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La canopée et la stratification

B. Le volume arborescent

1. La canopée et la stratification

Les auteurs impliqués dans l’étude des strates reconnaissent leur existence dans les forêts monospécifiques (Beard, 1946; Rollet, 1974, Richards, 1983). La stratification en couches horizontales apparaît nettement, confirmée par le calcul des hauteurs ou la méthode des profils (Figure 30a). Les espèces "au comportement identique" se regroupent à des hauteurs semblables, c’est-à-dire que chaque couronne occupe une même hauteur à un même niveau de la forêt. Les strates ponctuelles coïncident avec l’ensemble arborescent unique et la strate est horizontale.

Parallèlement, lorsque la diversité spécifique est faible, la surface de la canopée se rapproche d’un plan horizontal. Cette relation est explicitement illustrée dans le cas de Miconia calvescens, une Melastomataceae qui envahit progressivement la forêt indigène de Tahiti (Birnbaum, 1993, 1995) et remplace la canopée diversifiée et ondulante par une canopée monospécifique et horizontale (Figure 30b-d). Plus la canopée est monospécifique plus sa surface rejoint le plan horizontal formé par sa hauteur moyenne. En forêt secondaire de la Piste de St. Elie, la canopée est formée par une minorité d’espèces (Laetia procera, Xylopia nitida, Goupia glabra, Cecropia sciadophylla) et les variations de la canopée sont faibles. Au contraire, en forêt primaire de la Piste de St. Elie, la canopée est formée localement par les arbres émergents appartenant à peu d’espèces (Eperua falcata, E. grandiflora, Pradosia cochlearia, Caryocar glabrum, Vouacapoua americana, Virola michelii), les arbres très diversifiés de hauteur moyenne (Lecythis idatimon, L. persistens, Eschweilera parviflora, E. micrantha, E. sagotiana, Licania alba,, ...) et les plus petits arbres qui peuvent localement former le toit de la forêt à 15 ou 20 m seulement du sol (Crudia bracteata, Sagotia racemosa, Oxandra asbeckii, Cassipourea guianensis....). Il faut en conclure que la diversité floristique se traduit dans les ondulations de la canopée. L’augmentation de la diversité des arbres qui forment la canopée s’accompagne d’une amplitude des hauteurs de plus en plus grande autour de la moyenne et par conséquent d’une surface de canopée ondulante. Le potentiel génétique de chaque espèce s’exprime par des différences entre les hauteurs maximales.

Selon cette hypothèse, la diversité floristique s’accompagne d’une difficulté croissante à atteindre l’état homéostatique. En forêt primaire, il se réalise sur des petites superficies, lorsque les conditions de stabilité sont réunies durant le temps nécessaire aux arbres pour atteindre leur hauteur d’inversion. Dès que les arbres de l’avenir ont rejoint leur hauteur d’exploitation, c’est-à-dire qu’ils constituent un ensemble du présent, la stratification est réalisée. Ils appartiennent aux arbres du présent et leur nombre augmente de telle façon que la proportion de 40 % entre l’espace occupé et l’espace inoccupé soit intégralement au profit des arbres du présent. Cet état se localise dans les unités de canopée haute (UCH). Dans une forêt peu diversifiée ne comportant qu’un ensemble arborescent, l’organisation structurale est atteinte dès que la canopée horizontale est constituée. Cet équilibre sera fixe tant que la diversité n’évolue pas. Une forêt monospécifique et monostratifiée est également une forêt dans un état structuré vis-à-vis de la seule espèce qui la compose. Du

point de vue de l’organisation structurale, ce type de forêt est dans le même état qu’une UCH de forêt primaire. La forêt d’Arbocel qui subit l’insertion permanente d’espèces provenant de la forêt primaire périphérique (Toriola, en cours) est dans un état organisé vis-à-vis des espèces secondaires qui composent la canopée mais le niveau de cette organisation s’amplifie progressivement avec le nombre croissant d’espèces de forêt primaire en sous-bois. Enfin en forêt perturbée, la structure organisée qui constitue le squelette de la forêt est disloquée par l’insertion des espèces secondaires. Dans les deux types forestier d’Arbocel, l’architecture forestière est dans un état instable. En fonction de l’état initial (le nombre d’espèce et la distribution des strates ponctuelles), l’aboutissement à l’état organisé final est un processus dynamique qui fait intervenir l’enrichissement floristique, particulièrement l’augmentation du nombre des ensembles arborescents, et la migration des strates vers les hauteurs de références par la croissance des arbres et leur développement architectural.

Finalement les distinctions initiales entre la parcelle de forêt primaire et celle de forêt secondaire s’inscrivent dans une série structurale continue définie par l’organisation des couronnes. La parcelle de forêt primaire ne peut pas être considérée comme structurellement homogène. Les secteurs où la canopée est basse ont une structure analogue à celle de la forêt secondaire, seules les espèces et la diversité changent. La parcelle se compose d’une mosaïque d’entités, depuis celles mono-stratifiées analogues à la forêt secondaire jusqu’aux entités organisées qui comportent les trois ensembles arborescents. Par ailleurs, les espèces qui forment la canopée de forêt secondaire sont encore présentes sur la parcelle 5B-10B. Le "goupi", Goupia glabra une des espèces dominantes en forêt secondaire, est également un des plus grand arbre de la forêt primaire, dépassant 50 m. Sur la parcelle de 10 ha, 10 individus de "goupi" s’étagent entre 14,2 et 67 cm de DBH; Laetia procera est capable d’occuper une strate basse de la forêt primaire, on compte 11 individus compris entre 10,5 et 35,2 cm de DBH, 17 individus de Xylopia nitida compris entre 10,5 et 36,6 cm de DBH. Enfin, la forêt secondaire subit l’insertion permanente d’espèces de forêt primaire et la forêt primaire perturbée est composée d’une canopée de forêt primaire et d’un sous-bois de forêt secondaire. A ce point, la distinction entre la forêt secondaire et la forêt primaire devient floue, il y a un changement graduel de l’organisation induit par une augmentation de la diversité des espèces et surtout du nombre d’ensembles arborescents. Si Brown et Lugo (1990) montrent qu’une forêt secondaire peut contenir, en 80 ans, autant d’espèces qu’une forêt primaire, contient elle pour autant les trois ensembles arborescents ? L’apparition des émergents exige plusieurs centaines d’année et sans ce groupe ni la stratification ni les ondulations de la canopée ne peuvent traduire une structure de forêt primaire. Dans la forêt d’Arbocel, homogène et structuré, l’insertion de nouvelles espèces introduit une hétérogénéité de la vitesse de croissances des arbres, de leur durée de vie, du volume occupé par leur couronne, de leur exigence écologique, de la distribution des ressources disponibles, des relations inter-spécifiques... Toutes ces différences se traduisent dans les ondulations de la surface arborescente inférieure et se transmettent progressivement dans les ondulations de la surface de la canopée. Une forêt primaire se distingue alors d’une forêt secondaire par la présence de ses

émergents mais également par celle de ses chablis et de toutes les hauteurs intermédiaires. Les grands arbres sont à la fois responsables d’un étirement de la surface de la canopée vers le haut durant leur vivant et vers le bas durant leur mort (Bruenig et Huang, 1989). Les deux étapes du continuum secondaire-primaire ne sont que les extrêmes d’un enrichissement floristique et structural continu.

Peut on parler de forêt secondaire lorsque la canopée est basse en forêt primaire ? S’il s’agit d’anciens chablis, les espèces sont dites pionnières ou héliophiles. Elles reconstituent rapidement la canopée et permettent aux espèces dites primaires de s’installer et de se développer dans des conditions micro-climatiques plus stables. L’organisation structurale de ces anciens chablis est réellement analogue à celle de la forêt secondaire. Les espèces sont peu diversifiées et la structure est mono-stratifiée. Finalement, la hauteur de canopée est-elle dépendante de la richesse floristique ? Si tel est le cas, l’enrichissement floristique se traduit directement par une progression vers l’état organisé.

Figure 30 : La stratification et la canopée des forêts monospécifiques

A) Profil d’une forêt monostratifiée à Gilbertiodendron dewevrei (De Wild.) J.

Léonard. au Zaïre (fig. 1c, Richards, 1983). La faible diversité floristique s’accom-pagne d’une canopée à tendance horizontale. B) Coupe transversale d’une forêt monostratifiée de Tahiti transformée par l’invasion de Miconia calvescens DC. (C-D)

M. calvescens remplace progressivement une canopée originelle ondulante par une

canopée horizontale monospécifique.

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B