ressentez-vous en ce moment ? Quand je vous ai dit…, vous avez réagi, vous pourriez me dire ce qui se passe pour vous ?

5. L’attention et l’intention : c’est une posture impliquant à la fois focalisation, concentration,

vigilance, conscience immédiate de ce qui se joue dans le présent – et ouverture, veille ou attention flottante. La finalité de cette attitude attentive est d’être en prise directe sur la réalité du moment, d’observer ses propres perceptions, sensations, sentiments, affects, mais la mise en œuvre (ici et maintenant) suppose une intentionnalité (quelque chose à faire advenir) : Quel est le but ? Qu’est-ce qui doit être pris en compte et qui fait office de régulateur de l’acte ? L’intention résulte des processus psychologiques par lesquels on se prépare à l’action : elle concerne, incluant les projets, motivations rationnelles (motifs, résolutions, planifications…) et motivations de type affectif (désirs, appétits, besoins, goûts, envies…). Définir une intention est une manière de s’orienter dans une direction, vers un but, une valeur importante, et d’agir sans réserve. C’est d’abord par la force d’un imaginaire que l’idée d’accompagnement et de changement est conductrice.

6. La prise en compte du temps : l’accompagnement est un processus d’évolution, un mouve-

ment, un cheminement, et non un acte à poser. Cette nouvelle approche suppose donc des savoirs complexes toujours à réinventer en fonction de chaque personne et de savoir combiner des finalités énoncées a priori des dispositifs avec des objectifs personnalisés qui jouent, composent avec les écarts sans les réduire ni les imposer en force.

7. La dimension humaniste : oui, mais c’est davantage au niveau des mentalités qu’il faut

attendre et rechercher un possible changement que par la conviction non vérifiée que l’empa- thie est à la base de l’écoute de l’autre ! En d’autres termes, il n’y a dimension humaniste que lorsqu’il y a une attention profonde à l’évolution des attitudes et des motivations – et non parce qu’on appliquerait des principes rogériens !

8. La culture : l’humain est la ressource du tissu économique, social et culturel. Mettre chaque

personne en relation avec ses valeurs et sa culture est la condition de l’autonomie (si l’auto- nomie n’est pas réduite à sa fonctionnalité mais désigne la capacité à s’émanciper des modèles d’emprunt).

De ce point de vue, l’élément culturel apparaît au cœur du changement. L’accompagnement participe ainsi à une lame de fond du tissu social, porté par des hommes mobilisés autour de projets communs comme opportunité de renouvellement des attitudes relationnelles.

Conclusion

L’accompagnement concourt ainsi à souligner le besoin et la vitalité de l’idée d’accompagne- ment pour un devenir humain. Il rappelle que toute relation peut être l’occasion de côtoyer l’Autre. Bien que sa plus-value n’ait pas encore été clairement montrée (c’est là le chantier à ouvrir), il participe des moyens dont une société se dote auprès des porteurs de projets pour qu’ils participent des changements dont elle a besoin. Il incite à un continuel dépassement des contraintes immédiates, à multiplier les paris de faisabilité et de changement contre l’inertie et la démobilisation, et à ne concevoir le pouvoir que partagé.

On peut donc se risquer à poser l’idée d’accompagnement au rang des utopies, utopies conductrices qui ont le mérite de créer des visées, de nourrir des visions, de rappeler réguliè- rement les hommes à imaginer entre eux la possibilité de jeux relationnels autres. Paradoxe s’il en est, il véhicule avec lui des valeurs d’un passé dépassé comme gageure d’une manière de

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faire autrement, d’être autrement. Cet enjeu est porté par une dimension relationnelle forte qui permet d’avancer ensemble vers cet inconnu et un processus créatif qui soutient l’idée de découvrir et d’oser de nouvelles options, de poser des alternatives comme autant de trames possibles composant la complexité d’un réel : celui-ci ne devient menaçant que réduit à une seule et même lecture.

Ces dispositifs d’accompagnement constitueraient alors ce que Judith Butler nomme « des pratiques habilitantes », c’est-à-dire des pratiques émancipatoires qui augmentent notre pouvoir d’agir et désinhibent, collectivement, pensées et imaginaires. On conçoit alors comment l’accom- pagnement, par le processus d’apprentissage mutuel de la coopération qu’il suppose, engage vers un changement dont les enjeux sociopolitiques peuvent être conséquents.

Certes, ces mêmes dispositifs peuvent opérer comme facteur d’instrumentalisation de l’enga- gement subjectif mais ils peuvent aussi contribuer à construire le sens personnel et collectif de l’activité sociale et participer alors de l’émancipation. Et c’est bien là l’enjeu principal de la posture d’accompagnement.

Pour aller plus loin

AgAmbeng.,

Qu’est-ce qu’un dispositif ?,

Payot, Paris, 2007. Astieri.,

Les nouvelles règles du social,

Presses universitaires de France, Paris, 2007. butlerJ.,

Le pouvoir des mots. Politique du performatif,

éditions Amsterdam, Paris, 2004. lebosseY.,

« Penser pour agir »,

Nouvelles Pratiques sociales, 21 (1), 2008, pp. 158-166. lebosseY.,

« L’approche centrée sur le pouvoir d’agir : aperçu de ses fondements et de son application »,

Canadian Journal of Counselling, 36 (3), 2002, pp. 180-193.

lhotellierA.,

Tenir conseil. Délibérer pour agir,

Seli Arslan, Paris, 2001. nicolAs-lestrAtP.,

L’implication, une nouvelle base de l’intervention sociale,

L’Harmattan, Paris, 1996. PAulm.,

« D’un dispositif social à une pratique relationnelle spécifique »,

inbArbierJ.-m., bourgeoise., chAPelleg., ruAno-borbAlAnJ.-c. (dir.),

Encyclopédie de la formation,

QUESTIONS/RÉFLEXIONS

PAulm.,

« Quelles conditions pour autoriser le changement chez celui qu’on accompagne ? », ingendronb., lAfortunel. (dir.),

Leadership et compétences émotionnelles. Dans l’accompagnement au changement,

Presses de l’Université du Québec, Québec (Canada), 2009, pp. 11-34. PAulm.,

« L’Accompagnement ou la traversée des paradoxes »,

in boutinetJ.-P. (dir.), Penser l’accompagnement des adultes. Ruptures,

transitions, rebonds,

Presses universitaires de France, Paris, 2007, pp. 251-274. PAulm.,

L’Accompagnement : une posture professionnelle spécifique,